L'ombre au fond de ses yeux
McGonagall le guidait au travers du dédale des couloirs de Poudlard. Sa vision était brouillée par la sueur et son pyjama lui collait désagréablement la peau. Mais c'était le dernier de ses soucis. Arthur Weasley courait un grave danger et il ne comprenait pas pourquoi les membres de l'Ordre n'était pas déjà en chemin pour lui porter secours.
Cette fois-ci il n'avait pas juste songé à attaquer. Non, il avait bel et bien plongé ses crochets dans la chair humaine. Il avait goûté au sang, satisfaisant un désir caché qu'il ne savait même pas qu'il avait.
Que s'était-il passé? Pourquoi avait-il attaqué?
'Ça ne peut pas être moi!' Pensa-t-il alors que la Gargouille se tournait sur elle-même pour les laisser passer. 'J'étais dans mon lit à Poudlard, comment est ce que ça pourrait être moi?'
Il calma sa respiration frénétique et entreprit de tout expliquer au directeur qui, encore une fois, prit soin d'éviter son regard. En temps normal cela aurait profondément irrité Harry, mais il y avait urgence. Arthur Weasley avait besoin d'aide. Lorsque Dumbledore se mit à donner les ordres nécessaires pour lui apporter cette aide, et qu'il fut certain qu'il avait été retrouvé, il eut l'impression de se détacher de la réalité. Il aurait dû être soulagé que l'Ordre ait trouvé Mr. Weasley, mais cela confirmait que quelque chose de très grave lui arrivait. Quelque chose qu'il ne comprenait pas. Le goût du sang chaud bouillonnant entre ses dents lui revint brièvement et il cru qu'il allait vomir. Il se concentra à nouveau sur sa respiration.
Les jumeaux et Ginny les rejoignirent, et Dumbledore rassembla la fratrie autour d'une vieille bouilloire. McGonagall avait été envoyée à la rencontre d'Ombrage, qui s'était apparemment aperçue que quelque chose se passait, pour la retenir. D'un coup, Harry ne fut plus trop sûr s'il voulait seulement vomir à cause de son rêve… Non, il ne pouvait pas appeler ça un rêve.
Dumbledore les envoyait à Grimmauld Place par Portoloin. Harry regarda la bouilloire, incrédule. Il n'allait nulle part ce soir. Ce qui lui arrivait était bien trop grave. Il avait eu l'impression de devenir un serpent lors de sa rencontre avec Dumbledore et ce soir, il était certain d'en avoir été un. Il était dangereux et ne pouvait pas se permettre d'être en présence des membres de l'Ordre. Il en avait déjà attaqué un. Il sentit qu'on lui mettait sa main sur le Portoloin et Dumbledore commença le décompte.
Trois… Est-ce que c'était possible que ce soit à cause de la « connexion »? Se pouvait-il que Voldemort puisse faire plus que de simplement exploiter ses émotions?
Deux… Il n'avait rien vu venir. Il avait essayé de se battre et Voldemort avait quand même réussi à l'utiliser. Était-il devenu une sorte d'arme?
Un… Harry leva ses yeux et croisa le regard bleu clair de Dumbledore. Il sentit le monstre se réveiller et se dresser en lui. L'épuisement, la douleur, la peur… la rage. C'était insoutenable.
Il ne sentit jamais l'étrange secousse au niveau du nombril. Alors que ses amis disparaissaient dans un tourbillon de couleurs, Harry se précipita en avant et chargea le directeur de Poudlard.
Dès que les yeux verts se posèrent sur lui, Dumbledore su immédiatement ce qui allait se passer et se prépara. Le garçon le heurta de toutes ses forces et Dumbledore eut à peine le temps d'invoquer un enchantement de protection pour l'aider à absorber l'impact. Il fut cependant projeté au sol et Harry se jeta sur lui pour faire pleuvoir une série de coup. Mais avant que Harry ne puisse atteindre sa cible, le directeur attrapa ses avant-bras avec une force extraordinaire et le retourna. En une fraction de seconde deux puissants bras l'encerclèrent et Harry se retrouva immobilisé. Dumbledore le tenait fermement contre sa poitrine en bloquant ses bras. Il pouvait bouger ses jambes et à peine ses hanches, mais le directeur était maintenant totalement hors de portée.
'C'est fini, Harry,' dit doucement Dumbledore. 'Ça va aller.'
Ça n'allait pas du tout. Le bureau réapparu dans le champ de vision de Harry et il sentit la honte et la peur envahir son âme. Cela avait fini par arriver. Il avait attaqué Albus Dumbledore, le seul sorcier craint par Lord Voldemort. La seule raison pour laquelle le monde des Sorciers pouvait se permettre de vivre naïvement dans l'ignorance. Harry sentit son visage se tendre lorsqu'il réalisa que Voldemort avait réussi à la manipuler pour vaincre le seul obstacle se dressant contre lui, et qu'il l'avait laisser faire. Quelque chose coula sur sa joue et sa respiration redevint frénétique.
'Laisse tout ça sortir,' murmura Dumbledore en relâchant son étreinte.
Chaque sanglot du garçon était un coup de poignard dans le cœur de Dumbledore. Il avait tellement été aveuglé par sa fierté et sa certitude de tout contrôler. Il se pensait si intelligent qu'il n'avait jamais rien partagé avec qui que ce soit. Parce qu'il était le seul suffisamment brillant pour forger le futur dans lequel le monde des Sorciers serait enfin en paix. Ce monde qui s'était retourné contre lui et la seule personne à laquelle il tenait réellement depuis la mort d'Ariana. Perdre la confiance du garçon pour sauver ce monde. Cela en valait-il vraiment la peine?
'Je suis tellement désolé,' murmura-t-il encore lorsque le souffle de Harry commença à se clamer.
Il relâcha complètement Harry et se tint derrière lui quelques secondes. Les épaules du garçon continuaient à se soulever de manière irrégulière mais il semblait calme à nouveau. Il récupéra un verre propre sur son bureau qu'il remplie magiquement d'une eau claire et fraîche. Le garçon prit le verre tendu vers lui et le porta à ces lèvres d'un geste machinal, les yeux rivés au sol. La première gorgée le sortit de son engourdissement, et la deuxième lui clarifia les idées.
'Merci,' marmonna-t-il. Si la situation n'était pas aussi sérieuse, son ironie l'aurait fait rire. C'était à son tour d'éviter Dumbledore.
Une main fraîche se posa délicatement sur son front et la sensation lui fit un bien immense.
'Est-ce que ça fait mal?' Demanda doucement Dumbledore.
'Plus tellement maintenant.' Il aurait aimé que la main reste indéfiniment sur son front, mais le directeur la retira.
'Harry, je voudrais que te me regarde s'il te plaît.'
'J'ai bien peur que ce soit impossible,' répondit Harry avec un petit rire amer. 'Je refuse de le laisser me contrôler à nouveau.'
Sa réponse surprit Dumbledore. Harry avait compris beaucoup plus de choses qu'il ne l'avait prévu.
'Tu peux y arriver,' encouragea Dumbledore.
'Avez-vous ne serait-ce que la moindre idée de ce qu'il se passe?' rétorqua Harry d'un ton acide.
'Seulement des hypothèses,' reconnu Dumbledore. 'Mais j'ai confiance en toi. Tu ne me feras aucun mal.'
Harry sentit sa sincérité mais il n'était pas sûr de se faire confiance. Les mots de Salazar lui revinrent en mémoire. Il avait fini par se perdre, trop faible pour résister. Il avait seulement voulu arrêter d'être une proie. Sa maîtrise récente de la magie informulée et ses prouesses sans baguette n'étaient qu'une illusion qui lui avait fait oublier la fraude qu'il était. La seule raison pour laquelle il était encore en vie aujourd'hui, c'était grâce à l'aide qu'il avait pu recevoir dans les moments les plus critiques. Ses compétences n'y avaient jamais été pour quoique ce soit.
'Regarde-moi,' répéta Dumbledore.
Il ne saurait jamais si c'était la folie ou le courage qui le poussa à lever les yeux. Pour la seconde fois de la nuit, ses yeux verts se posèrent sur les bleus, et le monstre se débattit plus furieusement que jamais alors que sa cicatrice le transperça d'une douleur aiguë.
