Octobre 1506

Garp venait régulièrement à Baterilla. Au moins une fois par an, histoire de garder un œil sur la fillette de son défunt rival. Et sur la mère de la gamine. Anabela était un peu comme une petite-fille. Une adorable petite-fille. Avec le petit Luffy qui allait faire bientôt trois ans, il était donc un heureux grand-père. Cependant, cette fois, en arrivant sur l'île, il saisit que quelque chose n'allait pas. Tout le monde le fixait avec noirceur. Haine. Un adolescent cracha même sur son passage. Qu'est-ce qu'il s'était passé ? En se rapprochant de l'école de l'île, il nota que les enfants en sortaient. Certains parents étaient là, d'autres avaient confiance en leurs voisins pour ramener les leurs. D'autres petits encore se réunissaient devant les portes de l'école pour jouer avant de rentrer chez eux. Pas pour longtemps, parce qu'en voyant le vieux marine, les visages se fermèrent et on évacua rapidement les lieux. Même les gosses qui étaient là pour jouer furent ramenés presque de force chez eux. Les portes et les volets claquèrent avec violence.

En clair, il n'était pas le bienvenu.

Garp allait monter directement vers la hacienda des Portgas quand il vit une petite tête brune bien chargée sortir de l'école. La petite s'était coupée très récemment les cheveux, lui donnant un air de petit mouton noir avec ses boucles sombres qui encadraient son front large et cuivré plein de taches de rousseur. Elle avait une tenue légère pour l'été indien éternel de cette région, mais il y avait un détail qui attira l'œil du marine : un brassard. Elle portait un brassard noir.

- Bonjour, Ann, salua Garp en se penchant vers elle.

Elle lui adressa un bref regard et détourna la tête juste en suivant. Elle arrangea le chargement sur son dos qui disait qu'elle avait eu ou se rendait à un cours de musique, puisqu'il s'agissait d'une guitare.

- Ann ? interrogea le marine.

La petite le dépassa en fouillant dans son sac de classe. Et quand Garp se retourna, il leva rapidement son bras pour protéger son visage. Une bouteille d'alcool se brisa dessus suivi d'un embrasement. La fillette venait de lui jeter un cocktail Molotov à la figure avant de prendre la fuite aussi vite que son chargement et ses petites jambes le lui permettaient. Ce qui était tout de même plus vite qu'un enfant normal. Clairement, elle était entraînée ou on l'entraînait. Sans compter qu'elle savait faire un cocktail Molotov alors qu'elle n'avait pas encore dix ans.

Garp se débarrassa de la manche enflammée de son veston et l'écrasa pour empêcher que le feu ne se propage, mais la petite n'était déjà plus là.

L'ambiance était lourde devant l'école déserte. Il sentait la haine, la colère et la rage venant de derrière les portes closes. Il n'était clairement pas le bienvenu.

Il devait aller voir Rouge et avoir des explications sur ce qu'il se passait ici. Dans ce qu'il restait de sa manche, il réunit les restes de la bouteille d'alcool avec lequel il avait été attaqué. Il demanderait à Rouge de jeter ça.

Ainsi, il remonta la petite ville, longeant les champs pour se diriger vers la colline et l'oliveraie. Bientôt, il se retrouva nez à nez avec les arbres noueux pleins de baies rouge sombre. Les olives rouges de Baterilla étaient connues jusqu'à MariGeoise… ce qui posait des soucis avec les Tenryuubito, car ce mets si sucré semblait incapable à reproduire et comme l'île ne faisait plus partie depuis des lustres du Gouvernement Mondial, il était impossible de faire pression sur elle pour faire plaisir à la haute noblesse. C'était plutôt l'île qui faisait pression sur les Dragons Célestes pour qu'on la laisse dans son coin. Pourquoi ? Comment ? Allez savoir.

En arrivant à la hacienda, il trouva Rouge qui revenait de son potager avec des légumes frais dans un panier qu'elle portait à la hanche. Elle aussi s'était coupé les cheveux, accentuant encore plus sa ressemblance avec sa fille. Son habituelle fleur d'hibiscus n'était pas dans ses mèches blondes pour une fois, et sa tenue blanche et simple avait laissé place à des vêtements noirs.

- Ah. C'est toi, dit-elle simplement en voyant Garp sur le pas de sa porte.

Son ton était bas, douloureux et presque désintéressé.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demanda le marine.

- C'est quoi ça ? se renseigna la mère en montrant du menton le tissu calciné.

- Depuis quand ta fille sait faire des cocktails molotov ?

Rouge ferma les yeux et se détourna comme pour retenir ses larmes. Elle ouvrit en grand la double porte pour accommoder l'imposante stature du marine et entra chez elle.

- Elle est partie à sa leçon de guitare, au vu de l'heure, elle s'excusera donc plus tard. Je vais faire du café.

Garp suivit la femme jusqu'à la cuisine et la regarda vider les légumes dans une bassine dans l'une des vasques de l'évier, avant de se laver ses mains pleines de terres sous l'eau chaude. Puis, elle ouvrit un placard dessous, dévoilant une poubelle où le marine jeta les déchets.

- Qui est mort ? Quelqu'un d'important pour qu'on me traite comme un pestiféré en ville.

- Disons qu'il aurait mieux valu que tu ne reviennes pas cette année. Ou du moins, que tu ne te montres pas de façon aussi flagrante, informa Rouge en commençant la préparation du café.

- Qui, Rouge ?

- Papa.

Garp se retourna pour voir la jeune adolescente qui descendait l'escalier de bois qui menait à l'étage et aux chambres. À douze ans, Amelia montrait qu'elle serait plus tard une vraie beauté. Seulement, elle avait l'air si mal, si brisée, que sur l'instant, ce n'était pas son physique qui intéressait, mais plus un désir de la consoler. Elle avait noué ses cheveux courts avec le lien de cuir que Javier utilisait généralement pour son propre catogan, et elle portait elle aussi des vêtements noirs.

La famille entière était en deuil.

- J'ai fait le nécessaire pour que son sacrifice ne soit pas vain, mais… mais c'est dur, souffla Rouge.

Elle tendit une main vers sa nièce qui contourna Garp pour venir vers sa tante en quête de réconfort.

- Sakazuki a cherché à faire pression sur Javier pour savoir où était la dépouille de Roger et pourquoi il l'avait volé, dit doucement Rouge. C'est Manuel qui m'a raconté ça, quand il est revenu à la nage avec le corps de mon frère alors qu'il soutenait déjà Pedro. Ce… ce chien a menacé de brûler l'île pour faire parler Javier. Mais mon frère s'est battu.

Rouge resserra sa prise sur les épaules de sa nièce qui se mettait à pleurer silencieusement contre elle.

Encore une fois, un Portgas donnait sa vie pour l'île, après que l'île ait donné son sang pour leur famille. Le cycle avait eu un début, mais il n'aurait jamais de fin. Pas tant que l'île existerait ou que leur famille continuerait à vivre.

- Va faire tes devoirs, cariño, je vais faire des empanadillas pour ce soir, demanda la femme à sa nièce en lui frottant les bras. Tu peux descendre tes devoirs ici, si tu veux.

La demoiselle regarda Garp en plissant les yeux.

- Je ne vais pas m'attarder, petite, j'ai bien saisi que je suis pas le bienvenu, assura le marine.

- Ann te doit des excuses tout de même, alors, reste jusqu'à ce qu'elle revienne de sa classe de musique, souffla la mère de célibataire.

Elle frotta une dernière fois le dos de l'adolescente et la demoiselle quitta la cuisine, laissant les adultes seuls. La femme soupira et versa une tasse de café qu'elle donna à Garp.

- Tu n'as pas répondu à ma question. Comment ta fille sait-elle faire des cocktails Molotov ?

- Javier prenait les filles durant la moitié des vacances. Elles passaient du temps avec lui, en mer. Lui et ses hommes se sont chargés de leur apprendre à se battre. L'un d'eux était un pyromane, ce doit être lui qui a appris à Ann.

Et elle retourna à ses légumes qu'elle nettoya sous l'eau claire de l'évier avant de ranger ce qu'elle n'utiliserait pas ce soir-là dans le frigidaire, pour se mettre enfin au travail en préparant la pâte pour les beignets qu'elle ferait pour le soir.

- Tu comptes pas laisser ces filles devenir des pirates, tout de même, accusa Garp en buvant son café.

- Elles feront ce qu'elles veulent. Ann ne restera pas ici longtemps, je la retrouve bien assez en bord de plage pour m'en douter, mais pour l'instant, la seule chose qu'elles font d'exceptionnel, c'est aider à la récolte des olives.

- Y'a intérêt qu'elles se tiennent correctement, ces gamines. Je peux...

Rouge cessa de malaxer sa préparation pour frapper violemment la table avec ses mains par colère.

- Ce sont des menaces, coño ?!

- Non, je te mets en garde ! Tu viens de perdre ton frère pirate et t'as vu comment Roger a fini...

- Laisse-les morts en dehors de ça ou je te mets à la porte avant le retour d'Anabela !

- ¿Tía ? appela Amelia depuis l'étage.

L'adolescente descendit quelques marches de l'escalier pour s'y accroupir afin de voir ce qu'il se passait dans la cuisine ouverte.

- Nada, cariño.

Amelia hésita avant de remonter à l'étage et revenir à peine plus tard avec ses propres affaires de classe. Elle s'installa à la grande table de la cuisine pour faire ses devoirs pendant que Rouge continuait sa préparation.

- T'es bonne à l'école demoiselle ? se renseigna Garp.

Amelia l'ignora royalement.

Rouge adressa un regard à Garp, l'air de dire qu'il aurait pu s'y attendre. La jeune demoiselle avait perdu son père. Il ne lui restait que sa tante et sa cousine. La mère… Javier n'avait jamais parlé d'elle. Il était venu un beau jour avec le bébé et aucune explication. Mais parce qu'ils étaient des Portgas, ils se serraient les coudes, alors Rouge n'avait posé aucune question et avait élevé sa nièce comme si c'était son enfant.

- J'y pense mais pour le coup, Roger, tu l'as enterré où ? se renseigna Garp.

- Sous l'olivier qu'il a planté pour moi en prévision de la naissance d'Ann, répondit Rouge. Comme ça, il reste près de nous.

Elle découpa de petits disques dans la fine pâte qu'elle avait faite et les déposa sur un plat farineux avant de mettre le tout au frais quand elle en eut une quinzaine. Elle allait s'attaquer à la garniture quand un sifflement lointain se répercuta contre les fenêtres de la cuisine. Amelia leva le nez de ses devoirs pour regarder sa tante qui ouvrit les carreaux. La femme se pencha par l'ouverture, n'hésitant pas à monter sur le plan de travail pour compenser sa petite taille. À moitié dehors, elle mordit sa phalange et se mit à pousser des sifflements rythmés qui portèrent au loin, avant de se taire et tendre l'oreille. Le son précédent revient, suivi par d'autres venant de l'opposé.

- Qu'est-ce que ça signifie ? se renseigna Garp.

- Ceci, c'est le silbo, dit simplement Rouge en refermant la fenêtre. On peut communiquer entre les cinq îles de la région facilement et sans denden. Amelia, prend une casquette pour ta cousine et va la chercher, j'ai un appel à passer. Et toi, va au port. Un de tes collègues vient en visite. Il faut croire que le message n'est pas passé assez fort. Ce n'est pas grave, je vais faire une piqûre de rappel.

Et sans même prendre le temps de laver ses mains, elle quitta la cuisine. Amelia avait déjà rejoint l'étage et la chambre de sa petite cousine pour trouver une casquette, mais l'adulte ne s'y attarda pas. Sa nièce était grande, et elle avait des consignes strictes pour rester en sécurité et garder la petite dernière en sécurité elle aussi. Rouge entra dans son bureau et décrocha son gros denden rouge sombre relié à un autre encore plus gros et blanc. Elle composa un numéro qu'elle connaissait par cœur et bientôt, on décrocha à l'autre bout.

- Bonsoir, pourriez-vous dire au directeur Morgans que Roja veut lui parler ?

Elle ouvrit un tiroir du meuble de bureau en bois d'olivier, dévoilant une pile de dossiers.

- Dîtes-lui que j'ai un sujet qui ira parfaitement en première page. Un sujet sur la Marine.

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Anabela se laissait tirer par la main alors que sa cousine la ramenait à la maison. Une casquette gavroche bien enfoncée sur la tête dans laquelle on avait glissé ses cheveux, elle était plus difficilement associable à Roger, et vu qu'un escadron de la Marine venait de jeter l'ancre au port, c'était recommandé qu'on ne s'intéresse pas à elle. De toute façon, tous les adultes étaient là, réunis pour faire barrage entre les soldats et le reste de l'île. Elle sentait la colère et la peur dans l'air, comme de l'électricité statique. Et elle les entendait. Ils parlaient de Javier et Roger.

Ann regarda sa cousine, quasi grande sœur. La main de la blondinette tremblait sur le poignet de la brunette.

Alors, la petite se libéra en tirant d'un coup sec et courut vers les adultes, abandonnant ses affaires derrière elle.

- ANABELA !

La petite brunette se faufilait déjà entre les jambes des grands, cherchant à atteindre le premier rang. Un vieil homme chercha à la saisir au passage, mais la gamine passa en glissade entre les jambes d'un autre adulte, tenant sa casquette avec une main pour qu'elle reste sur son crâne. Elle savait très bien que si on comprenait qui était son père, il y aurait beaucoup d'ennuis pour l'île et sa famille. Et sa maman le disait souvent, il fallait protéger cette île, parce qu'elle le leur rendait, et que ça durait depuis longtemps. Alors, ce n'était pas elle qui resterait en retrait. Elle savait qu'elle leur devait la vie. Alors, elle protègerait son île.

Elle émergea au premier rang de la foule, à quelques pas des marines. Le plus haut gradé se disputait avec le vieux Augustin.

- Je sais qu'il vivait ici ! Alors, soit vous coopérez dans la perquisition, soit je vous mets aux arrêts, vieil homme ! menaçait le capitaine de la flotte.

- Il est hors de question qu'on vous laisse toucher aux affaires de Javier ! s'emporta le vieux maire.

- La manière forte, donc !

- Ayez un peu de respect pour les morts ! N'avez-vous donc aucune dignité humaine !

Ann s'approcha du Marine et lui tira le pantalon pour attirer son attention, conservant le visage droit pour qu'on ne puisse le voir avec sa casquette.

- Qu'est-ce que tu veux ? grogna l'officier.

- Je veux vous dire quelque chose sur Javier, señor. A votre oreille. Es un secreto, señor.

Alors, l'homme posa un genou à terre pour se mettre au niveau de la petite, sous le regard choqué des adultes. La fillette s'accrocha au col de l'adulte et gardant bien son visage hors de vue, elle commença à lui chuchoter à l'oreille. Il n'en fallut pas plus pour qu'il perde ses couleurs, mais elle n'en avait pas fini, clairement. Ce n'était que l'échauffement.

Quand Garp arriva enfin, Amelia était à côté d'Agustin à se ronger les ongles alors que le capitaine tremblait comme une feuille.

- Qu'est-ce que tu fabriques, Ann ! Arrête ça ! gronda le vice-amiral.

Et il souleva la petite par le col pour la coller dans les bras de sa cousine.

- Qui... qui est cette petite ? Comment… comment sait-elle ces choses... souffla le capitaine au sol, blanc comme un cachet.

- C'est ma fille, annonça Rouge qui était juste derrière Garp.

La femme avait les poings sur les hanches, ses yeux cendrés devenu argent sous la colère.

- C'est ma fille et moi, je suis l'informatrice la plus prisée de Morgans. Je crois que le denden de ton navire est en train de sonner. Je te recommande de ramasser tes affaires et de partir.

Elle hissa Ann sur sa hanche et prit une main de sa nièce qui leva les yeux au ciel en marmonnant qu'elle avait passé l'âge.

- Si une enfant de sept ans a réussi à te réduire dans cet état, demande-toi les risques en te frottant à la personne qui l'a élevé. Dis à tes supérieurs de se tenir à carreau. La guerre gronde sous les eaux de South Blue.

Et avec dignité, les trois Portgas tournèrent les talons. Elles récupérèrent les affaires à l'abandon et retournèrent à la hacienda. Avec ce qu'elle avait transmis à Morgans, les révoltes ne seraient qu'à un cheveu de la surface en South Blue. Lindbergh allait finir par se retrouver sans emploi. Cela faisait longtemps que les Portgas s'étaient contentés de rester dans l'ombre. Mais là, pour les filles, Rouge était prête à tout. Du moment qu'elles étaient heureuses et en sécurité, elle ne reculerait devant rien.

Mais d'abord, elle devrait tirer les oreilles à sa fille pour avoir ainsi attiré l'attention sur elle. Rouge avait perdu son amour et son frère. Elle savait qu'elle ne survivrait pas s'il arrivait quelque chose à son enfant.

Après une engueulade bien mérité qui laissa malheureusement indifférente la petite Ann (ce qui lui valut une grosse punition), Rouge retourna à la cuisine, laissant les deux cousines faire leur travail scolaire dans la cour de la vieille hacienda.

- 'Melia ? demanda doucement Ann quand elle fut certaine que sa mère ne les entendrait pas.

La blonde releva le nez de sa leçon et regarda sa petite cousine.

- Je suis désolée, souffla la brunette en ramenant ses pieds sur sa chaise pour prendre ses jambes dans ses bras.

- Pour tout à l'heure ? Ce n'est pas à moi que tu dois t'excuser mais à tia.

La plus petite secoua la tête.

- Je sais que tu me détestes. C'est de ma faute si tio est plus là. S'il y a tant de problèmes.

L'adolescente reposa son cahier et se tourna vers la gamine en fronçant les sourcils d'interrogation.

- Pourquoi tu dis ça ? Je te déteste pas !

- C'est de ma faute tout ça. Sans moi, tio n'aurait pas volé le corps de Roger. Il n'aurait pas eu autant de soucis... il n'y aurait pas eu tous ces morts. Je sais qu'on m'en veut pour ça...

En soupirant, la blondinette se leva de sa chaise et prit la petite dans ses bras, la serrant fort contre elle. Elle lui caressa les cheveux alors qu'elle sentait des larmes qui roulaient sur la peau de l'un de ses bras.

- Personne ne te déteste, Ann. On t'aime tous. Ceux qu'on déteste, ce sont les Marines. Ce sont eux qui nous ont fait du mal, pas toi. Tu es une victime, comme tout le monde, d'accord ?

Amelia se détacha de sa petite cousine et lui essuya ses larmes alors qu'elle-même n'était pas des plus impassible.

- Si on ne t'aimait pas, tu ne serais pas là. Si tu es là, c'est que l'on t'aime, et qu'on tient à toi. N'en doute jamais. Tu es une Portgas et les Portgas se serrent les coudes. Alors, ne pleure plus.

Doucement, la blondinette appuya son front contre celle de sa petite cousine.

- Ce n'est pas toi qui as tué papa. S'il est mort, c'est parce qu'il t'aimait beaucoup et qu'il voulait te protéger. Et je suis fière de lui en ça. Alors, pour lui, et tous ceux qui sont morts pour les Portgas, on va vivre. Et on va être heureuses. Parce qu'ils n'ont pas donné leur vie pour qu'on se morfonde inutilement. Tu comprends ce que je veux dire ?

Anabela essuya avec son bras ses larmes.

- Un peu... chuchota-t-elle.

- Ce qu'on va faire, Ann, c'est vivre, grandir, et prendre en force. On fera payer au monde les morts. On leur montrera que les Portgas n'oublient pas. Et qu'on est là pour leur rendre des comptes. On est là pour la vengeance. C'est bon pour toi ?

La petite hocha la tête.

- Dame un besito, réclama la plus vieille.

La petite leva les bras et enlaça sa cousine pour lui donner un baiser sur la joue.

Depuis la porte, Rouge les regarda faire en se serrant dans ses bras avec tristesse. Elle souffla par le nez et retourna à la cuisine. Cela faisait des siècles que leur famille jouait sur le fil du rasoir. À la fois pour se protéger, mais aussi pour protéger cette île. Tôt ou tard, les filles prendraient la relève. Comme Javier et elle l'avaient fait à l'époque, quand leur mère était morte, puis leur oncle Bruno.

Elle arrangea son châle sur ses épaules et reprit sa préparation pour le dîner du soir. Elle s'assurerait que Pedro continue de les entraîner. Ou demanderait des conseils à Rayleigh, voir Crocus. Peut-être plus Crocus. Si elle ne se trompait pas, il devrait passer le mois prochain. L'ancien pirate faisait des visites biannuelles. Certes, ils avaient un médecin compétent à Baterilla, mais en tant que médecin de Roger, il avait vu le mal qui le rongeait. Il l'avait tellement étudié qu'il saurait capable de le déceler chez Anabela si elle commençait à montrer les mêmes symptômes. Prise à temps, elle ne finirait pas dans un état aussi critique que son père.

Rouge soupira en prenant un couteau dans un tiroir et commença à couper le poivron qui servirait dans la farce du repas du soir.

Elle était seule, avec deux filles. Et une île. Avant, il y avait Javier pour l'aider, mais maintenant…

Sa main tremblant trop, elle posa son couteau et s'adossa au plan de travail pour prendre sa tête dans ses mains pour couvrir ses sanglots.

Son frère lui manquait.

Elle avait besoin de lui et il n'était plus là.

Elle avait besoin de Roger et il n'était plus là.

Elle était seule pour les filles.