Si je vous revois un jour

Quand Albus Dumbledore referma la porte de la chambre de Harry derrière lui, il ne s'éloigna pas immédiatement. Harry gardait précieusement son secret. Il ne lui avait jamais dit pourquoi il avait visité la Chambre des Secrets aussi souvent, ni pourquoi il était parti de Poudlard sans prévenir. Il n'avait rien dit au sujet de son voyage si proche de la frontière et avait tenté de cacher le mystérieux bracelet d'argent autour de son avant-bras gauche. Dumbledore l'avait remarqué tandis qu'il soignait les plaies de Harry et l'avait immédiatement reconnu. Ce bracelet avait appartenu à Salazar Serpentard. Il avait été forgé et ciselé par le fondateur lui-même et la légende était catégorique quant au fait qu'il l'avait conservé dans sa mort. Il n'avait jamais été retrouvé. Que faisait-il alors sur l'avant-bras de Harry?

Il soupira et se retira dans ses appartements. Tant de décisions qui avaient mal tournées. Il ne pouvait pas changer le passé, et pour la seconde fois de sa vie, il n'avait presque aucune idée de ce qu'il pouvait faire concernant l'avenir. Au moins, la dernière fois, il avait immédiatement été dans le duel tragique à trois qui avait entraîné la mort de sa sœur. Mais là, il devait attendre, et ça le rendait fou. Aurait-il pu vraiment faire de meilleurs choix concernant Harry? Aurait-il dû abandonner Poudlard et partir à la recherche du garçon?

Tant de questions et pas l'ombre d'une réponse.


La brulure était maintenant une douleur atroce qui transperçait le front de Harry. C'était comme si sa tête se faisait scier en deux. Il bloqua le hurlement glacé dans sa gorge. Il sentait la rage et la peur se déverser dans ses veines comme jamais auparavant. Il ne pouvait pas réfléchir et ses pensées étaient irrationnelles. C'était trop et il était sur le point de craquer.

Cependant, il se força à rester calme. Tremblant sur le sol, il se concentra sur la douleur. Qu'il avait-il au-delà?

De la peur, de la colère… un étrange sentiment d'urgence… Et cette sensation d'impuissance totale. Quelque chose de précieux lui avait été ôté et cela l'enrageait. Mais il y avait quelque chose d'autre d'infiniment plus précieux qui était en train de ce faire détruire à son insu. Et cela le terrifiait.

Les yeux de Harry s'écarquillèrent. En s'échappant des Mangemorts, il avait dû abandonner son camp dans la précipitation. Il y avait laissé sa tente, mais aussi la Coupe brisée de Poufsouffle. Ce qui voulait dire que Voldemort avait dû la trouver et maintenant il savait. Harry avait été repéré par ses forces dans Brocéliande, et il n'était, de fait, pas compliqué de comprendre qu'il avait dû utiliser Bellatrix pour accéder à son coffre et obtenir la Coupe avant de la rendre complètement amnésique.

Harry dirigea sa concentration sur sa respiration. Il avait récupéré les informations dont il avait besoin, il devait maintenant reprendre le contrôle de son esprit. Il respira lentement et profondément.

Il se remit péniblement sur ses pieds et tituba jusqu'à l'un des deux fauteuils. Il prit quelques minutes pour se calmer et clarifier le flux de ses pensées. Maintenant qu'il avait les informations, il devait y réfléchir.

Voldemort avait donc découvert que Harry était sur la piste de ses Horcruxes. Et cela le faisait paniquer. Il ne s'était pas attendu à ce que Harry riposte, mais Voldemort n'était pas le genre de personne à se laisser marcher dessus. Harry pouvait sentir qu'il était sur le point de faire quelque chose d'aussi imprudent qu'irréfléchi. Quelque chose que certains pouvaient même qualifier de stupide. Harry avait prévu cette réaction et cela le fit sourire.

Un Gryffondor avait patiemment attendu le moment le plus propice pour sa frappe, la rendant aussi précise que dévastatrice. Un Serpentard avait été pris par surprise et s'apprêtait à contre-attaquer sans prendre le temps d'évaluer la situation ou d'établir une stratégie efficace.

Un monde à l'envers.

Harry aurait pu s'en réjouir si cela ne voulait pas dire que Poudlard était maintenant en danger. Voldemort rassemblait ses forces, déclenchant toutes ses alliances, pour marcher sur l'école. D'après ce que Hagrid lui avait dit en décembre, il n'était pas sûr que l'Ordre ait été aussi fructueux dans ce domaine.

La panique traversa son corps comme un électrochoc. Il était le seul au courant du plan de Voldemort et il devait en avertir Dumbledore. Mais s'il le faisait, le directeur de Poudlard voudrait légitimement savoir pourquoi son école était en danger. Harry devrait alors tout lui confesser. Il n'était pas en mesure de prédire ce que Dumbledore ferait alors.

Mais ce qu'il savait, c'est que sauver Tom serait alors impossible. Et sauver Tom, sauver Voldemort, était l'unique chance de survie de Harry.

Il laissa s'échapper une exclamation et enfouit sa tête dans ses mains.

Il y avait tant à faire et si peu de temps!

Ok, chaque chose en son temps. Nagini. Il devait d'abord tuer Nagini.

'Professeur Dumbledore?' Dit-t-il à voix haute.

Un léger craquement derrière lui indiqua que le directeur avait répondu à son appel.

Dumbledore transplana dans son salon. Entendre le garçon l'appeler avait été un réel soulagement pour lui. En partant de la chambre de Harry, il avait en effet pensé qu'il ne le reverrait plus. Harry était assis sur l'un de ses fauteuils, et le mouvement de tête qu'il fit lorsqu'il arriva lui confirma que le garçon l'avait entendu. Il s'approcha du second fauteuil et s'assit dedans, sans un mot. Il avait participé à suffisamment de réunion dans sa vie pour savoir que ce qu'il était sur le point d'apprendre requérait d'être assis.

'Vous avez raison,' commença Harry. 'Il y a quelque chose que je vous ai caché. Et je suppose que vous connaissez déjà la nature de ce secret.'

Il jeta un coup d'œil au vieux sorcier qui acquiesça. Le regard bleu n'était ni inquisiteur ni perçant. Ils reflétaient patience et attention. Harry continua.

'Peu avant Noël j'ai trouvé la raison pour laquelle Voldemort avait survécu il y a maintenant quinze ans. Je ne veux pas vous mentir, professeur, et pour être honnête je ne suis pas sûr que j'en serais capable. Aussi, je vous demanderai de ne pas me questionner sur la source de mes informations.'

Dumbledore eut un sourire bref et acquiesça à nouveau. Toujours silencieux. Toujours attentif. Harry prit une grande inspiration.

'Il a survécu grâce à ses Horcruxes.'

Dumbledore ne réagit pas, mais Harry sentit l'atmosphère s'alourdir sensiblement. Les yeux du directeur étaient maintenant graves.

'C'est ce que tu fais depuis janvier, n'est ce pas? Tu les cherche,' demanda Dumbledore d'un air concentré.

'Oui, professeur,' répondit Harry. 'J'avais déjà commencé lorsque j'étais encore à Poudlard, mais pour ceux qui restaient j'avais besoin de partir.'

'Tu as dû avoir tes raisons de ne rien me dire,' reprit Dumbledore. 'Je serais reconnaissant si tu pouvais m'éclairer à ce sujet.'

'Lorsque Voldemort m'a possédé,' soupira Harry, 'vous m'avez dit que dorénavant vous me soutiendriez, quoiqu'il arrive.'

'Tu ne m'as pas cru,' murmura Dumbledore avec tristesse.

'Bien au contraire, je vous ai cru… Et je continue de vous croire. C'est pour cela que je vous ai caché ce secret. Je savais que tôt ou tard Voldemort finirait par comprendre ce que je faisais et qu'à ce moment, il essaierait de me trouver. Si je vous avais averti au sujet des Horcruxes, Poudlard aurait été sans défense car je sais que vous auriez insisté pour m'accompagner.'

'Ai-je raison de penser que si tu me dis tout cela aujourd'hui, c'est parce qu'il a comprit ce que tu as fait?'

Harry acquiesça, soutenant le regard bleu clair du directeur.

'De combien de temps disposons nous?' Demanda Dumbledore calmement.

'Je ne suis pas sûr. Il vient à peine de s'en rendre compte,' répondit Harry. 'Vous êtes plus au fait que moi sur l'état de ses forces,' ajouta-t-il avec une pointe d'amertume dans la voix.

Dumbledore observa quelques secondes les braises mourantes dans l'âtre.

'Herriott?' Appela-t-il enfin.

'Hmmm oui?' Un petit portrait accroché au-dessus de l'une des bibliothèques se réveillait. 'Monsieur le directeur, que puis-je faire pour vous?'

'Il est en chemin vers Poudlard, vous savez quoi faire.'

'Bien sûr, monsieur le directeur,' répondit le portrait d'une voix grave. Il ouvrit la porte peinte derrière lui et quitta son tableau.

Une fois qu'il fut parti, Dumbledore se tourna à nouveau vers Harry.

'Combien en as-tu détruit et combien en reste-t-il?'

'J'en ai détruit cinq,' dit-il en regardant Dumbledore. 'Il ne m'en reste plus qu'un après il sera mortel à nouveau.'

Ce n'était pas un mensonge... C'était juste une partie de la vérité présentée de telle manière que Dumbledore ne l'empêcherait pas de poursuivre son objectif. Le vieux sorcier ne pouvait pas savoir que Harry tenterait de sauver Tom avant de combattre Voldemort. Et il ne pouvait pas non plus savoir que si Harry échouait dans sa mission, il devrait probablement mourir.

Mais si cela devait arriver, il ne resterait plus que Voldemort et Harry savait que Dumbledore serait en mesure de le vaincre. Le monde des Sorciers serait alors libéré de ce tyran. Si Harry échouait, il ne connaîtrait jamais ce monde, mais savoir que les gens qu'il aimaient le pourraient était suffisant pour lui.

'J'aurais tellement aimé que tu ne sois pas seul dans cette épreuve,' dit Dumbledore, brisant le silence qui s'était installé. 'Mais je peux faire en sorte que tu ne le sois pas à la fin.'

Harry ne répondit pas tout de suite. Il n'avait pas été seul, mais ça non plus, Dumbledore ne pouvait pas le savoir. Cela dit, Harry aurait en effet souhaité que le sorcier l'accompagne. Il aurait tant aimé ne pas être celui qui avait dû prendre les terribles décisions des derniers mois. Et il ne voulait pas être celui qui prendrait celles à venir.

'J'aurais aimé ne jamais avoir à traverser cette épreuve,' répondit finalement Harry avec un sourire triste. Il se leva et se dirigea vers les escaliers. Avant de franchir la porte, il se tourna vers le fauteuil rouge dans lequel le directeur était encore assis. 'Je voulais vous remercier, professeur, de m'avoir caché la Prophétie si longtemps. Merci de m'avoir laissé avoir une vie aussi normale que possible avant que je ne doive l'affronter.'

'Tu parles comme si tu ne pensais pas pouvoir t'en sortir,' dit Dumbledore en tournant sa tête vers le garçon. Il n'avait jamais vu un regard si blasé chez un garçon si jeune.

'Je dois considérer toutes les éventualités,' répondit Harry d'une voix fatiguée. 'Je voulais juste vous dire que, finalement, vous n'avez pas eu aussi tort que vous le pensez. Je vous pardonne.'

'Alors laisse moi t'aider,' dit Dumbledore en se levant.

'Non,' le ton était ferme.

Le directeur observa Harry quelques secondes et posa enfin la question à laquelle il n'était pas sûr de vouloir entendre la réponse.

'Harry, as-tu confiance en moi?'

Le regard vert plongea dans le bleu.

'C'était le cas et j'aimerais beaucoup que ce le soit encore,' répondit calmement Harry. 'J'aurais aimé être un enfant normal qui admire son directeur et ses professeurs, mais… le destin en a décidé autrement.' Il sourit et Dumbledore aperçu un bref instant le garçon plein d'espoir qui venait d'être placé à Gryffondor. 'J'espère sincèrement qu'un jour je pourrais m'asseoir dans votre bureau face à vous et que je pourrais vous raconter tout ce qu'il s'est passé, comme je l'ai fait, année après année, depuis que je suis arrivé à Poudlard.' Il s'abîma un court instant dans la perspective d'un tel jour et son sourire devint rêveur. Son regard se durcit à nouveau. 'Et j'espère que ce jour là, vous saurez en faire autant.'