Chapitre 05

Rendez-vous en forêt

Mercredi 4 Novembre 1986. 15h37

Eddie ouvrit sa boîte de métal sur la table de bois qui sembla résonner dans toute la forêt. Chrissy avait ses sens à vif. Elle était à cran. Maintenant qu'elle y était, elle avait peur. Pas de ce garçon en particulier finalement, mais de tout le reste : la drogue qu'elle s'imaginait dans cette boîte, le fait que les autres pourraient la voir -quand bien même Eddie avait promis l'inverse : apparemment personne ne venait dans ce coin- … Si Alison où n'importe laquelle des filles la voyait ici, c'était fini.

Plus de place de capitaine. Plus de sport. Enfermée chez elle.

Ses mains devinrent moites.

Il ouvrit la boîte et la tourna vers elle, comme s'il avait l'habitude et il posant sa main gauche sous son menton. Chrissy, elle, était effondrée et n'avait aucune idée de quelle procédure suivre. Ce sentiment pénible de médiocrité lui revint en plein visage d'un seul coup de fouet.

Elle baissa ses yeux bleus vers ses genoux et n'osa pas regarder Eddie. Elle se sentait vraiment nulle.

« Bon euh… Et comment ça marche exactement ? »

Et elle releva les yeux vers le brun, des questions plein le visage. Déjà cette nouvelle odeur sous le nez. Est-ce que c'était son parfum à lui qu'elle sentait ? Où est-ce que c'était l'odeur de la weed ? Où tout mélangé ? Elle n'en savait rien et ne connaissait pas l'univers de la drogue en général. Pour ce qu'elle en savait, il pouvait tout autant lui vendre n'importe quelle plante séchée.

« Ooooh… Comme n'importe quel autre achat, sauf qu'on accepte que le cash. Et pour des raisons évidentes : pas de reçus. » plaisanta-t-il.

Chrissy ne savait pas où se mettre.

En fait elle ne savait pas quoi faire.

Elle sentait ses traits tirés et elle se sentait juste… épuisée.

Et surtout, elle savait. Elle se souvenait de ce que faisait le cannabis quand on le fumait : elle avait vu ce que ça avait fait sur les copains de Jason. Ils avaient déliré un peu, mais surtout, beaucoup, beaucoup mangé. Cette merde donnait les crocs. Mais cette merde lui permettrait de dormir.

Maintenant qu'elle était là, en face d'Eddie Munson et de sa drogue, elle n'était plus sûre de rien.

Elle n'avait jamais pris de drogue. Pas une fois. Jamais une cigarette. Jamais d'alcool. Surtout pas d'alcool. L'alcool faisait grossir, elle le savait. Et sa mère aussi.

Pendant qu'elle réfléchissait et hésitait sans cesse, Eddie s'impatienta et prit son paquet de marijuana dans la main, la faisant revenir brutalement sur terre.

« J'ai ce paquet de 15grammes pour 20 balles. Qu'est-ce que tu en dis ? Tu en as pour ton argent, et ça va te durer un moment. »

Un écureuil monta subitement à un arbre, faisant sursauter Chrissy particulièrement à cran. Eddie le vit. De toute manière on voyait son stress par tous les pores de la peau, c'était visible et anxiogène.

« Hey, euh. On n'a pas besoin de faire ça. » Lâcha-t-il « Demande le moi et je m'en vais okay ? » Eddie prit sa boîte à déjeuner en métal où il avait caché sa beuh et se prépara à partir.

Chrissy regretta immédiatement son hésitation et eut peur.

« Non, ce n'est pas ça… je ne veux pas que tu partes… »

Eddie fut surpris et attendit sagement devant cette jeune femme en détresse. La regardant étrangement. Il ne dit rien. Il pencha juste sa tête sur le côté, curieux de la suite.

« C'est juste que… »

Les mots restaient bloqués dans sa gorge. Elle buttait un peu sur quoi dire à ce garçon qu'elle avait rencontré hier.

« …As-tu déjà eu l'impression… de perdre la tête ? »

Quand elle prit son courage pour enfin le regarder, elle se trouva en face de deux obsidiennes qui semblaient étonnées.

« Huuuum. Tu sais… » Répond-t-il d'abord pas très sûr, se léchant la lèvre pour se l'humidifier. « Tous les jours. » termina Eddie en souriant de son sourire éclatant, faisant plisser ses joues. Il posa sa voix de manière très calme, d'une voix un peu nasillarde légèrement raillée. Elle se rattacha à sa voix pour ne pas sombrer.

« Je veux dire, j'ai déjà l'impression de perdre la tête à faire un échange de drogue avec Chrissy Cunningham, la reine du lycée Hawkins. » Cette même voix n'était pas méchante, ni moqueuse. Juste déconcertée et surement amusée par la situation. Puis il ajouta, peu sûr de lui :

« Tu sais… Ce n'est pas la première fois qu'on… » Eddie chercha son mot « Traine ensemble. »

« Ah bon ? » lâcha naturellement Chrissy étonnée.

« Tu t'en souviens pas ? »

Chrissy fit la moue et essaya vraiment de retrouver ses souvenirs. Mais rien ne lui vint. Elle hocha négativement la tête, se pinçant la lèvre inférieure.

« Je suis désolée, je… »

« C'est ok t'inquiète. » La coupa-t-il d'une voix posée. Le regard dans le vide.

Puis subitement Eddie mima le plantage d'un couteau en plein cœur, faisant sursauter Chrissy qui s'exclama de surprise en le voyant tomber par terre, puis se relever en s'exclamant :

« Je ne me serais pas souvenu de moi non plus Chrissy ! » S'exclama-il en se relevant et s'époussetant toutes les feuilles qui lui collaient aux habits d'une façon théâtrale. Ce qui fit rire la jeune fille complètement amusée par la réaction burlesque de ce garçon si étrange.

« Euh, honnêtement, j'ai des trucs dans les cheveux ou pas ? » Les cheveux bruns d'Eddie étaient longs et tombaient en boucles négligées au-dessus de ses épaules. En tombant tout à l'heure au sol, il devait sûrement avoir ramassé la moitié des feuilles séchées de la forêt dans sa crinière hirsute. Chrissy le vit donc avec des feuilles d'arbres partout sur le crâne et trouva la situation cocasse et rigola encore plus.

« Tu te souviens vraiment pas de moi ? » Plaisanta-t-il et en croisant les bras, faussement heurté.

« Je suis désolée ! » ricana Chrissy de sa voix toujours aussi mélodieuse, amusée par l'attitude clownesque d'Eddie.

« Au collège, spectacle de talents. Toi tu faisais ce truc que font les pom-pom girl tu sais, » et il mima les bras en l'air, faisant rire la jeune fille « tu sais, ce truc que tu fais. C'était assez cool d'ailleurs. Et j'étais avec mon groupe de musique… » raconta Eddie le visage tourné, les bras croisés.

« Corroded Coffin ! » s'exclama Chrissy, les souvenirs lui revenant en mémoire. Eddie applaudit et tourna sur lui-même, le sourire illuminant son visage, la pointant du doigt :

« Corro- Tu vois tu t'en souviens ! »

« Mais oui ! Oui bien sûr ! Avec un nom comme ça comment j'ai pu oublier ? » Chrissy était stupéfaite. Des souvenirs lui revenaient en flashs, et elle gardait ce sourire grâce à lui. Elle n'avait que très peu de souvenirs de son enfance.

« J'sais pas, tu es bizarre » lâcha moqueusement Eddie.

Chrissy ne sut quoi répondre sur le moment, mais elle avait bien compris qu'il aimait la taquiner. Elle ne savait pas quoi dire à ça.

« Non mais tu es juste… » Elle devint tout d'un coup plus sérieuse. « Tu sembles si… »

« Différent ? » la coupa-t-il encore. « Ouais, euh, hum. Mes cheveux étaient rasés et je n'avais pas encore ces bons vieux tattoos. » Montra-t-il fier de lui. Tirant sur le col de son tee-shirt pour montrer d'autres pièces ancrées sur la peau au niveau du torse.

« Tu joues de la guitare non ? » demanda Chrissy.

« Hum hum », confirma-t-il ravi, « C'est encore le cas. J'en fais encore. » Répéta-t-il en commençant à marcher, mettant ses mains dans les poches arrières de son jean. Il lui lâcha « tu devrais venir nous voir, on joue au Hideout les mardis. C'est super cool… On a même réussi à obtenir une foule de ciiinq… ivrognes. »

Chrissy rigola aux éclats encore une fois. Elle était tellement surprise et ravie. Elle aimait ses blagues. Depuis combien de temps n'avait-elle pas rit comme ça ?

Le garçon continua :

« Ce n'est pas vraiment le Garden, mais on commence bien quelque part, hein... » il se retourna et mit deux petits coup de poing dans un tronc d'arbre, sûrement gêné et déçu de ne pas avoir une plus grande scène, tournant le dos à Chrissy. Elle comprit ce sentiment et notifia d'ailleurs qu'il avait vraiment sa façon de bouger à lui.

Elle se sentait bien. Le fait qu'ils aient parlé tous les deux comme deux vieux amis lui avaient fait un bien fou. En fait, elle devait se l'avouer elle adorait les gens comme lui et Britney. Libres de penser et de dire ce que bon leur semblait et d'agir comme ils le voulaient. La liberté.

« Tu sais, je me faisais une autre idée de toi... »

« Tu veux dire méchant et effrayant ? » demanda Eddie se recouvrant le visage d'une mèche de ses cheveux.

« Oui » Admit-elle, toujours le sourire sur le visage.

« Ouais… » Répondit-il… « Ben je pensais aussi que tu étais effrayante et méchante. » Avoua-t-il en se rapprochant de la table, moqueur.

« Moi ? » demanda Chrissy de sa jolie voix douce et aiguë, amusée que ce grand garçon plus âgé ait pu la trouver flippante. Après tout, au début, elle n'avait même pas eu le courage de l'approcher en personne. Il avait fallu qu'elle pose un mot dans son casier.

« Terrifiante » dit-il moqueur avant de continuer, s'asseyant en face de Chrissy, reprenant sa boîte de métal pour la placer de nouveau sur la table. « Bon, la bonne nouvelle, c'est que la flatterie marche sur moi. Donc vingt-cinq pourcent de réduction pour le petit sac. Quinze balles. A ce prix-là tu me voles carrément tu sais » plaisanta-t-il, son sourire plissant la peau de ses joues.

Chrissy se sentit mal à l'aise. Elle savait quel problème elle rencontrerait avec du cannabis. Elle dormirait, mais devrait manger. Elle savait à quoi s'attendre, les joueurs lui avaient dit. Elle ne pouvait pas. Si sa mère la voyait manger… Mais quelque chose de plus fort…

Est-ce que quelque chose de plus fort n'aurait pas les mêmes effets sans la faire manger juste après ?

Elle baissa les yeux. Honteuse. Voilà. Ses insécurités revenaient au grand galop. Cette nullité était là, bien présente.

« Est- ce que tu as peut-être… Quelque chose de plus… fort ? » regarda-t-elle implorante les deux obsidiennes préoccupées d'Eddie. Ses longs doigts fins se tortillant sur sa jupe.

Celui-ci bougea de manière interrogative sa tête mais ne dis rien.

Il finit par s'avancer et réfléchit.

« Si. Il te le faudrait pour quand ? »

« Quand tu pourras » répondit elle.

« Non, tu n'as pas compris. Pour ça je dois forcément t'emmener chez moi. Alors ? Pour quand ? »