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Et bonne lecture ! :)
Chapitre 17 :
La porte de l'appartement s'ouvrit dans un grincement, laissant apparaître les deux touristes anglais. L'un d'eux était frigorifié, comme en témoignaient ses gestes gourds et ses claquements de dents – dissimulés tant bien que mal par ses mâchoires maintenues serrées. Les vêtements épais qu'il portait furent ôtés et mis à sécher à la va-vite. L'un des deux hommes, assez maniéré, attrapa son ami par le bras et le guida précautionneusement en direction du coin-cuisine.
- Avant de préparer notre aligot de ce soir, je vais te faire un bon thé bien chaud pour dégeler tes écailles. A moins que tu ne préfères directement te réchauffer dans le four ? Quelques minutes à une cinquantaine de degrés devraient te permettre de te sentir mieux.
Le second homme, qui devait certainement s'appliquer à donner l'image d'un type cool en temps normal, avait enlevé ses lunettes et entreprit de se frotter le visage. Sa respiration était sifflante. Il redressa la tête lorsqu'il entendit son prénom et considéra le four avec une réelle hésitation. Puis, il répondit :
- Nan, çsssa devrait aller. La crise est moins importante que celle de l'autre jour. Poser les mains sur une tasse chaude devrait sssuffire.
Son acolyte dodu le considéra d'un air sévère. Il se jura que leurs prochaines vacances se dérouleraient dans un endroit plus chaud que celui-ci, qui ne mettrait pas à mal la résistance thermique de son cher ami. De nouveau, il l'attrapa par le bras et le conduisit doucement en direction de la table du coin-cuisine, dont il tira une chaise, l'invitant à s'asseoir1. Épuisé, la serpillère aux vêtements noirs s'affala sur le siège et darda un regard pensif sur la casserole en aluminium mise à chauffer. La chaleur de l'appartement commençait tout juste à l'atteindre. Il humecta ses lèvres et soupira :
- Et dire que du temps des Dowling, je devais me dégeler en même temps que je m'occupais du jeune Warlock…
Son ami sourit et posa sur la table deux tasses, deux cuillères à café ainsi qu'une assiette dont il couvrit le fond de biscuits secs. Pour finir, il revint aux côtés du dégelé pour lui retirer doucement le bonnet noir trempé de neige fondue, sans prêter attention au fait que lui-même gardait encore le sien ainsi que sa doudoune en plumes. Il posa le vêtement noir près d'un radiateur et s'éclipsa un moment dans la petite salle de bain. Il en revint bien vite avec une serviette blanche et moelleuse, et entreprit de tamponner doucement les cheveux roux.
Les yeux jaunes fermés, la tête se pencha en arrière, exposant davantage de surface aux bons soins.
- Il était intenable, ce gosse, grommela-t-il tandis que son crâne était massé en gestes lents. Je l'avais eu tout le temps avec moi, du matin jusqu'à la fin de l'après-midi. Il voulait skier avec sa Nanny et à cet âge, un môme, ça ne s'épuise jamais. Heureusement, j'avais quelques heures de libre quand ses parents le récupéraient pour faire leurs activités familiales mais sitôt rentré de mes pérégrinations en tant que « Monster Trick », les parents me le recollaient dans les pattes et je devais préparer le diner tout le en gérant.
- Tu devais rentrer frigorifié de tes sessions de glisse extrême, n'est-il pas ?
- Ouais, c'était pas toujours facile à gérer, admit-il d'un air maussade. Mais le gosse avait compris que quand Nanny revenait de son temps libre, il devait se tenir à carreaux les heures suivantes.
La serviette humide fut à son tour posée à sécher tandis que la casserole d'eau chaude commençait à clapoter. La plaque de cuisson fut éteinte.
- Les choses n'avaient pas été simples pour moi non-plus après votre retour, informa son ami au bonnet à pompon en versant l'eau dans une théière en porcelaine. Après toute une semaine passée avec sa Nanny uniquement, « Brother Francis » avait eu le plus grand mal à rééquilibrer son éducation. Il était absolument intenable, je me souviens. Il crachait partout, il était grossier, et il avait même gravé un arbre, le tilleul du jardin. Qu'avait-il noté, déjà ? Ah oui, « ock ». Je n'ai jamais compris pourquoi. Il m'a fallu le temps de toute ta semaine de congés pour refaire de lui un enfant normal, qui dit bonjour, qui ne répond pas et qui ne montre pas ses fesses aux passants…
- Ah. Ça, par contre, c'est certainement pas de mon fait… Je lui apprenais le mal, pas la vulgarité.
- Ce n'est certainement pas moi non-plus, Crowley, tu t'en doutes bien. Enfin... Nous nous étions déjà disputés à cette époque à ce sujet, cela fait partie du passé.
Un silence confortable s'installa. Une main délicatement manucurée se tendit en direction de l'assiette, la soulageant d'un biscuit.
- Eh, Aziraphale, tu te souviens de la fois où j'étais venu en surprise en tant que Crowley, durant ma semaine de congés ?
Tous les deux échangèrent un regard et sourirent.
- Bien sûr que je me souviens, mon cher garçon. Et je persiste à dire que c'était extrêmement dangereux pour le respect de notre couverture.
- Dangereux à cause de toi : tu avais bégayé durant au moins trente secondes lorsque j'étais arrivé.
- Comment réagir autrement lorsque je vois mon meilleur ennemi pénétrer tout sourire dans le jardin en habit civil et en piétinant mes plates-bandes ? Tu étais censé être rentré à Londres et te tenir tranquille jusqu'à la fin du temps de congés de Nanny.
- Mais je m'ennuyais, ange. Et puis... j'avais apporté des friandises pour toi.
- …toutes mangées par Warlock lorsque j'ai eu le dos tourné.
Un air fier envahit le visage fatigué.
- Il était déjà très prometteur dans la catégorie Vol et petits larcins.
Le dénommé Aziraphale leva mollement les yeux au ciel. Puis il se releva pour aller chercher sa couverture en tartan, qu'il posa sur les épaules de son ami. Il servit ensuite le thé. Crowley enroula ses mains autour de la tasse. Il allait mieux. Bien mieux. C'était chaud. Bien chaud.
- Ton visage reprend des couleurs, nota son voisin après un soupir de soulagement. Mon pauvre. Durant cette semaine auprès des Dowling, ce devait être difficile de devoir concilier ta vie de Nanny calme et professionnelle avec la vie de sportive débauchée, de cuisinière et femme de ménage, tout en gérant ces écarts de température.
- Ngk ! (Crowley siffla en agitant sa langue brûlée et reposa brutalement la tasse brûlante sur la coupelle) Heu… Ouais. J'arrivais à, disons… trouver des combines. Lorsque j'avais froid, je proposais au petit Warlock de faire une activité à l'intérieur, ou d'aller manger quelques crêpes dans un boui-boui. Et le soir, quand j'étais seul et que je surfais sur la piste, je savais rentrer aux premiers signes de grand froid. A son retour, Nanny s'enfermait cinq minutes dans la salle de bain, se découvrait la poitrine et se collait contre le porte-serviette. Comme ça, j'arrivais à passer le reste de la soirée sans trop de problèmes. Je donnais son bain à l'enfant tous les soirs et pendant qu'il jouait dans l'eau, je restais assis contre ce porte-serviette bien chaud. Une fois, j'étais tellement bien qu'on y est restés deux heures ; le gosse était fripé comme un pruneau.
- Dormais-tu avec Warlock ? Dans sa chambre ?
- Malheureusement, oui. Une grande partie du séjour, en tout cas. On m'avait fait dormir sur un matelas à ses pieds parce que la chambre de la bonne avait été réquisitionnée pour y entreposer les cadeaux de Noël du petit. Après Noël, j'ai pu récupérer la chambre. Et ma tranquillité.
- Il avait eu tant de cadeaux que cela ?
- Des tas. D'ailleurs, tu étais là à notre retour, non ? Le père Dowling t'avait mis à contribution pour sortir les paquets de la voiture. Il te parlait toujours comme à un demeuré…
- C'est vrai. Hum… (Aziraphale réfléchit en remuant sa boisson) Je me souviens effectivement d'un v-…d'une… bi…cyclette ? (Crowley hocha la tête) taille enfant et d'une grosse peluche.
- Voilà. Du coup, quand j'ai pu avoir ma chambre, j'avais moins de mal à mettre en place mes combines.
- Ton lit était couvert de chaufferettes ?
- Juste une, en fait.
Soudain, Crowley se releva vivement de sa chaise. Il se planta à côté d'Aziraphale, avant de s'accroupir. L'ange le regarda d'un air surpris.
- Un soir, continua Crowley, une fois tous les humains couchés, j'avais récupéré l'appareil à raclette dans ma chambre, en secret. Cette nuit-là…-
- Laisse-moi deviner, mon ami : un petit serpent noir avait passé la nuit enroulé sur la pierrade, n'est-ce pas ?
- Bingo.
L'être occulte tendit la main et ôta doucement le bonnet blanc qu'Aziraphale portait toujours, souriant à la vue des boucles blondes aplaties.
- Tu m'as tellement materné que tu en as oublié de finir de te dévêtir.
- Ta situation revêtait un caractère d'urgence, mon ami.
Le bonnet tomba à terre. Une main se posa sur un avant-bras, avant de remonter lentement. Une épaule fut pressée doucement.
- Cuisinerons-nous un jour ?
- Dès que tu te sentiras prêt. Toujours.
1 Un être humain normalement constitué ne pourrait pas tenir une telle position sur le long terme et s'affalerait par terre dans la minute mais l'entité aux cheveux de feu avait cette étrange capacité de pouvoir s'étaler sur une chaise en osier de la même manière que sur un fauteuil moelleux.
