Bonjour tout le monde !
Eh ben au début, je ne croyais pas trop en ce chapitre. Mais au final, je le trouve assez réussi. J'espère que vous apprécierez...
Bonne lecture !
Chapitre 20 :
Crowley se dirigea vers l'ange à grandes enjambées, s'enfonçant dans une vingtaine de centimètres de poudreuse. Il allait être vraiment temps pour lui de se mettre au chaud, songea-t-il en frissonnant. Son ami était en haut de la petite butte sur laquelle ils s'étaient arrêtés et observaient les alentours à travers ses jumelles.
- Aziraphale, appela le démon, j'ai trouvé le refuge. Il est à quelques dizaines de mètres, derrière ce monticule.
L'ange baissa son appareil optique et sourit, visiblement soulagé.
- Enfin, mon très cher ! Et cela tombe bien ; avec mes jumelles, je viens de tomber sur la croix qui sert de repère au refuge. Regarde si tu veux, elle est exactement ici.
Aziraphale désigna derrière lui une lointaine croix de bois sur un versant de montagne éloigné. Crowley fronça les sourcils et ressortit sa carte.
- Ok, fit-il en localisant l'endroit où ils se situaient. Donc, ça... c'est la croix... (Un sourcil se leva, lentement) Mais en fait, on était censés passer devant. Pas l'apercevoir à vingt mètres de distance, sur la butte opposée…
- Alors je te répète mon ami que je pense qu'il fallait bien traduire le signe présent sur le chemin comme étant « Passer devant » et pas « Redescendre ».
L'ange se pencha sur son épaule et retraça d'un pouce de moufle – faute de mieux – le chemin qu'ils avaient emprunté depuis le début de leur randonnée.
- A ce col, nous avons tourné à gauche...
- Ouais.
- Puis, nous avons longé sur quelques kilomètres sans monter...
- C'est ça.
- Et donc, au lieu de redescendre pour prendre le pont, nous aurions dû continuer sur ce chemin, ce qui nous aurait fait monter directement.
Le pouce de moufle tapota une ligne grisée sur la carte, juste au dessus de la ligne noire qu'ils venaient d'emprunter.
- Ok. Ok, je vois. Bon. L'important, c'est qu'on ait réussi à trouver ce satané refuge, pas vrai ?
- Oui.
- Parfait. Alors on va se faire une bonne flambée, manger nos sandwichs et on va réfléchir à comment ne plus se perdre. Vu ?
- Un plan parfait pour moi, mon cher.
- Bien.
Les deux amis reprirent la route en descendant prudemment la pente enneigée. La moindre chute ne serait pas particulièrement dangereuse car à cette hauteur, la couche neigeuse était assez épaisse pour amortir le moindre choc. Mais ce n'était pas une raison pour être imprudent…
La veille, lorsque le soleil s'était levé, il n'y avait aucun nuage en vue. Le temps était absolument magnifique et offrait une luminosité exceptionnelle. Aziraphale avait voulu réveiller Crowley mais le démon, qui avait de nouveau trop mangé au repas précédent, avait été particulièrement long à se préparer. Pour effectuer la randonnée dans la montagne qu'ils avaient prévue, il était bien trop tard pour partir. Aucun problème, s'était dit l'ange. Ils avaient profité de cette journée pour changer leurs activités. Ils avaient un peu skié le matin et avaient ensuite préparé leur futur périple. Par exemple, pour se déplacer sans problème à travers la montagne, ils avaient décidé de louer une nouvelle paire de souliers plus adaptés à la marche dans la neige ; des raquettes. Aziraphale avait d'ailleurs été un peu déçu de voir que ces chaussures plates à crampons ne ressemblaient plus du tout à de véritables raquettes, et s'était senti un peu trahi car c'était là une des images rocambolesque de la montagne qui s'était effondrée sous ses yeux.
Ils avaient également préparé assez de chaufferettes pour réchauffer un régiment de soldats, un mélange de fruits secs pour les petites fringales, des sandwichs au fromage pour le repas du midi, une bouteille de bon rouge pour le plaisir – et parce qu'ils devaient donner l'illusion d'être de parfaits français en promenade – et avaient étudié la carte de randonnée auprès d'un office de tourisme.
Tout était parfait.
Par chance, le temps du lendemain était identique à celui de la veille. Cette fois, tous les deux s'étaient levés bien avant l'aube. Ils avaient repris les télécabines – accompagnés cette fois d'un duo de femmes âgées particulièrement bavard – pour monter vers la portion de montagne qui permettait de débuter la randonnée, et avaient emprunté un petit chemin pas trop difficile, mais qui promettait de jolis paysages. Ils avaient marché silencieusement. Pas par ennui de l'autre, évidemment. Mais parce que la montagne était belle, si belle, qu'ils n'avaient pas voulu rompre la quiétude des lieux, enveloppés d'un silence si pesant qu'il en devenait tangible, voire étouffant.
Peut-être, malheureusement, auraient-ils dû communiquer davantage, et notamment lorsqu'ils avaient croisé différents embranchements au marquage à la visibilité malaisée à cause de la neige...
Il était à présent plus de quatorze heures et tous les deux s'étaient perdus.
La montagne était parsemée de petites maisons en bois ou en pierre. Il s'agissait parfois d'anciens abris de bergers qui avaient été remis d'aplomb. Ces petites maisons étaient aujourd'hui à destination de tous les gens perdus dans la montagne. On trouvait dans ces refuges de quoi allumer un feu, de quoi dormir et une table à manger. Il n'y avait presque jamais l'eau courante mais l'on pouvait trouver quelques bombonnes remplies d'eau pour la cuisine ou la toilette. Ces lieux pouvaient sauver des vies. C'était la raison pour laquelle ils étaient toujours très bien entretenus.
Crowley avait été ravi en trouvant, enfin, le refuge que lui et Aziraphale avaient cherché durant toute la matinée. Il avait beau porter sur lui l'intégralité des vêtements tricotés par son ange, il avait particulièrement froid à cette altitude. Tout ce qu'il souhaitait désormais, c'était d'allumer une bonne flambée dans la cheminée et s'y réchauffer ensemble.
Malheureusement, ses plans s'écornèrent un peu lorsqu'il aperçut sur le toit la jolie volute de fumée blanche dépasser du conduit de la cheminée. Pour confirmer ses craintes, il remarqua la demi-douzaine de paires de skis plantée devant la porte du refuge.
Ils n'étaient pas les premiers occupants des lieux.
- Messieurs dames, bonjour, salua Aziraphale d'un français chantant, la main sur la poignée.
Crowley ressentit un soulagement immédiat en sentant sur ses joues la chaleur de la pièce. Mais ce soulagement fut bientôt gâché par la vision des étrangers. Trois hommes et trois femmes, habillés comme de vrais randonneurs. Les joues barbues des hommes et leur posture avachie sur le banc de la table où tout ce petit monde était assis hurlaient « Je suis viril » aux donzelles en combinaisons colorées.
La troupe masculine répondit à la salutation par une série de grognements. Mais les femmes furent plus généreuses et les invitèrent à venir se réchauffer avec eux.
Pas des français, d'après leur manière de parler, songea le Serpent. Des allemands, sans doute. Ou autrichiens. Aziraphale saurait, lui. Le démon renifla.
- Vous n'êtes pas français, je me trompe ? demanda le libraire en posant son sac par terre. Vous avez un accent qui m'évoque…l'Autriche ?
Brillant. Merci, Ange.
- Non, les Pays-Bas ! corrigea une des femmes en anglais. Je suis ici en voyage de noces avec mon compagnon. (Elle désigna l'immense type barbu à lunettes à ses côtés.) Nous sommes partis avec des amis.
- Oh ! Quelle joie ! Félicitations aux jeunes mariés !
Aziraphale les présenta ensuite aux étrangers et leur signala qu'ils étaient eux-aussi des touristes, venant de Londres. Crowley sourit intérieurement.
Anthony.
C'était toujours quelque chose d'entendre son ami utiliser les identités que tous les deux avaient choisies pour mieux se fondre dans la masse. Aziraphale s'assit aux côtés des hollandaises qui se hâtèrent de faire les présentations. Le démon s'affala en face de son ami. Agacé, il mit un point d'honneur à ne retenir aucun prénom. Ces gens-là étaient des étrangers. Jamais ils ne se reverraient après cette journée. Et puis de toute façon, un jour, ils allaient mourir... Quel intérêt de nouer connaissance ?
- Cro… Anthony, mon ami, tu entends cela ? Jonn nous confirme bien qu'il aurait fallu que nous continuions sur le chemin au lieu de descendre pour traverser le petit pont ! Je te l'avais dit !
- Ouais. Super, marmonna-t-il d'une voix traînante.
Il surprit sur lui le regard d'une des femmes, qui se détourna bien vite en rosissant, avant de relever les yeux dans les siens. Sans même y penser, Crowley lui adressa un sourire charmeur. En temps normal, il se trouvait spirituellement trop élevé pour pousser les femmes à l'adultère – l'apanage du démon standard selon lui, mais là, il était d'assez mauvaise humeur. Aziraphale fronça les sourcils en le dévisageant durant quelques instants. Puis, il lui fit passer le sandwich qu'il avait préparé à son intention, délicatement enveloppé dans un tissu de tartan rouge et noir, avant de saisir son propre repas. S'il avait su qu'ils se retrouveraient en public pour le repas, l'ange aurait préparé des portions un peu plus grandes... Il se sentit d'autant plus mal lorsque l'un des barbus fit circuler devant eux une boîte pleine de pilons de poulets marinés. La tentation fut trop grande ; des doigts dodus s'agitèrent un moment avant d'en piocher un pour en goûter la saveur. Et à voir la tête qu'il faisait, ce devait être délicieux. Déjà, Aziraphale commençait à se lier avec les étrangers.
- …Eh oui. Bientôt, il y aura un petit mini-nous sur Terre, s'amusait une des jeunes femmes en dardant sur son massif compagnon un regard fier. Alors on profite encore tant qu'on peut pour faire des activités entre amis parce que dans quelques mois, ce ne sera plus possible.
Elle caressa doucement son ventre. L'arrondi ne se voyait pas encore. Aziraphale poussa un soupir de pur attendrissement1.
- Ooooh… Une petite fille… Toutes mes félicitations, chère Annika !
- Vous pensez que ce sera une fille ? On préfère se cacher le sexe du bébé, mais moi, je suis sûre que ce sera un garçon. Il paraît qu'une mère sent ces choses-là, vous savez.
Aziraphale sourit poliment et seul Crowley comprit la nature exacte de ce sourire. L'ange rayonnait devant ce spectacle. Les humains, depuis plus de six mille ans, naissaient, vivaient, disparaissaient. Mais toujours, il se réjouissait de ces choses incroyables qu'ils étaient capables de produire. Avec, toujours, cette douceur presque innocente qui le caractérisait, comme s'il voyait cela pour la première fois.
- C'est une excellente nouvelle, pas vrai mon cher ? sourit Aziraphale en le regardant intensément dans les yeux.
Le démon soutint son regard et sourit. Puis il tendit le bras pour attraper le sac de randonnée et en tira la bouteille de vin rouge qu'il posa sur la table.
- Yep. Une très bonne nouvelle. Tenez, voilà de quoi trinquer avec l'heureux papa…
1 A ce moment-là, plus personne parmi les humains n'eut le moindre doute sur la nature exacte des relations entre les deux anglais.
