Choisir son camp

D'aucuns pourraient dire que la troisième fois est toujours la bonne en invoquant cette obscure magie appelée « chance ». Mais la vérité était que depuis que Harry étudiait l'occlumancie, il avait commencé à mettre des mots sur les tourments que lui infligeait sa cicatrice. Il avait compris deux choses primordiales, entre autres, par rapport à son lien avec Voldemort. Premièrement chaque perte de contrôle était précédée d'une douleur. Ensuite la précision en magie était quelque chose de fondamental. C'est donc tout naturellement qu'il avait commencé à tenter de décrire ces douleurs l'espoir d'identifier des symptômes.

Comme un musicien déchiffrant sa partition et la perfectionnant, il avait commencé à classer chaque nouveau détail. Les démangeaisons, les sensations de brulure, et d'autres pires encore. Généralement, la douleur était progressive. Mais quand il s'agissait de Dumbledore, il n'y avait aucun avertissement. La première fois qu'il avait croisé son regard, le supplice l'avait complètement pris au dépourvu. Il n'y avait pas eu le crescendo habituel mais directement un déchirement brûlant comme son front était transpercé par une flèche d'acier en fusion. Il y avait aussi cette chose… cet alter-ego monstrueux tapi si profondément en lui qu'il ne l'avait jamais remarqué auparavant. Il aurait dû faire plus attention car, la seconde fois que cela lui était arrivé, quelques minutes auparavant, son état d'épuisement avait détruit toutes les barrières mentales dont il disposait. La douleur l'avait surpris à nouveau, mais elle n'était rien à côté de la haine intense qu'il avait ressenti en même temps.

Mais cette fois-ci, il savait à quoi s'attendre. Il avait anticipé la douleur et était prêt à accueillir le monstre. Il étouffa un grognement de souffrance et tint bon contre la vague de rage qui submergeait son instinct.

Dans ce torrent d'émotions, il trouva le souvenir de la voix de Salazar et s'y réfugia, se remémorant chacun de ses conseils. D'un seul coup, il comprit ce qu'avait tenté de lui expliquer le vieux sorcier. Son esprit se débattait dans un tourbillon de ses émotions, mais il ne les reconnaissait pas. C'était comme si elles avaient été corrompues. Et s'il voulait se sortir de ce torrent, il n'avait juste qu'à se mettre sur le côté et le regarder déferler devant lui. C'était comme s'il avait fait cela toute sa vie.

En quelques secondes, Dumbledore vit une étincelle de haine briller dans les yeux verts, pour finalement s'estomper jusqu'à devenir une lueur plus calme. Le garçon était encore loin de la paix intérieure, mais il avait réussi à se maîtriser. Dumbledore était impressionné de la vitesse à laquelle Harry avait appris à contrôler cet étrange lien.

'Je crois que c'est bon maintenant,' dit Harry en reprenant son souffle. Il se frotta le front. Il aurait donné beaucoup pour que Dumbledore y repose sa main. Mais ce n'était pas le moment de se plaindre. 'Voldemort peut exploiter le lien que j'ai avec lui en utilisant mes émotions,' déclara-t-il d'une voix ferme. 'Mais je ne sais pas pourquoi c'est encore pire quand je suis avec vous.'

Dumbledore inclina sa tête sur le côté. Il ne savait pas comment Harry avait-il réussi à comprendre autant de choses en aussi peu de temps, mais il ne pouvait plus lui cacher la vérité. Il indiqua au jeune garçon de s'asseoir et ce dernier se laissa presque tomber dans le fauteuil. Harry était épuisé et un deuxième verre d'eau lui ferait le plus grand bien. Dumbledore se figea presque lorsqu'il vit le garçon lever sa main pour conjurer un verre identique à celui qu'il lui avait donné plus tôt, et qu'il se mit à le boire comme si c'était la chose la plus naturelle au monde.

Il n'avait vu aucune baguette et entendu aucun sortilège. Il aurait pu s'attendre à un tel niveau de magie de la part de ses professeurs et certains des élèves de septième année, mais d'un garçon de quinze ans… Il cligna des yeux en se rendant compte que son comportement avait briser beaucoup de choses entre lui et Harry.

Il n'avait pourtant jamais voulu ça. Il aurait tellement voulu être celui qui entraînerait le jeune sorcier, le guiderait et le conseillerait. Mais parce qu'il avait été… un lâche, Minerva avait raison, le garçon avait trouvé un autre mentor. Et il n'avait aucune idée de qui cela pouvait bien être. Il s'assit et croisa ses doigts. Par où commencer?

'Notre dernière rencontre a regrettablement été interrompu avant que je ne puisse répondre à tes questions, mais je pense que nous ne seront pas dérangés cette fois-ci,' commença-t-il de sa voix calme. 'Comme tu l'as déjà deviné, ta cicatrice te fais mal à cause des émotions que tu partages avec Voldemort. Cette connexion,' dit-il en pointant brièvement le front de Harry, 'provient d'une branche de magie que j'essaie encore de déchiffrer.'

'C'est une passerelle entre son esprit et le mien. Et elle peut être empruntée dans les deux sens,' dit Harry d'une voix blanche.

'Je ne l'aurais pas mieux décrit moi-même,' répondit Dumbledore. 'Et c'est surtout la raison pour laquelle j'ai gardé mes distances avec toi dernièrement.'

'Vous avez peur qu'il exploite ce lien pour m'utiliser contre vous,' reformula Harry. 'Comme il vient juste de le faire.'

'En partie,' acquiesça Dumbledore. 'Je ne sais pas à quel point tu t'y connais en magie de l'esprit, mais à chaque fois qu'il a accès à tes pensées, il récupère des informations au sujet de tes forces et de tes faiblesses.'

'Vous essayez de me faire croire que vous tentiez de me protéger?' Demanda Harry en fronçant ses sourcils.

'Je me rend compte maintenant qu'il s'agissait d'une erreur,' répondit Dumbledore d'une voix apaisante. 'J'ai essayé de gérer la situation du mieux possible, et je me suis rendu compte trop tard à quel point j'avais eu tort. Je suis sincèrement désolé pour ça, Harry.' Il repoussa son côté manipulateur loin de lui. Plus jamais il ne prendrait de décisions dans le dos du garçon. C'était fini. 'Lorsque tu as accepté mon invitation la dernière fois, c'était la vérité que tu étais venu chercher. Celle que j'aurais dû te livrer dès ton arrivée dans cette école et que j'ai gardé secrète pendant tout ce temps.'

'Mais pourquoi?' S'écria Harry. 'Je pensais que vous me faisiez confiance!'

'C'est le cas,' dit Dumbledore. 'Je te le promet. Je tiens trop à toi pour te mentir.'

Une sensation chaude remplit Harry. C'étaient les mots qu'il avait voulu entendre depuis longtemps. Mais il ne laisserait pas Dumbledore s'en sortir aussi facilement. Le directeur tirait les ficelles du jeu depuis qu'il avait onze ans, peut-être même depuis sa naissance. Et si tout cela n'était encore que de la manipulation?

'J'ai conscience que ce ne sont que des paroles,' reprit Dumbledore voyant qu'il n'avait absolument pas convaincu le garçon. 'Je vais donc te révéler ce que j'aurais déjà dû te dire il y a cinq ans.' Il soupira. La nuit serait longue.

'Il y a seize ans, le professeur McGonagall et moi-même avons une très sérieuse discussion au sujet d'une matière que nous hésitions à supprimer du programme, la Divination. J'avais cependant déjà prévu de rencontrer une candidate pour ce poste à la Tête de Sanglier. Malgré mes réticences, il se trouvait que cette candidate était l'arrière-arrière-petite-fille d'une voyante très célèbre et très douée et la plus élémentaire courtoisie m'obligeait à la rencontrer. Cela s'avéra être une déception, et je m'excusai poliment afin de m'absenter quand la chose la plus étrange arriva.' Dumbledore se leva et alla vers a une petite armoire de couleur noire, à côté du perchoir de Fumseck. Il se pencha, souleva un loquet et sortit du meuble une bassine de pierre, gravée de runes qu'il revint poser sur son bureau.

Dumbledore remua sa baguette au-dessus du liquide translucide aux reflets argentés qui remplissait le récipient. Une silhouette fantomatique s'en éleva et Harry reconnu immédiatement le professeur Trelawney. La même voix rauque et dure qu'il avait entendu lors de sa troisième année s'éleva dans le bureau de Dumbledore.

« Celui qui a le pouvoir de vaincre le Seigneur des Ténèbres approche… il naîtra de ceux qui l'ont par trois fois défié, il sera né lorsque mourra le septième mois… et le Seigneur des Ténèbres le marquera comme son égal mais il aura un pouvoir que le Seigneur des Ténèbres ignore… et l'un devra mourir de la main de l'autre car aucun d'eux ne peut vivre tant que l'autre survit… Celui qui détient le pouvoir de vaincre le Seigneur des Ténèbres sera né lorsque mourra le septième mois… »

Un silence absolu suivi l'étrange message et Dumbledore fit disparaître la silhouette avant de reporter son attention sur Harry.

'Qu'est ce que c'était que ça?' Demanda Harry dans un souffle.

'C'est une Prophétie,' répondit Dumbledore en rangeant la Pensive. 'Une Prophétie faite peu avant ta naissance concernant le destin que tu partages avec Voldemort.'

Harry aurait voulu que ce soit faux, mais un détail de la Prophétie l'en empêcha. Il n'y avait qu'un enfant qui avait été marqué par le Seigneur des Ténèbres avant sa chute. Il était le Survivant, c'était indéniable.

'Tout ça… à cause d'une vulgaire Prophétie?' Demanda-t-il d'une voix blanche.

'Il y a une particularité au sujet des Prophéties qui échappe à beaucoup de sorciers et de sorcières, Harry, même aux plus brillants d'entres eux,' répondit Dumbledore à mi-voix. 'Si je te dis que beaucoup de Prophéties ont été faites au cours des derniers siècles mais qu'une majorité d'entres elles ne se sont jamais réalisées, que peux-tu en conclure?'

'Qu'elles peuvent mentir?' Tenta Harry.

'D'une certaine façon,' pouffa Dumbledore. 'Les Prophéties lient les destins sans nécessairement qu'ils ne se rejoignent vraiment. Ce n'est pas parce que ton destin et celui de Voldemort ont été liés qu'ils devaient obligatoirement se rencontrer.'

'Mais alors pourquoi est-ce-que c'est quand même arrivé?'

'Si j'avais su que le professeur Trelawney possédait le moindre don en matière de Divination, je n'aurais jamais choisi la Tête de Sanglier pour la rencontrer. Ce n'est pas le meilleur endroit pour les secrets et, ce jour-là, un agent de Voldemort se trouvait dans la clientèle du bar. L'espion n'a pu entendre qu'une partie de la Prophétie, mais il a réussi à s'échapper pour aller raconter tout ce qu'il avait entendu à son maître. La seule chance que nous ayons c'est que Voldemort n'est au courant que de la première partie de la Prophétie.'

'Aucun d'eux ne peut vivre… tant que l'autre survit,' répéta Harry en réfléchissant. 'Donc Voldemort ignore qu'à la fin nous devrons nous battre?' Formuler cette éventualité à voix haute lui fit prendre conscience de sa réalité et une vague de peur le parcouru. Il n'était pas de taille face au mage noir! 'Mais… Attendez une seconde!' Sa peur s'évanouit quand un autre détail lui sauta aux yeux. 'Comment pouvez-vous savoir tout cela? Comment savez vous ce que Voldemort sait et comprend de la Prophétie?'

Dumbledore soupira.

'Vous connaissez l'identité de l'espion,' réalisa Harry livide.

'Oui je sais qui cette personne est, en effet,' répondit le directeur. 'Mais je m'en suis déjà personnellement occupé,' reprit-il d'un ton qui n'admettait aucune discussion. 'C'est d'ailleurs grâce à elle que j'ai pu organiser la protection des familles qui pouvaient être concernées par la Prophétie.'

Harry s'abstint de répondre. Il connaissait la suite de l'histoire et la trahison de Pettigrow.

'Tout ça juste parce que Voldemort a cru en la Prophétie,' dit finalement Harry avec sourire triste, corrigeant sa première affirmation.

Il contempla son verre vide, laissant le silence régner dans le bureau.

'Que va-t-il m'arriver?' Demanda-t-il d'un ton découragé.

'Voldemort n'aura de cesse de te poursuivre. Il n'a pas peut-être pas entendu la Prophétie en entier, mais il en a entendu suffisamment pour comprendre que tu étais un obstacle dans son ascension vers le pouvoir,' répondit Dumbledore d'une voix forte. 'Donc nous pouvons attendre qu'il organise ses forces et se décide à nous attaquer, ou bien…'

Harry leva son regard vers le directeur dont les yeux avaient regagné leur éclat habituel.

'Ou bien nous pouvons contre-attaquer?' Demanda le garçon plein d'espoir. Si c'était effectivement ce que Dumbledore suggérait, peut-être aurait-il une chance de s'en sortir vivant.

'Précisément,' sourit Dumbledore.