Chapitre 13

Vie au lycée

Mercredi 11 Novembre 1986. 07h10

Eddie avait déposé Chrissy à l'abri bus comme elle le lui avait demandé. Elle avait décidé de prendre le moins de risque possible et ça passait par ça. Lui était parti à l'école dans son van. Elle espérait venir plus tôt que Jason et pouvoir attendre Britney sur le parking comme prévu. Ainsi, tout se déroulerait à merveille.

Elle était ravie. Elle avait très bien dormi. Peu. Mais bien. Pas de cauchemars. Eddie avait été de très bons conseils à propos du cannabis. Elle avait fini par s'endormir sur le canapé. Eddie avait dormi dans sa chambre et lui avait donné une couverture. Il l'avait réveillé avant que son oncle ne rentre.

Elle ne regrettait pas du tout ce qu'elle avait fait. Les affaires de Britney étaient dans son sac, elle avait mis le gros pull qu'elle n'avait pas pu mettre hier. Elle portait sur elle la veste en jean de son amie qui ne rentrait pas dans son sac, et le même jean qu'hier. Et elle espérait qu'il ne sente pas la cigarette -où tout autre relent de drogue-.

Le bus arriva enfin, et avec lui, les angoisses de la jeune fille s'envolèrent. Elle arriverait définitivement plus tôt que Jason. Pas de questions. Juste elle et son petit secret qu'elle partagerait à vie avec Eddie.

Elle n'avait pas pensé lui prendre un sachet de drogue aujourd'hui pour dormir ce soir. Elle y pensa pendant qu'elle s'installait au fond du bus.

Comme promis, elle rejoignit le point de rendez-vous qu'elles s'étaient fixées hier. Quand elle vit Britney elle fut soulagée. Elle se dirigea en trottinant vers la voiture de la rouquine et ouvrit son coffre. Chrissy y déposa les affaires qu'elle lui avait prêtée le soir d'avant.

« Aloors ? » S'enquit Britney. « Raconte ! Comment ça s'est passé hier soir ? »

Chrissy rigola. « Il n'y a rien de spécial, Eddie m'a… » Elle fit une pause « Disons qu'il m'a fait d'abord essayer un joint. »

« C'est mieux je pense. » Acquiesça effectivement son amie. Mais elle ajouta avec un sourire. « Mais ce n'est pas ce que je voulais dire par là… » Sourit-elle avec un sourire en coin.

Chrissy la regarda dépitée un léger sourire sur les lèvres.

« Si tu me demandes s'il s'est passé quelque chose avec lui, alors la réponse est non. » lui répondit Chrissy en se moquant, faisant remonter la pointe de son nez. Un petit rire fluet et naturel sortant en repensant à la soirée qu'elle avait passé avec Eddie. Elle lui raconta ce qu'il s'était passé dans l'ordre : le concert dépaysant pour elle, la rentrée en camion, comment Eddie l'avait conseillé… Au fur et à mesure qu'elle racontait son amie la regarda avec tendresse. Elle la trouva adorable.

Le problème c'est qu'on aurait dit une enfant qui parlait de sa première sortie à sa grande sœur. Ce qui était très problématique, vu qu'elles avaient le même âge. Britney trouva cela triste, Chrissy n'avait vraiment jamais vécu pour elle-même. Elle était très lucide sur la vie que son amie devait vivre. Une vie millimétrée, militaire, stricte… Sans droit au moindre écart. La voir s'enjailler sur une chose aussi ridicule que le fait que d'être allée à un concert en douce et de voir un ami pour fumer un joint la rendait dans tous ces états. Mais Britney ne le releva pas à haute voix, ça lui mettrait trop de pression, Chrissy s'était amusée et c'était le principal.

« Tu vois, il n'y avait pas besoin de stresser chérie » souffla-t-elle moqueuse en prenant sa première cigarette du matin « En plus tu n'as fait 'que' fumer. Tout va bien. Et tu as bien dormis en prime. C'est super. Maintenant faudrait voir comment ça va évoluer. Je suis contente que tu aies pu te reposer. Tu peux me prendre en couverture quand tu veux, préviens-moi à l'avance quand même. »

« Oui » souffla Chrissy en se posa sur le coffre de la voiture. « Je suis tellement rassurée d'avoir enfin pu dormir… »

« C'est quand même étrange que tu aies réussi à dormir chez un étranger comme Eddie comme si de rien n'était et pas dans ta chambre… » Songea Britney. « Je veux dire… Je me demande si c'est la drogue qui a fait que tu as pu t'endormir où le fait que tu n'étais pas chez toi. » Considéra Britney, plus pour elle-même que pour son amie.

« Je… » Chrissy se tût et paru réfléchir. « Je ne sais pas. Je vais lui demander un pochon cet après-midi. Il doit en avoir gardé sur lui… Ce soir je m'arrangerai pour fumer dans ma chambre… et ça me permettra de dormir je pense. Je l'espère. » Quelque chose dans la voix de Chrissy donnait vraiment l'impression d'une vie nouvelle. Son amie aussi vit qu'elle avait repris des couleurs. C'est fou comme une seule nuit l'avait changée.

Britney opina à son raisonnement et regarda le mouvement de foule des élèves bouger vers l'entrée du lycée : les cours allaient commencer. Et dans le lot, une tête regarda dans sa direction. Il s'agissait d'Eddie Munson et il la fixait. Etonnée, Britney regarda par reflexe son amie qui fit un mouvement de la main timide au bad-boy du lycée. Celui-ci semblait avoir souri avant de suivre le flot de personne et de disparaitre dans l'enceinte de l'établissement.

Britney scruta son amie qui gardaient les yeux fixés sur l'endroit où était le garçon deux secondes plus tôt. Britey eut un énorme sourire aux lèvres soudain très amusée.

« Bah alors Cunningham chérie, on a oublié qu'on avait un copain ? Respire, t'es toute rouge. » s'esclaffa-t-elle se retenant de hurler de rire.

Chrissy se sentit tout de suite bête et rougit pour de bon, sautant sur ses deux petites jambes pour taper gentiment le bras de son amie.

« Britney ! »

« Ça vaaa, je plaisante chérie. » Elle coupa sa phrase en soufflant de lourdes volutées de fumées, toujours un sourire accroché aux lèvres. « Je sais bien que tu es folle amoureuse de ton petit-copain superstar, relax. »

Chrissy ne répondit rien. Elle afficha juste un drôle de sourire et se contenta de faire une petite moue adorable. Britney interpréta sa réaction par quelque chose comme 'voilà, exactement mais pas tout à fait quand même.' Chrissy était très expressive, même si on lui avait appris à ne pas l'être. Le problème c'est que Britney la connaissait bien.

Ce n'était pas tout beau de sortir avec Jason. Elle le savait, elles en avaient parlé. Plusieurs fois Chrissy lui avait fait part de comportement très limites. La faire culpabiliser s'ils ne couchaient pas ensemble, le fait qu'il ne veuille pas mettre de préservatifs, le fait qu'il veuille confiner Chrissy à la maison comme leurs parents avant eux, le fait qu'il ne s'intéresse qu'à sa carrière sans penser à elle et à ses études ? Ça condamnait Chrissy à une vie de mère au foyer.

Britney n'était pas fan, toute sa vie elle se battrait pour avoir le droit de travailler, sa mère ayant milité dans les rues pour protester contre le sexisme qu'elles vivaient au quotidien pendant le mouvement de Libération des femmes. Elle lui avait appris qu'en Amérique certaines femmes n'avaient toujours pas le droit de gérer leur propre revenu il y a six ans de ça. Et de l'avis de la rouquine en général : Chrissy était trop brillante et pleine d'énergie pour finir comme sa mère : acide et stricte.

Jason était une plaie à ses yeux : le genre de type qui dit des trucs pas corrects, qui s'excuse et recommence le lendemain.

Et personne, sauf Britney, ne semblait le voir. Elle trouvait cela révoltant.

Elle remua ses cheveux courts bouclés et prit une latte. Avant de s'exclamer :

« Oh d'ailleurs, tu sais que j'étais chez moi copain hier soir ! Et j'avais oublié qu'il habitait pas loin de la station essence. Tu sais, celle à côté du restaurant de Benny... Et bah tu deviner... »

Elle se coupa abruptement.

Chrissy l'avait écouté et attendit la fin de sa phrase. Elle la regarda avec ces grands yeux bleus bébé, peu sûre de savoir quel était le rapport avec la discussion et pourquoi elle s'était arrêtée aussi vite. Son amie semblait réfléchir à plein régime et Chrissy ne comprit pas. Normalement Britney était le genre de personne à ne pas avoir de barrière et à dire tout ce qu'elles avaient en tête sans faire attention.

« … Oui ? »

Britney s'était pétrifiée.

« Euh… »

« Hum ? »

« Non rien, oublie. J'allais te parler d'un truc cochon que j'avais vu, mais je sais que tu n'aimes pas ça. » fit-elle finalement gênée, se concentrant à présent sur sa cigarette. Chrissy la regarda bizarrement. Son demi-mensonge n'avait pas l'air de passer…

Elle avait failli dire une catastrophe. Pas qu'elle ne pouvait pas le dire à Chrissy. Au fond elle pouvait… Mais le fait est : elle n'était pas sûre que ce fût Jason le mec qu'elle avait vu baiser dans les bois. Si jamais elle s'était trompée, elle se ferait harceler par toute sa clique jusqu'à la fin de l'année. Et elle perdrait Chrissy. Il fallait qu'elle soit sûre avant de porter des accusations de tromperies. Mais comment faire ? Prévenir son amie ? Ne rien dire ? Elle regarda les yeux de la jolies cheerleader. Jamais son amie ne la croirait. Elle la connaissait : elle avait confiance en les personnes qu'elle aimait. Même si elle ne devrait pas toujours. Chrissy était une enfant blessée et naïve. Jamais elle ne douterait de Jason. C'est elle qui serait blâmée et les torts se retourneraient contre elle. Surtout qu'elle avait déjà été véhémente envers lui, ça la décrédibilisait.

Ouais mais bon, c'était un con fini. Elle l'avait croisé deux trois fois à la messe, avant de décider que la religion n'était pas pour elle. Lui avait complètement embrassé la foi. Elle n'en avait rien à foutre, mais il s'en était servi pour dire de la merde sur plein de sujets.

Et Britney, du haut de sa culture gigantesque, elle n'aimait pas les gens qui parlaient de sujet qu'ils ne maîtrisaient pas.

Ce gars elle pourrait en faire des listes de ces défauts : arrogant, un brin violent, un harceleur, qui avait déjà dit des trucs racistes et terriblement misogynes. Surtout à Chrissy qu'il était si fier de présenter comme une jument partout où ils allaient. Pour lui, Chrissy était à présent sa propriété en quelque sorte. Terriblement possessif. Très demandeur. Toujours en train de parler d'un sujet qu'il ne connaissait pas pour se faire bien voir. Ou de faire ces fichus speechs pour motiver, alors qu'il s'agissait de personnes mortes de façon tragiques, sans faire attention aux personnes qui pourraient revivre la douleur dans l'assemblée.

Mais ça, à la rigueur, ça ne la concernait pas, en quelque sorte.

Le problème, c'est que Britney Primo était une tête et qu'elle passait sa vie à lire quand elle n'était pas dans les bras d'un de ses amants. Elle pouvait écrire des thèses sur ce qu'elle lisait.

Et elle avait lu la Bible, l'Ancien et le Nouveau Testament.

C'est pour ça qu'elle ne pouvait plus aller à l'Eglise. Elle savait à quel point le prêtre tordait les écrits pour faire dire ce qu'il voulait. Elle pouvait rétorquer. Mais personne ne la prendrait au sérieux. Ils avaient torts. Ils instrumentalisaient la Bible pour faire dire n'importe quoi. A quel moment Jésus a dit que les femmes ne devaient pas prendre la pilule ? Ridicule. Elle avait bien remarqué à quel point le prêtre faisait en sorte de toujours utiliser ce qu'il lisait contre les femmes. Toujours les femmes. Que les femmes.

Ce bâtard.

Et Jason, il était pareil. Mais aux yeux de tous : c'était complètement normal. Et maintenant, on devait rajouter le fait qu'elle l'avait probablement surpris en train de tromper une de ses amies les plus chères ?

Ouais non. Jamais elle ne laisserait passer ça. Il fallait donc qu'elle soit sûre et qu'elle mène son enquête de loin.

Il lui fallait des preuves.

Britney souffla la fumée de sa cigarette.

« …Rien… Oublie. » Répéta Britney avant de s'avancer vers les portes du lycée, une rage dans le ventre, sous le regard perdu de son amie.


Mercredi 11 Novembre 1986. 12h10

Décidément la Princesse adorait déposer des notes dans son casier. Cette fois-ci la note disait 'rendez-vous pique-nique 15h30. Avec un pochon de cannabis s'il te plait', signé 'Chrissy'.

Elle lui avait écrit 's'il te plait' en toute lettres. 'Adorable'.

Eddie sourit. Etonnamment, il voulait revoir ce petit bout de femme avec qui il avait passé la nuit -en quelque sorte- … Elle l'intriguait. Ce matin il l'avait vue, assise sur le coffre d'une voiture, en compagnie d'une autre fille sur le parking. Elle l'avait salué de loin.

Elle ne l'avait pas ignoré.

Il sourit au souvenir.

Chrissy avait toujours été la petite meuf modèle que tout le monde aimait. Tout le monde, dont lui, se retournait sur son passage. Populaire, gentille, qui passe sa vie à apprendre aux petites filles à danser, à faire des kermesses, des dons, aider les gens ? Tout le monde savait qu'elle se pliait en quatre pour un oui ou pour un non. Et toujours avec le sourire. C'était connu dans la communauté d'Hawkins. Elle faisait la fierté de ses parents, de l'école et de cet abruti de Jason.

Ce qui lui, aurait dû lui taper sur le système. Il détestait ces gens qui rentraient dans le moule à ce point.

Même Chrissy, au final. Elle cochait tout ce qui aurait dû l'énerver. C'était vrai. Mais bizarrement, ce n'était pas le cas. Peut-être avant, avant qu'il ne sache qu'elle n'était pas comme ça. Quand il l'avait vue hier soir, dans les bois… Il se sentait bien avec elle. Il la faisait rire. Et puis faut dire qu'il n'y avait pas plus gentil que Chrissy. Elle n'avait sûrement jamais fait du mal à une mouche.

Auprès des nerds et autres brebis égarées, elle avait la réputation d'un petit ange. Elle énervait les autres par sa perfection constante mais personne ne pouvait nier que c'était une sorte de sainte dans son groupe. Par exemple, quand Jason voulait s'en prendre à quelqu'un : il l'avait déjà vue s'interposer. Obtenant de ce fait, la reconnaissance éternelle de la personne persécutée. C'était pas grand-chose, et pourtant, aux yeux de beaucoup c'était déjà suffisant.

Cet abruti de Jason. Qu'est-ce qu'il lui tapait sur le système lui.

Jason n'avait jamais pu s'en prendre à lui. Il n'aimait pas se battre, mais il était prêt à péter des nez si c'était pour avoir la paix. Jason le savait. Puis ils avaient besoin de lui pour alimenter les soirées de ces petits copains. Eddie savait se battre, il n'aimait pas ça. Il avait déjà dû se défendre, se construisant donc une réputation de mauvais garçon à l'extrême, refusant de se laisser faire.

Enfin, pas qu'il en avait quelque chose à foutre de tout ça. Cette société le rendait malade et lui avait donné très tôt l'envie de se rebeller. Il s'était construit son propre chemin. Mais du coup, il avait rejeté quelques normes, comme le fait de rentrer sagement dans le moule des gentils élèves. Donc lui aussi était connu : mais pas dans le bon sens. Le 'taré', la 'bizarrerie' du lycée. Ce mec qui jouait à Donjons et Dragons avec ces potes, en portant des crânes sur ses tee-shirts, écoutant ''la musique de Satan''. Il s'en foutait, ça le faisait rire de voir les coincés du cul avoir un arrêt en le voyant arriver. Mais il ne pouvait pas s'empêcher de penser à quel point ils étaient complémentaires Chrissy et lui.

Et en tous points différents.


Mercredi 11 Novembre 1986. 15h30

Chrissy était venue bien avant au rendez-vous, dix bonnes minutes plus tôt. Il avait fallu qu'elle ruse pour se soustraire de son groupe de copains. Elle avait prétexté devoir passer aux toilettes, et ils plaisantaient tous sur le fait qu'elle y reste toujours des plombes. Ça lui servirait cette fois. Elle avait marché, avec sa démarche discrète, hors de l'enceinte pour se diriger vers le point de rendez-vous. Le ventre mêlant excitation, angoisse et chaleur. Elle avait hâte de le revoir. Il la faisait rire. Hier, il avait même pris soin d'elle.

Elle attendit sagement. Cinq autres minutes passèrent. Elle s'était assise sur la table, faisant face dans la direction du lycée, dos à la forêt. La forêt était toujours un peu dans l'ombre, et les températures avaient baissées.

Mais aujourd'hui, il faisait beau. Pas chaud. Mais beau. Un petit rayon de soleil timide passa entre les feuilles. Elle ressentit cette chaleur et un bien être passa dans tout son être. Chrissy s'allongea entièrement sur la table de pic-nic faisant face au ciel, les mains sur son ventre si plat. Ecoutant les bruits calmes de la forêt, des oiseaux qui chantaient. Elle respira cet air gelé qui sentait la neige, cette espèce de courant d'air froid venu du Nord. L'odeur de la forêt la calma. Les épicéas avaient leur propre odeur, elle n'y avait jamais trop fait attention. Une odeur douce de bois, de feuilles mortes mouillées et de sous-bois. Elle était bien. Elle se demanda depuis combien d'années elle n'avait pas pris de temps pour elle. Se poser juste pour ne rien faire sur une surface plane quelconque pour regarder le ciel ? Une éternité.

Elle ouvrit les yeux pour y voir un ciel bleu très clair et intense de fin d'automne. Bientôt l'hiver arriverait et Noël avec ça. Le bal de Noël.

Oh mon dieu.

Le bal de Noël.

Lorsqu'elle se releva, elle vit dans son champ de vision quelque chose bouger. Il s'agissait d'Eddie qui la regardait de loin en souriant, un sourire malicieux plaqué sur le visage. Il devait trouver ça cocasse de voir la super prom-queen allongée sur une table au milieu de la forêt.

Elle s'assit sur la table, les pieds sur le banc face à lui, attendant qu'il arrive à sa hauteur. Elle lui donna un petit sourire timide, celui qui faisait remonter la pointe de son nez. Eddie trouva cette mimique adorable. Et se reprit.

« C'est peut-être moi qui suis encore sous drogue, mais est-ce que je viens de voir la Belle au bois Dormant au milieu de la forêt ? » plaisanta Eddie.

Elle lui répondit presque du tac au tac avec un sourire moqueur « Tu lis mal tes classiques, la Belle aux bois Dormants dort 'dans la plus haute salle de la plus grande tour'. Il me semble qu'on a plus affaire au cas d'une simple lycéenne qui regarde le ciel en attendant un certain retardataire. »

Eddie refit le signe qu'il avait fait lors de leur première rencontre, et mima une attaque en plein cœur. « Oof, il semble que tu m'aies touché en plein cœur Chris » taquina le jeune homme avec cet air de défi sur le visage. « Il faut croire que même les Princesses peuvent avoir la langue aiguisée finalement. ». Chris lui répondit avec de grands yeux sa dernière pique

« Toutes les roses ont des épines. » s'amusa-t-elle.

« Touché. » dit-il en rigolant, venant s'assoir à côté des jambes de la cheerleader. Il s'assit sur le banc près du pied gauche de la cheerleader puis lui demanda « Comment tu te sens ? Mieux ? »

Chris fut émue qu'il lui pose la question. Et il avait l'air d'être réellement intéressé par la réponse. Ça la toucha réellement. Son petit nez se retroussa laissant voir ses dents -qu'elle détestait- et une sorte de petite fossette apparue. Elle se sentait gênée, comprise, protégée, tout à la fois.

« Oui, merci. » Dit-elle en le regardant « Hier soir c'est sûrement le premier soir où j'ai… enfin pu dormir. »

Eddie ne dit rien, se contentant de l'écouter. Il n'était pas du genre à poser des questions. Il parlait beaucoup, était très expressif, mais il savait reconnaitre quand un sujet était douloureux. Et là, ça avait l'air d'être le cas. Il la vit encore partir. Il ne saurait pas l'expliquer, mais elle avait l'habitude de partir dans ses pensées en se fixant un point en n'en bougeant plus ensuite.

On disait souvent que les yeux étaient le miroir de l'âme. Il semblait que c'était bien plus que ça chez Chrissy.

« Hurm…Hu… » tenta piètrement Eddie avant de se racler la gorge. « Je sais qu'on s'connaît pas et tout mais… Est-ce que tu veux m'en parler ? » Puis il ajouta « Je serais muet comme une tombe. » il mima le fait de fermer sa bouche comme une fermeture éclair.

Il vit la jeune fille remonter le bord de ses commissures de lèvres et se pincer la lèvre inférieure.

« …Je… »

Puis elle arrêta sa phrase qui resta en suspens dans le fond de sa gorge. Eddie vint mettre une main sur le tibia gauche de la jeune femme, la regarda avec tendresse.

« C'est okay si tu ne me dis rien Chris'. J't'en voudrais pas. »

Elle hocha la tête en guise de remerciement. Elle n'était pas prête à en parler à quelqu'un d'autre que la psychologue du lycée, et c'était déjà très compliqué d'en parler avec elle. A part Britney -qui lui avait donné un secret en échange- Elle n'avait pas l'habitude de se confier. Alors s'ouvrir entièrement à lui…

« Je… je peux juste te dire que… Je cauchemarde depuis quelques mois assez régulièrement. Et… je … Tu… Est-ce que… »

Eddie avait ouvert sa boîte de métal et se stoppa immédiatement quand il l'entendit ouvrir la bouche.

« Est-ce que… Tu te souviens, je t'avais demandé si toi aussi tu… avais l'impression de perdre des fois la raison ? »

Il hocha la tête, voyant petit à petit où elle voulait en venir.

« Je crois juste que je suis… extrêmement fatiguée, Eddie. » Elle se prit la tête dans les mains, ses cheveux attachés en queue de cheval tombant sur ses épaules. Il sortit le pochon de cannabis pour le mettre sur la table.

« C'est difficile d'être toujours parfaite hein ? » fit-il avec un très léger sourire compatissant. Cette simple phrase sembla pourtant percuter de plein fouet la jeune fille blonde parce qu'elle se redressa vivement en ouvrant grand la bouche, ses grands yeux bleus à présent fixés sur lui comme s'il avait apporté les paroles de Jésus en personne.

« Oui ! c'est exactement ça ! »

Eddie fut surpris et sourit devant la franchise de la jeune femme. Jamais elle ne survivrait en dehors du lycée avec une honnêteté pareille pensa Eddie narquoisement. Et lui Il était là, à parler de comment la reine du lycée se sentait mal dans sa peau comme si c'était absolument normal.

Alors que, pas du tout.

« Je… » tenta la cheerleader. « C'est juste que j'en ai marre de devoir toujours faire des efforts pour rentrer dans les cases qu'on m'a forcé à prendre. Je… » Elle se coupa. Est-ce qu'Eddie l'écoutait ? Il semblait bien que oui.

« Tu sais… Je… je crois que je suis un peu perdue en ce moment… »

« C'est-à-dire ? »

« …Hu…Je… Toute ma vie a été tracée et dictée au millimètre et je n'ai jamais rien redis à ça. Aujourd'hui je commence à me poser des questions… Je suis fatiguée de devoir faire ce qu'on attend de moi… » elle parlait doucement en tripotant le tissu du pull, entortillant les mailles pour calmer son stress.

« Bah…oui ? C'est normal. »

Elle le regarda en fronçant des sourcils, déçue qu'il n'ait que ça à répondre, choquée de l'absurdité de sa réponse. Lui, la regardait comme si ce qu'elle venait de dire était l'évidence même. Voyant que ça ne lui suffisait pas pour comprendre son raisonnement il renchérit :

« N'importe qui dans ta situation pèterait un câble Chris'. J'veux dire tu parles de normes au ''mec taré du lycée'' » dit-il en rigolant, mimant des guillemets avec ses doigts « tu crois que je t'aurais dit quoi ? Evidemment que tu n'en peux plus, et je vais te dire, c'est rassurant. Ça veut dire que t'te réveilles et qu'tu commences à réfléchir par toi-même. C'est normal à notre âge de se détacher des attentes de la famille. Ce qui n'est pas normal c'est que ça te mette dans cet état-là de t'en rendre compte. Si les cases t'emmerdent » il vit le regard courroucé de la jeune femme à ce mot « Tu n'as qu'à les briser. Toi seule connaît ce qui te fait du bien. Tu aimes faires tes trucs de … cheerleader ? Fais-le. Tu aimes fumer ? fais-le. Tu aimes… je ne sais pas, les films d'horreur ? Regardes-en. Et emmerde le reste du monde. Que peuvent faire les gens si tu affirmes que tu aimes quelque chose ? Se moquer ? Bah qu'ils le fassent. Regarde, nous on joue à D&D. Bon je te l'accorde, je passe pour un type louche. Mais j'en ai rien à foutre. Je le fais parce que j'aime ça et que c'est passionnant. »

Sa tirade désarma Chrissy. Alors tout était si simple pour lui alors ? Ça semblait si évident quand c'est lui qui en parlait.

« Il faut que je t'avoue… un truc… » chuchota la jeune fille.

Eddie ne dit rien, et attendit patiemment. Elle adorait le fait qu'il l'écoute. Elle avait l'impression d'être comprise et entendue. C'était rarement le cas avec son copain.

« Je…J'ai…Dernièrement je me suis sentie envieuse de toi. De ta liberté. Tu es tellement libre d'agir comme tu le veux… »

Eddie fit une moue, pensant que non, il ne faisait pas tout ce qu'il voulait. L'argent était un gros facteur de manque chez lui. Ça l'empêchait d'avancer. Quoi qu'il ne sache pas exactement où il allait de toute façon. Il s'en voulait de ne pouvoir vivre qu'au jour le jour. Il espérait pouvoir un jour vivre de sa musique et arrêter de se demander quoi manger en fin de mois.

« Je crois savoir où tu veux en venir Princesse. Mais tu sais, tout ce que j'ai fait c'est juste ne pas me conformer aux autres. Rien qui ne soit inatteignable pour la Reine du Lycée d'Hawkins. Toi, tu as tous les pouvoirs. Suffit de s'en servir. »

Il la laissa réfléchir, bouche-bée et lui tendit le sac de drogue. « Ça fera quinze dollars Princesse. Toujours pas de reçu, et toujours en cash. » Fit-il avec un sourire malicieux et un regard encore plus profond que d'habitude.


Hello ! merci beaucoup pour vos reviews, ça me fait super plaisir ! La suite arrive bientôt j'ai déjà des chapitres de près, je corrige les dernières fautes. 3