Salut à tous !
Aujourd'hui, on affronte un DIEU ! Yup !
Et aussi, on fini l'arc "Eaux Troubles". On s'approche de la fin du jeu 1. Il reste littéralement 3 chapitres avant de commencer The Witcher 2 : Assassins of Kings. Et il sera plus long que celui-ci. Avec quelques retrouvailles très appréciée. Et beaucoup de lore (Je recommande le visionnage des vidéos de Proper Bird parce qu'en plus de mettre de l'humour, on apprend beaucoup de chose sur le lore du Witcher durant ses vidéos.).
Je veux aussi dire un gros merci à Shadow of Samhain pour son manigifique dessin de notre Chat Noir qui sert désormais de couverture à al série. Je mettrais l'image sur
Sur ce, je vous dis à bientôt pour la dernière partie du jeu 1.
Bises.
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De retour dans les champs, avec un miroir réparé, Geralt se dirigea à pas résolu vers les pieds de framboises autour de l'arbre mort, profitant du fait que le soleil soit encore haut pour rencontrer les Spectres de Midi.
Cette fois, la rencontre fut pacifique.
Alina ne faisait que danser autour de l'arbre avec les bras grands ouverts, invitant les voyageurs à se joindre à elle.
- … suivez le Spectre de Midi… venez avec moi… disait la revenante.
- Alina, regardez dans le miroir, invita Geralt en brandissant l'objet devant lui.
Le spectre cessa de danser et pencha doucement son visage desséché sur un côté.
- Alina ? demanda-t-elle avec sa voix à l'écho effrayant.
- Regardez bien dans le miroir.
Le spectre se pencha vers celui-ci. Si ses yeux n'étaient pas figés, elle les aurait écarquillés.
- C'est…
- … si romantique, compléta Geralt en reprenant l'expression favorite de la blonde.
Le spectre se redressa et son discours changea :
- Je suis Alina ! Je dois me dépêcher ! Je vais bientôt me marier !
- Alina, vous êtes morte, lui dit le mutant.
- Pourquoi dîtes-vous ça ? Je me sens très bien, même s'il fait légèrement frais.
- Ce qui est bizarre quand il fait aussi chaud qu'en enfer.
- Je dois ramasser des framboises pour mon amoureux.
Elle se détourna de Geralt pour aller ramasser des framboises de ses mains desséchées. Voyant qu'il n'arrivait à rien, le mutant se détourna et descendit la petite colline pour revenir vers le village. Sortant d'entre les herbes, Alvin lui emboita le pas immédiatement, forçant le mutant à ralentir pour ne pas perdre l'enfant.
- Pourquoi est-ce qu'Alina refuse de partir ? Je peux sentir sa joie, parce qu'elle croit qu'elle va se marier, mais elle n'a même pas conscience d'être un fantôme ! demanda l'enfant.
- Il se peut que le miroir de Nehalennia ne soit pas suffisant pour vaincre la malédiction.
Alvin eut un air pensif avant de dire :
- J'ai entendu une histoire au sujet d'un Spectre de Midi qui ne voulait pas se marier un Nilfgaardien… mais je ne me rappelle pas comment ça se fini.
- Une légende ? Si Ace n'a pas de meilleure idée, on verra pour consulter ceux qui connaissent les sagesses populaires, ça peut toujours aider.
- Dis Geralt ? Est-ce que tu aimes quelqu'un ?
- D'où vient cette question ? s'enquit le mutant en regardant l'enfant à ses pieds.
- Eh bien, Alina ne pense qu'à son mariage, Julian veut qu'on libère sa bien-aimée, et même si elle est souriante, miss Portgas souffre quand elle pense à son amour perdu. Alors, je me dis que toi, peut-être, tu aimes quelqu'un aussi.
Est-ce qu'il aimait quelqu'un ?
La réponse facile, c'était oui, il aimait Shani. Mais il avait le sentiment que son amour pour la belle jeune femme n'était pas assez puissant pour durer. Et… et il y avait une sorte de tiraillement dans son être quand il était avec elle. Comme si son cœur et son affection étaient dédiés à quelqu'un d'autre. Dans ces moments-là, il sentait un parfum de groseille à maquereau et de lilas lui envahir les narines.
- Je ne sais pas, Alvin, finit par avouer le mutant.
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- Berengar est toujours là.
Geralt tourna la tête vers Ann qui venait de lui parler alors qu'il franchissait le pas de la porte.
- Et il m'a raconté qu'il s'était foutu de ta gueule et qu'il avait bien livré quelques secrets des sorceleurs, continua la mutante sans se décoller du mur où elle était adossée. Il leur a livré quelques formules d'élixirs et il a subi des examens. Il s'est laissé faire et il en a tiré quelques orins.
- Pourquoi faire ça ?
- Comme beaucoup, il avait des rêves de famille et d'enfants. D'amis. D'une vie normale. Et la voie des Sorceleurs empêche tout ceci.
La D. haussa les épaules.
- C'est un homme amer, empli de regrets et de rancœurs, bien plus que ne l'est Lambert qui est déjà un sacré cas. Dans un sens, Kaer Morhen n'est pas bien différent d'un laboratoire de la Salamandre dans son opinion.
- Et tu lui as répondu ? Te connaissant, tu n'as pas dû y aller avec le plat de la lame.
- Honnêtement ? Je le comprends un peu. Après, là où je lui ai dit qu'il y avait une différence, c'est que la Salamandre enlève des masses et des masses d'enfants là où Kaer Morhen prenait des orphelins et des enfants du Droit de Surprise.
- Nous ne sommes pas des criminels.
- Nous restons des assassins, Geralt. Tu crois que tu dois ton surnom de Boucher de Blaviken à quoi ? A ta méthode pour faire les saucisses ? Qu'on me nomme l'Incendiaire de Rivia pour mes barbecues festifs ? Combien de Sorceleurs, au fil du temps, ont juste pété un plomb et tout ravagé sur leur passage ? Combien se sont reconvertis dans le banditisme, parce qu'on leur refusait une vie normale ? Dans un sens, oui, nous ne valons pas mieux que la Salamandre. Tu veux partir à la poursuite de Berengar ?
- Non. Seul sa conscience le jugera. J'en parlerai à Vesemir en revenant, mais c'est tout.
Ann hocha la tête. Elle allait s'éloigner quand son camarade l'interpella :
- Le miroir n'a pas été assez puissant pour aider Alina. Elle a repris conscience de qui elle était, mais elle se croit encore vivante.
- Ah. Problématique. Surtout que l'autre idée qui me vient serait de la confronter à son assassin, mais Celina n'apparaîtra pas avant la nuit, et…
- Alina aura disparu jusqu'au lever du jour, compléta Geralt.
- Celina… Cette chevelure couleur tempête que l'on connait tous, une main levée à ses lèvres, c'est Alina, Alina… ses doigts… zut, quelque chose ne marche pas.
Les deux mutants tournèrent la tête pour voir à peine plus loin Jaskier penché sur un morceau de parchemin, visiblement occupé à écrire un nouveau poème à sa table toute proche des deux mutants.
- Celina sonne mieux, lui dit Geralt avant de revenir à sa camarade qui essayait en vain de ne pas rire.
Ce n'était pas pour autant que Jaskier s'arrêta dans ses tentatives de composition de balade. Et cela donna l'idée qu'il fallait au Loup Blanc.
- J'y pense, mais ne dit-on pas que l'art et la magie sont semblables ?
La D. retrouva son sérieux, clairement perplexe en essayant de voir à quoi songeait son camarade qui continua de fixer le barde à sa tâche.
- Pourquoi ne pas utiliser la poésie pour retenir Alina jusqu'à l'apparition de sa sœur au crépuscule ?
- J'ai quelques doutes sur l'efficacité, lui pointa Ann.
- Qu'est-ce que ça coûte d'essayer ?
Le Loup s'avança vers son ami barde et lui tapota l'épaule, faisant que le brun se retourna vers le mutant.
- J'ai besoin que tu écrives un poème.
- Ah ? s'étonna le musicien. Et à quel sujet ? Pour qui ? Shani ?
- Non. Pour Alina, afin de l'aider à réaliser qu'elle est morte et assez long pour la retenir jusqu'à l'arrivée de sa sœur au crépuscule. Elle doit comprendre sa situation, sinon, elle ne trouvera pas le repos.
Le barde haussa un sourcil.
- Ce n'est pas banal comme commission, mais je suis un professionnel. Des demandes spécifiques ?
- Fais pas comme moi, joue pas la provocation ou les blagues, lui recommanda Ann. Moi, je peux me défendre et je m'en sors plus ou moins bien si je titille un dragon qui dort. Toi, tu risques d'y passer. Elle est dangereuse, même si elle a retrouvé son calme. Si elle s'énerve, dans le meilleur des cas, tu te feras brûler vif.
- Et dans le pire ? s'enquit Jaskier avec inquiétude.
- Eh bien, tu danseras jusqu'à l'épuisement ou jusqu'à mourir de peur au milieu des Spectres de Midi.
- Je vois…
Il soupira et retourna à son parchemin et sa plume.
- Je vais avoir besoin de temps.
- Tu as jusqu'au coucher de soleil, lui dit Geralt. On se retrouve dans les champs. Ace ?
- J'attends que le Prêtre Vodyanoi et Julian aient les offrandes pour la Dame du Lac. Tu es d'ailleurs invité à te joindre à l'affrontement contre Dagon. Ce sera la première fois que je prouverai que je porte pas mon D. pour rien.
Les deux hommes la regardèrent et un sourire froid et féroce apparut sur le visage du Chat Noir.
- Le D. est une initiale mystérieuse chez moi. Pas mal d'histoire court sur cette lettre et ceux qui la portent. Et outre qu'ils sont destinés à marquer le monde, on dit aussi qu'ils sont les ennemis des Dieux. Après, tout dépend le genre de Dieux dont il est question.
Elle tourna les talons en jetant par-dessus son épaule qu'elle les attendait dans les champs, avant que la porte ne claque sur elle.
- Portgas est un énorme mystère. Quand on voit son comportement, on se demande presque si une femme comme ça peut être de notre monde, commenta Jaskier.
S'il savait…
- Concentre-toi sur le poème, lui dit Geralt.
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Les deux sorceleurs patientaient au pied du monticule menant aux plans de framboises qu'Alina hantait. Le soleil baissait à l'horizon pendant que Geralt tournait comme un lion en cage. Alvin s'était assis dans l'herbe pour le regarder faire les cents pas, là où Ann s'était carrément allongée de tout son long, son chapeau noir lui masquant le visage, rendant impossible de savoir si elle dormait ou pas. Enfin, Jaskier arriva, son luth sur le dos, courant aussi vite qu'il le pouvait pour s'arrêter, épuisé, devant son comité d'accueil. Ann se redressa et remit correctement son chapeau pour regarder le musicien essoufflé devant eux.
- Alors, ce poème ? demanda Geralt.
- On ne pourrait pas essayer ça… demain ?
- Demain, il sera peut-être trop tard, lui dit Ann. Il va falloir improviser.
Le Loup Blanc poussa légèrement Jaskier vers le sommet de la butte et avec un soupir, le musicien la grimpa. En le voyant arriver, Alina cessa de danser autour de l'arbre mort et vint à sa rencontre.
- Maître Jaskier ! Vous devez absolument jouer à mon mariage !
Jaskier jeta un regard par-dessus son épaule gauche à Geralt qui hocha la tête, l'air de lui dire « vas-y », avant que le musicien ne se tourne à sa droite pour voir Ann lui faire coucou de la main avec un sourire un brin moqueur. En soupirant, l'artiste finit par se redresser. Il racla sa gorge et s'inclina.
- Ma très chère madame, ce sera avec plaisir.
Il se redressa et se tourna à moitié vers son ami qui le regarda faire avec un froncement de sourcil intrigué.
- Mon camarade Geralt et moi avons préparé un poème à deux voix pour la cérémonie. Souhaitez-vous l'entendre ?
- Pardon ? s'étonna le mutant.
Ce n'était pas dans le plan, ça !
- Allez-y !
Et le poète se mit à l'œuvre, inventant des vers au fur et à mesure au son de son luth, avec parfois des interventions de Geralt qui cassait la poésie de la chose pour insister sur l'état de mort de la pauvre Alina. Dans d'autres situations, Ann se serait fendu la poire. Entre Jaskier, poète reconnu, qui y mettait tout son âme et le Loup Blanc, terre à terre et froid comme la glace, ça ne pouvait que mener à un résultat tordant.
Puis finalement, le spectre se mit à hurler, se tenant la tête dans les mains. Geralt et Ann s'avancèrent, masquant Jaskier et Alvin, leur glaive d'argent au poing au cas où Alina se montrerait agressive. Dans le ciel, les premières étoiles s'allumaient.
- Assez … assez ! supplia le Spectre de Midi. Celina… Celina m'a tué… Mon âme ne trouvera pas le repos tant que je ne serai pas vengée...
En contraste avec la chaleur infernale que dégageait Alina, un froid mortel leur vint par derrière, accompagnant l'apparition du Spectre de Minuit. C'était le meilleur moyen de prouver que le crime avait été vengé. Cependant, à voir l'état de sa jeune sœur, la colère de l'aînée s'évanouit.
- Tu n'as pas à te blâmer, Celina, je sais que tu ne voulais pas me tuer, assura le Spectre de Midi.
- Je suis emplie de regret. Ce n'est que justice. Je suis condamnée à errer dans les champs, chaque nuit, jusqu'à la fin des temps, répondit le Spectre de Minuit.
- Ce n'est pas si sûr, lui dit Geralt en intervenant dans la conversation entre les deux spectres. On a un moyen de vous libérer aussi, Celina.
- Vous allez vraiment m'aider, sorceleurs ?
Geralt se tourna vers Alvin qui lui donna la Couronne des Immortels faite de fleurs magiques et éternelles qui lui avait été confiée auparavant.
Pourquoi le Loup Blanc avait-il sauvé Abigail ? Parce qu'on menaçait sa vertu et son honneur ?
Non.
Parce qu'on avait brisé la loi ?
Non.
Avait-il choisi le moindre mal ?
Non.
Le Révérend et sa paroisse avaient fait un choix. Tout simplement.
Lui, Geralt de Riv, était un sorceleur.
The Witcher.
Il n'était ni juge, ni bourreau. Il ne faisait que régler les problèmes des humains. Et parfois, sans avoir à utiliser son glaive.
Et quand il voyait la musique qui avait réussi à réunir deux sœurs pour qu'elles puissent se pardonner mutuellement et accéder au repos éternel, il aimait son travail.
La couronne de fleurs fut placée sur la tête du Spectre de Minuit et les deux sœurs se prirent par la main, avant de disparaître dans un rayon solaire et un tournoiement de plumes noires.
- C'est pour ce genre de chose que j'apprécie ma condition de sorceleur parfois, avoua Ann en rangeant son arme.
- Hm, approuva Geralt. Allons informer leur famille. Ah et Jaskier… ne me fait plus intervenir dans un de tes poèmes.
- Aucune inquiétude, j'ai déjà de quoi faire une magnifique balade avec ce dont je viens d'être témoin, assura le barde.
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Le jour était levé depuis quelques heures déjà que les deux sorceleurs étaient sur l'autel de la Dame du Lac en présence de celle-ci. Ils encadraient la divinité qui faisait face au reste du paysage et surtout, à Julian et au Prêtre Vodyanoi qui tendaient vers la déesse des offrandes. Un bracelet en or pour le Vodyanoi et une statue d'albâtre pour l'humain.
- J'accepte vos présents. Ils resteront ici pour vous rappeler notre accord. Une fois Dagon hors du tableau, je veux que vous discutiez pour régler de façon définitive la mésentente, leur dit la Dame du Lac. Vous pouvez vous entendre et profiter de cette relation pour faire avancer vos communautés respectives. Alors, serrez-vous la main.
Lentement, les deux « chefs » se relevèrent et se regardèrent. L'humain et le Vodyanoi. Ils s'observèrent en chien de faïence, avant qu'ils ne tendent la main l'un vers l'autre et n'échange une poignée. La déesse approuva le geste et se tourna vers les mutants. Elle tendit une main vers eux et un rubis rouge sang apparut dedans.
- Ceci est une goutte de mon sang. Mettez-le sur l'autel de Dagon et affrontez-le. Je prierai pour votre réussite.
Geralt s'empara de la pierre, et avec Ann, il se retira pour rejoindre l'île au milieu du lac. Là, le Chat Noir passa devant, montrant le chemin à son camarade jusqu'à l'autel, empruntant des chemins sauvages et caillouteux. Ils firent un détour pour éviter un nid de Wyverne et marchèrent encore un moment jusqu'à une ruine envahie de végétation, au ras de l'eau. Une sorte de pièce ouverte aux quatre vents par ses murs en colonnades. Le sol en son centre était envahie d'eau montant jusqu'aux chevilles. La façade donnant sur le reste du lac était totalement ouverte et, si on se rapprochait du bord, on pouvait voir un escalier s'enfonçant dans les profondeurs.
Les deux sorceuleurs se préparèrent : huiles et élixirs.
- Une idée de comment vaincre un dieu ? demanda Ann en buvant une dernière fiole.
- Aucune.
Les deux mutants se regardèrent.
- On improvise ?
- On improvise.
Geralt déposa le rubis dans l'eau et recula avec sa camarade.
La pierre se dissolut dans l'eau, entraînant vers les profondeurs les longues traînées de sang divin.
Et ils attendirent.
Pas longtemps.
Quelque chose venait, ils le sentaient. Des tas de Vodyanois montaient depuis les profondeurs, alors qu'autour de l'autel, des murs d'eau jaillissaient de nulle part, emprisonnant les mutants dedans.
- An-Ace ?
- Quoi ?
Les deux mutants reculaient doucement vers les extrémités du semblant d'arène alors qu'une ombre immense remontait vers eux depuis les profondeurs du lac.
- C'est une réflexion comme ça, mais que penses-tu de l'idée que pour tuer un dieu, il faut faire disparaître ses fidèles ?
- Qu'il aurait fallu l'avoir avant, vieux loup lubrique.
Une crète osseuse perça l'eau, rejetant sur les côtés les nénuphars, avant qu'elle ne plonge.
- Après, vu qu'il est venu avec toute une escorte, on peut peut-être arriver à quelque chose. Prêt pour l'endurance ? marmonna Ann.
- Hm.
Geralt agita doucement son glaive dans l'eau, le faisant onduler comme un serpent, avant de frapper le liquide, éclaboussant partout devant lui, comme un défi à la divinité des profondeurs. Lentement, celle-ci grimpa les marches aquatiques pour se mettre à leur niveau, une petite armée de Vodyanois dans ses pas.
- Tu penses quoi du concours de celui qui en tue le plus ? proposa Ann.
Dagon posa un pied dans l'autel, s'obligeant à rester courbé pour ne pas percer le plafond que son dos effleurait quand même.
- Le perdant paie à boire à l'autre ? proposa Geralt.
La divinité avait une sorte de masque en os sur le visage, lui donnant vaguement une tête de poisson chat blanc, sans compter les deux tentacules laiteux qui tombaient sur les côtes de son visage. Sa tenue se composait d'une cuirasse d'airain et de pierres semi-précieuses verdâtres, en accord avec la couleur de sa peau, qui descendaient assez bas pour lui faire un pagne.
- C'est bon pour moi.
Avec son immense silhouette, Dagon avait autant de mobilité qu'un géant dans un terrier de fourmis, surtout qu'il devait éviter de piétiner ses propres acolytes. Et ça, les deux sorceleurs le tournèrent à leur avantage pour se jeter sur les laquais de Dagon et les attaquer directement, voir, les pousser sous les pieds de leur seigneur.
Ce serait un combat mémorable.
Endurance, esquive et résistance seraient les acteurs, aux côtés de la patience.
Il était fort probable qu'ils ne ressortent pas de ce combat en vie.
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L'eau qui piégeait l'autel retomba, puis coula vers le lac, emportant dans sa course des corps de Vodyanois en nombre. La pureté du lac était à présent corrompue par une marre carmin qui brillait sous les rayons du petit jour. La blancheur des nénuphars était corrompue par le sang versé durant un jour et une nuit.
A bout de force, Geralt tituba vers les arches menant vers le reste de l'ilot et se laissa tomber au bord, contre une des colonnades, respirant difficilement tout en compressant une blessure sur le haut de son bras gauche. Il fouilla dans sa sacoche d'élixir en grognant avec sa seule main de libre, maudissant d'avance le travail de couture qu'il devrait faire sur sa chemise. Il devrait vraiment songer à changer d'armure.
- Tu as du miel blanc ? demanda le Loup Blanc en continuant sa fouille.
Allongée dans l'eau, la respiration sifflante de façon inconfortable, Ann cessa de compresser une griffure sur sa cuisse pour fouiller dans sa propre sacoche, avant de finir par brandir la fiole en question qu'elle jeta sans regarder à son camarade. Elle se relaissa tomber dans l'eau, les bras en étoile, ses rastas flottant autour de sa tête comme une étoile de mer géante.
- Co… co… combien ? haleta finalement la D.
- Quarante-neuf. Je m'attendais à plus de monde.
Ann eut un rire essoufflé et leva un bras faible en signe de victoire.
- Cinquante… sept…
- Tu veux qu'on en profite pour fêter la fin du sort de Eilhart ?
La brune leva le pouce avant de laisser retomber son bras en éclaboussant de l'eau partout autour d'elle. Geralt avala la fiole qu'elle lui avait jetée et poussa un soupir quand il sentit la toxicité des élixirs s'effacer de ses veines. Il renvoya la fiole vide à son propriétaire et en sortit deux de sa sacoche. Une pour stopper le saignement et l'autre pour retrouver de la vitalité.
Un léger bruissement les alerta et ils tournèrent la tête vers la terre pour voir la Dame du Lac venir vers eux au travers la légère brume matinale.
- Ce fut un combat magnifique digne des plus belles histoires. Vous avez ma gratitude.
Le Loup Blanc se leva et alla rejoindre sa camarade. Sans un mot, il lui tendit une main. Ann ferma les yeux, comme si le geste lui coûtait et attrapa celle de Geralt qui l'aida à se remettre debout. Il lui passa son bras par-dessus ses épaules et l'aida à avancer jusqu'à la terre ferme et la Dame du Lac. Celle-ci eu un geste de la main et les dernières traces du combat furent évacuer par un courant sorti de nulle part qui emporta la dépouille de Dagon vers les profondeurs. Satisfaite, elle se retourna vers les deux mutants.
- En gage de ma gratitude, je vais écarter la brume qui vous emprisonne l'esprit et vous permettre de retrouver un peu de votre puissance passée. Oui, Ace, cela revient à te rappeler de l'entraînement de ton cher grand-père, dont tu as oublié beaucoup.
La D. haussa un sourcil. Elle qui pensait avoir comblé la majorité des trous de son amnésie, ce n'était apparemment pas le cas.
- Nous vous remercions, ma Dame, salua Geralt.
- Usez de mon cadeau avec sagesse.
- Ma Dame, je me dois de retourner à Eaux Troubles et reprendre ma mission. Et Ace a besoin de repos.
La brune adressa un regard noir à son camarade. Elle voudrait tellement lui dire qu'elle l'emmerdait.
- C'est le Destin qui t'a conduit jusqu'ici. Nous devons donc parler.
- De…. De… de qu… de quoi ? haleta Ann.
- Je suis une déesse et je sais que vous êtes, chacun à votre façon, le glaive du Destin.
Le reniflement de la pirate voulait tout dire. Le Destin, elle y croyait encore moins qu'à l'histoire qu'elle servait à Luffy sur l'emballage des plaquettes de chocolat fait par les marmottes.
- La Mort vous a suivis pendant des années, rappela la déesse avec un regard pénétrant pour la Shirohige.
Geralt se contenta d'un diplomatique « peut-être ».
- Pour chacun de vous, j'ai un cadeau, qui vous aidera à accomplir votre destiné. Geralt de Riv, veux-tu bien te tenir dans l'autel ? Laisse donc Ace se reposer ici un moment, je serai à lui dans un instant.
Les deux sorceleurs se regardèrent et le Loup alla installer sa camarade contre un rocher.
- Essaye de calmer ton souffle, tu siffles déjà moins.
Il lui tapota l'épaule et se redressa pour aller rejoindre l'autel. La Dame du Lac y pénétra derrière lui, le contournant pour ensuite lui faire face, le dos vers le reste du lac, alors qu'ils étaient sur la terrasse découverte d'où partait les marches vers les profondeurs. Là, des milliards de petites bulles s'élevèrent de l'eau, formant un dôme mouvant autour du duo. Devant la déesse, l'eau bouillonna et une longue épée en argent en jaillit. Délicatement, elle s'en saisit et la présenta devant elle, pointe vers le ciel.
- Agenouille-toi, Geralt de Riv, Loup Blanc, demanda doucement la déesse.
Le sorceleur s'exécuta et posa un genou dans l'eau, la tête basse.
A pas lents, la Dame vint vers lui, accompagnée par des poissons fait de bulles, qui vagabondaient en avant d'elle, alors qu'elle marchait au-dessus des eaux, ni ses pas, ni sa robe ni laissant la moindre trace. Enfin, elle s'arrêta juste devant lui.
- Tu parcours une route longue et périlleuse depuis longtemps. Tu as démontré courage et bonté. De par mes pouvoirs divins, je te fais donc chevalier.
Le mutant se pencha un peu plus vers l'avant alors que la Dame déposait doucement le plat de la lame sur chacune de ses épaules en lui attribuant son statut de chevalier.
- Fais face à tes ennemis sans peur. Défends les faibles. Ne mens pas, même si cela signifie ta mort. Tel est ton devoir de chevalier.
Lentement, elle souleva de nouveau la lame pour la présenter à l'horizontale entre ses deux mains au sorceleur.
- Relève-toi, chevalier.
Geralt se remit debout et affronta le regard sage et mystérieux de la déesse.
- Le Destin ne te donnera aucun répit. Une longue route t'attend. Je vois la mort et le sang. Je vois un chaos glacé. Prends ce glaive en signe de mes faveurs. Elle fut autre fois la lame d'un grand guerrier. Elle a dormi dans les profondeurs très longtemps, attendant ta venue.
Elle déposa le glaive dans les mains gantées du sorceleur.
- Ma Dame…
Elle posa un doigt sur les lèvres du Loup Blanc.
- Cela n'a pas d'importance que tu crois ou non au Destin. Avec la lame que je t'offre, tu pourras accomplir ta mission.
- Merci ma Dame.
- Va, Loup Blanc, et fais ce que tu as à faire. Puisses-tu accomplir ton Destin.
Le rideau de bulle s'ouvrit derrière Geralt, l'invitant à sortir.
- Ne l'attend pas, nous en aurons pour un moment. Gol D. Ace, vient me rejoindre, je te prie.
Difficilement, Ann se releva et marcha lentement vers le dôme aquatique. Elle dépassa Geralt et lui tapota l'épaule.
- Je te retrouve plus tard.
Et le cocon d'eau de se referma derrière elle, laissant le Loup Blanc dehors.
Il regarda le rideau de bulles qui empêchait de voir ou d'entendre quoique ce soit, puis la lame entre ses mains.
Eh bien, il était chevalier à présent. C'était quelque chose qu'il pouvait raconter à Alvin.
Il tourna les talons et s'éloigna vers le navire. Puisque la Chat Noir avait dit de ne pas l'attendre…
Pendant qu'il marchait, il retira la lame d'argent dans son dos et la remplaça par la nouvelle. Il garderait l'ancienne au cas où sa nouvelle acquisition se briserait.
Il allait arriver à la barque quand il vit qu'il était attendu.
Berengar était là, assis au bord de la barque. Il se leva dès que Geralt arriva et croisa les bras.
- Berengar ? s'étonna le Loup Blanc.
Son camarade déballa tout :
- J'ai trahi la localisation de Kaer Morhen au leader de la Salamandre. Puis, je les ai aidés dans leurs recherches. Je chassais la Bête dans les faubourgs de Wyzima quand ils m'ont capturé. J'ai réussi à m'enfuir et je suis tombé sur Kalkstein. J'ai accepté son offre pour ouvrir la tour dans les marais. C'est là qu'ils me sont tombés de nouveau dessus. Ils furent pas aussi sympa la seconde fois. En trouvant et en leur livrant ce gamin, Alvin, c'était la seule méthode que j'avais de sauver ma peau.
C'était quelque chose que Geralt avait plus ou moins déduit en recoupant tout ce qu'il avait appris durant sa traque de son camarade d'Ecole. Berengar ne lui disait pas grand-chose de nouveau, il confirmait plutôt des soupçons. Mais ça n'expliquait pas pourquoi il passait aux aveux à cet instant.
- Je voulais te le dire en face, et affronter ton regard de glace.
Même pour un homme aussi froid et impassible qu'un mutant de l'Ecole du Loup, il parvenait à faire ressortir tout le mépris et la haine qu'il avait pour les sorceleurs.
- Je n'ai pas l'intention de te juger.
Les yeux du brun s'arrondirent légèrement sous la surprise.
- Est-ce que ça veut dire que tu comprends ? Que tu ne me jettes pas la pierre ?
- Je n'approuve pas tes actes, mais je pense que je peux comprendre ce qui t'as motivé.
- C'est-à-dire ?
- Fais ce que tu juges comme être la bonne chose à faire, je ne suis pas ta nounou. Seul ta conscience peut te juger. Si tu es en paix avec tes choix ou pas, c'est toi que ça regarde. Excuse-toi auprès de Vesemir pour le vol des mutagènes et la mort de Léo, c'est la moindre des choses.
Berengar hocha la tête et resta immobile un instant, avant de fouiller dans sa sacoche à élixirs pour en sortir une lettre.
- J'ai des choses à faire. Nous nous reverrons.
Et laissant Geralt en tête à tête avec la lettre, Berengar s'éloigna en longeant la plage, disparaissant rapidement à l'horizon. Le Loup Blanc décacheta alors l'enveloppe et lut le contenu du message. Une preuve de plus du caractère asocial voir misanthrope du mutant. Dans cette simple lettre, tout ce qu'il n'arrivait pas à dire de vive voix.
Il avait, toute sa vie, accusé les sorceleurs de lui avoir ôté sa capacité de communiquer avec les autres, pour réaliser que la seule cause, bien qu'il ne comprenne pas pourquoi, c'était lui.
Dedans, il admettait ses torts, sa couardise, sa lâcheté. Il craignait la douleur, l'incapacité et la mort.
A Kaer Morhen, il avait peur. Il avait peur à chaque fois qu'il affrontait un monstre et enfin, il craignait le Professeur et Azar Javed. Surtout le dernier.
Il avait supervisé les expérimentations scientifiques de la Salamandre pour concevoir des monstres féroces et mortels conçus à partir des mutations et de la magie noire.
Il était peut-être un mage puissant, mais Berengar avait un plan, d'après sa lettre. Et si ce plan fonctionnait correctement, Javed serait un mage mort, et les secrets de Kaer Morhen seraient en sécurité.
Peu importe ce qu'il s'était passé et ce qu'il disait, il était content d'avoir croisé la route des deux autres mutants.
Et il les reverrait à Wyzima.
Geralt plia la lettre et la coinça sous une pierre, dépassant suffisamment dans l'espoir que la D. puisse la remarquer et la ramasser. Puis, l'esprit tourbillonnant des derniers évènements, il s'installa dans la barque et traversa le lac.
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Tout juste arriva-t-il de l'autre côté qu'il remarqua que les ennuis étaient au rendez-vous. L'Ordre de la Rose Ardente était là. Et à leur tête, une femme, vêtue de cuir et de tissus rouges. Sa coupe de cheveux avait deux faits marquants : d'abord, c'était une queue de cheval dans la mode de Cintra avec juste le dessus d'attaché et le reste du crâne rasé de près, ensuite, elle avait les cheveux blancs malgré qu'elle ne doive pas avoir plus de la trentaine. Quand elle se retourna en entendant le son de la barque qui heurte le rivage, elle montra un visage défiguré par deux immenses balafres, dont l'une menait à l'oreille droite à moitié coupée. Sans compter que sa main gauche était remplacée par un crochet. Elle s'approcha du sorceleur avec des yeux plissés au regard dur de guerrier.
- Geralt de Riv. J'ai entendu parler de ta mort, salua la femme en fixant le mutant.
- C'est ce qu'on me dit souvent. Navré, mais vous êtes qui ?
- Rayla la Blanche. Nous nous sommes déjà rencontrés.
- L'amnésie ne m'aide pas.
- Qu'est-ce qui t'amène ici, sorceleur ?
- Je chasse des monstres, répondit évasivement le mutant en haussant les épaules.
Si elle était avec la Rose Ardente, il ne fallait pas lui parler de la présence de l'équipe de Toruviel.
- As-tu vu un groupe d'elfes dans les environs ?
Le mot elfe avait été prononcé avec une haine qui rivalisait avec celle de Portgas pour Eilhart.
- Aucun elfe, mentit Geralt.
La femme plissa les yeux.
- Surveille ce que tu dis, tu es loin d'être intouchable. Tu te balades avec l'Incendiaire de Rivia, on le sait tous, et elle est connue pour être une sympathisante des Scoia'tael. Si je découvre que tu travailles toi aussi avec eux…
- Ce sont des menaces ?
Il résista contre son instinct qui lui disait de porter une main à son glaive d'acier dans son dos.
- Oh non, je te dis juste comment éviter de commettre une sérieuse erreur dont les conséquences seraient bien trop sérieuses pour que tu puisses les supporter.
- Alors fais, toi aussi, attention à ce que tu fais. Je ne suis pas un elfe émacié, je peux me défendre tout seul.
- Oh, je n'en doute pas ! siffla la femme. Sache que Wyzima brûle. Les non-humains en ont fait un champ de bataille. Ces pauvres elfes affamés assassinent des humains par douzaines.
De plus en plus, Geralt commençait à comprendre comme Portgas en était venue à devenir l'Incendiaire de Rivia.
- Mes ordres sont de capturer l'unité sous les ordres de Toruviel Aep Shihiel. Et je ne te laisserai pas t'interposer. Ils se sont réfugiés dans le village et ils ont pris les villageois en otage. Nous allons bientôt attaquer.
- Il y aura beaucoup de morts inutiles.
- Ce sont des mots étranges venant de toi, surtout quand on sait que ton nouvel ami est l'assassin Yaevinn. Et doit-on rappeler les crimes de ta maîtresse mutante ? Je sais que vous êtes tous les deux impliqués dans le braquage de la banque. Et depuis, étrangement, la Scoia'tael a de meilleurs armes et armures… Comme s'ils n'avaient pas déjà le meilleur médecin du nord dans leur camp.
- Nous ne sommes pas amants, simplement des camarades. Deux sorceleurs qui s'entraident sur la Voie.
- Peu importe. Le fait est que ces paysans ont protégé ce commando Scoia'tael et les ont nourris. Ils sont coupables de trahison.
Parce que des gens faisaient preuve de compassion et de charité, ils étaient pendus. Dans quel monde pourri vivait-il ? Surtout qu'en plus de ça, ils s'étaient contentés de s'ignorer du mieux qu'ils pouvaient et les paysans auraient même voulu que les rebelles s'en aillent.
- Je ne te laisserai pas massacrer ces villageois.
- Han ! Voyez-vous ça ! Si tu veux vraiment les sauver, va parler à cette chienne d'elfe et dis-lui de baisser les armes. S'ils le font, je leur assurerai à eux et aux paysans un procès juste.
- Alors retiens tes hommes jusqu'à mon retour.
Il devait trouver une solution rapidement à toute cette affaire.
- Tu as ma parole, assura Rayla.
- Je croyais que la Rose Ardente ne prenait que des dévots, commenta Geralt.
- Je suis une mercenaire, pas une prêtresse. Je travaille pour quiconque qui paye pour des têtes non-humaines.
- Même si ce sont des non-humains qui payent ?
- Certainement pas. Pendant la guerre, mon unité a protégé la retraite de civils alors que la Scoia'tael était l'avant-garde de l'armée de Nilfgaard. Ils nous ont massacrés. Jusqu'au dernier.
Elle agita son crochet pour montrer son visage avec un rictus de haine.
- Quand je vois ce qu'ils m'ont fait, je me dis que mes hommes ont eu de la chance. As-tu déjà été torturé, sorceleur ?
- La guerre est cruelle avec tout le monde et nous rend tous fou, pas que les elfes.
- Connerie de pacifiste.
Et elle se détourna avec rage pour retourner auprès de son groupe.
Finalement, c'était mieux pour tout le monde que le Chat Noir soit encore avec la Dame du Lac. Le mutant tourna les talons et partit d'un pas rapide vers le village d'Eaux Troubles. Une fois hors de vue des armées de la Rose Ardente, il accéléra pour partir dans un sprint au travers les herbes. Il s'arrêta d'abord devant l'auberge, pour voir la porte grande-ouverte et pas âme qui vive. La hutte de Abigail était vide, elle aussi. Il prit la direction du reste du village, avant de s'arrêter en voyant Jaskier au bord de la route venant vers lui au pas de course.
- Geralt ! s'exclama le barde avec soulagement.
- Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda le mutant quand le musicien s'arrêta devant lui.
- Les elfes de Toruviel ont pris le village en otage. Que fait-on ?
- Je viens de voir Rayla la Blanche et elle mène une troupe de chevaliers de l'Ordre.
- Geralt… Alvin est parmi les otages.
Tout ce dont il avait besoin en plus.
- Je vais essayer de négocier.
- D'accord. Je vais me mettre derrière la maison du maire, afin de surveiller tout ça. Tu me diras ce que tu décides de faire, n'est-ce pas ?
- Oui.
Jaskier allait tourner les talons quand il remarqua l'absence d'Ann.
- Anabela n'a pas survécu ?
- Si. Mais la Dame du Lac l'a retenue pour sa récompense.
Et sans un mot de plus, Geralt reprit sa course vers le village en lui-même. Il fallait qu'il trouve un moyen de convaincre les deux femmes de ne pas s'affronter et de laisser les villageois à l'écart de tout ça. Ce ne serait certainement pas facile, mais il devait le faire.
Aisément, il trouva les Soia'tael et un elfe en armure vint à sa rencontre. Un elfe très bien équipé, comme l'avait fait remarquer Rayla. Lui et son groupe se détachaient des elfes blessés et affamés de l'équipe de Toruviel. Mais tous avaient les habitants à l'œil. Les mères et les enfants se refugiaient avec effroi derrière les hommes de leur famille, fixant les non-humains avec une crainte non dissimulée.
- Geralt de Riv ? se fit confirmer l'elfe qui aborda le mutant. Toruviel m'a parlé de toi.
- Que veux-tu ? s'enquit le sorceleur en s'arrêtant devant lui.
- Je mène les renforts que Yaevinn a envoyé pour aider Toruviel. Comme tu peux le voir, l'or de Vivaldi sert enfin une juste cause.
- Des armes achetées avec de l'or volé. Admirable. Si vous venez de Wyzima, je suis au regret de dire que vous avez guidé Rayla la Blanche jusqu'ici.
L'elfe se contenta d'un geste désinvolte de la main.
- C'est sans importance. Toruviel ne pouvait pas fuir éternellement. On ne peut échapper aux molosses de l'Ordre. Elle devrait voir ça comme une opportunité d'affronter et vaincre ses persécuteurs, avant de retourner à Wyzima et aider Yaevinn.
Le poing du sorceleur se resserra. Jamais encore il n'avait eu autant envie de casser le nez à quelqu'un.
- Vous ne laissez pas le choix à Toruviel et à présent, je suis certain que vous allez me demander de l'aide pour tuer les chevaliers.
- Elle est le symbole vivant de notre lutte ! Elle n'a pas le droit d'ignorer la situation et fuir ! Vous avez déjà fait tant pour nous déjà, alors, restez avec elle, marchez avec elle, avec les persécutés, contre ceux qui sont aveuglés par la haine !
Parce que les elfes n'étaient pas aveugles, eux ?
- Pourquoi est-ce que je devrais faire ça ? Pour l'or de Vivaldi ?
Cette conversation lui donnait la nausée.
- Non. Afin de lutter pour une juste cause et éviter un massacre comme dans les faubourgs. Et pour sauver ton Alvin des mains des serviteurs assoiffés de sang de l'Ordre.
Le poing de Geralt trembla alors qu'il se faisait violence pour ne pas l'enfoncer dans le maigre espace disponible du casque de l'elfe. Puisqu'il faisait une bataille du regard avec l'elfe, aucun d'eux ne remarqua le cuir marron du gant du mutant prendre brièvement une teinte noire luisante.
Mais déjà, l'elfe indiquait à son interlocuteur où trouver Toruviel avant de tourner les talons. Geralt respira profondément pour retrouver son calme et reprit sa marche. Cependant, en route, il s'arrêta en voyant Alvin se tenir debout entre deux adultes, dos à une maison. Le mutant allant s'agenouiller devant l'enfant pour savoir s'il allait bien.
- Je me sens bizarre… avoua l'enfant. Je… je peux entendre ce qu'ils pensent. C'est terrible, Geralt !
Le gosse tremblait en se frottant les bras.
- Tu as l'amulette ?
- Oui. Je la porte tout le temps. Je… je veux pas les entendre ! Geralt, pourquoi les elfes font ça ?
Il y avait tant de réponses, tant de choses qui pouvaient expliquer pourquoi les elfes faisaient ça, mais est-ce qu'un enfant pouvait le comprendre ?
- Ils se battent pour leur liberté, pour un idéal. Les humaines les ont poussés au bord du précipice et pour le coup, les elfes ne voient pas d'autres options que ces combats.
- Je m'en rappellerai Geralt, mais… quelque chose de mauvais est sur le point d'arriver. Je peux le sentir.
- Je vais parler à Toruviel pour calmer tout ça. Reste ici, je vais essayer de nous sortir de là.
Il tapota maladroitement l'épaule de l'enfant et se redressa pour aller voir Toruviel. Il la trouva pas très loin d'ailleurs, un arc à la main, impassible même si une lueur épuisée et désespérée brillait dans son regard. Elle fronça les sourcils en voyant le Loup Blanc venir vers elle.
- Geralt ? Pourquoi es-tu ici ?
- Je suis venu ici pour empêcher un massacre.
- L'Ordre, hein ? S'ils nous laissent partir, il n'y aura pas de massacre.
- Tu aurais pu laisser les enfants en dehors de ça.
- J'aurais voulu, mais je ne le peux. Rayla la Blanche est celle qui se tient sur le rivage. Les corps de paysans morts ne feront aucune différence pour elle. La seule chose qui arrête son arme, ce sont les enfants.
- Je veux t'aider, mais tu dois au moins laisser partir les otages.
- Je sais que tu es un ami et un allié. Les Scoia'tael arrivés de Wyzima m'ont raconté comment toi et le Chat Noir avaient aidé Yaevinn à la banque. Avec ça, les hav'caaren nous fournissent de nouveau de la nourriture et des armes, puisqu'ils savent qu'ils seront payés.
- Ecoute…
La désespération perça la voix de l'elfe alors qu'elle se rapprochait et baissait la voix pour parler au mutant :
- Aide-nous à fuir sous le couvert de la nuit. On ne veut pas se battre. Avec de la chance, personne ne sera blessé.
- Très bien, accepta Geralt.
C'était la meilleure solution. Et avec de la chance, le Chat Noir serait revenu pour les aider…
Toruviel pointa du pouce la maison du maire.
- Ah et dit à Jaskier que s'il continue de se cacher derrière cette maison, il va se faire tirer dessus.
Il fallait avouer que lui aussi entendait le barde. Décidément, le musicien était un piètre maître de la discrétion. Ils échangèrent une poignée de main et Geralt se détourna.
- Geralt ! Prends-moi avec toi, je serai sage ! gémit Alvin avant de se faire appeler à l'ordre par un elfe.
- Tiens-toi tranquille et reste calme, Alvin, ça sera bientôt fini. Je reviens.
Le Loup Blanc alla rejoindre Jaskier qui se voulait apparemment discret, mais qui échouait allègrement. Ce devait être très drôle ou insultant, au choix, pour les elfes, de voir le musicien chercher à se faire discret alors qu'il était déjà repéré.
- Alors ? On fait quoi ? chuchota Jaskier.
- Les choses ne font qu'empirer, lui dit Geralt sans chercher à baisser la voix.
- Les Scoia'tael d'un côté, l'Ordre de l'autre et nous au milieu avec Alvin, continua de chuchoter le barde.
C'était simple de comprendre comment ils en étaient arrivés là.
Tout ça, c'était pour des coffres de Mahakam dessinés par des ingénieurs nains, complétés par des sorts de verrouillage de haut niveau. Plus résistants que n'importe quels vétérans de guerre. Cinq cent ans d'expériences dans le domaine. Tout ça pour garder l'argent déposé dans les coffres de Vivaldi en sécurité absolu.
Il ne fallait pas croire la joie des elfes devant l'argent et les armes. Les forces étaient équilibrées, mais les rumeurs de l'argent volé avaient attiré les revendeurs cupides d'armes fournissant vivres et équipement aux rebelles.
Richesse qu'auparavant, les humains avaient volé à Vivaldi en lui retirant sa banque.
Les Scoia'tael ne l'admettront pas, mais le combat pour la liberté est plus facile avec un estomac plein et une vraie armure.
- Que fait-on maintenant ? demanda Jaskier en tirant son camarade de ses pensées. S'en aller n'est pas une option, tu te ferais des ennemis d'un côté comme de l'autre.
- Je ne m'en fais pas pour ça, je me fais du souci pour Alvin, plutôt. Mais si je pars, il y aura un massacre et je ne peux pas laisser tomber Toruviel.
Puisqu'ils étaient derrière une maison, ils ne purent pas le voir, mais tous les elfes jetèrent un regard dans leur direction, avant de se tourner vers Toruviel qui fit comme si de rien n'était même si une légère teinte rosâtre venait de naître sur ses joues.
- Ecoute Geralt, lui dit sérieusement Jaskier. C'est un moment très important. Tes choix auront des conséquences. Donc, on attrape Alvin et on s'en va en les laissant gérer entre eux ?
S'il disait oui, il suivrait la conduite neutre des sorceleurs, chose qu'avait toujours recommandée de faire Vesemir. Cependant, il ne pouvait pas laisser une amie ainsi, derrière lui, alors qu'elle était sur le seuil de la mort.
Au diable la neutralité.
- Je vais rester derrière pour aider les elfes.
- Je peux faire quelque chose ?
- Retourne à l'auberge et ramasse mes affaires et celles de Portgas. Laisse-lui un message pour lui dire qu'on est allé voir le Roi Pêcheur et qu'on retourne à Wyzima. Tu iras voir l'homme en suivant pour qu'il prépare une barque. Dès que j'en ai fini ici, on s'en va.
- Très bien.
- Ah et Portgas a une grosse caisse en cuir noir avec son paquetage. Il contient un instrument, je n'ai pas besoin de te dire d'y faire attention si tu ne veux pas avoir à rendre des comptes au Chat Noir.
- Tu me vexes.
Et Jaskier s'en alla en courant, dévalant la pente herbeuse pour rejoindre l'auberge.
La décision prise, Geralt soupira et se mit en marche pour rejoindre Toruviel.
- Je veux qu'on mette les enfants à l'abri, au minimum. Et j'aimerais qu'Alvin quitte les lieux, je ne peux pas me permettre de l'avoir ici si des têtes se mettent à rouler, dit-il à l'elfe qui le regarda avec sérieux.
Elle tourna la tête pour observer l'enfant, avant de revenir au mutant.
- Cet enfant en est venu à t'aimer comme un père. Nous ne tuons pas les enfants. Nous allons leur permettre de rentrer à l'abri. Quant à toi, mets-le en sécurité et reviens nous aider, s'il te plaît.
- Je n'en aurai pas pour longtemps. Portgas sera ravie de voir que la Scoia'tael a encore un peu de cœur.
Il tendit une main vers Alvin et un geste de la tête de Toruviel fut tout ce qu'il fallut pour que le gosse vienne rejoindre le mutant. Ils s'éloignèrent vers la rive du lac. Pendant ce temps, le reste des elfes fit rentrer les enfants parmi les otages pour s'assurer qu'ils ne soient pas blessés. La femme elfe les regarda partir avant d'entendre un bruit de métal et un frottement.
Elle se retourna vers l'angle de la maison derrière elle, s'attendant à voir un de ses camarades rebelles, mais il n'y était pas.
Un autre bruit, et elle tourna la tête dans l'autre sens pour voir un autre elfe disparaître.
Elle comprit rapidement. Rayla n'était pas à son coup d'essai dans la chasse à l'elfe. Elle avait dû huiler les armures et réduire le métal au maximum. Avec les odeurs de la campagne, celle des soldats passait inaperçue. Et la panique et les sanglots des habitants pouvaient couvrir efficacement la respiration des militaires bien plus discrets que Jaskier. L'elfe sonna l'alarme en courant vers le centre du village pour rejoindre le reste des forces.
- C'est un piège ! Ils attaquent !
Elle brandit son arme alors que d'entre les ruelles, l'escadron de la Rose Ardente surgissait pour passer à l'attaque.
Geralt et Alvin étaient au centre de la cohue. Le sorceleur garda l'enfant derrière lui en sortant son glaive d'acier. Mais le gosse était paniqué. Partout où il regardait, il voyait du sang et des étincelles du métal percutant le métal. Son regard tomba sur un elfe tout proche qui tirait flèche sur flèche. Et sur la ceinture de celui-ci qui lui recouvrait une bonne partie du ventre avec une tête de démon grimaçant en métal sur le dessus.
Cela fut trop pour l'enfant et une lueur bleutée éthérée s'éleva de lui.
Geralt se retourna et comprit immédiatement ce qu'allait faire l'enfant.
- Non ! Alvin !
Le temps de le rejoindre, le gamin avait disparu sans la moindre trace. Comment est-ce qu'il allait le retrouver à présent ? Il pouvait être n'importe où !
Bon, il n'avait pas le choix, pour le coup.
Raffermissant sa prise sur son arme, il se jeta dans la mêlée, tuant les soldats de l'Ordre avec assez de force pour décharger sa frustration, son inquiétude et sa colère. Finalement, il n'était peut-être pas aussi dénué d'émotion qu'on pouvait le dire d'eux en général.
Les murs de pailles des maisons et la pierre des chemins furent bientôt couverts de sang et de membres découpés ou arrachés. Haches, épées et flèches faisaient leurs œuvres.
Quand le combat s'apaisa, il ne chercha pas à voir qui avait survécu et qui était mort. Sa priorité, c'était Alvin. Il rangea son arme et courut à travers le paysage pour rejoindre la rive du lac là où Jaskier l'attendait.
Comme convenu, le Roi Pêcheur avait préparé une barque et dedans, le paquetage de Geralt attendait.
- Le Roi Pêcheur va attendre Anabela avec le reste de ses affaires, pour lui indiquer la direction qu'on a pris, se justifia le barde quand il vit le regard de son ami sur le contenu de la barque. Où est Alvin ?
- Il a ouvert un portail et a disparu. Il peut être n'importe où.
- Et on doit retourner à Wyzima. Triss aura certainement une idée de comment le retrouver.
Triss… Elle n'allait pas être très contente de le revoir.
- En route.
Ils montèrent dans la barque après l'avoir poussée à l'eau.
Alors qu'il ramait, il jeta un œil vers l'autel de la Dame du Lac et remarqua le chien qu'Alvin avait sauvé. L'animal s'avançait tristement vers le bord pour les regarder partir, avant d'aboyer. En regardant de l'autre sens, il vit un autre escadron de la Rose Ardente marcher vers le village. Il soupira.
Il était trop tard pour faire demi-tour.
- Qu'est-ce que c'est ? demanda brusquement Jaskier.
Il se pencha vers l'eau et Geralt suivit son regard pour remarquer un étrange serpentin velu et noir qui flottait dans le courant et s'éloignait avec les coups de rames.
- Des cheveux.
- Oh.
Le reste du trajet se passa en silence.
