Blabla bête de l'auteur : Et oui c'est encore moi Lilulle (de Lukomax), qui revient vous embêter avec une nouvelle fic ! Cependant je ne peux pas dire qu'elle soit dans les tiroirs depuis longtemps celle-là car l'idée m'est venue la semaine dernière en…rêvant ! Eh oui, tout ça, c'est issu d'un rêve que j'ai adapté aux personnages d'Harry Potter ! °Forcément, un univers si débile en même temps…°

Bref, tout ça pour vous prévenir : univers alternatif massif Donc pas de magie et autres machins du genre, ni même de Poudlard sous sa forme 'conventionnelle'. Toutefois, j'aurais tendance à dire que c'est un joyeux mélange entre Matrix, la tour de Babel, Le Cinquième Elément, L'étrange Noël de Mr Jack, voire aussi du Seigneur des Anneaux (le côté champêtre probablement)…

À noter qu'il n'y aura probablement que trois chapitres (vu la taille des chapitres…nettement plus longs que pour les autres fics !) et que je les publierai dans la mesure du possible environ toutes les deux semaines (avec la reprise des cours, ça va être dur de tout gérer…)

Vous voilà prévenus ! Bonne lecture !

Disclaimer : Non, Harry et ses copains ne sont ni à moi, ni à Ritsu ni à Maxoune. Tout ce que j'ai à moi, c'est le rêve bizarre et l'univers que j'ai pu en tirer…Donc interdit de me copier ! Et le sondage appartient à Ritsuko bien sûr !

Précision : Suite à une review d'Ichy-chan, je me suis rendue compte que le titre originel (La Citadelle du Vertige) pouvait porter à équivoque avec un livre déjà existant (que les Lukomax n'ont pas lu pourtant !) c'est pourquoi Lilulle a décidé de changer le titre afin de ne pas créer de confusion !

oOoOo Ninety Six oOoOo

Chapitre 1

Cette tour qui est notre seul univers

Du plus loin que remontait sa mémoire, il ne se rappelait pas d'autre horizon que celui constitué de ces étendues désertiques, balayées d'un vent toujours sec et chaud, qui courbait les hautes herbes jaunes où paissaient les immenses troupeaux de moutons. Mais au moins, il connaissait autre chose que les murs salis de la Grande Tour. Nombre d'habitants n'avaient pas sa chance, car la plupart d'entre eux restaient cloîtrés dans l'enceinte des murs crasseux. C'était en grande partie pour cela qu'Harry, une fois arrivé à l'âge de seize ans, avait choisi de devenir berger.

C'était une tradition du peuple de Poudlard de choisir un métier à seize ans et de quitter sa famille. Il était fils unique d'un couple de potiers, qui habitaient au onzième étage de la Grande Tour ; au moment de son choix, Harry avait emménagé au huitième étage, celui des bergers et des éleveurs. Rien n'aurait pu l'en dissuader, et pourtant, ses parents n'avaient pas apprécié. James en particulier aurait préféré qu'il monte en grade (et donc en étage), ou bien au moins qu'il soit potier comme ses parents. Mais Lily, sa mère, n'avait rien dit pour l'en dissuader. Elle savait bien que son fils n'aurait pas supporté de rester enfermé toute la journée dans un atelier sombre, à façonner des cruches et les mettre au four. Elle comprenait qu'être berger constituait pour lui une précieuse échappatoire aux murs délavés et jaunis de la Grande Tour.

Depuis plus d'un an donc, Harry s'occupait de surveiller les immenses troupeaux de Poudlard contre les prédateurs. Il faisait partie des rares privilégiés qui pouvaient sortir chaque matin de l'environnement étouffant de la Tour. Chaque jour, il traversait en compagnie de son amie Hermione les vastes plaines désolées, jusqu'aux grands enclos. Ils libéraient ensemble les bêtes, les conduisaient jusqu'aux Vallées Jaunes (appelées ainsi en raison de la couleur presque fluorescentes de leurs herbes). Hermione emmenait avec elle les lamas de l'autre côté de la plaine, presque à flanc de colline, et Harry conduisait ses moutons sur les vastes étendues herbeuses. Il était donc souvent seul, avec pour seule compagnie la silhouette lointaine de son amie, et les bêlements proches de ses bêtes. Il s'asseyait alors à l'abri d'un arbre malingre pour se protéger du soleil toujours particulièrement cruel dans cette région du monde, et s'amusait à sculpter des petits moutons dans du bois mort qu'il ramassait par terre. Ou parfois il soufflait des petits airs de son invention dans le petit pipeau de bois sec qu'il avait taillé un jour de pluie. Immanquablement, Hedwige, sa grosse chienne de berger, blanche comme la neige, arrivait en aboyant contre le bruit aigu de la flûte improvisée.

Ce jour-là, comme à son habitude, Harry était vêtu d'une capeline de bure qui avait dû être blanche dans un lointain passé mais qui était à présent d'un gris sale, et d'un pantalon de toile grossière de couleur blanche. Il portait des sandales de cuir ouvertes aux pieds, et s'était assis au même endroit qu'à l'accoutumée. Cependant, la chaleur du début de l'été était tellement intense ce matin-là que le petit berger avait dû rabattre sa capuche sur ses cheveux de jais, afin de ne pas attraper une insolation. Il ne cessait de boire dans sa gourde, si bien qu'à la mi-journée, ses deux gourdes furent bientôt vides. Le soleil était tellement fort qu'aller jusqu'au puits, éloigné d'un kilomètre, lui sembla un supplice ; ses pieds brûlaient, il transpirait comme un bœuf sous sa pelisse, et ses petites lunettes rondes ne cessaient de glisser sur son nez luisant de sueur. Cependant l'enlever signifiait une mort rapide par brûlure intégrale. Il croisa au point d'eau un autre berger d'une vallée plus lointaine.

« Salut Harry. »

« Salut Seamus. »

« Comment vont les moutons ? »

« Bien je suppose. Hedwige les garde en mon absence. J'avais trop soif, j'ai déjà épuisé toutes mes réserves… »

L'autre berger, un garçon un peu plus âgé qu'Harry, hocha la tête :

« Heureusement que je bosse en binôme. Dean garde les vaches et je viens remplir nos réservoirs. Le temps est épouvantable ces derniers jours. J'espère qu'on aura droit à une augmentation… »

Harry eut un petit rire sans joie. Aussi bien lui que l'autre garçon savaient qu'ils n'auraient pas la moindre petite prime. Leur paye était fixe, et leur permettait à peine de se nourrir. Ceci dit, songeait Harry avec amertume, il ne fallait pas trop se plaindre. Ils étaient logés, ce n'était quand même pas si mal que ça. Cependant, personne ne parlait jamais de ça. Personne n'avait jamais eu l'idée de se plaindre. Harry hocha la tête d'un air entendu :

« Oui, espérons. »

Ce qu'il espérait, il ne le savait pas au juste. Quand il reprit sa place sous le tronc noueux ravagé par la chaleur infernale, il souffla pensivement dans son pipeau de bois maladroitement taillé, le regard fixé vers les collines du fond de la vallée encaissée, et qui bouchaient l'horizon. ''Peut-être que j'espère juste qu'un jour, je pourrais aller au-delà de ces montagnes et voir ce qu'il y a derrière…''. Depuis tout petit, à l'école de son pâté d'appartements, on leur avait répété qu'il n'y avait rien derrière, qu'au-delà des collines qui entouraient de toutes parts le pays de Poudlard, il n'y avait que le néant. Ou pire, un monde hostile peuplé de monstres horribles, les mêmes que ceux qui attaquaient le bétail la nuit venue, mais en pire. Et la seule vue des brebis éventrées suffisait à dissuader quiconque d'aller voir plus loin. Mais Harry, lui, avait toujours été curieux.

oOoOoOo

Il y a longtemps, alors qu'il allait encore à l'école, il avait demandé à ses parents ce qu'il y avait au-delà des hautes collines jaunes et battues par le vent de Poudlard. Son père sur le coup de la surprise avait brisé un repose plat d'argile qu'il était en train de sortir du four de potier.

« Il n'y a rien en-dehors des collines ! Rien du tout ! », avait-il rétorqué un peu brutalement en ramassant les morceaux. « Est ce que tu n'écoutes rien de ce que dit ton professeur ? »

Harry fit une moue boudeuse. Son maître d'école, le professeur Rogue, il l'aimait pas. Et ce dernier le lui rendait bien. De toutes façons, Rogue n'aimait aucun de ses élèves. Il avait été affecté au onzième étage, alors qu'il pensait mériter mieux comme poste. Son amertume se déversait donc sur ses élèves. Et en particulier sur ce petit garçon brun aux yeux verts et brillants, qui était trop curieux pour être honnête. Lily, la mère d'Harry, et Mrs Weasley, la mère de Ron, le meilleur ami d'Harry, s'étaient bien sûr plaintes du traitement réservé à leurs enfants auprès de la directrice de l'école, Mrs McGonagall, mais celle-ci avait dit qu'elle n'avait pas le pouvoir de déplacer le professeur Rogue.

« Les ordres de mutations viennent d'en haut. », avait-elle dit, et cela avait clos le débat.

Et c'était ce soir-là que Lily, en bordant son fils unique, lui avait raconté l'histoire.

« Tu sais, quand j'étais petite, j'habitais au dixième avec papi, mamie et tante Pétunia, et en face de chez nous vivait un très vieux monsieur avec une longue barbe blanche. Tout le monde l'appelait le vieux Dumbledore. Il était artiste peintre. Et comme on savait pas trop où le mettre, on l'avait mis avec nous, les artisans, et il arrivait qu'il décore des poteries, des verroteries, des murs, ou des meubles en bois. Tout le monde l'appréciait beaucoup, mais on savait bien qu'il était un peu farfelu. Papi et mamie ne voulaient pas trop qu'on le fréquente. Tante Pétunia ne l'aimait pas beaucoup, mais moi, j'aimais bien l'écouter parler, il racontait toujours des histoires magiques qui parlaient de mondes inconnus et inexplorés. Il disait que j'étais la petite fille la plus intelligente qu'il ait jamais rencontrée, et des fois, il me donnait des peintures qu'il faisait. »

La mère d'Harry montra d'un geste de la main un tableau accroché au mur de la chambre de son fils, représentant un jardin verdoyant, resplendissant de petites taches de couleurs. Des gens assis sur l'herbe pique-niquaient et semblaient bien s'amuser. Tous portaient des vêtements colorés et élaborés, et de grands chapeaux ouvragés.

« Je n'ai jamais su vraiment ce que ça représentait –de l'herbe verte, on a jamais vu ça– mais c'était très joli et très gai. Et puis un jour je lui ai demandé. Il m'a dit que ces gens c'était ceux qui vivaient hors de Poudlard, et que les petites choses colorés dans l'herbe verte s'appelaient des fleurs, et que ça ne poussait pas par ici. Je lui ai demandé comment il le savait. Et il m'a répondu qu'un jour quand il était jeune, quand il exerçait encore le métier de tisseur, il avait accompagné un ami berger au pâturage, et qu'une brebis s'était égarée. Il avait aidé à la retrouver, mais en la cherchant, il ne s'était pas aperçu qu'il s'éloignait. Quand il s'est rendu compte d'où il était, il avait déjà franchi les crêtes les plus méridionales du pays de Poudlard. On l'a porté disparu pendant un mois, mais il est finalement revenu. Et depuis, il a abandonné son métier, pour devenir peintre, et il m'a dit que c'était pour rendre hommage à tout ce qu'il avait vu au-dehors de Poudlard. Mais personne ne l'a écouté. La rumeur a couru qu'il était tombé dans un creux de roche où il avait dû survivre pendant un mois en se nourrissant d'eau de source qui coulait du rocher, et de racines séchées, et que ça lui avait fait perdre la boule. En fait, tous les gens pensaient ça. Mais moi… »

« …toi, tu y croyais à ses histoires, pas vrai maman ? », fit Harry en passant une petite main au-dessus de la couverture pour serrer celle de sa mère.

La jeune femme hocha la tête avec douceur :

« Oui, moi je le crois. Mais le soir de mes douze ans, le vieux Dumbledore a fermé son appartement à clé, a pris un baluchon sur son dos. Puis il appelé l'ascenseur, il a appuyé sur rez-de-chaussée et il a quitté la Grande Tour. Nul ne l'a plus jamais revu après cette nuit-là. Les gens ont conclu qu'il était mort. »

Le petit Harry cligna des yeux.

« Mais toi, tu penses qu'il est reparti de l'autre côté ? »

Lily hocha la tête :

« Oui. Je pense qu'il a voulu apporter la liberté au peuple de Poudlard, lui faire profiter de ses découvertes. Mais quand il a vu que personne ne le croyait sauf une toute petite fille de huit ans, il a décidé de repartir. »

« Moi aussi, je le crois ! », affirma Harry avec une petite moue boudeuse.

Lily eut un sourire attendri :

« Oui mon chéri. Mais maintenant il est temps de dormir. »

oOoOoOo

Harry eut un léger sourire en se souvenant de cela. Son envie de devenir berger datait probablement de cette nuit-là où sa mère lui avait raconté l'histoire du vieux Dumbledore. Depuis, chaque jour, il espérait qu'une brebis se perdrait dans les collines et qu'il serait obligé de la poursuivre loin au-delà des frontières de Poudlard. Mais cet incident s'était produit il y a de cela bien longtemps, car depuis des enclos avaient fait leur apparition, rendant impossible pour un mouton d'aller gambader au-dehors d'une certaine limite.

Au bout d'un long temps de marche sous une chaleur écrasante, il rejoignit finalement son emplacement, traînant au bout de chaque bras deux outres en peau de moutons gonflées d'eau de source à s'en craquer les coutures. Il se laissa tomber au bas de l'arbre desséché et en prit une gorgée pour se réhydrater. Hedwige arriva en remuant la queue vigoureusement. Dans son langage cela voulait dire qu'il n'y avait aucun incident à déplorer, et que tous les moutons se portaient à merveille. L'après-midi passa lentement, comme toujours, car il n'y avait pas grand-chose à faire, à part quelquefois aller ramener des moutons qui s'éloignaient un peu trop du gros du troupeau. La plupart du temps, Harry regardait l'horizon lointain, celui qui se découpait derrière les hautes crêtes des collines. Hermione passa le voir sur le coup de dix-huit heures, et ils partagèrent quelques gâteaux secs et un peu d'eau. Elle avait laissé à son chien Pattenrond, une bête énorme au pelage orange, qui devait faire la taille d'un petit veau, le soin de veiller sur ses lamas. Le soir tombait doucement alors qu'ils parlaient.

« Je peux concevoir à quoi servent tes lamas. », fit juste Harry. « On les tond, d'accord, ils en font des tapis et des couvertures, qui sont super utiles. Mais par exemple, je n'ai jamais vu personne porter un pull en laine de moutons mérinos. Et pourtant, je sais que Lavande garde des moutons mérinos, dont la laine est tissée aussi. Comme le pelage des lapins angora ou des hermines qu'elle garde aussi dans des clapiers. Puisque personne n'en porte ici, où est ce que tout ça va ? »

Hermione haussa les épaules en signe d'ignorance.

« Tu pourrais même te poser la question de savoir où va toute la soie que les vers à soie de Cho produisent ! », ajouta-t-elle. Elle regarda sa montre : « Bon, je vais y aller avant qu'il fasse nuit, je veux compter les lamas avant qu'on y voie plus rien. On se retrouve à l'enclos principal dans deux heures, Ry. »

Le jeune homme la regarda s'éloigner dans la semi obscurité. Avec le départ du soleil, l'atmosphère s'était nettement rafraîchie. Harry jeta une couverture de laine bariolée sur ses épaules. Il s'étendit dans l'herbe fraîche, pensant qu'il compterait les moutons un peu plus tard. Ce qu'il aimait par-dessus tout, c'était contempler les étoiles. Il y en avait toujours une qu'il appréciait le plus. C'était celle qui brillait plus fort, celle qui apparaissait toujours en premier dans le ciel. Un jour, Rogue avait dit en classe que ce n'était pas une étoile, mais une planète, et que c'était pour ça qu'elle se levait en premier. Mais Harry ne l'avait jamais cru. C'était son étoile à lui. Il tendit vaguement la main devant lui dans l'obscurité, comme pour l'attraper, mais comme toujours, son poing se referma sur du vide. ''Un jour, pensa-t-il, je l'attraperai…''

Un aboiement sonore le tira de sa rêverie. Hedwige arrivait en galopant, remuant sa queue et tirant la langue. Ça, c'était le signal qu'il était temps de rentrer au bercail.

« Très bien, très bien, rassemble les moutons, on va rentrer. » Il jeta un œil à sa montre. Il était huit heures et demie passée. « Merde, chuis à la bourre…Mione va encore me tuer… »

Il soupira, rassembla ses affaires, rajusta sur son épaule sa besace, et se leva. Après s'être assuré que toutes les têtes de bétail étaient là, il envoya Hedwige en tête du cortège, fermant la marche comme toujours, ramenant dans le droit chemin les éventuels déserteurs à laine. Quand enfin il arriva à l'enclos principal où étaient parquées les bêtes pour la nuit, il était plus de neuf heures et demie, et il était le dernier berger à ramener son troupeau. Hermione l'attendait à l'entrée de la barrière, et dire qu'elle avait l'air mécontent aurait été un euphémisme. Une fois qu'il eut enfermé ses moutons, elle lui asséna une violente claque au sommet du crâne.

« Alors ? Quand je dis rendez-vous à neuf heures, il faut toujours que tu te débrouilles pour arriver avec trois quart d'heures de retard ? À croire que tu aimerais passer la nuit dans la plaine ! »

« Excuse, Mione, je me suis endormi quand t'es partie… »

La jeune fille haussa un sourcil, signe qu'elle n'était pas dupe, mais ne dit rien.

« N'oublie pas que demain c'est notre jour de repos, et que t'es invité chez Ron à midi…Tâche d'arriver pour le déjeuner et pas pour le goûter, ça sera probablement le dernier repas qu'on fera dans son petit appartement. »

Harry acquiesça d'un air penaud. Depuis un peu plus de deux mois, son meilleur ami s'était fiancé à sa meilleure amie, et ils devaient emménager ensemble le mois prochain au treizième étage. Ron avait choisi d'être cuisinier après la fin de l'école. C'était un travail assez bien payé, et Hermione aurait très bien pu choisir de ne pas travailler, mais elle avait décidé de continuer à garder ses lamas. C'était d'ailleurs parce qu'elle était bergère qu'elle avait connu Harry, qui l'avait présentée à celui qui allait devenir son fiancé. La jeune fille répugnait à abandonner ce métier, ainsi que Harry. Elle savait que le jeune homme était d'un naturel solitaire et que si elle cessait son activité, il resterait seul toute la journée. Elle ne cessait d'ailleurs de le harceler à ce sujet, et ce soir-là ne fit pas exception :

« Tu sais, Harry, je m'inquiète pour toi…Ron aussi s'inquiète pour toi. Quand j'aurais emménagé au treizième, ça ne sera plus facile de se voir comme maintenant où j'habite à deux couloirs…Il faudra que tu prennes les ascenseurs…Tout ça…Il faudrait que tu te trouves quelqu'un ! »

Harry leva les yeux au ciel.

« Mione, je n'ai pas envie de trouver quelqu'un. Cette histoire tordue avec Parvati Patil du vingt-huitième m'a suffit… »

« Evidemment ! Il fallait que tu choisisses de sortir avec la fille du juge Patil ! Normal qu'il l'ait mal pris que tu sortes avec sa précieuse petite fille adorée, il est juge : ces gens-là ne sont pas de notre monde. Harry, t'as choisi d'être un berger, alors maintenant, il ne faut pas t'étonner qu'un juge ne te veuille pas comme beau-fils… »

« N'empêche que même avec Cho… »

« Cho est une cruche, c'est pas pareil. À part parler de fringues, elle ne sait pas parler de grand-chose. Et ne me ressors pas non plus ton échec total avec Crivey, le photographe du quatorzième. Que ce soit avec des filles ou des garçons, c'est toujours la même chose, Harry. Ils ne sont pas assez biens pour toi. Ou alors, quand tu réussis à lever la fille d'un juge, tu te rends compte qu'elle est trop bien pour toi, et ça te détruit. »

Harry bougonna quelque chose mais ne répondit pas. Au fond de lui-même il savait que la jeune fille brune avait raison.

« Je sais pas à quoi tu rêves, Harry. Mais t'as presque dix-huit ans et t'es toujours seul. Le jour où tes parents ne seront plus là, je me demande bien ce que tu feras. »

En parlant, ils étaient arrivés dans l'ombre d'une gigantesque tour. Comme toujours, Harry leva les yeux pour en apercevoir les étages supérieurs, loin, si loin là haut, se perdre dans une couronne nuages. On ne voyait jamais le sommet de la tour, nul ne savait où et quand elle se terminait. Ils passèrent sous un porche de béton froid, et s'engagèrent dans un hall en plein air totalement désert, où s'alignait une douzaine d'énormes portes gris métallique.

« J'ai besoin de personne. », ronchonna Harry alors que son amie appuyait sur le bouton d'appel ; presque aussitôt une des portes coulissantes s'ouvrit. « Juste un coup de temps en temps pour les hormones, ça me suffit bien. Quand j'ai voulu plus, ça s'est toujours terminé en couille. »

Ils entrèrent dans la vaste cabine. Hermione appuya sur le chiffre 8 et le fusilla du regard :

« Un jour, ça suffira plus ; là ça te va parce que t'es encore jeune. Et Ron et moi, on sera pas toujours là non plus. Trouve-toi quelqu'un. »

Harry fit mine de ne pas avoir entendu, et de contempler les innombrables boutons du tableau de commande de l'ascenseur. Trente-six boutons clignotaient doucement ; seul le 8 brillait d'une lueur continue depuis qu'Hermione avait appuyé dessus. Mais comme toujours, le regard du garçon fut attiré par le bouton le plus haut du tableau, mystérieusement éloigné des autres. Celui qui portait le numéro 96. Machinalement, il posa son doigt dessus et l'enfonça. Mais il ne se passa rien, le bouton continua de clignoter doucement. Hermione lui tapa le bras :

« Arrête un peu avec ça, tu vas finir par tout dérégler. Tu sais très bien que ça n'ira jamais jusqu'au quatre-vingt-seizième étage. Quand vas-tu intégrer dans ton crâne qu'il n'y a que trente-quatre étages dans cette tour ? »

Harry eut une moue boudeuse.

« Si y a un 96 sur ce tableau, c'est qu'y a 96 étages. »

« Non, Harry, tu sais très bien que c'est décoratif. S'il y avait 96 étages, les ascenseurs iraient jusque-là quand on appuie dessus. Or, ça continue de clignoter comme si de rien n'était. Et les escaliers continueraient de monter, mais non, ils s'arrêtent après le 34. Il n'y a donc pas de quatre-vingt-seizième étage. Et de toutes façons, pourquoi on passerait du 34 au 96 sans transition ? »

« Parce que c'est beaucoup plus haut dans la tour. »

« Ridicule. », trancha Hermione.

Les portes d'acier s'ouvrirent dans un chuintement métallique, sur une vaste esplanade carrée.

oOoOoOo

En rentrant chez lui, Harry se sentit soudainement très vide. Il habitait au huitième étage, aile Gryffondor, appartement 29784. C'était un minuscule appartement, mais en tant que célibataire, il n'avait pas le droit à guère plus ; son statut social aussi ne lui permettait pas d'accéder aux étages supérieurs où il aurait joui d'un appartement mieux équipé. Son studio était composé d'une pièce aux murs jaunis et craquelés, qui lui servait de salon, de cuisine et de chambre, et d'une salle d'eau rudimentaire (douche sommaire et toilettes turques). Il déposa d'un geste las sa capeline de voyage sur son canapé-lit défoncé, et alluma son poste de télé. Comme d'habitude à dix heures du soir, il prit un film en cours, mais Harry s'en fichait ; ça n'était que pour le fond sonore qu'il allumait le poste. Il ouvrit une boîte de conserve qu'il fit réchauffer sur une plaque pendant qu'il prenait sa douche. Puis il mangea en écoutant distraitement les péripéties des protagonistes du film qui passait. Un gros black baraqué à lunettes déblatérait à un autre mec brun vêtu d'une longue tunique visiblement taillée dans un sac à patates que ''la réalité n'est qu'une illusion''.

En mangeant pensivement ses petits pois carottes, Harry se demanda si ce qu'il vivait était effectivement la réalité. Après tout, son univers se limitait à son aile de la Grande Tour et aux Vallées Jaunes du dehors. Tous les gens qu'ils connaissaient ou presque vivaient à Gryffondor. Il savait pour l'avoir vu en géographie qu'il y avait trois autres ailes dans le gigantesque bâtiment : Serdaigle, Poufsouffle et Serpentard, mais il n'y avait jamais été, et les bergers des autres ailes possédaient leurs propres pâturages, à des kilomètres de ceux de Gryffondor.

D'ailleurs, la seule aile de Gryffondor était immense, et Harry ne pouvait pas se vanter d'en connaître tous les recoins. Il connaissait bien le onzième étage où il avait passé toute son enfance, et commençait assez bien à se repérer dans le huitième. Ce qui était déjà relativement bien, considérant que chaque étage était doté de ses infrastructures propres, comme une microcosme de société. Toutefois Harry aimait plus fréquenter les autres étages. Il allait toujours à la piscine du quatorzième étage (même s'il devait prendre l'ascenseur avec son sac de plage), au cinéma au dix-huitième et faisait ses courses au onzième, à l'épicerie à côté de chez ses parents. Le huitième n'était de toute façons pas très bien desservi. Mais il s'estimait déjà heureux, car les habitants des premiers étages vivaient dans la misère et l'exclusion la plus totale.

Il regarda par la fenêtre. Elle donnait sur l'immense cour carrée au centre de l'immeuble, une cour qui devait faire dans les trois kilomètres de diamètre, entièrement boisée par simulacre de forêt –cependant en règle générale, les habitants évitaient de s'y rendre. On l'appelait la Forêt Interdite, et seul le Garde chasse, un homme immense du nom de Hagrid, y avait une cabane et osait y pénétrer. Du huitième étage, on pouvait seulement voir les cimes des arbres, et tout en bas les petits ruisseaux qui parcouraient le bois. Et en face, à plusieurs kilomètres, Harry pouvait voir scintiller les lumières de l'aile Serpentard. Sur les côtés, aussi loin, clignotaient celles de Serdaigle et de Poufsouffle. Il songea qu'il y avait peut-être dans ces ailes-là des centaines de petits bergers qui lui ressemblaient…Au-dessus, il ne pouvait pas voir le ciel étoilé, car au niveau du plus haut étage se trouvait une immense voûte de cristal sombre suffisamment opaque pour cacher la vue sur le ciel.

Il soupira. Il aurait bien voulu que son appartement donne sur les plaines extérieures, comme celui d'Hermione ; ainsi, il aurait pu contempler à loisir son étoile bien-aimée et la Lune qui devait être pleine ce jour-là…Malheureusement, ça n'était pas le cas. Et Harry savait que s'il voulait déménager, il lui faudrait trouver un compagnon ou une compagne. S'il persistait à rester célibataire, il ne déménagerait jamais. Ou alors, il lui faudrait changer de métier. Et le jeune homme se voyait mal revenir au chantier paternel pour devenir son apprenti. Il aurait pu, pourtant, et son père l'y aurait même encouragé, mais le grand air lui manquerait trop dans l'atelier sombre de poterie.

Harry ouvrit la fenêtre et tordit le cou pour regarder en haut. Certes, le trente-quatrième étage, le dernier avant la coupole de verre, était encore très haut au-dessus de sa tête, mais quand on était à l'extérieur et qu'on voyait tous les jours les sommets de la Tour de Poudlard se perdre dans les nuages, on ne pouvait que constater que celle-ci continuait bel et bien au-delà de 34 étages…

Le vent chaud lui fouetta soudainement le visage et s'engouffra dans la petite pièce exiguë. Comme il n'y avait pas de climatisation et que l'air était toujours chaud, Harry ne prit pas la peine de refermer la fenêtre en allant se coucher, mais tira juste les rideaux pour limiter le jour. Au moins, l'air circulerait pendant son sommeil. Au dessus du canapé-lit, les personnages qui pique-niquaient dans l'herbe grasse souriaient toujours, insouciants.

oOoOoOo

Le lendemain, il se réveilla tard. C'était toujours comme ça le dimanche matin, le jour de repos. Ce jour-là, il se réveillait toujours après dix heures du matin, épuisé de s'être levé tous les jours de la semaine à quatre heures. Le dimanche était pour toute la Tour –ou tout au moins pour l'aile Gryffondor– un jour de repos sacré. Il flottait dans l'air une odeur de grillade dès l'aube. Les plus chanceux, ceux qui possédaient des appartements avec terrasses ou même avec jardins faisaient des barbecues et invitaient les amis. Harry n'avait ni jardin, ni barbecue, ni ami. La plupart du temps, il allait à la piscine ou au cinéma, quelquefois il allait manger un morceau dans une gargote avec son voisin Neville ou avec Hermione, ou plus récemment, il lui arrivait de monter au quatorzième étage, chez son dernier amant en date, le photographe. Le jeune homme savait bien que Colin Crivey ne voyait en lui qu'un modèle et peut-être un bon coup d'un soir de temps à autre, qu'il appelait quand ça l'arrangeait et refusait d'entendre parler de lui les autres fois ; mais comme le berger ne voulait pas non plus spécialement s'engager, ça tombait plutôt bien. Il n'avait pas dit à Hermione ni à Ron qu'il continuait de se rendre dans l'atelier du photographe. Elle l'aurait poussé à officialiser une relation qui de toutes façons n'existait pas, et Ron l'aurait approuvée.

''De toutes façons, songea Harry en trempant une biscotte dans un bol de café clair, maintenant, tout ce que Colin fait de plus érotique avec moi ces derniers temps, c'est me prendre en photo nu pour ses expositions à la noix. Pas de quoi pavoiser, mais ça m'arrondit bien les fins de mois.'' Mais ça, Harry ne l'avait pas dit à Hermione. Il entendait déjà sa petite voix perçante :

« Te faire prendre en photo nu pour mettre du beurre dans tes épinards en boîte ? Mais Harry, tu es fou ! Bientôt, tu finiras prostitué au premier étage, voire au deuxième s'ils estiment que t'as un assez joli cul pour ça ! »

Harry, lui, ne voyait pas quel mal il pouvait bien y avoir là-dedans. Colin lui avait dit qu'il avait un corps merveilleux et très photogénique, alors pourquoi ne pas en profiter tant qu'il le pouvait ? Quoi qu'il en soit, la Grande Tour était bien trop vaste, personne ne le reconnaîtrait, et de toutes façons, il ne connaissait personne qui ait déjà été à un vernissage des expo de Colin. Il resta un instant le couteau à beurre en l'air : ''À propos, il faudrait peut-être que je lui demande où est ce qu'il les expose, ses photos…J'ai jamais entendu parler d'une expo dans cette aile, peut-être que c'est dans une autre ?'' Il songea un instant à y aller sur-le-champ, mais se rappela du repas chez Ron. Bien sûr, Harry avait un poste téléphonique, mais il ne voulait pas l'utiliser. Il préférait voir lui-même les gens. ''Non, j'irai chez lui ce soir. Si on finit suffisamment tôt et que Ron n'insiste pas pour que je reste pour la soirée…''

Après s'être à nouveau douché (la chaleur montait vite dans les étages durant la journée), Harry revêtit un t-shirt rouge foncé et un jean large coupé un peu au-dessous du genoux. Il chaussa ses chaussures habituelles, essaya de discipliner en vain ses cheveux noirs, puis abandonna finalement au bout d'un quart d'heure d'efforts infructueux. En fermant la porte de son appartement, il croisa Ginny, la petite sœur de Ron, qui vivait toujours chez leurs parents (elle avait quinze ans) ; elle se rendait chez Neville. Apparemment, ils sortaient ensemble depuis quelques semaines. Harry la salua et se rendit aux ascenseurs. Il réussit à se faufiler dans la cabine bondée avec difficulté, et appuya sur le chiffre 11, décidé à passer chez ses parents avant.

Sa mère l'accueillit à bras ouverts comme à son habitude, le bourra de crackers, et lui fourra d'autorité un billet de cinq Gallions dans la poche de son short. Son père ne dit rien. Depuis que son fils avait choisi de descendre il semblerait que l'estime de James Potter pour son fils en avait fait de même. Il parlait toujours très peu en sa présence. Et le fait que son meilleur ami, Sirius Black, le plus grand ébéniste de Gryffondor, et accessoirement parrain d'Harry, soit là ce jour-là n'y changea rien.

Il repartit un quart d'heure après sous les recommandations diverses de Lily qui lui préconisait de bien se nourrir, de revenir aussi souvent qu'il le voudrait, et sous les conseils grivois de son parrain sur comment choper une greluche du vingtième étage en boîte de nuit le samedi soir (lui-même avait réussi à s'unir avec un garçon, Remus, originaire du vingt-cinquième étage, et dont le père était comptable en chef). James quant à lui n'avait émis aucun son intelligible ce jour-là. Malgré lui, Harry se sentait un peu déprimé. Il aurait bien voulu que son père l'accepte tel qu'il était, mais ce n'était pas le cas. Lily avait dit un jour qu'on rêvait toujours les enfants à son image, et que les voir prendre un autre chemin que celui qu'on leur avait tracé était toujours quelque chose de très douloureux pour les parents.

« Un jour, Harry, ton père t'acceptera. Laisse-lui le temps de s'y faire. Tu es son fils unique, et il t'aime quoi que tu fasses. Moi je le sais, même s'il ne le montre pas. »

Le petit berger arriva enfin au treizième étage, et se faufila un passage parmi la foule compressée dans la cabine. Il essaya d'aplatir ses cheveux, mais rien n'y fit. Il sonna chez Ron, et ce fut Hermione qui ouvrit. L'appartement du garçon rouquin était déjà sens dessus dessous. Des cartons d'affaires à moitié rangées s'entassaient déjà un peu partout.

« Wow, dire que vous déménagez que dans un mois, c'est impressionnant…Tu vas arriver à survivre d'ici là dans ces cartons ? »

Ron allait répondre quelque chose, quand un grand bruit au-dehors le fit taire. On entendait distinctement des hurlements de terreur. Harry se tassa instinctivement sur lui-même. Hermione gémit :

« Encore une descente des Mangemorts ? C'est la troisième cette semaine ! »

Ron n'avait pas l'air tranquille, mais ne dit rien. De toutes façons, personne dans cette pièce n'avait quelque chose à se reprocher…non ? Comme des pas lourds se rapprochaient ostensiblement de la porte de l'appartement du cuisinier rouquin, il se pencha vers Harry :

« Dis-moi que tu n'as pas fait de conneries récemment, Harry, s'il te plaît ? »

Le berger pâlit :

« Mais non, je t'assure, Ron, je n'ai strictement rien fait ! »

Et de fait, la suite des événements lui donna raison. Le bruit des bottes s'éloigna légèrement, et on entendit un martèlement contre une porte plus loin dans la contre-allée. Puis une voix grave aboya :

« Ouvre, Lockhart, petite crevure ! »

Ron poussa un soupir de soulagement.

« Ouf, enfin ils viennent arrêter cette ordure de Lockhart…Il revendait de la bouffe au black à ceux des étages inférieurs, alors que c'était destiné à des œuvres de charité et que ça aurait dû être gratuit… »

Il y eut un craquement sonore, puis un hurlement, puis à nouveau les pas s'éloignèrent. Hermione entrouvrit la porte, curieuse, et Harry suivit le mouvement. Ils eurent juste le temps de voir une troupe d'hommes tourner au coin du pâté d'appartements ; tous étaient vêtus d'une vaste cape sombre comme l'encre de Chine, recouvrant leur visage, et qui descendaient si bas sur leurs chevilles qu'on ne voyait dépasser que leurs bottes noires et luisantes. La jeune fille poussa un soupir.

« Ces Mangemorts sont vraiment effrayants…Pour rien au monde je n'irais traîner du côté du trente-quatrième étage… »

Il était de notoriété publique que cette terrifiante brigade qui arrêtait les gens presque arbitrairement résidait au dernier étage de la Tour de Poudlard. Et personne, même les juges pourtant homologués, n'avaient le pouvoir de contrevenir à leurs actes. Le rôle des juges consistait bien souvent à des affaires purement civiles, et quelques babioles pénales. Les affaires les plus graves, comme les crimes, étaient du ressort exclusif des Mangemorts. Ils avaient le droit d'arrêter, de condamner et d'exécuter les peines sans qu'aucun avocat de la défense ne soit jamais intervenu. Aussi, sachant cela, la criminalité à Poudlard était quasiment absente.

La terreur qu'inspirait l'étage 34 dissuadait quiconque d'appuyer jamais sur le bouton. Harry, naturellement, avait appuyé dessus un jour, quand il avait treize ans. Mais les vastes couloirs d'acier froid qui l'avaient accueilli à destination l'avaient dissuadé de sortir pour s'aventurer au-dehors de la cage d'ascenseur.

Ils reprirent leur conversation comme si rien de spécial ne s'était passé. Ron avait réussi à ramener de la cuisine quelques bons petits plats : de la viande d'agneau et des légumes frais, du fromage, et même un peu de tarte tatin. Harry mangea comme il n'avait pas mangé depuis longtemps. Seule Hermione trouva quelque chose à redire :

« T'es vraiment sûr que c'est pas illégal de ramener tout ça à la maison ? Je veux dire, ça n'est pas destiné aux étages supérieurs ? »

Ron nia de la tête, mastiqua consciencieusement la part de tarte qu'il avait dans la bouche, avala et répondit :

« Non, Mione, le chef m'a dit que c'était OK pour l'emporter…Sinon, tu penses, les Mangemorts m'auraient embarqué avec Lockhart… »

Harry planta sa fourchette dans la tarte devant lui :

« N'empêche, je me demande bien où toute cette bouffe va… »

« Bin, dans les étages au-dessus. », fit juste Ron. « Pour nos chers magistrats, comptables, chef d'entreprises, et tout ça enfin… »

Harry fronça un sourcil.

« Pas tout. Quand j'étais avec Parvati, je voyais arriver la bouffe par le monte-charge. Bon, évidemment, y avait des bons trucs. Comme les œufs pochés, les salades César, les quiches lorraine, tout ça…Mais j'ai jamais vu de bouffe trop élaborée chez eux, et pourtant tu cuisines des fois de ces trucs…Comme ces petits œufs noirs, ou ce pâté ultra cher que tu étales sur des toasts…Jamais vu ça chez le juge Patil. Et pourtant, l'est haut placé, le pépère… »

« Y a encore quelques étages au-dessus de lui. », répondit Ron d'un ton égal en se resservant une part de tarte. « Je sais qu'on en envoie pas mal à l'étage des Mangemorts… »

La mine d'Harry se renfrogna imperceptiblement, mais il ne dit rien. Il quitta le futur ex-appartement de son meilleur ami sur le coup de huit heures et demie, après avoir accepté un petit verre de liqueur d'anis en guise d'au revoir.

« Faut vraiment que j'y aille, j'ai encore quelque chose à terminer avant d'aller me coucher… », expliqua-t-il quand Hermione lui proposa de rester partager un plateau-repas devant un DVD.

oOoOoOo

Quand il sortit, la nuit était déjà tombée depuis belle lurette. Les lumières du couloir étaient toutes allumées, et les gens allaient et venaient. Cependant Harry ne connaissait personne. Comme il y avait une trotte jusqu'aux ascenseurs, le berger décida de passer par la galerie extérieure. Au moins, l'air relativement frais le réveillerait un peu. Il en avait presque oublié pourquoi il devait passer chez Colin, et maintenant qu'il était au pied du mur, il n'avait plus trop envie d'aller chez lui. Mais après tout, s'il n'y allait pas aujourd'hui, il n'irait probablement pas de toute la semaine. Il longea la galerie ouverte sur la cour intérieure de la Grande Tour, laissant ses yeux verts dériver rêveusement sur les arbres en bas, qui semblaient encore plus petits, puis atteignit enfin le couloir menant aux ascenseurs. Il appuya sur le bouton d'appel. Lorsqu'il arriva, il y avait déjà trois personnes dedans. Sans mot dire, il pressa le 14. Autour de lui, les autres le regardèrent suspicieusement, comme s'ils savaient qu'Harry n'habitait pas au quatorzième étage (ce qui était vrai). Monté en dernier, Harry descendit aussi en premier. Il sortit de la cabine, et s'éloigna en marmonnant :

« Connards d'aristos du vingtième…Si vous bouffez de l'agneau petite marquise à midi c'est bien grâce à moi… »

Enfin, il atteignit l'appartement de Colin. Qui s'apparentait plus à un loft qu'à un appartement d'ailleurs, avec de larges baies vitrées, et une pièce entièrement aveugle pour développer ses clichés en toute tranquillité. En tant qu'artiste photographe, il avait droit à un grand logement pour pouvoir travailler à l'aise, aussi bizarre que cela puisse être. Harry songea que le vieux Dumbledore, qui après tout était aussi un artiste, n'avait eu droit qu'à un studio miteux au dixième étage…

Le brun sonna néanmoins. Au bout de longues minutes, la porte s'ouvrit sur un Colin ébouriffé. Cela ne surprit pas outre mesure Harry. Colin était toujours décoiffé. Ou tout au moins il s'en donnait l'air. Il avait les cheveux bouclés et très blonds, mais pas d'une jolie nuance de blond. C'était quelque chose qui avait l'air d'un jaune sale plutôt que d'une nuance dorée. Il portait comme d'habitude ses lunettes carrées et noires, et ses vêtements étaient toujours soigneusement choisis pour avoir l'air totalement déstructurés. Ce soir-là, t-shirt moulant noir à tête de mort blanche peinte dessus, et petit jean serré et lacéré au niveau des genoux. Et aux pieds, des espadrilles. Il détailla Harry des pieds à la tête avec une moue méprisante qui n'avait rien d'engageant.

« Oh. C'est toi. Salut. », dit-il juste. « Chuis total défracté. Qu'est ce que tu m'veux ? Je t'ai dit l'autre fois que j'avais terminé le shoot pour cette série de portraits. Je t'appellerai quand j'en voudrai d'autres. »

Harry rougit. Quand il n'avait pas besoin de lui, Colin le traitait toujours comme s'il avait été un chewing-gum collé à son espadrille.

« Je…Je passais dans le coin, et je me disais que j'allais venir te dire bonsoir…euh, pour savoir comment se passe l'exposition, tout ça… »

Colin eut l'air de quelqu'un qui découvrait qu'il avait effectivement un bout de chewing-gum particulièrement répugnant collé à sa semelle.

« Elle se passe pas, je la prépare pour le moment. T'es bouché ou quoi ? J'te l'ai dit la dernière fois. »

Harry s'empourpra encore davantage.

« Et euh…Je me demandais aussi…depuis le temps que tu fais des photos de moi, si…je pourrais venir…euh, au vernissage ? »

Les traits du visage poupin de Colin se durcirent imperceptiblement.

« Pourquoi faire ? », cracha-t-il d'un air menaçant. « J'te file pas assez de fric pour les photos c'est ça ? »

« Non ! C'est pas ça…C'est juste que…c'est quand même moi sur les photos…Je voudrais savoir ce que…les gens en pensent, tout ça… »

Colin eut un rictus méprisant :

« L'artiste, c'est moi. Toi, tu te contentes de poser pour moi et de mettre tes jolies petites fesses où je te dis de les mettre. Y a aucun mérite là-dedans. Je pourrais bien shooter un portemanteau ou un balai à chiottes que ça serait quand même de l'art. Pas besoin de toi. Et de toutes façons, un berger n'a rien à faire dans un vernissage. Tu nous couvrirais de honte, c'est tout ce que tu ferais. Maintenant, dégage, tu vois bien que je suis occupé. »

Pendant qu'il parlait, Harry vit une jeune femme décoiffée et vêtue d'un drap passer dans son champ de vision.

« Je vois. », murmura-t-il juste. Il redressa la tête. Ses larmes menaçaient dangereusement de couler, mais il les contint : « Ne compte plus sur moi pour jouer tes modèles. Pour ta prochaine expo, tu n'auras qu'à la faire sur des portemanteaux. »

Colin eut un sourire sardonique.

« Très bien. Considère ça comme une rupture définitive du contrat de travail et aussi tant qu'à y être du plan cul. Mais chuis pas totalement dégueulasse. Attends quelques minutes. »

Il referma la porte et la rouvrit quelques instants plus tard, et fourra dans les bras du brun un paquet enveloppé dans du papier kraft.

« Cadeau. », dit-il juste avant de refermer la porte au nez d'Harry.

Un peu plus loin dans le couloir, le garçon s'autorisa à s'effondrer en larmes contre un mur. Deux personnes passèrent, lui jetant des regards dégoûtés, comme s'il était une chose dégoûtante et honteuse. Enfin, au bout de quelques minutes, il déchira le papier kraft de ses mains tremblantes, pour découvrir un cadre de bois rectangulaire. À l'intérieur se trouvait une photo en noir et blanc ; il s'agissait de lui-même. Il souriait, assis sur un sofa, l'air décontracté, vêtu d'un simple caleçon blanc ; c'était l'une des premières que Colin avait prises, au début de leur relation. Quand Harry pensait qu'il comptait vraiment pour l'artiste. Les larmes coulèrent de plus belle sur les joues du brun. Il les essuya d'un geste rageur, remit le portrait dans son emballage de papier kraft, le rangea dans son sac en bandoulière de toile marron, et se releva péniblement.

oOoOoOo

Il rejoignit les ascenseurs sans croiser personne, ce qui était globalement normal car les vingt-et-une heures étaient passées depuis longtemps, et il n'y avait plus d'animation dans les quartiers résidentiels après dix-huit heures. Il appuya machinalement sur le bouton d'appel. La porte la plus à gauche s'ouvrit dans un glissement silencieux. Harry se glissa dans la cabine déserte. Il appuya automatiquement sur le chiffre 8. Les portes d'acier se refermèrent en silence, et la cabine commença à descendre sans bruit. Mais soudain, entre le douzième et le onzième étage, elle s'immobilisa. Harry leva les yeux au ciel : ''Oh non, pas une panne ! Qu'est ce que j'ai fait pour mériter ça ?''. Il appuya sur le bouton jaune décoré d'une cloche, mais aucune sonnerie ne se déclencha. Il l'enfonça à nouveau, mais rien n'y fit.

Alors qu'il commençait à se résigner à l'idée qu'il allait devoir passer la nuit là, à attendre que quelqu'un s'aperçoive de sa présence, la cabine se remit brusquement en marche. Mais au lieu de descendre, elle montait.

« Eeeeeeh ! Non ! », cria Harry en pressant comme un fou sur le bouton 8. « Descends, saloperie ! Mais descends, merde, j'habite au huitième, moi ! »

Mais la machine n'avait pas l'air de vouloir le moins du monde lui obéir. Harry regarda au-dessus de la porte, là où étaient indiqués les étages qui défilaient. Il vit avec stupeur qu'il avait dépassé le quinzième étage.

« Mais où tu vas espèce de cochonnerie électronique ? », gémit-il plus pour lui-même que pour l'ascenseur qui de toutes façons ne pouvait lui répondre.

Il se prit la tête dans les mains. La machine n'avait pas l'air de s'arrêter. Quand il rouvrit les yeux…

« C'est pas vrai ! », hurla-t-il en voyant le chiffre 28 affiché au-dessus de la porte.

Il allait se retourner encore vers le tableau de commande pour essayer d'appuyer contre la cloche jaune ou sur le 8, quand son cœur fit un salto arrière contre ses côtes. En haut du cadran, le chiffre 96 avait cessé de clignoter, mais brillait d'une lueur jaune et blafarde, presque malveillante.

« C'est pas possible ! », couina le brun.

Instinctivement, il se tourna vers l'affichage des étages au-dessus de la porte. Il était sur 33 et la cabine n'avait toujours pas l'air de ralentir. Le chiffre 34 clignota soudainement, et le garçon sentit son estomac se retourner quand l'ascenseur stoppa brutalement dans un crissement sonore. Harry poussa un soupir de soulagement : ''Ça ira, je sors de cet ascenseur, j'en appelle un autre, et je redescends…C'est tout…'' Le problème, et ça Harry s'en rendit vite compte, c'était que les portes ne s'ouvraient pas au 34.

Une voix métallique prit soudain la parole, avant qu'il n'ait eu le temps de tambouriner contre les panneaux d'acier :

« Bienvenue. Veuillez vous tenir à la rambarde de sécurité. Le départ pour le niveau 96 est prévu dans 5 secondes…5…4…3… »

Apeuré, Harry agrippa néanmoins dans ses mains moites la rambarde de sûreté.

« 2…1…Attention au départ ! », fit la voix.

L'ascenseur émit un bruit assourdissant, et commença à s'élever, au départ lentement, puis de plus en plus vite, comme s'il filait à grande vitesse à l'intérieur d'un toboggan particulièrement glissant. Harry se cramponnait et garda ses yeux hermétiquement clos, comme si sa vie entière en dépendait. Il sentit qu'il n'allait pas supporter cette vitesse encore bien longtemps, car la tarte tatin semblait insister fortement pour ressortir de son estomac. Heureusement, au bout d'un moment qui lui parut une éternité (mais qui ne dura en fait qu'une minute douze), la cabine décéléra progressivement pour finalement s'immobiliser totalement. Le cœur d'Harry rata un battement quand il vit au-dessus de lui le chiffre 96 clignoter. Les portes coulissèrent lentement sur elles-mêmes, et la voix métallique reprit la parole :

« Bienvenue au quatre-vingt-seizième étage… »

oOoOoOoOoOo

Le sondage de Ritsuko !

Selon vous, qu'y a-t-il au 96ème étage ?

A/ L'expo photo de Colin !

B/ Drago bien sûr !

C/ Voldemort…

D/ Le cabaret du Moulin Rose !