Occlumancie
Harry rejoignit le Basilic dans la Chambre après le petit déjeuner. Bon, alors… Comment Transplane-t-on?
Le serpent s'était pelotonné à côté de la fontaine, observant son maître d'un œil intéressé. Le dernier type de téléportation qu'Harry avait jamais utilisé était un Portoloin, et une sensation bizarre le démangea au niveau du nombril. Maintenant qu'il y pensait, il n'avait jamais eu ce genre de sensation en échappant à Dudley et sa bande. Qu'avait-il ressenti?
Il se concentra, parcourant les souvenirs douloureux du cimetière de mémoires qu'il avait construit au cours de sa vie. Enterrer ses expériences douloureuses était la seule façon qu'il avait trouver pour les supporter. Il arrivait cependant que certaines d'entre elles ressurgissent, provoquant chez lui une peine immense qu'il n'arrivait qu'à cacher qu'au prix un certain effort. Mais la plupart du temps, elles le laissaient tranquille.
Il se souvint d'une fois où il avait été pourchassé par Dudley et sa bande jusqu'au fond d'une allée isolée. Il avait appelé à l'aide dès qu'ils avaient tenté de l'attraper, mais aucun des professeurs surveillant la cour n'avaient réagi. Il n'avait pas eu d'autre choix que de devoir s'enfuir. Normalement, Dudley lui laissait suffisamment de temps entre ses agressions pour qu'il puisse se remettre des blessures infligées. Mais là ses cotes étaient encore meurtries. Son oncle l'avait frappé la veille et il savait qu'un coup supplémentaire lui fracturerait sans doute une de ces cotes. Il avait beau être jeune, il avait la maturité nécessaire pour comprendre que de laisser un enfant agoniser avec des cotes fracturées pouvait mener à des conséquences bien plus graves. C'était sans doute ce qui risquait de lui arriver dans les prochaines minutes.
Il prit une profonde respiration et se concentra sur le côté opposé de la salle. Il ferma ses yeux et laissa le souvenir l'envahir. L'impression de danger aiguisa chacun de ses sens et d'un coup, s'enfuir à l'autre bout de la Chambre devint sa priorité. Il devait y arriver vite ou s'en serait fini de lui… Une réflexion qui commençait à lui être assez familière. Lorsqu'il ouvrit ses yeux à nouveau, il s'aperçut avec incrédulité qu'il avait réussi.
'Du premier coup!' Siffla le serpent admirativement.
C'était la première fois que Harry réussissait quelque chose de magique du premier coup. Il sentit une vague de fierté se répandre en lui.
Vers deux heures de l'après-midi, il quitta la Chambre après dix tentatives de Transplanage fructueuses contre trois manquées. Il était épuisé et avait vraiment besoin d'avaler quelque chose avant son entraînement prévu avec Rogue.
Il s'arrêta net devant la lourde porte noire menant au bureau du professeur. Son instinct lui conseillait de prendre ses jambes à son cou mais il n'avait pas le choix. Il avait été arrogant et insolent dans la Grande Salle et il devinait sans peine que les représailles de Rogue seraient sans pitié. Il soupira et frappa à la porte.
Le bureau était sombre, seulement éclairé par les mélanges luminescents contenus dans des fioles dispersées dans la pièce. Harry remarqua que la Pensive de Dumbledore trônait sur le bureau de Rogue et sourit intérieurement. Le professeur avait des choses à cacher et il craignait peut-être que Harry ne puisse les découvrir.
'À partir du début du semestre prochaine,' dit une voix trainante de l'autre bout de la pièce, 'vous vous présenterez les mardi et vendredi à cette même heure. Pas d'excuse, pas d'exception.' Le professeur apparu à la lumière bleutée de la Pensive. 'Vous êtes ici aujourd'hui afin que je puisse évaluer votre capacité à fermer votre esprit aux intrusions et influences extérieures. Comme il semble que vous ayez déjà étudié le sujet de manière théorique, je ne vous expliquerai pas le principe de l'occlumancie.'
Harry resta silencieux, se contentant d'acquiescer.
'Il semblerait que le maléfice qui a failli vous tuer ait établi une sorte de connexion entre vous et le Seigneur des Ténèbres. L'observation laisse penser qu'à certains moments, lorsque votre esprit est le plus détendu et le plus vulnérable, vous partagez ses pensées et ses émotions. Le directeur désire donc que je vous apprenne à interdire l'accès de votre esprit au Seigneur des Ténèbres.' Rogue avait dit tout cela que sur le même ton que s'il avait lu une recette particulièrement savoureuse.
Le cœur de Harry battait à tout rompre. Donc Dumbledore pensait qu'il n'avait fait qu'être témoin de l'attaque au travers de l'œil du serpent. Harry n'en pas si sûr. Cela avait été beaucoup trop réel. Il n'avait pas vu l'attaque, il l'avait perpétrée et vécue. Chaque pulsion, chaque aspérité que le serpent avait ressentie… Il pouvait se souvenir du sol glacial et de l'irrégularité des pierres sous son corps puissant. Il pouvait se rappeler de la chair se déchirant sous ses crochets.
Il réalisa soudainement qu'il ne pouvait pas laisser Rogue, et par conséquent Dumbledore, se rendre compte de tout cela. Bientôt les élèves seraient de retour au château. Si Voldemort était effectivement capable de le métamorphoser en monstre et de la manipuler à distance, les dommages qu'il pouvait causer seraient irréparables. Il devait agir avant qu'il ne soit trop tard et prendre le contrôle de son esprit.
'Mais cette connexion n'existe qu'entre mon esprit et celui de Voldemort,' dit-il avant que le professeur ne puisse ajouter quoique ce soit. 'Comment se fait-il que je me sois retrouvé dans la tête du serpent au lieu de la sienne?'
'Ne m'interrompez pas, Potter,' dit Rogue d'une voix dangereuse.
Harry ignora la remarque. Si Rogue était compétent en matière de magie de l'esprit, il était bien décidé à mettre cela à profit pour comprendre ce qui lui arrivait. Il était convaincu qu'il ne s'agissait pas d'une simple connexion mentale.
'Comment se fait-il que j'ai pu voir l'attaque au travers des yeux du serpent si ce sont les pensées de Voldemort que je partage?'
'Ne prononcez pas le nom du Seigneur des Ténèbres!' Vociféra Rogue.
Il y eut un terrible silence. Tous deux se fusillèrent du regard par-dessus la Pensive.
'Je veux juste comprendre,' reprit Harry, se forçant à être poli.
Rogue dévisagea Harry en caressant ses lèvres d'un doigt long et fin.
'Il semble que vous vous soyez trouvé dans la tête du serpent parce que c'était là qu'était le Seigneur des Ténèbres à ce moment précis,' gronda Rogue. 'Il avait pris possession du reptile et c'est pourquoi vous avez rêvé que vous étiez à l'intérieur.'
Harry réprima un éclat de rire en entendant la pauvre explication. Ce pauvre serpent… vraiment. Mais Rogue ne savait pas ce qu'il en avait vraiment été. Il hocha la tête poliment et ne dit rien.
'Mais le plus important est que le Seigneur des Ténèbres a pris conscience de cette connexion et sait que votre esprit fragile peut éprouver ses émotions et partager ses connaissances.
'Mon esprit n'est pas fragile!' Rétorqua Harry.
'C'est la dernière fois que vous m'interrompez, Potter,' menaça Rogue.
Le professeur se tourna ensuite vers la Pensive et entreprit d'extraire des filaments d'argent de sa tempe au moyen de sa baguette pour les déposer dans la bassine de pierre. Harry en profita pour réfléchir à ce qu'il venait d'apprendre. Il se pouvait que Voldemort n'ait fait que contrôler le serpent, auquel cas la théorie de Rogue et Dumbledore était correcte. Mais Harry savait qu'il s'agissait d'autre chose. Il ne concevait pas que l'on puisse investir un esprit étranger et si sentir à ce point… chez soi. Il n'avait aucune expérience dans ce domaine, il le savait bien, et il ne faisait que suivre son instinct. Mais pour l'instant, cet instinct avait plutôt bien réussi à la maintenir en vie. Il décida de ne rien dire et de jouer le jeu. Après tout, que son interprétation ou celle de Dumbledore soit la bonne, la méthode pour se défendre restait la même.
Pour ce qui était de comprendre ce qu'il lui arrivait vraiment, il devrait se débrouiller seul, comme d'habitude.
'Levez-vous et sortez votre baguette, Potter.'
Harry se mis debout avec une certaine appréhension. Il ne savait pas très bien ce qui allait se passer.
'Je vais essayer d'entrer de force dans votre esprit,' dit Rogue en savourant la nervosité du jeune homme. 'À mon signal, vous pourrez utiliser votre baguette pour essayer de me désarmer ou de vous défendre de la manière qui vous conviendra.' Sa voix s'adoucit. 'On m'a dit que vous aviez déjà montré certaines aptitudes à combattre le sortilège de l'Imperium. Vous verrez qu'il faut faire appel à des pouvoirs similaires dans le cas présent.'
Harry sentit son cœur manquer un battement. Si Rogue découvrait ce qu'il avait fait dans la Chambre des Secrets, il le dirait à Dumbledore. Le plan de Harry tomberait à l'eau et sauver Tom deviendrait impossible. De plus, il perdrait sans doute la confiance de Dumbledore pour toujours.
Rogue se tourna vers lui, et leva sa baguette sans attendre que Harry ne sorte la sienne. Harry se concentra comme jamais auparavant. Il n'avait aucune idée du sortilège que lancerait Rogue et comment il était concrètement supposé se défendre. Qu'avait-il le droit de faire?
« J'ai toujours pensé que les règles existaient pour que nous puissions jouer avec. »
Les mots du fondateur lui revinrent en mémoire. Qu'avait dit Rogue au sujet de l'usage de sa baguette? Qu'il pouvait l'utiliser à son signal? Donc cela voulait dire que Harry était libre d'utiliser n'importe quel type de magie avant ce fameux signal. Une magie aussi discrète et utile que pouvait l'être la magie informulée sans baguette par exemple.
'Maintenant,' dit Rogue d'une voix lente – 'Protego maxima, Fianto Duri,' pensa Harry – 'Préparez-vous.' Rogue prenait un plaisir évident. – 'Salvio hexia,' il répétait dans sa tête tous les sortilèges de protection qu'il avait pu apprendre dans sa vie. Il ne savait pas desquels il avait besoin, et dans le doute il en invoqua autant que possible – 'Legilimens!' S'écria Rogue.
Harry vit un éclair de lumière blanche jaillir de la baguette de Rogue en sa direction. Le sort se désintégra au contact de ses boucliers invisibles, mais il n'avait pas anticipé que Rogue mettrait autant de force dans son attaque. Une partie du sortilège traversa ses protections et le frappa de plein fouet. Pendant un instant il eu l'impression de se noyer dans un océan noir si profond qu'il pouvait sentir une pression insoutenable autour de lui. Comme si une présence tentait de pénétrer chaque pore de sa peau.
Heureusement pour lui, la sensation disparue lorsque le sort fini de se dissiper.
'Vous… Comment avez-vous?' Rogue respirait bruyamment en observant Harry. 'Je ne sais pas comment vous avez réussi à faire cela sans l'usage de votre baguette, Potter, mais je ne suis pas dupe.'
Harry soutint son regard.
'Enchantements de protection de niveau avancé,' reprit Rogue. 'Ce n'est pas une mauvaise idée, et ils pourront vous tirer d'affaire en cas d'attaque frontale. Mais ce ne sera pas suffisant.' Il eut un rictus et continua d'un ton raillant qui déplu fortement à Harry. 'Vous vous sentiez si sûr de vous dans la Grande Salle. Vous vous pensiez capable de manipuler la magie de l'esprit parce que vous aviez lu sa définition par hasard dans un livre. Finalement, il semblerait qu'une fois encore votre arrogance n'a d'égale que votre incompétence.'
Insultes et provocation. Le Harry d'il y a quatre mois aurait sans doute répliqué et, par la même occasion, baissé sa garde. Mais le garçon savait que ce n'était qu'une tentative de l'énerver pour lui faire perdre le contrôle. Il feignit un air offensé et prit discrètement une profonde respiration. Que Rogue l'attaque donc à nouveau! Il était prêt.
Rogue attendit la réponse cinglante qu'il avait anticipé mais, étonnamment, elle ne vint pas.
'Encore!' Finit-il par dire. 'Mais cette fois-ci, si vous êtes aussi fort que vous prétendez l'être, pas de boucliers magiques. Repoussez-moi avec votre cerveau, vous n'aurez pas besoin de votre baguette.'
Harry se redressa. Il était temps de se défendre à la manière des Gryffondors.
'Legilimens!'
Harry se sentit tourbillonner une nouvelle fois vers des profondeurs où la pression était insupportable. Bientôt, il se retrouva dans ce monde ténébreux et sentit la présence l'attaquer. À chaque nouvel assaut, ses barrières mentales se fragilisaient. Tout ce qu'il avait à faire, c'était de baisser sa garde et tout serait fini. Il n'avait qu'à se rendre, et il pourrait enfin se reposer.
Ou bien il pouvait juste s'extraire de la situation, de la même manière qu'il l'avait fait dans le bureau de Dumbledore. Se mettre sur le côté et regarder le flot de ses émotions tourbillonner devant lui.
D'un coup, la présence disparue. La pâle lumière du bureau de Rogue réapparue et, pour son plus grand plaisir, il entrevit une sincère surprise dans les yeux du maître des Potions avant qu'il n'ait le temps de se reprendre.
