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« Si tu n'en as pas pour trop longtemps, je t'attendrai ici jusqu'à la fin de mes jours. »

Oscar Wilde

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En entrant dans le Chaudron Baveux, Hermione balaya la salle du regard. Elle n'y vit pas Snape, et s'étonna de sentir son estomac se nouer de déception, même si elle faisait de son mieux pour se convaincre elle-même qu'elle était soulagée.

Elle alla s'informer au bar, et apprit qu'on avait vu Snape sortir par l'arrière dans le Chemin de Traverse.

Hermione trouva une table et prit un siège orienté vers le fond de l'établissement. Elle regarda sa montre. Levant les yeux, elle vit Snape entrer. Il la remarqua immédiatement et vint la rejoindre.

« Il est une heure trente-cinq. J'ai dix minutes d'avance. »

« De mon point de vue, vous avez trente-cinq minutes de retard, » marmonna Snape en s'asseyant.

« Où étiez-vous - dans le Chemin de Traverse, en train d'acheter ma bague? » demanda t'elle avec désinvolture.

« Non, Miss Granger, et je vous demanderai de ne pas vous moquer. Si vous voulez savoir, j'étais penché sur des toilettes, en train de vomir. »

« Vous êtes malade ? »

« Je crois que l'affection dont je souffre peut se classer au rang des maladies, oui. »

« Est-ce qu'elle a un nom ? »

« Elle n'en avait pas avant la révélation que vous m'avez faite ce matin. J'ai décidé de la nommer 'folleté'. »

« Folleté ? »

« Oui, j'ai été fou. J'ai placé tous mes espoirs sur un baiser mal interprété. J'ai passé les quelques heures écoulées à réfléchir à ce que vous m'avez dit, et j'ai décidé que je ne voulais plus de vous. Vous feriez une épouse tout à fait inappropriée, et une amante déplorable. Retournez donc à votre Weasley, épousez-le. Epousez un nouveau Weasley tous les ans jusqu'à ce que vous en soyez à court. »

Snape se leva de sa chaise avant de continuer sa tirade. « Il m'a fallu six ans pour rassembler… la stupidité de vous demander en mariage, mais seulement quelques heures pour reprendre mes esprits. Que votre avenir soit plein de grandes promesses et vous apporte tout ce que vous méritez : des bébés qui bavent, des montagnes de couche-culottes, et la détérioration insidieuse que l'ennui provoquera sur votre modeste intellect. Bien le bonjour, Miss Granger. »

Il la regarda un instant d'un air de mépris, et sortit du café.

« Bon débarras ! » marmonna Hermione.

Elle avala rapidement un sandwich, et se retourna à ses courses de dernière minute.

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Echevelée et épuisée par ses déplacements dans Londres, Hermione rentra chez elle peu après quatre heures. Elle eut la mauvaise surprise de trouver sa porte entrouverte. Sortant sa baguette, elle entra avec précaution. Apparemment, la pièce était dans son état habituel, pourtant – il y avait quelqu'un qui sifflait dans sa cuisine !

Molly Weasley en sortit, une tasse de thé à la main. « Je suis à toi dans une minute, ma chérie, » dit-elle à Hermione en passant devant elle. Elle se dirigeait vers la chambre à coucher.

Elle en émergea un instant plus tard, secouant tristement la tête. « Le pauvre homme. Je n'ai jamais vu quelqu'un de si désespéré de toute ma vie. » Molly adressa un regard sévère à Hermione. « Assieds-toi, jeune fille. Il est temps que nous ayons une petite discussion. »

« Madame Weasley, mais qu'est-ce que… »

« Je suis passée chez toi avant d'aller à la répétition pour voir si tu avais besoin d'aide pour quoi que ce soit. Je l'ai trouvé étendu dans le couloir, juste devant ta porte. J'ai frappé, et comme je n'ai pas eu de réponse j'ai ouvert avec un Alohomora. Ensuite, j'ai du le mettre au lit avec un Mobilicorpus. Je lui ai cogné la tête contre l'encadrement de la porte, et il y a gagné une belle bosse sur le front. Vraiment, Hermione, il faut que tu apprennes à être plus attentionnée ! Après tout ce qu'il a fait pour toi, je pense que la moindre des choses serait que tu lui donnes ce qu'il veut ! »

« Je ne comprends pas de quoi vous parlez ! Donner quoi à qui ? Qui est là ? »

« Mais Severus, bien sûr. »

« SNAPE ? »

« Chut. Il essaie de se reposer. Il est devenu si maigre. Je ne crois pas qu'il se nourrisse convenablement. Je pense qu'il est littéralement tombé d'inanition. »

« C'est ce qu'il vous a dit ? Je lui ai préparé un solide petit-déjeuner ce matin, et je sais de source sûre qu'il a déjeuné au Chaudron Baveux. »

« Oui, mais tu ne lui as pas donné ce que son cœur désirait, ma chérie. »

« Madame Weasley ! » protesta Hermione. « Je suis sur le point de me marier avec votre fils ! Comment pouvez-vous imaginer une minute que je puisse même envisager de… de… »

« De fournir à un homme bon, à un héros de guerre, une chose d'une nécessité vitale ? Severus m'a raconté qu'il était venu te voir hier, plein d'espoir, et que tu avais refusé non pas une, mais deux fois. Et quand il a renouvelé sa demande ce matin, tu lui a de nouveau dénié ce qu'il voulait. Tu lui a laissé croire qu'il pourrait trouver chez toi chaleur et réconfort par une matinée glaciale, mais tu n'a même pas daigné… »

« MADAME WEASLEY ! Je ne sais pas ce que vous a raconté le Professeur Snape, mais je peux vous assurer qu'il a menti. »

« Mais pourquoi te mets-tu dans un état pareil, Hermione ? Et pour quelle raison est-ce que Severus aurait bien pu me mentir en me disant que tu n'avais pas voulu lui préparer une tasse de thé ? »

« De thé ? » Hermione déglutit. « C'est de ça dont vous étiez en train de me parler ? »

« Mais bien sûr. De quoi croyais-tu qu'il était question ? »

« Mais vous avez dit que je n'avais même pas daigné… »

Molly avait l'air perdu. « Mettre la bouilloire sur le feu – qu'est-ce que tu avais compris d'autre ? »

« Rien du tout. Je suis juste épuisée par toutes ces courses en ville. Je n'ai plus les idées très claires. »

« Eh bien, il te reste juste assez de temps pour aller te rafraîchir, et puis il sera temps qu'on aille à la répétition. » Molly se leva pour retourner vers la cuisine. Elle s'arrêta pour lui dire, « Au fait, j'ai pensé à corriger notre oubli. »

« Notre oubli ? » demanda Hermione.

« Mais oui. Figure-toi que nous avions complètement oublié d'inviter Severus au mariage. Il s'est montré des plus compréhensifs et n'a pas fait d'histoires. Il a dit qu'il serait ravi d'être présent. »

« Snape va venir à mon mariage ? »

« Il m'a dit qu'il ne le manquerait pour rien au monde. En fait, il m'a dit qu'il n'y avait rien au monde qu'il désirait plus que de te voir mariée à l'homme qui te convient, et qu'il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour que ce souhait se réalise. Est-ce que ce n'est pas gentil de sa part ? »

« Très gentil. »

Molly se remit à siffler et continua son chemin vers la cuisine, pendant qu'Hermione avait le regard fixé sur la porte de sa chambre. « Il profite de la gentillesse de la propre mère de son rival ! » marmonna t'elle sous cape. « C'est bas, c'est perfide, c'est Serpentard ! Je vais me débarrasser de ce fourbe ! »

Elle entra dans la chambre sur la pointe des pieds. Snape paraissait endormi, mais Hermione lui secoua le bras. Il lui saisit immédiatement la main, et commença à lui mordiller une phalange. Il prit son index entre ses dents, et l'encercla de sa langue. Elle recula vivement la main, toujours luisante d'un filet de salive de Snape.

« C'est dégoûtant ! Ne vous avisez plus jamais de faire ça ! » lui intima t'elle.

Note pour moi-même : pas de mordillage ou de léchouillage des doigts. Provoque la colère, pas l'excitation.

« Si vous ne baissez pas la voix, Molly va débarquer dans la pièce pour vous gronder d'avoir perturbé mon repos. A moins, bien sûr, que vous n'ayez hâte qu'elle apprenne la profonde affection qui nous unit. »

« Je suis tout à fait persuadée que vous êtes fou, finalement ! Je veux que vous sortiez d'ici ! Tout de suite ! »

« Molly m'a déjà invité à rester me reposer ici, mais je serai parti avant que vous ne reveniez de la répétition. »

« Est-ce que je peux compter sur ça ? »

« Tu peux compter sur moi à partir de maintenant, mon amour. » Snape lui fit un sourire égrillard, découvrant ses dents de travers.

« Avant que j'oublie, comment avez-vous osé vous faire inviter ainsi à mon mariage ? »

« C'était uniquement l'idée de Molly. »

« Bien sûr ! Eh bien, vous pouvez vous considérer désinvité ! »

« Je lui ai déjà répondu que je serai présent. Vous n'avez pas à vous en faire, je ne ferai rien qui puisse vous mettre mal à l'aise. Je compte m'asseoir bien sagement au dernier rang pendant que vous remonterez le long de l'allée – tout droit vers votre tragique destin. »

« Qu'est-ce qui vous a fait revenir jusqu'ici, d'abord ? Vous m'avez dit au Chaudron que vous ne vouliez plus de moi. Et pourquoi vous êtes-vous évanoui devant ma porte ? »

« Je suis venu pour m'excuser pour mes remarques brutales, et pour vous répéter que je n'avais plus l'intention de vous poursuivre de mes assiduités. Je me suis évanoui parce que j'avais vidé mon estomac de mon déjeuner et mon petit-déjeuner à cause de ma nervosité… et de ma déception. »

« Vous ne vous êtes jamais excusé auprès de personne – jamais ! Je suis désolée de vous avoir déçue, mais vous n'auriez jamais du vous imaginer que j'avais la moindre obligation envers vous après un malheureux baiser ! »

« Je suis d'accord avec votre raisonnement, Miss Granger. A la réflexion, ce n'était pas un baiser si mémorable. »

Hermione était en colère. « Je vois clair dans votre jeu, Professeur. Je suis le raisin mûr et vous êtes le renard – j'ai raison, non ? Vous ne pouvez pas m'avoir, alors vous prétendez que vous ne voulez pas de moi ! »

« Pour quelqu'un qui était tellement opposé à mes avances, vous avez l'air d'être plutôt perturbée de ne plus en être l'objet, » fit remarquer Snape.

« Alors pourquoi êtes-vous toujours là ? »

Snape se retourna, se pelotonna contre l'oreiller, et ferma les yeux. « Je suis épuisé par les épreuves que j'ai eu à subir aujourd'hui. Je vais me reposer un peu, et je serai parti avant votre retour. Laissez-moi maintenant. »

Hermione contourna le lit afin de ne pas s'adresser à son dos. « Vous ne pouvez pas me mettre à la porte de chez moi ! »

« Non, j'imagine que je ne le peux pas. Restez ou partez, ça m'est complètement égal, » affirma t'il sans rouvrir les yeux.

Hermione resta indécise un moment, ne sachant plus comment réagir face au sorcier envahissant qui était dans son lit.

« Dépêche-toi, ma chérie, » lui rappela Molly Weasley depuis la pièce d'à côté. « Il est grand temps que nous nous mettions en route. »

« J'arrive, Madame Weasley. »

Hermione regarda Snape avec humeur. Ses cheveux noirs et graisseux qui allaient souiller sa taie d'oreiller immaculée ! Le bout de son nez affreux collé à ses draps tout propres !

Et pourtant, se dit Hermione, quand on le voit allongé comme ça, les yeux fermés, il a l'air presque… vulnérable.