Bonjour tout le monde !
Aoutch ! Mine de rien, nous sommes déjà au chapitre 21... On approche vraiment de la fin. Du coup, pour célébrer cette prise de conscience, je vous offre un chapitre un peu particulier aujourd'hui.
Bonne lecture ! :)
Chapitre 21 :
Aziraphale reposa la cuillère dans son assiette avec un soupir de plaisir. Voilà. Il était rassasié. C'était une collation absolument délicieuse, et il ne regrettait pas d'être entré dans ce minuscule salon de thé. Car l'ange avait pénétré dans ces lieux avec une idée bien particulière en tête ; il cherchait un téléphone. Alors pour légitimer sa demande auprès des tenanciers, il avait consenti à commander un petit goûter. La crêpe au caramel beurre-salé (définitivement sa trouvaille culinaire de cet hiver) agrémentée d'une moelleuse mousse de crème chantilly, rehaussée de petits vermicelles colorés, avait accompagné à merveille son thé à la bergamote ainsi que la part de flan à la vanille qu'il avait dégustée, en alternance avec le moelleux au chocolat qui lui avait fait de l'œil dans la vitrine.
Délicieux. Absolument délicieux, songea-t-il en tamponnant délicatement ses lèvres avec sa serviette de table. Devait-il reprendre un cannelé bordelais ? Non, voyons, ce serait bien trop peu raisonnable. Il fixa du regard la jolie petite boîte carrée de la taille d'une main, emballée dans un papier coloré et attachée avec un ruban en bolduc. Il sourit et posa la main sur l'emballage, l'effleurant délicatement. Il avait hâte de voir la tête de Crowley lorsqu'il ouvrirait ce paquet…
Ou peut-être, songea-t-il de nouveau, juste un cannelé ? Un tout petit ?... Non. Définitivement non !
Et pour couper court à toute sorte de changement d'avis, l'ange se leva, attrapant le paquet emballé et demanda un téléphone. Devant la quantité de gourmandises qu'il avait commandées, on ne put le lui refuser et l'ange fut invité à décrocher le combiné situé à l'autre bout du comptoir. Il n'avait pas l'habitude des téléphones à touches modernes, mais songea que cela devait fonctionner de la même manière que son appareil à cadran de la librairie. Il composa le seul numéro qu'il connaissait.
Une tonalité.
Deux tonalités.
Trois tona-
- Quoi ?
- Crowley ! Mon très cher ! Me voilà soulagé.
- Hey ! Aziraphale ! Je ne reconnaissais pas le numéro ! Tu m'appelles d'un fixe ? J'ai cru que c'était un démarchage.
- Oh, oui, je suis actuellement dans un charmant petit salon de thé, celui qui est situé en bas, dans le petit village, tu te souviens ? Le cadre est particulièrement adorable et j'y passe un excellent moment, à grignoter plein de douceurs sucrées.
- T'es retourné dans le village, du coup ? Tu as pu reprendre le téléphérique sans problème ?
- Aucun problème, tout s'est merveilleusement bien passé, mon ami. Et figure-toi que sur le chemin, j'ai vu, grâce à mes jumelles…
- Une bestiole des montagnes ?
- Une petite chèvre sauvage ! Oh, si tu avais vu comme elle était mignonne. Elle m'a rappelé ces chèvres, tu sais, celles de Jérusalem, celles qui t'avaient brouté les sandales ?
- Mh. Aucun souvenir.
- Si, je suis sûr que si, mon cher ami. Mais qu'importe. Il fait un temps magnifique et je me demandais comment les choses se présentaient pour toi ?
- Oh… Bah écoute, ça se présente plutôt bien. Je sors d'avoir fait une piste noire du côté d'Espiaube. L'endroit était magnifique, franchement, tu aurais adoré le point de vue. Là, je zone un peu pas très loin d'une seconde piste noire, et elle me tente bien. Y'a deux types qui m'ont suivi et qui se la jouaient un peu baraqué, tu vois, je crois qu'ils étaient frères. Et l'un d'eux s'est cassé la figure.
- Oh ! Pauvre homme ! J'espère qu'il n'a rien eu ?
- Tu penses bien que je ne me suis pas arrêté pour lui demander. Il a un frère, c'est pas pour rien.
La voix du démon était rieuse et détendue. Depuis le temps qu'il le connaissait, Aziraphale savait qu'il passait un excellent moment. Cela suffit à faire sourire l'entité céleste, qui demanda :
- Alors peut-on dire que la légende de Nanny « Monster Trick » est de nouveau d'actualité ?
- Boarff… Je cherche pas la vitesse. Juste à skier et à m'amuser.
- Essaie d'être prudent, je te prie, fit Aziraphale d'une voix douce. Si tu as un problème, je ne pourrai pas venir te chercher avant un moment.
- T'en fais pas, ça se passe bien.
- Et concernant tes…petits problèmes de froid ? Comment la chose se présente-elle ?
L'ange ne pouvait pas trop développer car la tenancière venait de retourner derrière le comptoir pour servir un café.
- Rien à signaler, ange. Le temps est magnifique et j'ai des chaufferettes plein les poches. Je risque rien, t'inquiète. Oh ! Attends, que je te décrive un peu je suis actuellement arrêté au milieu d'une piste bordée de sapins, c'est super beau à voir. Au fond, on voit tout le reste du massif montagneux et lorsque je me retourne, on voit la montagne qui se dresse, immense. Toi, avec tes jumelles, je suis sûr que tu trouverais plein de petites bêtes contre les parois. Ah, attends, y'a un oiseau qui s'envole…. Ah. Je crois que c'est un pigeon. C'est un pigeon ? Un pigeon, dans une montagne enneigée ?
- Les pigeons sont partout, mon tendre ami.
Quelques instants s'écoulèrent durant lesquels Aziraphale entendit un frottement contre le téléphone il devina que Crowley devait tordre la tête pour suivre des yeux l'oiseau.
- Ouais. Définitivement un pigeon. Mais celui-ci est blanc.
- Oh ! Peut-être, dans ce cas, s'agirait-il plutôt d'un lagopède alpin ? Je l'ai vu dans mon livre. As-tu vu une tâche rouge sur sa tête ? Crowley ?
- Aucune idée, Aziraphale. Pour moi, c'est juste un pigeon. Oh ! Hey, attends ! (Sa voix se fit rieuse.) Eh, mon ange ! (Il s'esclaffa.) Compte jusqu'à trois !
- Plait-il ? Non.
- Oh… Allez ! Compte jusqu'à trois !
- Non, Crowley, je ne le ferai pas.
Le démon riait carrément, cette fois.
- Quoi, t'as pas confiance en moi ? Allez !
Aziraphale fronça les sourcils et modifia légèrement sa position statique.
- La dernière fois que tu m'as demandé de compter jusqu'à trois lors d'un appel téléphonique, c'était en 1943, vieux serpent fourbe. J'étais bêtement tombé dans le panneau et à la fin de mon décompte, tu avais fait tomber la foudre sur une tourelle de tir, emportant trois pauvres soldats allemands.
- Ils étaient six, Aziraphale, et c'étaient des Nazis. Ils n'ont manqué à personne, crois-moi.
- Qu'importe ! Ils sont morts par ma faute et il est hors de question que-…
- Nan, arrête, on va pas repartir sur ce débat c'est celui qui presse la gâchette qui est le responsable. Et puis… c'était pour te rendre service. Tu te souviens ?
La voix de l'ange s'adoucit.
- Oui… J'avais eu de gros ennuis après l'affaire de l'église et… Certes…
Crowley renifla et soupira.
- On a tous les deux eu les mains sales durant cette guerre, même indirectement.
Aziraphale ne répondit pas mais hocha la tête, l'air mélancolique. La voix dans le combiné redevint soudain joyeuse :
- Mais là, persssonne ne va mourir, tu as ma parole de démon ! Allez, mon ange !
- Tu ne lâcheras jamais l'affaire, hein ? soupira-t-il avec un léger sourire. Très bien… Un… Deux… Trois…
Un claquement de doigts retentit à l'autre bout du combiné. L'ange s'attendait à entendre un grand bruit à travers l'appareil ou des hurlements foudroyés. Il n'en fut rien.
- Crowley ? appela-t-il, interrogatif.
- Je suis toujours là, ange. Merci. Je viens d'arrêter un télésiège.
- NON !
Eh si. Le démon dut décoller le téléphone de son oreille car derrière le vent cinglant qui grésillait à travers le combiné pouvaient être distingués quelques cris de frustration. L'éclat de rire satisfait de Crowley acheva de le convaincre qu'il ne s'agissait pas d'une blague. L'ange renversa la tête en arrière et se couvrit le visage de sa main baguée, soudain las.
A chaque fois.
Il se faisait avoir à chaque fois.
- Crowley, soupira-t-il, tu n'es pas un vrai démon. Tu n'es qu'un horripilant petit lutin infernal.
- Haaaaaaa…. C'est BON d'être en vacances ! En vrai, j'avais envie de faire ça depuis notre arrivée ici. Merci, mon ange.
- Sournois serpent, sache que je vais à présent raccrocher ce téléphone. A ton retour dans l'appartement, tu ne trouveras pour dîner que quelques croûtons de pain sec ainsi qu'un pichet d'eau salée que j'aurais miraculeusement fait croupir.
- Pas grave, j'ai vu pire et toi aussi. Je mangerai quand-même. (Quelques instants s'écoulèrent) Et puis si tu es dans la pièce, ça rendra la pénitence plus douce.
Aziraphale sursauta et rosit. Il toussota.
- J'aimerais être capable de me téléporter jusqu'à toi immédiatement, de t'isoler dans un endroit désert afin de t'administrer moi-même la punition que tu mérites.
Il n'entendit pas de réponse.
- Crowley ?
Toujours rien.
- Allô allô ? Mademoiselle, je crois qu'il y a un problème sur la ligne, j'ai perdu mon interlocuteur… Allô ?
- Heu… Ouais, la…la France n'emploie plus d'opératrices téléphoniques depuis les années soixante-dix, tu sais…
- Ah, j'ai cru que tu étais parti. Tout va bien ?
- Hein ? Ouais. Bien. Ouais. Bien, bien. Super. Cool.
Crowley se racla la gorge.
- C'est sûr que si tu pouvais te déplacer jusqu'ici, tu pourrais en profiter pour déjouer ma maléficence et refaire marcher ce pauvre télésiège.
- Mais je ne le ferai pas, mon ami, car je compte sur ton bon esprit et ton bon sens.
- Tu sais bien que je n'en ai pas. Démon, tout ça…
Son mortel ennemi leva la tête vers le plafond et sourit.
- Quel dommage pour les enfants qui ne manqueront pas d'attraper un très méchant rhume en restant ainsi exposés aux quatre vents. C'est bien ce qui se passe, n'est-ce pas ? La ligne de télésièges est située en hauteur…
- Ngk.
Quelques secondes s'écoulèrent, augmentant le sourire délicat de l'ange. Un soupir agacé retentit.
- …Compte jusqu'à trois.
- Oh, merci beaucoup pour eux, Crowley, mon très cher ami.
- Ça va, n'en rajoute pas.
Aziraphale, de nouveau, fit le décompte, d'une voix apaisante. Son regard se porta sur le petit paquet emballé qu'il avait posé sur le comptoir en face de lui. Un nouveau claquement de doigt se fit entendre.
- Je t'attends donc pour seize heures à l'appartement ? La fondue savoyarde de ce soir nécessitera que nous fassions quelques courses pour la préparer.
- Seize heures. Ok. J'y serai. Il me reste… (Le vent s'engouffra à travers le téléphone du démon, signe qu'il avait dû être décollé de son oreille)… Une heure et quarante-trois minutes pour rappeler aux pyrénéens le bon souvenir de Nanny.
- C'est parfait mon ami. De mon côté, je vais faire un tour dans cette petite libraire avant de rentrer. Mais je t'en prie, sois prudent d'ici-là. A tout à l'heure.
- Pas de problème. A tout à l'heure, mon ange.
Aziraphale raccrocha avec un sourire doux. Il espérait que le démon passe encore un bon moment. Un regard dehors lui appris qu'en bas de la montagne, la lumière avait déjà pas mal décliné. Il devait se hâter.
Il était extrêmement rare que le libraire pointilleux qu'était Aziraphale reparte d'un commerce avec un ouvrage. Il ressentait un peu de tristesse devant les livres actuels, fabriqués en série, sans âme, sans charme, nettement moins solides et à l'odeur absolument neutre. Et lui-même détestant qu'un client vienne le voir dans l'objectif d'acheter un de ses précieux ouvrages, il se gardait bien d'en faire autant. Hormis, bien entendu, lorsqu'un article l'intéressait particulièrement. Mais pour soutenir les petits commerçants, il faisait régulièrement l'acquisition d'articles de papeterie. Dans cette petite librairie, il fit donc l'acquisition d'un beau carnet à la couverture de cuir rouge dont la plume stylisée cousue sur le rabat l'avait immédiatement séduit, ainsi qu'un élégant stylo-plume1. Il avait réussi dans les années deux-mille-dix à passer le cap et à essayer de maîtriser l'écriture au stylo. C'était certes nettement moins beau à lire, mais avait pour avantage d'être plus facilement transportable qu'une plume et son encrier.
Aussi fut-il ravi, une fois rentré dans l'appartement, de s'attabler avec une bonne tisane aux écorces d'orange, et de se mettre à écrire, jusqu'au retour du démon à seize heures. Depuis que Crowley et lui commençaient à voyager pour eux-mêmes, Aziraphale tenait à faire le compte-rendu détaillé de leurs actions et de leurs découvertes. C'était un excellent moyen de garder en tête les évènements et de se les remémorer dans quelques années, décennies ou millénaires. Il avait rempli un carnet à chacun de leurs voyages, agrémentés de petits souvenirs – il glissa dans celui-ci son ticket de téléphérique et une écaille noire de serpent – mais aussi de choses plus futiles, comme la reproduction du motif du couvre-canapé ou un croquis sommaire de la vue du parking de la station. Ces carnets de notes étaient destinés à lui-même, ainsi qu'à Crowley. C'était la raison pour laquelle l'ange agrémentait le plus souvent possible ses descriptions d'images et de dessins.
Cette activité, qu'il réalisa avec application et passion, le tint occupé une bonne partie de l'après-midi.
Lorsqu'il releva la tête pour regarder dehors, il faisait nuit.
Il était dix-sept heures quarante-cinq.
Et Crowley n'était toujours pas revenu…
1 Il avait, cette fois encore, oublié l'encre. Mais cela n'empêcherait pourtant pas l'outil de fonctionner parfaitement bien.
