Chapitre 14

Le joint du dodo

Mercredi 11 Novembre 1986. 23h47

Chrissy sortit hésitante le pochon remplit de joints dans sa chambre. Elle regarda ses murs roses et son lit, se demanda s'il ne fallait pas qu'elle cache ses draps -bleus clairs- pour éviter qu'ils ne sentent l'odeur de la fumée. Il n'y avait aucune raison que ses parents découvrent quoi que ce soit et ils ne devaient surtout rien deviner de toute façon.

Elle avait dû, l'après-midi après avoir payé Eddie, lui demander piteusement de les lui rouler, puisqu'elle ne savait pas faire. Il avait rigolé et s'était gentiment moqué d'elle. Elle adorait la façon dont il la taquinait. Elle lui a demandé s'il voulait un supplément pour tous les joints qu'il était en train de rouler, gênée. Il lui avait juste répondu « Non, mais je veux bien que tu viennes encore me voir en concert en échange. »

Elle ne savait pas quoi faire. Chrissy n'avait qu'une parole. Elle aimait bien Eddie, c'était un chic type.

'Chérie, avoue-le, tu le trouves séduisant Eddie.' Fut la voix de Britney qui s'incrusta dans son esprit sans qu'elle le veuille.

C'est vrai. Objectivement, il était beau. Enfin, pas beau, comme Jason pouvait l'être. Mais il avait ce charisme qu'elle n'arrivait pas à définir.

Jason

Elle tourna la tête dans un mouvement de détresse, secouant la tête négativement. Se raisonnant. Elle essayait perpétuellement de rentrer dans ce moule, comme lui avait appris ses parents. L'école. Les autres. De rentrer dans ce moule de la 'petite amie parfaite'. Elle se sentait misérable. Regardant ce joint dans sa main, ne sachant plus quel était le bien du mal. Est-ce que Britney et Eddie avaient raison ? Ou était-ce le reste du monde ? Comment savait-on si nos actions étaient réellement bonnes ?

Jason se disait être un fervent catholique, pourtant il faisait du mal aux autres. Toujours rabaissant, humiliant, arrogant. Et jamais ne se remettait en question et certainement pas avec elle…

Eddie lui, il ne faisait du mal à personne. Pourtant il ne respectait aucun code qu'on lui avait dicté depuis l'enfance. Enfin, si. Il faisait du mal en vendant de la drogue, mais il en vendait parce qu'il y avait des acheteurs. Elle n'allait pas le juger sur comment il se faisait de l'argent, elle qui avait tout. Si on allait plus loin, son père qui travaillait dans les assurances, irait certainement en enfer.

A noter que ces mêmes acheteurs de drogue étaient la bande qui harcelait ces mêmes 'nerds' qui les fournissaient pour leur soirée-squatt chez Benny.

Le monde à l'envers.

Les puissants n'avaient jamais honte de rien. Jamais ils ne descendaient de leur trône doré.

Elle avait envie d'aider Eddie à s'en sortir. Vraiment envie. Et pas seulement parce que la destinée avait voulu qu'elle lui tombe dessus par hasard.

Eddie méritait de s'en sortir. Faire une bonne école -quoiqu'avec son dossier, ça serait difficile-, où juste pouvoir fonctionner dans la musique. Elle avait envie de le voir gagner.

Elle regarda le joint qu'elle avait dans sa main et prit le briquet qu'Eddie lui avait donné. Un briquet noir avec une tête de mort dessus, évidemment. Il lui avait conseillé de ne fumer que ce dont elle avait besoin pour dormir 'dès que tu as la tête qui tourne tu arrêtes'. Elle alla vers sa fenêtre, faisant bien attention d'avoir tout éteint à l'intérieur pour ne pas être vue de l'extérieur et ouvrit tout doucement les volets de sa chambre.

Elle avait vu sur une partie de la route, des jardins alentours et de la forêt. Elle alluma le joint et s'assit sur le rebord de sa fenêtre, les pieds à l'intérieur de sa chambre. Elle tira sa première bouffée et tout de suite, se sentit bien.

Elle espérait que l'effet soit aussi doux et rassurant qu'elle ne l'avait eu chez Eddie.


Jeudi 12 Novembre 1986. 06h

Non. L'effet n'avait pas été 'doux'.

En réalité ça avait été pire.

Elle n'avait pas fumé beaucoup, avait caché ses forfaits et s'était allongée dans son lit comme une bienheureuse, persuadée que tout irait bien.

Quelle erreur.

Son rêve recommençait. Mais il était cette fois-ci, beaucoup plus réaliste encore qu'il ne le fût avant. Cette fois-ci, elle avait pu bouger. C'était pourtant impossible avant. Le même rêve, toujours.

Mais pas là, c'était différent. Cette fois-ci elle 's'était réveillée'. Et elle avait l'impression de voir cette chose réellement. Elle avait hurlé d'effroi, se souvenant même qu'elle avait hurlé au monstre « qu'est-ce que tu veux de moi ?! » Et cette fois ci, il n'y eu aucune hésitation venant du fantôme noir. Il s'était jeté sur elle la pointe du couteau en main, hurlant avec un cri de porc qu'on égorge.

Lorsqu'elle s'était réveillée, elle avait brusquement ouvert les yeux. Son lit était trempé et elle transpirait abondamment. Elle se leva en vitesse du lit pour allumer la lumière, ouvrir sa fenêtre et laisser rentrer l'air froid de l'extérieur. Evidemment qu'il n'y avait rien. Elle pleurait sans s'arrêter pressée par la peur, hoquetante.

« Non, non ce n'est pas possible… » se murmura-t-elle médusée encore et encore. « Non, non, comment c'est possible » … « stop, stop, stop… » Elle était à deux doigts de s'arracher les cheveux d'incompréhension.

Elle avait acheté, c'était donné tant de mal pour…

Rien ?

Une voix féminine s'éleva de l'autre côté de sa porte, alarmée et énervée.

« Chrissy qu'est-ce qu'il t'arrive bon sang ?! Tu as vu l'heure ? »

Chrissy eut peur, elle lui répondit à travers la porte fermée :

« Ce n'est rien maman… J'ai fait un cauchemar, tout va bien… »

« Ah bon ? Parce que ça n'a pas l'air. Ouvre cette porte. »

Chrissy psychota. Est-ce que sa mère avait sentie l'odeur de la drogue ? Elle transpirait, puait atrocement et avait envie de vomir.

Elle vérifia que tout était bien caché et se dirigea vers la porte pour ouvrir.

Sa mère allait lui lancer une remarque sur le fait qu'elle l'avait fait attendre, mais notifia l'état déplorable de sa fille.

« Nom de Dieu, Jésus, Chrissy qu'est-ce qu'il t'arrive ? Tu es vraiment blanche ! »

« Je t'ai dit maman… J'ai fait un cauchemar… Tout va bien… »

La mère vit les draps mouillés de sa fille, étonnée de son état. Elle vit la fenêtre ouverte et le froid s'engouffrer dans la chambre et au fur et à mesure dans le couloir.

« Par tous les Dieux, ferme cette fenêtre ma fille. Nous ne sommes pas en été. » Et Laura accorda la parole aux actes et alla fermer la fenêtre.

« Bon, je m'occupe de tes draps. Va te doucher. »

Chrissy fut étonnée de la réaction de sa mère et de son élan de gentillesse.

« Merci maman… » Puis elle se dirigea vers sa porte pour aller dans la salle de bain.

Mais d'un seul coup sa porte se referma devant elle. Chrissy eut peur et sauta en arrière. Sa chemise de nuit rose lui collant au corps. Tout devint sombre. Chrissy sentit cette peur profonde et criante derrière elle. Cette sensation de terreur qui lui prit les entrailles. Elle eut le souffle coupé. Des larmes coulèrent de ses joues. Elle se retourna tout doucement, sachant ce qu'il se trouvait derrière elle. Le visage pétrifié par l'effroi de ce qu'elle allait voir.

Devant elle, là où sa mère se tenait quelque second avant, s'élevait à présent l'ombre noire. Elle atteignait presque le plafond, flottant dans les airs. Cette chose n'avait pas de visage. Juste une sorte de capuche. Elle était là, silencieuse.

Chrissy s'était statufiée. Tremblante de tous ces membres, pleurant des larmes qui coulaient naturellement sans qu'elle ne pût les retenir sous le coup de la frayeur. Elle ne tenait debout que par une force qu'elle ne se connaissait pas.

Puis un hurlement, un cri d'un porc qu'on égorge. La lame d'un couteau.

L'ombre fonça sur elle.

Elle hurla. Et ce cri la réveilla pour de bon, réveillant la maisonnée dans la foulée.