Une Dernière Chance

Ils empruntèrent le chemin en pente douce qui les ramenait vers Poudlard. En quittant la forêt, l'école émergea à l'horizon, et la même émotion qu'avait ressenti Harry sur le bateau la première fois qu'il l'avait vu le saisi. Poudlard était intacte. Poudlard était en sécurité.

Supra les quitta dès qu'ils traversèrent les portes gardant l'entrée du château. Harry avait pris soin de lui appliquer le Charme de Désillusion au cas où il croise ceux qui étaient restés en arrière pendant son retour dans la Chambre. Ils se dirigèrent silencieusement vers le bureau du directeur. Harry était physiquement épuisé et ses jambes menaçaient de le lâcher à tout moment. Alors qu'il était sur le point de s'effondrer, les bras du directeur le rattrapèrent à temps. Harry sentit une chaleur apaisante l'envahir et il grimpa les escaliers menants au bureau avec le support de Dumbledore. Sans un mot, Dumbledore le mena à l'un des fauteuils faisait face à son bureau et fit apparaître une théière fumante et un plateau de biscuit. Il n'a pas eu besoin d'y regarder à deux fois pour voir que Harry avait traversé plusieurs périodes de famine au cours des dernières semaines. Et en effet, le garçon était affamé.

Au lieu d'aller de l'autre côté du bureau, comme il l'aurait fait en temps normal, il s'installa sur le second fauteuil en face de celui de Harry. Il posa sa baguette à sa place habituelle sur son bureau et croisa ses doigts, attendant que Harry soit prêt. Ils avaient maintenant tout le temps du monde et personne ne viendrait les déranger.

Harry finit son thé et s'adossa au dos de son fauteuil laissant sa tête se reposer contre. Il était si moelleux qu'il aurait pu s'endormir immédiatement. Mais il avait encore quelque chose à faire avant de pouvoir se reposer. Il regarda Dumbledore dont le regard reflétait la même patience et douceur que dans la Forêt. Harry respira profondément et posa sur le bureau la bague brisée des Gaunts et sa Cape d'Invisibilité. Son regard s'égara quelques instants sur l'anneau et il ne vit pas que Dumbledore venait de se figer en voyant les trois artefacts qui siégeaient en ce moment sur son bureau. Le directeur ferma brièvement ses yeux, repoussant la tentation loin de lui. Il ne faillirait plus Harry. Il ne briserait pas le peu de confiance que le garçon avait encore en lui. Il tourna à nouveau son regard vers Harry et fut surpris de le voir regarder la bague aussi intensément. Mais ce n'était pas de la convoitise qu'il pouvait observer dans le regard du jeune homme. C'était de la tristesse. Harry n'avait aucune idée du précieux trésor qu'il avait porté avec lui pendant tout ce temps.

'Il y a tant de choses que je souhaite dire,' dit enfin Harry, 'que je ne sais pas par laquelle commencer.' Il tourna son regard vers Dumbledore. 'Je ne suis pas fier de tout ce que j'ai fait, mais je ne regrette rien,' ajouta-t-il sur un air de défi.

'Tout va bien, Harry,' dit Dumbledore d'une voix douce. 'Tu n'as pas besoin de le faire ce soir…'

'Si, je dois le faire,' répondit brutalement en le coupant. 'J'en ai besoin. J'ai besoin que vous compreniez.'

Il se tut quelques secondes, rassemblant ses pensées, et commença son récit de la même manière qu'il avait commencé tous les autres récits dans ce bureau au cours de ses années à Poudlard. Comment de petites décisions avaient entrainé de plus grandes conséquences. Il parla de la solitude qu'il avait ressenti au début de l'année. Cette insoutenable impression d'avoir été abandonné. L'insupportable sensation d'être une proie, un petit pion dans un jeu dont il ignorait les règles. Ce désir de se révolter qu'il avait dû refouler. Et enfin, cette envie de vengeance contre ceux qui le traitait de menteur qui l'avait rongée jour après jour.

Et puis, une nuit, il s'était retrouvé dans un endroit qu'il n'aurait jamais penser revisiter un jour. Il y avait une rencontre inattendue. Il leva son avant-bras et tira la manche déchirée pour révéler le bracelet d'argent. Le serpent brilla sous la lumière des chandelles. Dumbledore acquiesça, silencieux. Ce n'était pas le moment de poser des questions. Il devait laisser le garçon parler.

'Je me sentais si seul,' reprit Harry, le regard brillant. 'Je ne comprenais pas ce qu'il se passait, mais je savais que je devrais un jour l'affronter à nouveau. Je devais être prêt et je n'avais que le choix de passer un marché avec Serpentard.'

Il parla des interminables nuits d'entrainement, où il avait affiné ses compétences, découvrant de nouvelles manières d'utiliser sa magie. Tout ce savoir qui lui était offert en échange d'une vie. Celle de Tom Jedusor. Il parla de ses doutes ainsi que l'aide la plus imprévisible qu'il ait pu recevoir de sa vie. Celle du fondateur et de son Basilic. Un don de Salazar qui était rapidement devenu son ami.

Il avait fini par apprendre le plus noir des secrets de Voldemort. Ses Horcruxes. Il se tut quelques secondes et reprit son souffle. Il se souvenait à quel point il s'était senti impuissant.

'Pourquoi n'es-tu pas venu me voir?' Demanda Dumbledore qui ne pouvait plus s'en empêcher.

'J'y ai pensé,' répondit Harry. 'Plusieurs fois. Mais j'avais promis, et si je vous impliquais… Je ne suis pas sûr que m'auriez aidé.' Sa voix trembla mais il ne bégaya pas.

La révélation fit l'effet d'un coup de poignard dans le cœur de Dumbledore. Il savait qu'il avait perdu la confiance du garçon. Il ne savait pas qu'il l'avait perdu si tôt.

'De plus,' reprit Harry d'une voix fatiguée, 'je venait juste de vous attaquer. Je ne savais pas de quoi j'étais capable en présence des membres de l'Ordre, ou de la vôtre.' Il se tut quelques secondes avant d'ajouter : 'Je crois que je ne me faisais tout simplement pas confiance.'

'C'est pour ça que tu as quitté Poudlard?' Demanda Dumbledore. 'Tu ne voulais pas que je sois en travers de ta route.'

'D'une certaine manière,' admis Harry. 'Après vous avoir attaqué, j'avais tellement honte de moi.'

'Harry il n'y a pas de honte à avoir…'

'À être possédé par Voldemort?' Finit Harry sur un ton agressif. 'Vous ne comprenez donc pas !?' S'écria-t-il en se levant. Il commença à faire nerveusement le tour du bureau comme un fauve en cage. 'Tout ce que je voulais c'était me rendre utile dans une guerre dont je n'avais même pas conscience. Je voulais juste arrêter d'être une proie, un fardeau…'

'Tu n'as jamais été de telles choses, Harry!' Intervint Dumbledore.

'Mais on s'en fiche de ce que j'étais!' Hurla Harry en retour. 'Je vous parles de ce que je pensais que j'étais. J'essaie de vous expliquer comment je me sentais!' Des larmes de rages lui brulaient les joues et il les essuya furieusement. 'Je ne suis pas un traître,' ajouta-t-il d'une voix brisée. 'Je ne me suis pas échappé. Je n'ai jamais voulu vous fuir.' Sa voix n'était plus qu'un murmure. 'Je n'ai jamais voulu vous trahir.'

'Je le sais, Harry,' dit Dumbledore en se levant à son tour.

Harry le regarda avec méfiance.

'Dans cette pièce,' dit Dumbledore à voix basse, 'il n'y a qu'une personne ayant trahit l'autre. Je suis cette personne, Harry.' Les yeux du garçon étaient fixés sur lui et quelque chose s'alluma dans son regard. Quelque chose que Dumbledore n'aurait jamais espéré revoir. 'Je n'aurais pas dû me comporter comme un lâche. J'aurais dû être là pour toi. Si j'avais pris de meilleures décisions, si je n'avais pas tenté de te cacher la vérité, j'aurais pu t'aider. Tu n'aurais jamais dû être seul dans cette épreuve.'

'Vous vouliez juste m'épargner,' murmura Harry.

'J'ai le don d'élaborer les stratégies les plus efficaces. Et à cause de ça je n'ai jamais laissé quiconque m'aider dans mes raisonnements. J'ai perdu l'habitude de les partager. Depuis…' Dumbledore s'interrompit et il soupira. Lorsqu'il reprit la parole, sa voix était plus ferme. 'Je peux maintenant dire que j'ai fait preuve d'un déplorable manque de discernement. Et il s'agit de l'une des nombreuses excuses que je te dois, Harry.'

Ils se dévisagèrent pendant quelques secondes, puis Dumbledore vit le garçon se détendre et revenir s'asseoir.

'Tu as dit que l'attaque n'étais qu'une partie de la raison pour laquelle tu étais parti,' dit finalement Dumbledore avec précaution. 'Est-ce aussi parce que tu avais découvert que tu étais un Horcruxe?'

'Comment savez-vous…' Commença Harry.

'Il me reste quand une certaine capacité à réfléchir par moi-même,' répondit Dumbledore avec un sourire. 'Tu ne peux pas m'en vouloir de m'être inquiété pour toi pendant tout ce temps. Je dois dire que j'ai élaboré plusieurs hypothèses dans l'espoir de te venir en aide à temps. Lorsque tu m'as parlé des Horcruxes, l'une d'entre elle a fini par se distinguer. Mais lorsque je l'ai finalement compris, il était déjà trop tard.'

'C'est exactement pour ça que je ne voulais rien vous dire,' dit Harry. 'Je savais que vous essaieriez de me rejoindre. Et je craignais que Voldemort ne vienne directement à Poudlard dès qu'il aurait découvert que je connaissais son secret. Je ne pouvais pas abandonner l'école. Poudlard est ma maison. Elle l'a toujours été. Je lui ai donc laissé son meilleur défenseur.'

Dumbledore acquiesça, touché par le compliment.

'Quant à moi,' reprit Harry, 'je savais qu'à cause de… ma condition, mes chances de survie étaient faibles. Je me suis rapidement aperçu à quel point mes options étaient limitées. Soit je réussissais à le sauver et je survivait, soit je mourrais. Il me fallait donc me débarrasser de ses Horcruxes au préalable. Ainsi, si j'échouais, il n'y aurait eu plus que lui.'

'Et as-tu réussi?' Demanda Dumbledore avec un étrange soupçon d'espoir dans sa voix. 'As-tu réussi à le sauver de son destin?'

'En quelque sort,' répondit Harry avec un faible sourire. 'Je crois qu'à la fin, il était enfin en paix avec lui-même.' Dumbledore le regarda d'un air interrogatif et Harry continua. 'Lorsque le Sortilège m'a frappé, j'ai d'abord cru que c'en était fini de moi.'

Il décrivit ensuite à Dumbledore l'étrange endroit dans lequel il s'était retrouvé, la créature immonde qu'il y avait trouvé, et l'homme mystérieux qu'il y avait rencontré.

'Voldemort?' Demanda Dumbledore.

'Tom Jedusor,' corrigea Harry. 'Dès qu'il m'a parlé, la créature a disparu de mes pensées. Nous avons… beaucoup discuté, lui et moi.' Son regard se fit lointain. 'Il a dit qu'il voulait demander pardon à ses parents. Donc je suppose qu'il finit par se détourner de ce qui faisait de lui Lord Voldemort. Je ne sais pas ce qu'il est advenu de lui par la suite. Mais j'ai choisi de revenir.'

Ses derniers mots étaient teintés d'amertume.

'Aurais-tu préféré rester là-bas?' Demanda Dumbledore qui avait remarqué le regret qui perçait dans la voix de Harry.

Harry ne répondit pas tout de suite, se remémorant la manière dont Tom l'avait convaincu de revenir. Une question surgit alors dans son esprit. Une question qu'il aurait dû se poser bien plus tôt que ça.

'Professeur,' commença Harry en ignorant la question précédente, 'pourquoi ai-je pu revenir?'

'Que veux-tu dire?'

'Comment se fait-il que j'aie eu le choix? Lorsque je suis mort, pourquoi suis-je arrivé dans cet endroit où il m'a été offert la possibilité de faire demi-tour?'

'Intéressante question,' répondit Dumbledore en souriant. 'Tu souviens-tu de ce qu'il s'est passé dans le cimetière lorsque Pettigrow a effectué le rituel?'

Harry fronça les sourcils en se rappelant du douloureux souvenir.

'Il a prit mon sang?' Demanda-t-il un peu incertain.

'Précisément,' dit Dumbledore. 'Voldemort a pris ton sang, pensant que cela le rendrait plus fort. Il a conservé en lui une partie infime de la protection que ta mère t'a prodigué quand elle est morte pour toi. Son corps a gardé vivant ce sacrifice et cette protection. Tant que Voldemort survivait, toi aussi.'

'Mais le sort a rebondi,' dit Harry. 'Il a été frappé par son propre Sortilège directement après moi. Ça ne colle pas.'

'Bien au contraire, Harry. Le temps est une chose mystérieuse par bien des égards, mais il est toujours précis. Voldemort était encore en vie quand tu as reçu le sort. Et même s'il l'a reçu peu de temps après toi, la protection était encore en place lorsque tu en as eu besoin.'

Harry resta silencieux en réfléchissant à ce que Dumbledore venait de lui expliquer. Il avait été tellement chanceux que s'en était insolent. Il se demanda s'il méritait cette chance. De la cour principale, ils entendirent une clameur enjouée alors que le ciel s'illuminait d'étincelles multicolores. Harry se leva lentement et s'approcha de la fenêtre pour observer ce qu'il se passait.

'On dirait que ton nom va être célébrer une nouvelle fois,' dit la voix paisible derrière lui.

'Ils pensent que je suis un héros comme la dernière fois,' dit Harry d'un ton monocorde. 'Et encore une fois ils se trompent.' Il se tourna vers Dumbledore qui réalisa que Harry n'avait jamais semblé aussi adulte qu'à ce moment-là. 'Je n'en ai jamais été un et ne le serai jamais.'

Dumbledore rejoignit Harry à côté de la fenêtre et admira le ciel à son tour. Les étincelles s'étaient presque toute éteintes.

'Je ne peux que deviner les épreuves que tu as dû traverser au cours des derniers mois, Harry. Un tel fardeau ne devrait jamais être celui d'un enfant.' Dit-il en tournant son regard vers Harry. 'Mais tu n'as jamais pu en être un. Ton enfance t'a été dérobée et je ne pourrai jamais me le pardonner.'

'Je sais,' dit Harry avant que le directeur ne puisse ajouter quoique ce soit. 'Mais ce n'est pas comme si cela changeait quoique ce soit, n'est-ce pas?'

La remarque était cruelle mais méritée, et Dumbledore en fut presque pétrifié. Harry se tourna finalement vers son directeur. Il lui avait exposé ses pensées les plus profondes et lui avait confié ce qu'il n'aurait jamais pu confier à personne d'autre. Il avait fait le premier pas vers la reconstruction de leur lien en prenant le risque de lui montrer sa vulnérabilité.

'Allez,' pensa Harry, 'laissez moi vous faire confiance à nouveau.'

Ils se dévisagèrent une nouvelle fois mais rien ne se passa. Dumbledore savait ce que le garçon attendait de lui. Il l'avait surpris d'une manière qu'il n'avait jamais pensé possible, et son esprit focalisé sur un souvenir lointain. Un espoir qu'il avait inconsciemment entretenu. Harry observa son directeur qui semblait plongé dans des pensées qui n'appartenaient qu'à lui, et ferma brièvement ses yeux. Il avait fait son possible.

'Vous ne montrez jamais vos émotions et cachez souvent ce que vous pensez réellement,' reprit Harry d'une voix blanche. 'Ce soir j'ai vu bien plus qu'en cinq ans à Poudlard, mais vous vous persistez à me maintenir loin de vous.' Il plongea son regard dans les yeux bleu clair. 'S'il y a une chose que j'ai appris dans tout ça, c'est que les gens ne naissent pas tels qu'ils sont, ils le deviennent.'

C'était presque imperceptible, mais Harry le vit. Dans les profondeurs de ses yeux, quelque chose vacilla. Dans cet esprit brillant et secret, un mur s'effondra. Le directeur de Poudlard détourna son regard mais resta silencieux. Harry attendit encore quelques minutes, et alors qu'il pensait avoir fait tout cela pour rien, la voix calme de Dumbledore brisa le silence.

'Une fois encore je dois te demander beaucoup, Harry, et je sais que tu es fatigué.'

'Pas du tout!' Répondit rapidement Harry avec soulagement,

'Alors que dirais-tu de faire un petit voyage ensemble?'