Chapitre 08
Discussion profonde
Mardi 10 Novembre 1986. 20h45
Britney se gara pas loin du Hideout. Déposant son amie quinze minutes avant le commencement du concert d'Edward Munson.
Britney regarda son amie avec attention : elle s'était surpassée.
Bon, la veste en jean était deux fois trop grande pour elle, mais une fois qu'elle l'enlèverait, elle ferait un malheur auprès de ces gars. Quel dommage que la Harpie -surnom fort sympathique pour la mère de Chrissy, qu'elle avait trouvé un peu plus tôt- détruise la confiance en soi de sa propre fille à petit feu.
Donc c'est elle qui s'en occuperait.
Elle lui redonnerait confiance en elle.
Chrissy portait sa chemise fleurie, dans les tons orangés, décolletée et nouée sur le ventre. Accompagnée d'un jean basique bleue clair un peu large et taille haute. Le tout cintré avec la ceinture en cuir marron. Ça la rendait encore plus mince qu'elle ne l'était. Elle espérait que son amie n'ait pas trop froid.
Britney l'avait maquillée avec des couleurs assorties. Elle n'était pas fan du bleu clair sur ses yeux et lui avait fait un smoky orangé. Chrissy lui avait dit que tout ça n'était vraiment pas nécessaire, parce qu'elle n'y allait clairement pas pour quoi que ce soit.
Son amie avait vu son regard triste. L'ombre d'elle-même sur son si joli visage. Britney détestait réellement voir son amie souffrir ainsi au quotidien. Alors elle la complimenta et l'encouragea à sa façon, même maladroite.
« Rien à voir, mais tu es trop belle pour ne pas que je m'occupe de ta bouille. Tu t'es faite belle pour toi avant tout. Tu t'en fiches des autres. Amuse-toi juste, tu es belle, POUR TOI. »
Oui décidément, Britney était née quarante ans trop tôt. Mais au moins, son amie avait retrouvé le sourire.
« Quoi qu'il se passe avec Eddie » Chrissy lui fit un regard courroucé et Britney ajouta : « avec la drogue je veux dire. Hum. Si tu n'en as pas envie, tu as le droit de dire 'non' à tout moment. Tu peux dire que tu ne veux plus. Je veux que tu le retiennes bien dans ta tête okay ? »
Chrissy lui sourit en la remerciant, ouvrit la portière et la referma aussitôt paniquée.
« Oh, mince, je ne t'ai pas dit à quelle heure venir me chercher… ! Tout à l'heure avec le quiproquo on ne s'est pas mises d'accord… »
Il y eut un blanc.
« Euh… Chrissy chérie ? Je crois qu'on ne s'est pas comprises… Euh… Je dors chez mon homme ce soir. Donc je ne viendrai pas te chercher. »
« …Q…Quoi ? » couina Chrissy… « Mais… »
« Ecoute, c'est pas que je veux pas hein, mais primo : c'est pas sûre que je sois moi-même en état de conduire, secondo : pas sûre que tu seras en état d'être chez moi. Je prends pas cette responsabilité. Tu as voulu -à raison- prendre de la drogue, reste avec celui qui s'y connait le mieux. Tertio : Si tu as VRAIMENT besoin, voici le numéro de chez mon mec. Mais bon, c'est chez lui et même s'il n'y a personne, ça m'embête de le quitter comme ça. Donc c'est si vraiment c'est une urgence. Capiche ? » lâcha Britney avec un accent italien.
Chrissy était perdue. Elle n'avait pas prévu ça, mais heureusement, elle avait pris ses changes pour demain dans son sac à dos.
« Mais… les cours ? demain ? »
« Boarf. Si y'a besoin, je dis que t'es chez moi et malade. Si tu viens avec Eddie soyez discrets. T'auras qu'à m'attendre à la sonnerie du matin au parking si tu y vas. Si tu n'y es pas je considèrerais que je te sers de couverture et tu te débrouilles pour rentrer chez moi et y rester pour la journée. Ou alors tu restes carrément chez lui et tu te débrouilles le soir ? Je ne sais pas… Tu vois le genre ? »
« Oh… Tu as mieux pensé à mon plan que moi je n'y ai pensé… » rigola-t-elle amusée. Puis la petite blonde baissa la tête. « Bon, je me débrouillerai » Puis elle ajouta, hésitante. « Dis… Britney ? »
« Hum ? »
« J'ai… J'ai cette horrible sensation que je fais quelque chose de mal. Ça ne veut pas partir. »
Un petit silence se fit. Britney remit ses mains sur le volant et regarda fixement le paysage sombre derrière son pare-brise. Britney ne pouvait pas la contredire. Techniquement elle allait chez un autre garçon que son petit-ami pour aller prendre de la drogue, possiblement dormir là-bas.
Mais Britney connaissait les raisons de son amie qu'elle trouvait légitimes. Jason n'avait jamais été là pour elle. Jamais. Enfin, quelques fois sûrement. Ça n'enlevait pas toute la merde qu'il faisait à côté. Ce n'était pas un vieux discours gênant devant le lycée entier, avec des 'je t'aime' vides de sens, que ça allait changer quelque chose. Y'a un truc qui clochait avec lui : comme si il était tout le temps… faux. Elle détestait quand il parlait, pour pleins de raisons. Comme quand il faisait les mêmes discours insupportables que le prêtre, mais ça restait très personnel. C'est quand elle le voyait agir avec Chrissy, ça clochait.
Quant à Chrissy elle s'était juste trouvé un moyen comme un autre pour se soigner. Et si ça ne marchait pas, tant pis, elle trouverait autre chose.
Mais les gens n'auraient rien à dire. Au moins elle essayait, elle.
« De quoi tu as peur ? » Demanda la rouquine.
« De faire une grosse bêtise » Répondit la blonde.
« Prendre de la drogue, est en effet, une grosse bêtise » plaisanta Britney en croisant le regard effrayé de son amie. « Ecoute ma belle », se tourna doucement Britney vers elle, « Tu essaies de trouver une solution pour tes cauchemars. On aimerait tous que ça ne soit pas celle-là, mais merde. Ce n'est pas tes parents qui vont t'aider et certainement pas Jason non plus. Il ne te prend même pas au sérieux. Tu ne peux pas rester comme ça, tu es à bout et ça se voit. Si c'est ta seule solution, au moins tu essaies. Si ça ne marche pas, on en trouvera une autre. Et je t'aiderais. J'ai envie de t'aider à t'en sortir Chrissy. » Elle lui mit un doigt sur le nez « Evite juste les drogues dures, ça serait con que tu deviennes accro. »
Chrissy avait les larmes aux yeux. Elle ne savait pas qu'elle tenait tant à Britney et qu'elle l'aimait à ce point. Elle ajouta :
« Et…Et aussi… »
La rouquine attendit.
« J'ai l'impression de tromper Jason… »
« C'est vrai que ça donne cette impression. Et c'est tout ce qu'il mériterait ce con. » Puis fulminante elle clama en donnant un coup sur le volant « Et puis après ? Tu comptes vraiment en faire ton partenaire de vie ? Ce mec à que sa belle gueule pour lui, et il le sait… » Elle grommela dans sa barbe pour ne pas que Chrissy n'entende « Quand je pense qu'il a la chance de sortir avec toi et qu'il te parle comme si tu étais un animal de foire. Ou au contraire qu'il te rabaisse quotidiennement. » Elle l'avait vu faire. Un jour il va la présenter au monde entier en disant à quel point c'est la femme parfaite, et le jour d'après il va lui parler comme une merde parce qu'elle allait voir la psy de l'école. Quand elle montrait une faiblesse, il pétait un câble. Elle devait être parfaite. Au moindre écart, il ne lui pardonnait pas. Puis le lendemain il revenait avec des excuses vides et des cadeaux. Elle lui pardonnait. Et la boucle était sans fin. Britney reprit à voix haute, plus posément. « Ecoute. Franchement, moi je pense qu'il ne se passera rien. Et si y'a un truc qui se passe, c'est simple : ça voudra dire que tu lâches Jason pour Eddie. Et crois-moi, je serais la première à en être ravie pour toi. »
Chrissy faillit s'étouffer en avalant sa propre salive à l'écoute de cette phrase.
« QUOI ?! Jamais ! Personne ne l'accepterait ! Ma…ma mère me tuerait. Les parents de Jason sont 'respectables'… ils ont de l'argent, du succès. Ma mère était très contente que je sorte avec lui… » Elle avait pris sa remarque très premier degré, ce qui fit rire Britney. La petite blonde trouvait tous les arguments possibles qui feraient que c'était impossible. La rouquine avait patiemment attendu que son amie se calme, elle bougeait ses petits bras de partout dans la voiture. C'était marrant : elle lui rappelait son italienne de mère qui parlait en bougeant les mains. Puis la rousse eut une réflexion et coupa son amie :
« C'est drôle… Tu n'as pas dit 'non' parce qu'il ne te plaisait pas… où quoi que ce soit d'autres… Tu as dit 'non' parce que personne ne l'accepterait. »
La blonde regarda son amie de travers, un peu effrayée et dubitative. Qu'est-ce qu'elle insinuait ?
La rousse reprit alors, histoire de la calmer « Chrissy… Je sais que ce que je vais te dire est bizarre mais… ça compte tellement pour toi les apparences au final ? Les avis des autres ? De ta mère ? »
La blonde la regarda interdite. Puis réfléchit à sa question.
« Bien sûr que oui » Lâcha-telle dans un souffle « …Je…Je ne suis pas comme toi… Je n'ai pas ta force. Depuis que je suis née on me demande d'être la meilleure partout, tout le temps. Quelque part ma vie est déjà toute tracée. »
« Ouais, ça je sais. Tu étais verte de rage en quatrième quand tu as vu que j'avais des meilleures notes que toi en rédaction et littérature anglaise. »
Elles rirent de ce souvenir.
« Oui… Parce que je n'avais pas le choix. Je devais le faire … je dois être la meilleure. »
« Je comprends. Mais… au final est-ce que c'est ce dont TOI tu as envie ? Chrissy, on n'a qu'une vie. Tu comptes la vivre quand tu seras contrainte d'élever les trois gosses de Jason ? Faut penser à demain Chrissy, avec qui tu as envie d'être ? Qui tu as envie d'embrasser ? Qu'est ce que tu attends de la vie ? » La rouquine regarda encore une fois l'extérieur de sa fenêtre. « Tout ça, ce sont des questions qu'il faut commencer à se poser. Tes parents t'ont fait du mal trop longtemps… du coup tu es perdue et tu ne sais plus quoi faire. Ils t'ont tellement interdit l'erreur qu'au final le moindre écart te fait stresser… peut être à raison tu me diras… mais moi je ne partage pas cette idée et cette éducation. Je suis plus pour l'école de 'si tu te plantes, au moins, tu as essayé' que de l'école de 'tu n'as pas le droit à l'erreur.' Si on ne t'apprend pas à échouer, le moindre obstacle devient un mur de plomb que tu ne peux pas affronter. Je n'aime pas cette idée. Je préfère me planter et avancer que de suivre bêtement sans me poser de questions au risque de faire des erreurs... »
Chrissy semblait réfléchir très sérieusement à ce que son amie lui disait. Était-elle si à l'ouest que ça ? C'est vraiment ce que ces parents lui ont appris sans se rendre compte ? Tous ses mots s'ancrèrent dans sa chair.
C'est vrai de quoi avait-elle envie ? D'élever les enfants de Jason ? Ce simple fait lui mit des frissons dans tout le corps et ce n'était pas du tout des frissons de plaisir. Ça l'effrayait. Pour elle tout était calculé depuis l'enfance : tu grandis mince et belle, tu trouves un bon parti, tu lui fais des enfants et tu te tais. C'était évident.
Mais plus maintenant. Plus elle y réfléchissait, plus elle se disait que c'était pas du tout ce qu'elle voulait.
Mais que voulait-elle au fond ?
Sa tête bourdonnait. Elle avait vomi le repas du midi, comme d'habitude. Le sport de tout à l'heure l'avait lessivée. Elle était stressée et son cœur battait fort dans sa poitrine. Les mots de Britney raisonnaient dans sa tête.
Déjà, elle savait qu'elle ne voulait pas être mère et avoir les enfants de Jason. Où peut-être que si ? Mon Dieu. Elle était tellement perdue…
De la musique s'éleva alors de la boîte.
« Oh mince, si ça a commencé, c'est qu'il doit être 21h ! Mon mec ne va pas être content ! » s'exclama Britney. « Bon chérie, je ne te mets pas à la porte, mais faut que j'y aille. Amuse-toi bien. » Elle fit un clin d'œil à son amie et partit en trombe sur la route. Laissant Chrissy aux mains des soi-disant, 'dangereux-satanistes-meurtriers-mangeurs-d 'enfants' qu'étaient les métalleux de cet endroit.
