Chapitre 15
Mme Kelly
Jeudi 12 Novembre 1986. 07h30
La pauvre Chrissy s'était finalement réveillée de son cauchemar, oui. En hurlant assez fort pour voir ses parents rentrer en trombe dans sa chambre, son frère une batte de baseball à la main, persuadés qu'un intru était rentré dans la chambre de la jeune fille.
Ils étaient sidérés, leur fille semblait vraiment bouleversée pour un simple cauchemar. La mère fit un drôle de rictus qu'elle n'arriva pas à déchiffrer et le père souffla un coup, avant que le frère ne râle de s'être fait réveiller de cette façon. Chrissy n'avait rien dit, elle s'était contentée de vérifier que tout était bien réel cette fois et fonça dans la salle de bains. Elle prit une douche brûlante, ne comprenant pas ce qu'il venait de lui arriver.
'Qu'est-ce qu'il s'était passé ?'
Elle alla dans sa chambre et pris son téléphone pour appeler le bureau de la psychologue du lycée. En secret. Sa mère ne devait pas être au courant. Elle était bien capable de demander à la psychologue de tout lui raconter de force et de faire pression sur elle.
' Décrochez…décrochez… '
Puis la sonnerie s'arrêta et une voix féminine prit place. « Psychologue du lycée d'Hawkins, je vous écoute ? »
« Oui… C'est Chrissy Cunningham… je…je voudrais un rendez-vous avec vous d'urgence avec vous…Aujourd'hui. S'il vous plait… je n'en peux plus… »
« Je t'arrange ça Chrissy. Viens à midi. Tiens bon. »
Jeudi 12 Novembre 1986. 12h
Chrissy était quelqu'un de ponctuel. Elle était là depuis dix minutes. Faisant balancer son poids d'un pied sur l'autre, tortillant son pull, effondrée, se rongeant les ongles -chose interdite habituellement-. Son regard devait être encore pire que d'habitude. Il fallait qu'elle parle à quelqu'un. Autant que 'ce quelqu'un' en ait fait son métier.
Quand la jeune femme aux traits asiatiques la fit finalement entrer avec son sourire compatissant, Chrissy déballa tout. Elle craqua, pleurant sans s'arrêter.
La seule chose qu'elle cacha c'est le fait qu'elle se faisait vomir. C'était encore la seule chose qui lui restait sur laquelle elle avait un quelconque contrôle. Le reste, elle ne contrôlait plus rien. Même pas ses propres rêves. Sa vie était misérable, ses relations factices, ses notes, tout, tout l'insupportait. Elle ne savait même pas au fond, c'était quoi 'vivre' ? Avait-elle déjà vécu ?
La psycholoque était réellement peinée pour elle. Elle suivait ces enfants comme si c'était les siens. Et cependant elle voyait Chrissy Cunningham craquer réellement pour la première fois en quatre ans. Ça lui brisa le cœur. Puis elle attendit que Chrissy ne se calme pour enfin parler.
« Donc si je comprends bien… Ces cauchemars qui durent depuis des mois se sont arrêtés le seul soir où tu ne dormais pas chez toi ? Correct ? » fit doucement Mme Kelly pour ne pas la brusquer.
Chrissy acquiesça. Elle n'avait pas dit chez qui elle avait dormit. Elle n'avait pas mentionné le nom de Eddie. Au moins pour le tenir dans l'anonymat. Mais elle avait expliqué toute la situation, ce que sa mère lui disait…tout. Tout ce qu'il se passait depuis des mois. Tout ce qui ne tournait plus rond, tout ce qui lâchait.
Devant le mutisme de l'élève après ces aveux, la psychologue se rassit derrière son bureau de manière plus confortable, réécrivant ce que l'élève lui avait dit.
« Laisse-moi résumer… Il y a deux mois, peu après la rentrée, ta mère t'a dit qu'elle je cite ''allait t'égorger comme la truie que tu étais'' si tu n'ouvrais pas la porte après une dispute. Après quoi ont suivi des mois le même cauchemar, -clairement lié à ce traumatisme- où tu voyais une ombre dans tes rêves, toujours la même chose. La seule chose qui a changé hier soir en revenant dans ta chambre, c'est le fait que tu aies fumé *hurm* de la drogue pour t'aider à t'endormir et qu'au final le cauchemar s'est révélé être pire au point où tu t'es réveillée en hurlant ? C'est bien ça ? »
Chrissy regardait ses chaussures. Vidée de toute énergie. Se triturant son pull comme elle le faisant quand elle était mal à l'aise.
« J'ai plusieurs théories sur ce qu'il t'arrive. » parla doucement Mme Kelly. « Premièrement, je pense que cette ombre noire et un mélange entre ta culpabilité et la colère que tu ressens envers toi-même. Colère que -je suis prête à parier-, tu refoules au fond de toi depuis un moment... Ça serait logique, ton cerveau n'arrivant pas à traiter ce qu'il lui arrive te le revois en plein visage une fois que tu dors. J'ai lu un livre récemment sur la psychanalyse. Je ne suis pas d'accord avec tout, mais certains passages me font penser à ça. Donc : Ça pourrait être, comme je l'ai dit, tes sentiments que tu rejettes et qui te ronges. Mais ça pourrait aussi être une représentation stricte que ton cerveau fait de ta mère pour se protéger. Maintenant que je sais à quel point ta mère peut-être quelqu'un de violent, ça serait tout autant possible. Après tout tu as rêvé qu'elle était gentille avec toi ce matin n'est-ce pas ? Ce n'était en fait peut-être qu'une projection de ce que tu aurais voulu qu'elle soit. La réalité la remplaçant ensuite par l'ombre : donc la façon dont tu considères ta mère : une ombre noire, imposante, tranchante et menaçante. Maintenant, moi à titre personnel, je pense que cette ombre est un mélange entre tes sentiments refoulés et l'image dont ton cerveau dépeint ta mère. Vu que tes rêves ont été différents. Il est même possible qu'il y ait deux ombres. Le couteau correspond à la phrase qu'elle t'a dite et le cri du porc. Tout correspond. »
Chrissy relava ses yeux embués de larmes. Au bord du précipice. Une lueur d'espoir.
La psychologue le vit. Cet espoir dans les yeux de la jeune fille perdue. Mais elle dût continuer. « Je suis capable de te dire ce que j'en sais. Je ne suis malheureusement pas capable de te …''soigner''. D'ailleurs je crains que personne ne le puisse vraiment, les rêves ne sont toujours pas un sujet traité … de manière claire...et scientifique. » acheva-t-elle désolée.
Chrissy la regarda scandalisée, sur le point de pleurer. Il n'y avait donc aucune solution ?
« Il faut que tu saches, cette ombre, les cauchemars en général ne sont pas là pour faire du mal à leur auteur : ils sont là pour prévenir. Ton cerveau t'avertit de ce que tu es en train de vivre. Il te prévient que tu vas mal à l'intérieur de toi. C'est surement un trop plein que tu n'arrives pas à gérer et c'est comme ça que ton cerveau se défend… »
« En... me faisant du mal ? »
« Malheureusement, je crains que comme tu n'arrives pas à gérer ce stress, ton cerveau continue de t'envoyer ces signes… Il te prévient que tu souffres, à sa façon… » Elle reprit « les rêves, c'est complexe et pas prit au sérieux. Pourtant quand on s'y penche, c'est passionnant. Par exemple je sais que rêver de se faire poignarder, ça peut revêtir beaucoup de choses… Encore d'autres significations. » Elle attendit de voir la réaction de la jeune fille qui se mordit la lèvre inférieure. « Donc on se souvient de ce que ça peut être : tes propres sentiments, la représentation de ta mère. Je te l'ai déjà dit. Mais le couteau dans tes rêves… Peut aussi, de l'avis de Freud, être un… hurm. Désir sexuel refoulé. »
Chrissy pâlit. Elle ne s'y attendait pas du tout. Jamais de la vie cette ombre et cette terreur ne seraient liés au sexe. C'était trop terrifiant pour que ça soit le cas.
« Où alors… Cette ombre représente un avertissement. Il est possible que, si ta vie t'épuise, ton cerveau te le fasse savoir de cette façon. Il est aussi possible que ton partenaire actuel te stresse, voir même, que tu aies peur qu'il te fasse du mal. Si on considère que la lame est un pénis, le rêve prend une tout autre tournure. » s'arrêta la psychologue pour observer Chrissy froncer les sourcils et se mordant la lèvre inférieure.
« Tant que tu te feras du mal, et que tu n'arriveras pas à te calmer, je crains fort que tes cauchemars continuent… »
« Mais… Comment je suis censée faire ? Qu'est-ce qu'il faut que je fasse ? » gémissait Chrissy à voix haute. « J'ai tout essayé ! Des somnifères, de la lecture, de la musique, faire du sport avant de dormir, de l'alcool et même la drogue ! Rien ne fonctionne !... Il faut que vous m'aidiez… » Supplia la lycéenne. « …Il faut que ça s'arrête… ».
« Je suis désolée Chrissy. » acheva la psychologue « Tu vois, les possibilités sont infinies et je ne suis censée te donner que des pistes… »
Elle vit la lycéenne se fendre en deux devant elle, prête à perdre pied. Non elle ne pouvait pas laisser cette jeune fille dans cet état, c'était au-dessus de ses forces. Elle bougea sa chaise pour se rapprocher de la jeune fille. « Ecoute, aujourd'hui je vais déroger de mon travail et te donner mon avis. Le problème étant que je ne suis pas censée le faire. »
Chrissy releva ses yeux vers elle, intéressée.
« Je ne sais pas exactement à quoi sont dû tes cauchemars, soyons clairs. Mais je pense vraiment qu'il s'agit d'un tout. Tes relations qui te semblent ''factices'', ton travail constant sur toi-même, cette discipline stricte que tu t'imposes, le fait que tu n'apportes à ton cerveau aucun repos, le fait que tu subisses de la violence dans ta propre maison… Le fait que tu ne sois pas toi-même. Tu as commencé à y réfléchir. Ton cerveau a commencé à débloquer des trucs, peut-être des traumas encore plus profonds dont tu ne te souviens pas. Où peut-être juste un goût pour découvrir autre chose ? Et je suis sûre que le simple fait que c'est peut-être ta conscience qui ait changé le rêve au moment où tu as pris de la drogue… elle te hurle que ce n'est pas 'bien'… Mais en même temps je pourrais te dire : tu as aussi pris de la drogue chez X. Et tu as dormi là-bas, sans être embêtée par tes cauchemars. Alors peut-être que ce n'est pas relié à la drogue, mais bien à la peur de ce que diront les autres. Tu as peur de ta maison. Tu angoisses là-bas. Tu te sentais bien chez X. Je pense que la solution est là : il est possible que ton cerveau ait voulu te faire prendre conscience qu'il était en sécurité chez cette personne et non chez toi. Il est aussi possible que ton subconscient t'envoie des signaux de fatigue extrême et qu'il te dise de te 'réveiller' à sa façon : ça ressemblerait à un appel à l'aide de ton subconscient. Il te prévient que ce que tu vis te fais souffrir et tente de te protéger à sa façon. Le cerveau est un muscle incroyable. »
Chrissy était bouche bée. Tout était possible, mais tout ça la rassurait :
Elle n'était pas folle. Si la théorie se vérifiait, tout ça avait un sens.
« Il faut que je te dise Chrissy… Moi aussi plus jeune, j'ai fait ce genre de rêve. » La blonde releva la tête, apparemment perturbée. « Oh pas avec une intensité comme la tienne, hein. J'étais à l'université de psychologie et j'avais étudié le sujet des cauchemars, déjà à l'époque. Et je me rendais compte que lorsque je faisais ces rêves là, c'était lorsque j'étais moi-même négligée par mon amoureux de l'époque. Quand je me mentais. Que je me confortais dans quelque chose de néfaste pour moi. Au final c'était devenu une évidence qu'il fallait que je rompe avec lui. Il ne prenait pas soin de moi, et mon subconscient m'a prévenu. Après cela je n'ai jamais plus fait de cauchemars de ce genre. Après nos situations sont très différentes. Mais je pense que tu auras une solution plus claire à présent. J'espère t'avoir aidée. »
La cloche sonna. L'heure était passée. Le fait d'avoir pu réellement parler à quelqu'un lui avait fait beaucoup de bien.
Mais elle n'était pas sûre de vouloir comprendre la solution que lui avait donné la psychologue pour s'en sortir.
Vendredi 13 Novembre 1986. 14h30
Chrissy était assise, songeuse et réécrivant tout ce que Mme Kelly lui avait dit sur une feuille volante à côté de son cours. Elle n'avait rien suivit de son cours de Géographie et n'en avait clairement rien à faire de savoir comment s'appelait telle capitale de tel pays. Là, ce n'était pas sa priorité.
Ce qui comptait pour elle c'était de savoir ce qu'elle allait pouvoir faire maintenant. Elle voyait Jason la regarder de travers, voyant qu'elle notait son cours d'arrache pieds, il avait l'air étonné et se concentra finalement, lui aussi, sur le cours.
Il fallait réfléchir. Que pouvait-être cette fichue ombre ? Est-ce que c'était possible que ça soit tout à la fois ? Le rêve traumatisant de ce matin lui revint brutalement en tête. Si cette ombre n'était pas sa mère elle se demanda ce que ça pouvait être.
Tout ce qu'avait dit Mme Kelly était sensé. Absolument tout.
La fatigue d'être une personne qu'elle n'était pas, cette discipline stricte qu'elle se faisait subir à elle-même, la négligence des autres autours d'elle. Même le fait qu'elle donnait de sa personne aux autres sans que jamais on le lui rende. Rentrer dans ces fichus cases de la 'jolie petite femme calme et gentille' dans laquelle elle rentrait, oui. Mais au prix de son silence. Et apparemment de sa santé. Le sport à outrance. La fatigue. Sa mère qui la terrorisait. A scruter le moindre centimètre de peau…
Tout prenait sens.
Mais pourquoi elle ? Pourquoi à elle ça lui faisait ça ? jamais sa copine April où cette pimpêche d'Alison avaient un jour parlé d'un mal être comme le sien. Est-ce que c'était parce qu'elles se conformaient sans se poser de question ? Le fait de vivre de la violence sous son toit devait forcément jouer dans la balance.
Elle n'aimait pas le rôle qu'on lui avait forcé de jouer dans cette mascarade géante. Comment les autres faisaient pour y arriver ? Elle regarda les autres personnes assises dans sa classe. Même Jason dont elle scruta le profil. Comment faisaient-ils eux ? Est-ce que c'était normal de se poser ces questions ? Se les posaient-ils ? Est-ce qu'elle était seulement normale au moins ? Est-ce qu'elle était la seule à trouver tout ça ridicule ?
Non, c'est faux. D'autres avaient trouvé ce cinéma absurde et avaient décidé de suivre leur propre scénario. Des gens comme Britney. Où Eddie.
Mais le problème était là :
Comment se sortir d'un chemin tracé rendu obligatoire par sa propre famille ? A qui demander de l'aide ? Comment faire pour s'en sortir ?
Comment devait-elle faire ?
Bonjour à toustes ! Je vous remercie énormément pour les reviews qui m'ont fait vraiment plaisir ! J'ai corrigé quelques fautes des premiers chapitres et je remercie Granotte, Smilinglove et Heywah-fiction pour leurs gentils retours 3 merci beaucoup !
