Nous y voilà. L'épilogue de cette histoire.

On se retrouve en bas pour quelques petits détails.

D'ici, je vous souhaite une bonne lecture ! :)

Chapitre 24 : Épilogue

Il faisait particulièrement froid, cette nuit-là. C'était l'illustration typique d'une vraie nuit d'hiver, avec un vent glacial pareil au souffle d'un très gros yéti. Ce vent était d'autant plus violent qu'il soufflait ici au sommet de la montagne. Bien dissimulée au milieu de mélèzes et de gros rochers, secouant la tête d'un air agacé, une bestiole des montagnes – peut-être un ours, un bouquetin ou un lagopède alpin – se serra davantage contre sa grelottante progéniture. Sans un bruit, une neige fine chutait en flocons disparates. Lorsque ses petits seraient bien éveillés, se dit la mère, ce nouveau changement dans leur environnement seraient un bon exercice pour eux, pour illustrer ce principe fondamental d'adaptation, à acquérir au plus tôt si l'on voulait survivre dans ce milieu des plus hostiles. Avant de s'endormir, elle se dit que dès le lendemain, elle partirait trouver de quoi les sustenter. C'était son rôle, et elle s'en acquitterait du mieux possible. La neige qui chutait sans discontinuer depuis quelques jours à présent compliquait juste un peu les choses, c'était tout. Et puis c'était ainsi tous les ans. Elle trouverait à manger pour ses petits. Elle s'en fit la promesse.

Légèrement plus bas dans la montagne, dans un petit amas d'habitations humaines, les adultes, eux, finissaient de passer une bonne soirée, bien au chaud. De leurs tables dépassaient encore quelques victuailles non-consommées et parfois même, c'était une bûche qui fondait, oubliée sur un comptoir. En habits de sommeil, leurs petits dormaient profondément dans la pièce d'à-côté, la tête pleine de rêves et le ventre plein de chocolat. Ils avaient été très difficiles à calmer1 par leurs parents, ce soir-là, mais à une heure aussi avancée, tous les enfants dormaient profondément.

Dans un petit appartement dans lequel flottait une douce odeur fromagée, éclairés par quelques bougies, deux amis terminaient de passer une délicieuse soirée. Quelques minutes auparavant, les deux aiguilles s'étaient rejointes au firmament de l'horloge murale et entamaient désormais leur lente redescente, chacune à son rythme. Sur la table où ils étaient tous les deux assis se dressaient plusieurs assiettes plus ou moins vidées des victuailles qu'elles avaient contenues. Quelques bouteilles de vin rouge local étaient à ajouter à la liste des nombreuses victimes du copieux repas de fête. On en comptait trois cadavres sur la table, dont une était, pour une obscure raison couchée à l'extrémité. L'alcool aidant, l'un des deux amis avait cru judicieux de la remplir entièrement d'épluchures de pommes de terre.

Avec le curieux grognement sifflé qu'il ne réservait qu'en de très rares occasions, Crowley s'avachit davantage sur sa chaise.

- J'en peux plus. Je m'arrête là.

Et pour combattre le mal de ventre qui s'annonçait, quelque chose en lui le poussa à relever maladroitement l'épais pull-over noir et torsadé qu'il portait pour desserrer sa ceinture de deux crans. Avec soulagement, il sentit le poids qui pesait sur ses entrailles s'alléger un peu. Il songea dans son esprit brumeux qu'il lui était tout à fait possible de digérer, de la même manière qu'il devrait très certainement dessouler avant la fin de la nuit. Mais ni lui ni son angélique ami n'aimaient évacuer un bol alimentaire trop chargé ou défectueux de cette manière artificielle. Ils n'avaient pas côtoyé les famines et le XIVème siècle aux côtés de l'humanité pour gâcher bêtement de la nourriture.

De l'autre côté de la table, séparé du démon par un antique appareil à raclette électrique, Aziraphale baissa la tête sur sa propre assiette.

- Il me reste un peu de charcuterie, bredouilla-t-il. Ce serait idiot de la gâcher…

Alors, courageusement, l'ange s'adonna à son plaisir préféré d'entre tous, sous l'œil neutre, un peu absent, mais admiratif, de son ami. Le spectacle était amusant à voir au cours du repas, les six emplacements de l'appareil avaient été utilisés pour eux deux. Aziraphale avait testé toutes les combinaisons possibles de fromages et de charcuterie, rehaussées par l'apparition sporadique de quelques pommes de terre.

S'interrompant une nouvelle fois dans sa dégustation – les pauses étaient plus nombreuses et plus longues à mesure que la soirée passait, l'ange considéra le plat sur lequel, quelques heures auparavant, avaient été élégamment posées en petit dôme une multitude de tranchettes de fromage. De cet opulent monticule lacté, à leur échelle d'existence, les trois ultimes tranches actuellement survivantes s'observaient avec cet air de béatitude passive des traumatisés encore en état de choc.

Crowley accomoda sa vision – devenue fuyante et trouble depuis quelques heures, souleva son verre et le porta à ses lèvres. Constatant qu'il était vide, il le reposa en équilibre précaire sur sa cuillère à café, l'attrapa de nouveau et de son autre main, approcha la bouteille avec un sourcil froncé par la concentration.

- Non, gémit l'ange d'une voix étranglée. Attends… Pose-le. Tu… Tu vas encore tout renverser.

- Pff. 'porte quoi. Regaaaaarde comme je m'en sors comme un che-Merde !

- Et voilà, gros bêta, tu as tout renversé !

- Nan, nan, t'inquiète pas. Regarde.

Hagard, il claqua des doigts – un son triste et gâché, comme un petit pétard mouillé. Recommença plus fort. Puis une troisième fois, accompagnée d'un grognement.

- Non.. Mi… Miracle, cher garçon, bredouilla la silhouette arrondie. Tu as promis.

- Quoi, 'miracle' ? C'pas un miracle. 'n a qu'une nappe, faut pas la tâcher. C'tout. J'arrive pas…

Il claqua des doigts, langue tirée. Puis, il capitula.

Un hoquet enivré résonna dans la pièce.

- Il est cuit, là. Ton fromage.

- C'pas le mien, Crowley. L'emplacement devant ton verre, c'est l'tien.

- Mais j'ai dit que j'arrêtais de manger du fromage. Parcssse que là, j'en peux pus. Du coup, c'est devenu le tien, d'emplacement. Tous les sssix emplacements, c'est les tiens, maintenant. C'est ton fromage, ça.

- Non. Non non non. Je ne peux plus rien avaler, Crowley.

Le démon sortit la petite pelle contenant la tranchette fondue de son logement et la ficha sous le nez de l'ange, qui loucha en la reniflant.

- Tu… pousses à la consommation, Crowley. Je te dis que je peux plus rien avaler. Du tout, du tout. Ni boire.

- Et moi, si j'avale, ne serait-csssssse qu'un machin en fromaaage….je vomis. Voilà. C'est tout.

Aziraphale prit quelques instants pour assimiler l'information et fronça les sourcils alors que Crowley renversait la pelle sur la dernière pomme de terre angélique. Son regard bleuté devint un peu plus hasardeux alors qu'il demanda :

- Vomir, c'est bien quand ça sort par le haut ?

- Ouais.

- Outch… Ça fait mal, ça, vomir…

- Ouais. Ouais.

- J'ai déjà vomi, moi. Une fois.

- J'sais. J'étais même là.

L'ange renversa son corps dodu en arrière dans un mouvement bien trop brusque qui lui fit tourner un peu la tête et attrapa son verre.

- Oui. Toi, t'as toujours été là.

Crowley hocha la tête – et regretta immédiatement son geste. Au bout de la deuxième tentative, il parvint à reprendre son verre et plaqua la surface fraiche contre son front.

- Ouais. Toujours été là. Dans la vie, dans les ennuis….et dans l'vomi !

La réplique du démon leur tira à tous les deux un très long rire haché et alcoolisé qui dura près d'une minute. Échappé du verre, un peu de vin tomba en pluie sur la table, bientôt absorbé par la nappe.

- On a… On a beaucoup trop bu pour rire autant, bredouilla Aziraphale, dont un léger voile de sueur recouvrait la peau du front de sa corporation.

- Ch'aime pas vomir, marmonna le démon d'un air malheureux.

Aziraphale secoua la tête, très concerné – et se retint à la table.

- Alors mange le fromage que je te donne, m'n'ange.

- Vouivoui.

Lamentablement et dans un bruit de céramique, une fourchette se planta quelque part dans l'assiette, puis autre part dans l'assiette, puis dans la pomme de terre fromagée. Peut-être aurait-il été plus sage de découper le tubercule de deux parties, se dirait mollement Aziraphale une fois diminuée sa quinte de toux étranglée.

- Fini ! clama-t-il à l'adresse du démon en relevant son assiette dans sa direction.

- B'joué soldat. Aaaarh. J'ai soif, lança-t-il alors que son ami se saisissait de la bouteille. Meeeeercssssi.

Ils sirotèrent leur boisson dans un petit moment de silence, coupé uniquement par deux souffles rauques – dont l'un était assurément un sifflement.

- 'n a bien mangé. On dessoule ? proposa Aziraphale en se servant cette fois un verre d'eau.

Un bruit disgracieux, venant assurément du bas, retentit.

- C''tait toi, ça ?

- Nan. Toi.

- Ah ? Je croyais qu'c'était toi.

- Nan nan. Ou… peut-être que si.

- J'sais pas.

Les deux rires reprirent, un peu idiots.

- Ça pète, un ange ?

- Pas un démon ?

- Ah si si. C'est même comme çsssa qu'on se dit bonjour. Et toi ?

Aziraphale fronça les sourcils avec concentration. Il avait mal, si mal aux cheveux…

- J'ai aucune envie de parler de ça. Aucune. Envie.

- J't'ai dit que je pétais, tu dois me dire pour toi.

- Naaaan mais je suis un ange. Tu sais…

Il cligna des yeux un moment, le temps de faire le point, et reprit.

- Un ange, c'est beau, sage, élégant, ça foooule les guides… nah… ça… guide les ffffoules vers le Bien. Et les anges (Il martela du doigt sur la table), ça-ne-pè-te-pas. Peut pas. Interdit. Tu vois, c'est pas dans les proga…péroga… dans... dans les requis, pour êt' un ange.

- Mouais. Et un ange, ça vomit pas.

- Nan. Du tout. Très mal.

Le démon eut un rire aigu à mesure qu'il se penchait en arrière.

- J'vais t'dire : c'est que des clichés, tout ça.

- Voui. Tout à fait.

- Un démon, ça a une queue fourchue. Un ange, ça doit être tout nu avec de joooolies fesses potelées.

Aziraphale eut un air malheureux.

- Je suis un mauvais ange, sanglota-t-il en agrippant sa serviette de table dans un frottement de plastique2.

- Nan nan nan. Mais tous les anges sont imparfaits, en fait. Imagine Gabriel, tu vois. Tu l'imagines nu avec des fesses potelées ?

- Déjà vu nu, Gabriel. Une fois.

- C'était potelé ?

- …. me souviens plus. Mais toi, tu es un démon.

- Ouais.

- Donc ça voudrait dire que tu as eu un jour les fesses potelées…et plus maintenant ?

- Nt-t-t-t-t, signifia le démon. C'est ça que j'te dis, m'n' ange. C'est que des clichés. Moi, même quand j'étais en haut, j'étais pas potelé. Ni du haut, ni du bas.

- Et tu pétais ?

- Je sais plus. Honnêtement.

Aziraphale réfléchit un instant, la bouche pâteuse.

- Excuse-moi, Crowley, mais j'ai vraiment besoin d'y voir plus clair.

Le visage de l'ange se tordit d'inconfort tandis que l'alcool qu'il avait ingéré s'évacuait miraculeusement hors de son corps. Après une fraction de seconde, son acolyte suivit, le rejoignant dans son concert d'ahanements poussifs. Tous les deux avaient eu l'occasion de le tester, durant ces six mille ans lorsque l'un déclarait forfait et dessoulait, il valait mieux pour l'autre suivre le mouvement et l'imiter afin d'éviter de bien gênantes situations.

Encore tremblants, ils restèrent hagards un instant, mastiquant dans le vide et évitant de se regarder. Aziraphale se servit un verre d'eau.

- Plus jamais, le petit vin d'un producteur local, marmonna Crowley.

- Plus jamais, non.

- T'as vraiment vu Gabriel à poil ?

- Houlà. Oui. (Il but une gorgée et grimaça) Juste avant l'Annonciation, en fait. Il m'est apparu dans son corps humain flambant neuf, et était fier de me montrer combien il avait bien su se fondre dans la masse.

- En se baladant à poil, donc.

- Voilà.

Crowley hocha la tête avec inconfort. Il finit par pousser un profond bâillement. L'ange se leva pour leur faire une bonne tasse de thé. Après les excès de la soirée, une petite boisson toute simple pourrait rééquilibrer la balance. La table fut débarrassée. Les assiettes mises à l'évier. Les trois tranchettes survivantes passeraient la nuit sur la table mais seraient aussi fraîches et délicieuses le lendemain que si elles avaient été mises dans le réfrigérateur. Puis, ils migrèrent en direction du canapé où ils se vautrèrent avec plus ou moins d'élégance. Aziraphale avait laissé échapper qu'il donnerait à son vieil ami le reste de ses cadeaux de Noël le lendemain matin, afin qu'il puisse passer la nuit à les imaginer. Cela surprit le démon, et le ravit – mais il s'appliqua à ne pas le montrer. Lui aussi avait préparé un truc pour l'ange. Parce qu'au fond de lui, il le connaissait bien, le bougre. Il savait qu'Aziraphale cèderait à son impulsion romantique et qu'il était bien possible qu'il prépare un ou deux trucs à offrir à Crowley, à présent que plus personne n'était là pour le restreindre. Le démon avait donc pris les devants, juste au cas où. Il songea au minuscule petit paquet, tout tassé au fond de son sac de voyage, qui attendait depuis quelques mois déjà d'être ouvert par les doigts potelés. Il n'y aurait qu'un seul présent, mais il savait que ça plairait à l'ange.

- Veux-tu que nous remplissions notre petit guide de voyage ? suggéra Aziraphale en désignant le carnet à la couverture de cuir rouge posé sur la table basse.

Crowley hocha la tête.

- Ok, mais je pense que j'irai m'allonger dans pas très longtemps. Il me faudra probablement quelques longues heures pour me remettre de cette soirée.

Trop manger était toujours si difficile pour son organisme reptilien…

Alors le démon s'avachit aux côtés de son ami, qui posa l'ouvrage sur ses cuisses avant de l'ouvrir. Il commença par lire les parties qu'il avait déjà rédigées, montrant les dessins à Crowley. Puis, sur les suggestions de son ami, il ajouta de son écriture élégamment penchée quelques détails et anecdotes. Aziraphale caressa du bout du doigt la douce écaille noire irisée qu'il avait collée quelques jours plus tôt. Le geste tira à son voisin un air difficilement qualifiable.

- Tu aimerais qu'on fasse quoi, les prochains jours ? demanda Crowley alors que l'ange finissait de dessiner une statue représentant un ours en bois.

- Si c'était possible…je crois que j'aimerais assez refaire un peu de marche en raquettes, pour voir de nouveau un beau paysage…

- …et revoir tes satanées biquettes des neiges.

- Oui. J'aimerais. Et toi ?

- Ouais, randonnées, un peu de ski. Et puis, bon... C'est un peu loin mais tant qu'on y est, j'aimerais bien visiter le musée situé à Tautavel, aussi.

- Tau…tavel… Pourquoi ce nom me dit-il quelque chose ?

- C'est là qu'ils ont trouvé des ossements préhistoriques. L'homme de Tautavel, ça te parle ?

Les deux entités surnaturelles eurent un rire, comme à chaque fois qu'ils entendaient un sujet sur les dinosaures, la préhistoire ou les avancées prétendument scientifiques sur l'apparition progressive de la vie sur Terre. Depuis quelques minutes déjà, un bras et une cuisse étaient devenus mitoyens.

- Quelle bonne idée, mon très cher Crowley ! Tâchons de ne pas nous mettre à rire, cette fois, comme à notre dernière visite du Muséum d'histoire naturelle.

- C'était quand, la dernière fois ? Avec Warlock ?

- Oui, et c'était très drôle et très gênant de devoir te laisser lui inculquer pareilles sornettes sur les reptiles mammaliens ou la vie au Carbonifère.

- Que veux-tu. Mr. Harrison était un homme de science. C'est notre rôle de nous adapter aux croyances populaires de l'époque pour les véhiculer. Et puis, comme ce mode de pensée diminue l'influence du Tout-Puissant dans le cœur des enfants, mon camp approuvait totalement.

Aziraphale secoua la tête avec consternation devant l'air exalté du démon et avala une gorgée de thé, petit doigt en l'air.

- Avoue-le, mon cher ami. Les dinosaures, c'était de toi ?

- Hein ? Ah. Mon ange… J'aimerais te dire que oui. Mais non. C'est gros. C'est beaucoup trop gros pour que ça vienne de moi. Ni même de quiconque de mon côté.

- Et tu te doutes bien que ce n'est pas du mien non-plus. Tu penses que…

Crowley plissa les lèvres l'une contre l'autre et hocha la tête. Puis, il pointa un index vers le plafond.

- Mh. C'est la seule possibilité qu'il reste.

- Mais… Pourquoi ? Pourquoi donner du grain à moudre dans le cœur des hommes pour diminuer Son importance dans la création de Son monde ?

- Si tu envisages de prononcer ce mot, ange, je vais me fâcher.

- C'est tout de même très étrange, tu en conviendras.

Le démon soupira et s'avachit plus confortablement dans le canapé, avant de se relever d'un bond souple, avec une vivacité toute reptilienne.

- Nah, mais là, j'suis en train de m'endormir alors je vais m'allonger dans la chambre, si ça ne t'ennuie pas !

- Pas de problème, mon ami, je vais dans ce cas me remettre à mon tricot. Passe une bonne nuit de sommeil. Je ne te réveillerai pas, demain. Nous avons encore du temps, après-tout.

La porte de la chambre se referma et Crowley claqua des doigts pour enfiler un pyjama, une merveille à la fois chaude et élégante. Son estomac était tellement lourd, ce soir, qu'il sentait qu'il allait probablement dormir jusqu'au lendemain après-midi. Il régla sur son téléphone un réveil, afin de ne pas laisser l'ange seul trop longtemps. Même s'il était parfaitement indépendant, ce n'était pas une raison pour l'abandonner maintenant qu'ils avaient enfin la possibilité de passer du temps ensemble.

Trois coups légers résonnèrent contre la porte.

- Crowley ? Mon très cher, puis-je ouvrir ?

- B… Bien sûr, ouais !

La porte s'entrouvrit, puis s'ouvrit complètement sur l'ange.

- C'est… C'est moi, Crowley. Aziraphale.

- Sans blague, merci de me rassurer, railla le démon en se retournant sur le dos, interloqué. Que se passe-t-il ? Tu as un sssouci ?

- Non, je… Non. Absolument aucun.

L'ange baissa les yeux vers le sol. Le regard jaune suivit et constata que la silhouette ronde avait emporté avec elle son sac de tricot. Crowley déglutit.

- Aziraphale ?

- C'est que… Tu… Enfin… C'est peut-être un peu ridicule de te suggérer ceci, mais…

Crowley pensait avoir compris ce que son ami avait derrière la tête. Mais il se garda bien d'interrompre le balbutiement.

- …enfin, tu sais, puisque tu envisages de rester allongé quelques temps, et que je suis capable de tricoter tout à fait silencieusement, je me disais que…peut-être… (Il avala sa salive) pourrais-je tout simplement m'installer à tes côtés ? Car… quitte à être silencieux tous les deux…pourquoi rester isolés…non ?

Eh bah voilà, on y était…

- Bien sûr, ange, répondit doucement Crowley. Viens.

Il rangea ses longs membres d'un seul côté du grand lit et invita d'un geste du bras Aziraphale à le rejoindre. Maladroitement, ce dernier s'assit puis s'allongea à demi, en gardant le dos contre le mur. Le sac de tricot fut chastement posé entre les deux paires de jambes.

- Tu veux pas te mettre sous les couvertures ?

- Oh, heu… Non, merci bien, répondit-il, cramoisi. Je… Je n'envisage pas de dormir, mon ami. Juste tricoter à tes côtés.

A tes côtés.

- A ta guise, mon ange. Bonne soirée à toi et tricote bien.

- Merci de m'accueillir, Crowley, mon très cher. Bonne nuit à toi et surtout, ne rêve pas mal.

A tes côtés.

Alors qu'il pensait ne jamais pouvoir trouver le sommeil dans ces conditions, bercé par le léger tintement des aiguilles, Crowley s'endormit comme une masse. Et si, dans son sommeil entrecoupé de sifflements très longs et très légers, une tête se tourna contre la chaleur d'une hanche moelleuse, eh bien ce n'était pas vraiment sa faute, pas vrai ?


1 Cette excitation était compréhensible cette nuit, après-tout, quelqu'un de très attendu s'était mis d'arrache-pied au travail, s'élançant sur son traineau chargé de présents pour distribuer tous ses paquets, au son subtil et délicat de ses grelots, comme il le faisait chaque année depuis, boarff, très, très longtemps… Il n'y avait qu'une seule personne sur Terre pour savoir qu'il s'agissait en réalité de la première année qu'il effectuait cette tache difficile que de gâter les enfants du monde entier. La nuit était à marquer d'une pierre blanche, mais personne ne le saurait jamais. Personne, sauf ce tout petit garçon qui souriait, allongé comme les autres enfants dans le noir de sa chambre. Ce n'était pas bien, se disait-il en caressant distraitement le flanc de son chien endormi, de modifier ainsi le tissu de la réalité. Mais comme ce n'était pas bien non-plus aux adultes de mentir aux enfants, il n'avait fait que changer le mensonge en quelque chose de plus acceptable. Et puis le monde était bien plus cool comme ça, avait-il conclu d'un air canaille en songeant aux rennes volants et à la manufacture tenue par des lutins qui était mystérieusement apparue dans l'après-midi dans une contrée lointaine et polaire, et qui pourtant avait toujours existé.

2 Le carré de tissu à motif écossais ayant chuté à ses pieds au cours du repas, ni Aziraphale ni Crowley ne s'étaient rendu compte que l'ange s'essuyait depuis quelques heures la bouche avec l'emballage en plastique de protection de la pierrade.


Note de fin d'histoire :

Le voyage d'Aziraphale et Crowley continuera encore quelques jours avant qu'ils ne retournent à Londres, mais pour nous, en tout cas, la route s'arrête ici.

Je pourrais vous dire des tonnes de choses au sujet de cette histoire, de son inspiration liée à des faits réels, des souvenirs d'enfance ou tirée de réflexions sur la vie, mais c'est au final assez peu utile et assez long à expliquer, alors je me contenterai simplement de remercier chaque personne qui a pris le temps de découvrir l'épopée fromagère de nos deux amis. En particulier, je souhaiterais remercier très chaleureusement H.R.-R.L et MlleLauChan pour leurs reviews, leurs commentaires, leur soutien et leurs suggestions. Votre sortie du silence a été pour moi une véritable source de motivation. C'était très plaisant de découvrir vos retours sur cette histoire, la première que je publiais.

Pour toute remarque, critique ou réclamation, il va sans dire que la section des commentaires est là pour ça et je m'engage à répondre à chaque review. Pour ceux qui n'ont pas de compte mais qui prendront tout de même la peine de passer, la réponse sera publiée sur mon profil alors surveillez bien.

Bien, chers lecteurs, il ne me reste qu'à vous remercier d'avoir fait ce bout de chemin avec moi. Et je vous dis à bientôt pour d'autres aventures.

Passez de bonnes fêtes.

Et avant de refermer cette note de fin d'histoire, je souhaite adresser tout mon amour pour mes deux Magouilleuses, à qui l'écriture, la publication et la lecture audio de cette histoire sont entièrement dédiées. Joyeux Noël, ChocO et LauChan ! :D J'espère que cette histoire vous aura plu.

Umi