Deux Héritiers contre le Monde

D'ordinaire, la quiétude du château lors des vacances de Noël était rapidement remplacée par un joyeux chaos d'élèves au début de janvier. Heureux de se revoir, on voyait des groupes discuter des cadeaux reçus, des voyages effectués ou encore des promesses que réservait le second semestre à Poudlard. Mais rien de tout cela n'eut lieu cette année. Le nombre de décrets empêchait les étudiants de se regrouper à plus de trois personnes et ils avaient seulement le droit de discuter du contenu de leurs cours dans les couloirs de l'école.

Les nouvelles résolutions d'Ombrage consistèrent à améliorer sa destruction méthodique de tout ce qui faisait que Poudlard était un endroit à part. Mais Harry était déterminé à ne pas se laisser abattre. Tous les élèves qui avaient pris l'habitude de lui adresser des commentaires désobligeants, dans son dos ou non, eurent la surprise de se faire reprendre par Harry. Il soutenait chacun des regards qu'on lui lançait avec défiance. C'était épuisant mais Ron et Hermione lui étaient d'un grand secours. Ses efforts furent récompensés lorsqu'il commença à entendre des élèves reprendre ceux qui se comportaient mal avec lui. C'était rare, mais suffisant pour le regonfler à bloc.

Il hésita plusieurs jours avant de retourner dans la Chambre des Secrets. Il avait réussi à relâcher discrètement le Basilic dans le passage derrière le miroir du quatrième étage pour qu'il emporte l'Horcruxe à l'abri de la Chambre, mais il n'était pas encore prêt à affronter Tom.

Le garçon lui avait demander pardon, mais Harry n'était pas encore certain de pouvoir l'accorder.

Le premier samedi du mois, il se retrouva dans le bureau du directeur qui lui montra le souvenir d'Ogden au sujet de l'arrestation de Marvolo et Morfin Gaunt. Harry reconnu la clairière dans laquelle le serpent avait trouvé l'anneau.

Lorsqu'il sorti de la Pensive, son cœur était lourd. Tom n'avait pas menti. Sa mère, une femme brisée par une famille détestable, avait séduit un homme qui ne la désirait même pas. Les Gaunts étaient pires que tout ce que Harry avait pu imaginer.

'N'es-tu pas intéressé par ce qui a pu se passer ensuite?' Demanda Dumbledore surprit du silence de Harry. Il avait pensé que le souvenir susciterait de nombreuses questions chez le garçon.

'À dire vrai, je ne suis pas sûr de la raison pour laquelle vous me montrez ces souvenirs,' répondit Harry. 'Je comprends que l'on analyse le passé de Voldemort, mais celui de la famille qu'il n'a jamais connu? Je ne vois pas trop en quoi ça pourrait nous être utile.'

Dumbledore l'étudia par-dessus ses lunettes et choisit soigneusement ses mots avant de lui répondre.

'Que nous en soyons conscients ou non, la famille est importante, Harry. Les personnes qu'étaient nos ancêtres nous façonnent. Apprendre leur passé peut nous révéler bien des surprises au sujet de qui nous sommes vraiment. Je ne dis pas qu'il est impossible de se détourner du destin que notre famille a tracé pour nous, mais cela requiert une détermination et une force d'esprit considérables.' Dumbledore fit une pause pour laisser le temps à Harry d'absorber ses mots. 'Lors de ta deuxième année, tu m'as parlé des similitudes que tu avais remarqué entre Tom et toi. Et d'une certaine manière tu avais raison. Comme toi, il n'a jamais connu sa famille et est entré dans le monde des Sorciers au même âge que toi. Aussi… il serait faux de dire que les Moldus auxquels il avait été confié l'ont bien traité. Mais il y a une différence fondamentale qui vous sépare. Peux-tu deviner laquelle?'

Bien sûr qu'il savait ce que Dumbledore sous-entendait. Il l'avait deviné lui-même lors de ses échanges avec Tom. Ses parents l'avaient abandonné quand ceux de Harry avaient été assassinés.

'Mes parents m'aimaient.'

'Exactement,' répondit Dumbledore satisfait de la réponse du garçon. 'Tu était voulu et tu l'es encore. Tu sais ce qu'est l'amour. Tom, lui, ne l'a jamais su.' Dumbledore revint vers sa Pensive et contempla le liquide translucide qui flottait dedans. 'Je me demande parfois à quel point les choses auraient pu être différentes si je l'avais trouvé plus tôt. Le pouvoir de la famille sur ses membres est trop souvent sous-estimé. On peut l'ignorer, voire même lui échapper, mais un jour ou l'autre nous devons tous l'affronter.' Il se retourna vers Harry. 'C'est pour cela que ces souvenirs sont aussi importants, Harry. En comprenant d'où vient Voldemort, nous pourront comprendre l'homme qu'il devenu et les décisions qui l'ont amené sur la voie des Ténèbres.'

'Est-ce-que vous pensez que c'est possible de regretter ce genre de décision?' Demanda Harry soudainement très intéressé. 'Pensez que quelqu'un puisse sincèrement regretter des décisions qui ont causé des choses horribles… comme la mort d'innocents?'

'Oui…' Répondit Dumbledore d'une voix si grave qu'elle surpris Harry. Le regard du directeur se fit soudainement très lointain comme si un voile était tombé sur ses yeux. 'Les gens peuvent parfois se rendre compte trop tard à quel point ils avaient tort. Et une fois que le tort est fait, seuls les regrets restent.' Ils leva ses yeux vers Harry et se racla la gorge. 'Mais en ce qui concerne Voldemort, j'ai bien peur que cela ne soit plus de l'ordre du possible.'

Harry resta immobile quelques secondes alors que la Gargouille refermait le passage derrière lui. Dumbledore n'avait jamais semblé aussi vieux et triste. Il savait que des sorciers comme lui devaient posséder de terribles secrets. Mais il n'avait jamais imaginé que cela puisse être à ce point. Il réalisa qu'il ne pouvait pas rester indéfiniment devant la Gargouille. Avec tous les élèves patrouillant les couloirs pour le compte d'Ombrage, il était dangereux d'y rester seul trop longtemps. Il jeta un coup d'œil sur sa droite et sa gauche.

'Revelio Hominem,' pensa-t-il.

La voix était libre. Il sortit sa Cape d'Invisibilité de son sac et prit la direction des toilettes des filles au second étage.

L'air froid familier de la Chambre l'accueilli dès qu'il pénétra dans le tunnel. Il atteignit la statue de Salazar et chercha Tom du regard. Le garçon se trouvait à côté des restes de son Basilic et semblait plongé dans ses pensées.

'Qu'est ce que tu voulais dire quand tu disais que tu étais désolé du mal que m'avais fait?' Demanda Harry d'une voix forte. 'De quoi parlais-tu au juste?'

Il vit les épaules de Tom se soulever et ne plus bouger pendant plusieurs secondes. Enfin, le jeun homme se tourna vers lui.

'Dumbledore a toujours été le grand défenseur de l'idée que nous avons toujours un choix offert à nous,' commença-t-il. 'Bien que cela soit peut-être vrai, je n'ai jamais eu l'impression d'avoir beaucoup d'options dans ma vie.' Il plongea son regard dans celui de Harry. 'Quels sont supposés être les rêves d'un enfant qui n'a jamais connu que de la cruauté envers lui?'

Harry resta silencieux.

'Mon rêve à moi était de prendre ma revanche,' reprit Tom. 'Je pensais que si je pouvais montrer aux autres qui j'étais vraiment… si je pouvais montrer au Monde à quel point j'étais puissant, alors il me laisserait en paix. Mais pour être sûr que personne ne songe même à lever la main sur moi, il fallait que je devienne le sorcier le plus puissant de tous les temps. Je devais devenir invincible.' Ses yeux étincelèrent. 'Je n'avais rien d'autre… Mais la vérité est que je ne me suis jamais permis d'avoir quoique ce soit d'autre. J'étais convaincu d'être meilleur. Ma lignée avait peut-être été corrompue par mon père, je restais l'unique Héritier de Serpentard.' La souffrance teinta sa voix. 'J'ai été si aveugle. Lorsque j'ai volé ma première vie humaine, j'étais trop concentré sur la création de mon premier Horcruxe pour me rendre compte de ce je faisais. En prenant ma seconde vie, celle de mon père, je n'ai ressenti rien d'autre que le plaisir de la vengeance en voyant la dernière lueur d'espoir s'éteindre dans son regard. Mais j'avais déjà ôté deux fragments de mon âme et je ne me suis jamais arrêté avant qu'il ne soit trop tard.'

Il reprit son souffle. Pouvoir enfin s'exprimer était épuisant.

'Lorsque je te dis que suis désolé,' dit-il enfin, 'c'est de ça dont je parle. Je suis désolé de ne pas avoir réussi à voir au-delà de mon désir de vengeance. Je suis désolé d'avoir laissé mes émotions me dicter ma conduite. Je suis sincèrement désolé de n'avoir jamais pensé que je pouvais infliger aux autres les mêmes peines dont j'avais souffert enfant.'

Le fier garçon arrogant qui avait émergé de l'anneau n'était plus que l'ombre de lui-même.

'Pensais-tu que cela t'apporterait la paix?'

'Je sais que cela peut ressembler à du délire. J'ai commencé une guerre pour obtenir la paix, ricana Tom amèrement. 'Et de ce que j'ai compris, je suis sur le point de recommencer. J'imagine que je n'apprendrai donc jamais.'

'Ce n'est pas toi qui commences une guerre,' répondit Harry d'une voix douce. 'C'est Voldemort. Et tu n'es pas lui. Tu ne l'as jamais été. Tu as pris les décisions qui ont mené à la création de ce monstre, mais Tom Jedusor n'est pas Voldemort.'

Tom leva un sourcil.

'Comment peux-tu en être aussi sûr?' Demanda-t-il.

'Pour commencer, Voldemort ne se serait jamais excusé auprès de moi,' dit Harry. 'Il aurait été bien trop occupé à essayer de me tuer,' ajouta-t-il avec un sourire triste. 'Je ne suis pas sûr d'être capable de pardonner le sorcier qui a assassiné mes parents. Mais toi… toi je peux te pardonner.'

Les yeux de Tom s'écarquillèrent.

'Tu…'

'Crois-moi,' dit Harry qui souriait toujours. 'Je comprends parfaitement ce que ça fait de ressentir une haine et une rage telles que l'on ait envie de tout détruire.' Il jeta un coup d'œil à la statue qu'il avait fait exploser quelques mois auparavant. 'Je comprends que l'on ait envie d'infliger une douleur si forte à son persécuteur qu'il puisse en oublier jusqu'à leur nom.' Il tourna son regard à nouveau vers Tom. 'Et je sais à quel point il est tentant de faire taire quelqu'un à jamais.'

'Alors pourquoi tu ne le fais pas?'

'Parce que ça n'en vaut pas la peine,' répondit Harry calmement. 'Perdre ses amis, ceux que l'on aime, c'est comme se perdre soi-même. À la fin, on se retrouve seul. Et personne ne mérite d'être seul.'

Tom acquiesça silencieusement. Il n'y avait rien d'autres à ajouter. Harry se tourna vers la statue blanche et appela son Basilic. Le serpent, en le voyant, se rua vers lui.

'C'est quand même très étrange que tu ne sois pas un Serpentard,' dis Tom en regardant le Basilic.

'Tu dis ça parce que les serpents m'aiment bien? N'oublies pas que je ne suis qu'un Horcruxe de l'Héritier de Serpentard.'

Tom sourit et secoua sa tête.

'Ce n'est pas que ça. Tu as beaucoup de talents que ma Maison estime.'

'C'est vrai,' dit Harry en flattant le cou du serpent. 'On me l'a déjà dit plusieurs fois.'

Le Basilic donna le médaillon à Harry avant de se diriger vers les canalisations. Il avait faim.

'Où as-tu trouvé celui-là?' Demanda Tom en fronçant ses sourcils.

'Un elfe me l'a donné,' répondit Harry d'un ton dégagé.

Tom prit un air perplexe avant de sourire brièvement.

'Il a donc fini par me trahir,' murmura-t-il comme pour lui-même. Il s'adressa à nouveau à Harry. 'Et que compte tu en faire?'

Harry s'assit, regarda pensivement les ombres tournoyantes du médaillon.

'Je ne sais pas trop. Je ne pense pas que j'aurai la force d'avoir la discussion que j'ai eu avec toi avec tous les Horcruxes,' Harry dit en souriant d'un air malicieux.

Tom s'approcha pour s'asseoir à côté de lui.

'Tu ne veux pas les détruire?'

'Je le pourrais,' dit Harry. 'Mettons que je trouve un moyen de tous les localiser et je j'ailles les chercher et les détruire ensuite. Et si je ne suis pas encore mort à ce moment, mettons que je pousse la stupidité jusqu'à aller le défier et imaginons-même que je le tue sur un malentendu… et par une chance insolente,' dit-il presque en riant en se souvenant des mots de McGonagall lorsqu'elle avait découvert qu'ils s'étaient précipités à la rencontre d'un troll. 'Et après?' Demanda-t-il en posant le médaillon sur la margelle de la fontaine et en se tournant vers Tom.

'Que dirais-tu de d'essayer d'abord de les rassembler?' Demanda Tom comme s'il proposait quelque chose d'aussi trivial qu'une sortie dans le parc.

'Pardon?'

'Ne me regarde pas comme ça!' S'esclaffa Tom. 'Je suis très sérieux.'

'Et que proposes tu concrètement alors?' Demanda Harry d'un ton méfiant.

'Je suis un Horcruxe,' répondit Tom en souriant, 'mais contrairement à toi je ne suis pas logé dans une tête de mule de quinze ans qui a essayé d'expliquer au futur Lord Voldemort comment le monde fonctionnait. Ce qui veut dire que mon lien avec les autres Horcruxes est clair et non troublé par des pensées extérieures. Je ne me souviens peut-être pas exactement de toute ma vie entre le moment où j'ai modifié la bague et ma chute, mais il y a des souvenirs plus vivides que d'autres.'

'Attends, tu es en train de me dire que tu connais le nombre d'Horcruxes à détruire et que tu accepte de me révéler où ils se trouvent?' Demanda Harry d'une voix blanche.

'Précisément,' sourit Tom.