Bonjour et bonsoir à tous ! Ici se finit l'arc Flotsam de cette histoire. Ce sera un chapitre coriace. Il se passe bien des choses dans celui-ci (outre Ace qui est Ace et Geralt qui est… Geralt… et ne parlons pas de Jaskier). Alors, accrochez-vous bien, on se lance dans les mauvais côtés de Flotsam.
Je vous dis à bientôt pour le début de l'arc de Vergen et… un petit changement en prévision pour lequel je remercie Shadow Samhain !
La bise !
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La nuit avait été courte ?
Non. La nuit avait été blanche pour les deux mutants. C'est Zoltan qui eut droit à une nuit (même si courte). Et il n'apprécia pas le réveil en fanfare qu'on lui offrit en tambourinant à sa porte. Grognon, avec juste un caleçon long (à la taille du nain) et une vieille tunique pour l'habiller, il les laissa entrer dans sa chambre.
- Que me vaut ce réveil si matinal ? demanda le nain en se frottant le crâne.
- On a une faveur à te demander, lui dit Geralt pendant qu'Ace s'adossait à la porte qu'ils avaient refermée derrière eux.
- Qui ne peut pas attendre une heure raisonnable ?
- Trois heures du matin est l'heure à laquelle toute personne normalement constituée dort profondément. D'où la raison pour laquelle on t'a réveillé avant, afin qu'on puisse agir dès l'heure H, lui dit le D.
Zoltan lui adressa un regard noir, mais quand on considérait qu'il n'était pas plus grand qu'un enfant, c'était peu impressionnant.
- Dîtes-moi tout, maugréa le nain.
- Tu es en contact avec les Scoia'tael locaux ?
- Quel soulard est donc allé raconter ce genre de conneries sur la place du marché ?
- On doit rencontrer Iorveth. C'est important.
- Je me serais tourné vers Thatch si cela ne risquait pas de dévoiler notre jeu avant le moment propice, soupira Ace.
- Tu es notre meilleure option, lui assura Geralt.
- Bah si t'es en contact avec le vampire, pourquoi tu ne passes pas par lui ?
- Parce qu'il doit garder à l'œil le Tueur de Roi, et lui demander d'organiser une rencontre avec Iorveth serait risquer de perdre de vue ce gars.
Le nain soupira et s'assit sur son lit, ses courtes jambes se balançant à quelques centimètres du sol. Il passa ses mains sur son visage pour chasser les dernières traces de sommeil avant de caresser sa courte barbe.
- Vous savez… n'allez pas croire que je suis copain comme cochon avec les Scoia'tael. Ce Thatch, je le connais pas, mais je peux vous assurer que Iorveth me déteste. Pourquoi diable vous voulez le voir, de toute façon ?
- On doit l'avertir qu'il est sur le point de se faire enculer à sec par le Tueur de Roi.
Geralt roula des yeux mais ne fit aucune remarque sur le langage vulgaire de son camarade. Il commençait à avoir sérieusement l'habitude de toute façon.
- Iorveth avec le Tueur de Roi ? Et moi qui pensais que c'était un banal bandit.
- Si c'était un banal bandit, il aurait pas Thatch avec lui.
Zoltan leva les mains en soupirant.
- Laissez-moi m'habiller, et je vous rejoins. On en discutera en chemin.
- T'avises pas de te rendormir, menaça le D.
- Mais oui, mais oui.
Les deux mutants sortirent pour attendre sur le palier. Quelques minutes plus tard, Zoltan sortit, habillé et le visage humide après l'avoir aspergé d'eau. Il descendit le pallier, suivi par les mutants qui devaient marcher lentement pour ne pas dépasser le petit bout d'homme. Une fois dans les bois, il reprit la conversation :
- Dîtes-moi, qui a dit que j'étais en contact avec la Scoia'tael ? Le vampire ?
- Non. Pire. Loredo, lui répondit le D. en dégainant son glaive d'argent par précaution.
- Quel enfoiré.
- C'est pour cela qu'il a cherché à te pendre ? Pour avoir trafiqué avec les Ecureuils ? se fit confirmer Geralt en surveillant les alentours.
- Du tout ! J'en ai rencontré quelques-uns, oui, mais j'ai passé aucun accord !
Le nain contourna une racine que son ami enjamba aisément.
- Et pour ce qui est de Iorveth ?
- Vous savez, on dit que ce gars est fou, mais les Scoia'tael le soutiennent à deux cent pour cent. Et il sait parfaitement ce qu'il veut.
- Et Isengrim ? se renseigna Ace. C'est un ancien de la Vrihedd, comme beaucoup d'officiers Scoiat'ael, et il était plus haut placé que Iorveth.
- Aucune foutue idée.
- Et que veut Iorveth ? se renseigna Geralt.
- Je sais pas ce qu'il planifie.
- Il faut espérer qu'il sera un peu plus loquace.
- Vous savez ce qu'on dit, entre deux maux, il faut choisir le moindre. Et Loredo est le serpent le plus dangereux.
- Parce qu'il t'a presque fait pendre ?
- Non, parce qu'il agite les habitants de Flotsam contre les non-humains. Et on raconte même qu'il est en collusion avec Kaedwen !
- On sait qu'un Pogrom se prépare, Zoltan. Et j'ai, par erreur, accéléré le processus, soupira Ace.
- Tu regrettes ? demanda Geralt.
- Non. Je pouvais pas les laisser ainsi.
- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? J'ai remarqué que Triss était tendue en ce moment. Elle nous a dit, à Jaskier et moi, d'être prêt à évacuer à tout moment, demanda Zoltan par-dessus son épaule.
- T'as entendu parler des elfes qui ont disparu ?
- Oui… Non, ne me dit pas…
Ace hocha sombrement la tête alors que le nain s'était arrêté sous le choc.
- Je les ai retrouvées. Prisonnières dans une tour à l'abandon sur le port. La garde devait venir les voir pour s'amuser régulièrement, vu leur état. Triss m'a aidé à les faire sortir de la ville et c'est le vampire qui a pris la relève.
- Oh le bordel… Mais alors, pourquoi Iorveth n'a pas encore attaqué ?
- Parce qu'on nous a acheté du temps pour l'évacuation. Anezka, l'herboriste, a fait passer le message. On est sur la fin, c'est pour bientôt.
Zoltan se frotta le visage en soupirant. En effet, ils étaient dans la mouise.
- Pour ce qui est de Kaedwen, c'est avéré pour Loredo. On a…
- J'ai volé un message destiné au magicien de la cour, avoua sans honte et même avec une certaine fierté le D.
Cela fit rire jaune le nain qui chassa de la main une feuille qui lui tomba sur la figure. D'un signe, Geralt grilla un nekker qui s'était perdu sur leur route, avant que la bestiole n'aille chercher ses amis.
- Donc, c'est quoi le souci de Loredo ? s'enquit le Loup Blanc.
- L'argent. Le roi Henselt serait content d'annexer plus de terres à son territoire et donner quelques privilèges à Loredo pour l'y avoir aidé. Allez, dépêchons, il reste encore pas mal de chemin.
Et ils reprirent leur marche dans les bois avec un peu plus de vitesse.
- On doit s'enfoncer plus dans les bois et j'espère qu'ils n'ont pas changé le mot de passe, marmonna le nain en accélérant sur ses petites jambes.
- Tu dois être un minimum impliqué avec eux pour connaître leur mot de passe, pointa Geralt. A quoi joues-tu, Zoltan ?
Le nain ralentit, puis s'arrêta. Il tourna pour faire face à son camarade, la tête levée, légèrement reculé pour le regarder dans les yeux en dépit de la différence de taille.
- Ils voulaient que je commande une de leur unité, avoua le nain.
- Ce qui explique que Loredo t'ait voulu mort, nota Ace.
Un reniflement narquois échappa au nain qui reprit sa marche.
- Ah, mais ce n'est pas parce qu'on m'a demandé que j'ai accepté leur putain d'offre ! Allez, on se bouge !
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Après de longues heures de marche, au point que le soleil commença à se montrer, ils finirent par s'arrêter à côté d'un pilier perdu dans les bois, éclairé par des bougies à son pied. Au milieu des arbres et des fougères, il n'y avait que ça.
Le pilier et les bougies.
- On y est. Je devais les rencontrer ici, annonça le nain.
Geralt et Ace échangèrent un regard. Les glaives d'argents revinrent au fourreau et Geralt tira son arme en acier. Le D. détacha le fusil de son épaule et le chargea. Ils n'étaient pas seuls dans ces bois.
- On le sait. Ils nous visent avec des flèches, souffla Geralt.
- Quoi ?!
Le cri lointain d'un nekker lui répondit.
- Geralt, je sais que tu es du genre vigilant, mais me fait pas de blague comme ça, veux-tu ?
- Donne-leur le mot de passe avant que je commence à tirer sur les Écureuils pour nous protéger, grommela le D. entre ses dents.
Et il épaula la Winchester pour se mettre à viser le feuillage d'un arbre à proximité.
- Mais à qui ? demanda le nain.
- Dépêche-toi, ils vont finir par tirer, pressa Geralt.
Ace regrettait que Thatch ne le lui ait pas donné, cela aurait été utile dans cette situation.
- Ah, bon, d'accord…
Le nain prit son souffle et se mit à crier dans la forêt :
- Kier-ke-gaaaaard !
Les deux mutants grimacèrent. Maudit soit leurs sens. Parce que déjà qu'au naturel, les nains avaient un foutu coffre, rajouter ça, ça n'aidait pas.
Des elfes sortirent des buissons, un homme et une femme.
- Arrête de brailler, réclama le mâle du duo. Qu'est-ce que tu veux ?
- C'est quoi la réponse, exigea le nain.
- Hei-de-gger. J'ai posé une question.
- On doit voir Iorveth.
- Pourquoi ?
- Si on avait voulu te parler, on ne demanderait pas après ton leader.
- Il n'y a aucune raison pour que Iorveth parle avec vous.
- Ah bah ça, t'en sais rien, lui dit Ace.
- Je vous recommande de partir tant que vous le pouvez encore, siffla l'elfe en portant une main à la lame à sa ceinture.
Pan !
Un elfe manqua de tomber d'une branche de l'arbre dans lequel il s'était caché. Geralt n'avait pas vu ce qu'il s'était passé. Cela avait été plus rapide qu'une flèche ou même un carreau d'arbalète. Il n'y avait plus que ce bruit qui continuait de se répercuter en écho dans les arbres et cette odeur de poudre chaude. Ace ramena le canon de son fusil près de son visage et souffla la fumée, avant de passer l'arme derrière sa nuque.
- Il me remerciera pour son hoquet, se contenta de sourire innocemment le brun.
Le Loup Blanc se masse le nez alors que Zoltan ramassait sa mâchoire.
- Comment as-tu eu cette arme, dh'oine ? demanda la femme elfe.
- Et tu vas faire quoi des quatre dans l'autre arbre ? s'enquit Geralt avant que son ami ne puisse répondre.
- Avec celui sous fisstech ? se fit confirmer Ace en fixant un autre arbre. Nan, j'y touche pas. J'pense que c'est pour anesthésier la douleur qu'il est high.
- Comment vous le savez ? s'étonna le premier elfe.
- On les entend. Celui sous fisstech siffle autant qu'Ace sous l'effort.
- Prends-toi un pilier de magma en travers de la poitrine et on en reparlera, grommela le D.
- Ahah ! On fait plus les malins maintenant ! se moqua Zoltan.
- On veut parler à Iorveth, c'est tout. Après, on partira, redemanda Geralt en retenant sa lassitude.
Le duo échangea un regard, avant que l'homme ne leur dise :
- Attendez à la clairière. Le nain sait où elle est. On va dire à Iorveth que vous voulez le voir.
- Hontoni arigatou ! sourit largement Ace.
Et les elfes s'en allèrent.
- Pourquoi tu l'as remercié ? demanda Geralt.
- Tu m'as compris ? s'étonna Ace en le regardant.
- Oui, pourquoi, je n'aurais pas dû ?
- /Tu me comprends vraiment quand je parle ou tu as juste deviné ?/ tenta le D. en japonais.
- C'est parfaitement clair.
- Je comprends que dalle, moi, pointa Zoltan.
- Donc, c'est de Geralt que ça vient… Merigold... Elle peut pas s'occuper de ses affaires une fois dans sa vie celle-ci ?
- As-tu une raison particulière de lui en vouloir, cette fois ? se renseigna Geralt.
- Elle t'a lancé un sort de traduction.
- Ah.
Sans rien dire de plus, Geralt se tourna vers Zoltan qui avait l'air de très mauvaise humeur.
- Donc, où est cette clairière ?
- Personne de censé ne veut s'y rendre, leur dit le nain en bougonnant alors qu'il se mettait à marcher dans les bois. Je sais ce que prépare ces stupides elfes. J'y suis déjà allé, une fois. C'est plus une fosse qu'une clairière.
- De quoi tu parles ? se renseigna Ace alors qu'ils suivaient le chemin forestier derrière Zoltan.
- C'est le nid d'un monstre. Un gros machin avec une carapace sur son dos !
Ace fronça les sourcils. Cela ressemblait fortement à un arachas. Le genre de créature assez rare qu'on avait classifiée (allez savoir pourquoi) dans la catégorie des insectes.
- Ce que tu décris, ça ressemble à un arachas, remarqua Geralt. Et je trouve étrange qu'on en trouve dans les environs.
- Je sais pas ce que c'est le nom de cette saloperie, mais elle me fout les jetons. Ils nous ont envoyé dans un piège.
- Ce qu'ils pensent être un piège, rectifia Ace.
Les deux autres le regardèrent, mais il secoua la tête.
- Je veux pas dire de bêtise, donc, attendons d'être sur place.
Zoltan les fit monter sur quelques rochers et passer par-dessus un arbre renversé, puis escalader d'autres pierres, les menant un peu plus loin dans les escarpements rocheux de la forêt. Et ils arrivèrent en effet au bord d'une clairière encerclée par la nature et la pierre. Une véritable fosse naturelle.
- On y est, cette créature rôde dans les parages, justement là où on nous a dit de rencontrer Iorveth, grinça Zoltan en fixant le sol en contrebas.
Geralt, lui, il remarqua autre chose. Il sauta dans l'arène naturelle et s'avança sur le tapis les feuilles mortes qui recouvrait la terre humide jusqu'à soulever des feuilles tombantes d'un arbre bas. Bientôt, les deux autres le rejoignirent pour voir sa trouvaille. C'était un escargot géant. Avec des pattes et des pinces. Un corps un peu plus chitineux. Et une coquille plus grande qu'un homme dont la forme et les couleurs rappelaient les coquillages.
La créature était morte.
Et on avait soigneusement récolté sur sa dépouille tout ce qui pouvait être utile. Surtout dans la conception d'élixir.
- C'est le travail d'une lame d'argent, reconnut Geralt.
- Tu crois que j'ai trouvé où les yeux d'arachas pour le rituel d'Anezka ? s'enquit le brun. Oui, c'est mon boulot. Tombé ici par hasard.
Et avant qu'ils ne puissent dire plus, des elfes sautèrent des arbres alentour, les gardant sous la menace d'une multitude de flèches. Et juste devant eux, Iorveth leur fit le plaisir d'apparaître, atterrissant souplement sur ses jambes, de profil pour les avoir dans le champ de vision de son œil unique.
- /Les elfes sont séduisants en règle générale, mais putain, lui, il est juste tellement sexy…/ souffla le D. avec les yeux ronds. /Si j'étais pas marié, j'aurais essayé de faire sauter son armure !/
Geralt lui adressa un regard noir. Ce n'était pas le moment de fantasmer sur ce commandant de la Scoia'tael, surtout dans leur position.
Pourtant… le commentaire d'Ace eut un effet intéressant. Iorveth le regarda d'un air interloqué, presque comme s'il avait compris ces mots que le D. avait prononcés en japonais.
- Justement ! On te cherchait ! lança Zoltan en brandissant son poing vers l'elfe.
Geralt tira discrètement son ami vers l'arrière pour se rapprocher du commandant qui réussit à retrouver ses esprits avec l'intervention du nain. Prenant bien garde à ne pas regarder en direction d'Ace, le chef s'adressa au plus vieux du trio :
- Nous avons loupé un beau spectacle avec la mort prématurée de l'arachas, Gwynbleidd. Mais peu importe, de toute façon, nous sommes destinés à un combat inégal où vous attend une mort certaine.
- Je peux te faire une remarque ? demanda calmement le Loup Blanc.
- Que veux-tu, vatt'ghern ? Parle vite, avant que je ne vous tue tous les trois. Et j'espère que ça n'a rien à voir avec le commentaire de ton camarade, parce que je m'assurerais que vous souffriez longtemps avant de trouver la mort.
Les arcs furent bandés et on ajusta les trajectoires.
- Qu'est-ce que tu lui as dit ? demanda Zoltan à Ace.
- Rien d'important. J'ai dit tout haut ce que je pensais tout bas. Désolé pour l'embarras Commandant Iorveth, s'excusa le Chat.
Il n'empêche qu'il était ultra hot.
- J'attends, exigea Iorveth en risquant un regard vers Ace avant de revenir à Geralt.
- Ace, tu es celui qui a entendu la conversation, invita le Loup Blanc en se tourna vers son camarade.
Le brun hocha la tête, toute rigolade disparue pour faire place à un sérieux de mort.
- Letho, de l'école de la Vipère, s'est foutu de toi. Il a essayé d'acheter ton adjuvant Ciaran aep Easnillen pour te renverser.
- Ciaran aep Easnillen est mort, lui dit froidement Iroveth. Il y a deux semaines, son escouade a été prise dans une embuscade et tuée. Tu es un piètre menteur, vattg'hern.
- As-tu retrouvé son corps ?
La réponse du commandant elfe était le silence.
- Et si tu ne me crois pas moi, tu le croiras peut-être lui.
Le brun pointa du doigt quelque chose derrière les elfes. Iorveth ne prit pas la peine de se retourner, mais son oreille tiqua, percevant clairement quelque chose. Et ce quelque chose, c'était Thatch qui fendait la foule. Cette fois, il n'avait pas sa cape, laissant voir à qui le voulait qu'il portait une tunique solide et épaisse, en dépit de l'absence de manche, avec un pantalon ample de toile, le tout dans un style typique de skellige même si la couleur était plus quelque chose qui se fondait dans les bois. Voyant qui étaient les cibles de l'embuscade, le vampire plissa les yeux et alla rejoindre le groupe.
- Donne l'ordre de baisser les armes, exigea-t-il.
- Et pourquoi ? s'enquit Iorveth.
- Parce que tu vas tuer des alliés. Tu sais, les femmes que tu veux aller venger en descendant ce soir sur Flotsam ? C'est à lui que tu dois leur libération !
En disant ça, il montra Ace de la main qui ajusta le fusil à son épaule.
- Nous parlions du cas de Ciaran, explicita Geralt.
- Je l'ai vu. Loredo l'a foutu sur sa stupide barge pour Drakenborg. On a réussi à l'évacuer et il reçoit des soins à Vergen pendant qu'on parle, raconta le vampire.
- Il a refusé l'offre de Letho, et celui-ci a décidé de le faire taire plutôt que de courir le risque de le voir tout te raconter, continua le D.
Le commandant Scoia'tael plissa son œil unique en se mettant à faire les cents pas.
- On t'a dit qu'il n'était pas digne de confiance, qu'il cachait son jeu. Voilà le résultat, se contenta de dire le roux.
L'elfe poussa un juron retentissant.
- Conclusion ? demanda Zoltan.
- Letho doit mourir, grinça l'elfe.
- C'était prévisible.
Les elfes tout autour baissèrent les armes au signe de Iorveth.
- Par simple curiosité, pourquoi avoir accepté le Tueur de Roi ? Parce que c'est un dh'oine qui adhère à tes idéaux ? se renseigna Geralt.
- Non, il a fait ce qui devait être fait. Il a prouvé que personne n'est intouchable.
- Insengrim va tellement aimer cette initiative, commenta le vampire avec un sombre amusement.
- On en reparlera lui et moi en face à face. On veut la même chose et je lui ferai comprendre ce que je visais avec cette association.
- Je dirai une prière en ton souvenir.
Iorveth lui adressa un regard pas du tout amusé.
- Tu t'apprêtes à partir en guerre contre Flotsam, mais as-tu oublié qu'il y a des elfes et des nains qui vivent là-bas ? s'enquit Geralt.
- Ce n'est pas une vie ! cracha le borgne. On leur a arraché toute estime de soi ! Ils sont obligés de vivre et de mourir en respectant les lois humaines. Ils sont plus dh'oine que toi, Geralt.
- Et donc, on scalpe Letho quand ? se renseigna le D. J'attends le sang, les tripes et les boyaux, moi !
Tout le monde le regarda d'un air interloqué.
- Qu'est-ce que j'ai dit ? demanda naïvement le brun en penchant la tête sur le côté.
Thatch leva un doigt, s'éloigna et alla s'appuyer contre un arbre pour juguler son fou-rire montant.
- Nanda ? répéta Ace avec une moue enfantine.
- Alors, comment procédons-nous pour Letho ? On lui annonce de but en blanc qu'on sait tout ? demanda Zoltan.
- Où est-il ? demanda Geralt.
- Les ruines de Caelmewedd, répondit immédiatement Thatch en revenant, un sourire persistant sur son visage. Allez savoir pourquoi, il aime ce coin.
- Mon unité nous couvrira, annonça Iorveth.
- Avant qu'on y aille, je veux savoir… pourquoi Foltest ? s'enquit Geralt.
- Il avait l'air peut être charmant, mais il a permis l'oppression des races anciennes dans toute la Téméria. Ces décrets suite à la révolte de Wyzima à laquelle Yaevinn et toi avaient participé, ce n'était que de la poudre aux yeux.
Iorveth allait ajouter autre chose quand il s'arrêta, pensif, avant de regarder de nouveau Ace qui leva un sourcil de perplexité. Sans explication, l'elfe le fixa un instant avant de revenir vers Geralt :
- Foltest n'était peut-être pas différent des autres dh'oines, mais sa mort a eu plus d'impact. D'autres questions, ou on peut se mettre en marche ?
- Quand bon te semblera, Aen Seidh, répondit placidement Ace.
Iorveth tourna les talons.
- Bon, allons-y ! encouragea Zoltan.
- Non, ce n'est pas une bonne idée que tu nous accompagnes, ta présence pourrait éveiller des soupçons, lui dit Geralt.
Le nain voulut clairement s'opposer à la demande de son ami, mais Ace avait une bonne idée pour le mettre à l'abri.
- Tu peux aller voir Anezka l'herboriste ? Dis-lui que c'est l'heure. Elle comprendra.
- Comprendra quoi ? se renseigna le nain.
- Qu'il faut mettre les femmes et les enfants à l'abri avant que tout n'explose. Et aide-la. On ne veut pas de morts innocentes.
- C'est le genre de combat qui me plaît, dit sérieusement le nain.
Et il fila de toute la vitesse de ses jambes. Les deux sorceleurs emboitèrent le pas de Iorveth, suivis de Thatch, puis du reste de l'unité qui disparut dans les sous-bois.
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Ils s'arrêtèrent à quelques pieds de l'obélisque qui marquait l'entrée de la montée vers le site où poussaient les Roses de Souvenances.
- Méthode direct ou la ruse ? s'enquit Thatch.
- La ruse, décida Iorveth. Afin qu'il baisse sa garde. L'un de vous se désigne pour lui faire croire que j'ai été capturé.
- Ce qui signifie que tu seras désarmé et les mains liées, pointa Geralt.
Pour toute réponse, l'elfe tendit son arc dans le carquois à Thatch, puis son épée à Ace qui haussa un sourcil.
- Tu ne peux te cacher, ta respiration sifflante te trahirait. Je ne te fais pas confiance, mais pour une raison étrange, Thatch a foi en toi. Je vais donc placer ma confiance en l'instinct d'un individu que je côtoie depuis longtemps. De toute façon, mon escouade nous couvrira depuis les arbres. Fais quoique ce soit de stupide…
Le brun hocha la tête et détacha la plume de ses cheveux pour la ranger précieusement dans sa sacoche à élixir. Il en profita pour prendre sa médication et grimaça en ingérant la fiole.
- Pourquoi se prendre la tête avec tout ça ? On pourrait après tout aller le voir et lui dire qu'on sait tout, pointa Geralt.
- Ayd f'haeil moen Hirjeth taenverde, lui répondit moqueusement l'elfe.
Thatch roula des yeux alors qu'Ace réprimait un rire.
- « Vaincre par le courage plutôt que par la force ? » traduisit le Loup Blanc.
Les applaudissements narquois de Iorveth l'irritèrent quelque peu.
- Précisément.
Et l'elfe se tourna vers un des siens qui lui lia les mains derrière le dos. Ace retira le fusil de son épaule et le tendit à Thatch en le tenant par le canon.
- Pourquoi tu me le donnes ?
- Parce que Letho t'a déjà vu avec. Si je me ramène avec cette arme, il va se douter de quelque chose. Sans compter qu'elle te sera plus utile qu'à moi là-haut.
Thatch le regarda, puis tourna son attention sur l'arme. Il s'en saisit d'une main ferme avant de lui donner le bisentô en échange.
- Ça par contre, il ne l'a pas vu.
Ace eut une esquisse de sourire et s'en saisit. Iorveth attendait après lui. Il était temps de confronter le sorceleur de la Vipère. Ils se mirent donc en route vers le sommet, l'elfe faisant preuve d'agilité pour être capable de surmonter les obstacles sans l'usage de ses mains. Mais clairement, il n'était pas des plus confortables de se retrouver seul avec le D.
- Bon, écoute, je suis désolé pour le commentaire, je m'attendais pas à ce que tu me comprennes, finit par dire Ace pour briser le silence. Je te propose qu'on oublie tout ça, d'accord ? De toute façon, je suis marié et fidèle, sans parler de mes valeurs morales qui font que je vais pas forcer les autres pour mon bon plaisir.
Il fallut un long moment avant que l'elfe n'accepte.
- C'est le vampire qui t'a appris la langue ? s'enquit Iorveth alors qu'ils grimpaient les derniers mètres.
- Non, c'est ma langue de naissance.
Ils ne dirent rien de plus. Ils commençaient à entendre le souffle calme, tranquille et contrôlé de quelqu'un. Un souffle qui résonne dans une puissante cage thoracique.
Ils passèrent la porte en ruine pour pénétrer dans le jardin avec la statue et les roses.
Un homme en armure de cuir était installé sur le socle de la sculpture de marbre, les genoux supportant ses coudes. Avec sa tenue de cuir et sa posture, on aurait presque dit qu'il était bossu. Il était grand. Assez pour rivaliser avec Thatch. Et avec une stature très imposante. Ses bras étaient aussi gros que des jambons, les muscles tellement développés qu'on voyait aisément les moindres veines et artères sous la peau pâle, et ce, en dépit des nombreuses marques et cicatrices qu'un sorceleur recevait au cours de sa vie à chasser les monstres. Ses yeux brillants étaient enfoncés dans ses orbites, fixant le monde de dessous une imposante arcade sourcilière imberbe. La seule marque de pilosité sur son visage venait de la marque d'un rasage de près pour empêcher la pousse d'une barbe, parce qu'à côté, il n'avait même pas de cheveux pour masquer la cicatrice en V qui se dessinait sur le sommet de son crâne.
Quand le duo arriva, il les observa sans bouger, impassible. Jusqu'à ce que le D. jette au sol Iorveth.
- Qui es-tu et qu'est-ce que ça signifie ? demanda le mastodonte.
- Ace, de l'école du Chat, se présenta le D. en tirant le médaillon de son col. Quant à ce qu'il se passe, c'est simple.
Il s'appuya un peu sur le bisentô.
- Je suis un chat. Je fais ce que je veux. Je me torche avec la neutralité, le code et la morale. Et j'ai flairé un bon coup en débarquant ici. Et savoir qu'un autre sorceleur est sur le l'affaire, ça me fait un peu chier. C'est quoi ton nom, mon gars ?
- Letho de Guletta, de l'école de la Vipère. J'ai entendu parler des tiens. Et de vos mutations.
- On est une sacrée bande de tarés, je suis le premier à l'admettre.
- Entre le Chat de Iello et l'Incendiaire de Rivia, vous êtes servis niveau réputation. Mais ça ne m'explique pas pourquoi tu me livres Iorveth sur un plateau.
Le mastodonte se leva, son médaillon représentant un serpent enroulé en un huit se balançant au rythme de sa marche. Difficilement, Iorveth se releva.
- Je te propose un marché. Et Iorveth est ma part de ce marché.
Letho s'arrêta devant eux et examina l'elfe qui plissa son œil unique.
- C'est du beau travail d'avoir attrapé ce vieux renard des bois. On dira ce qu'on voudra des Chats, on ne peut néanmoins pas nier que vous êtes dangereux. Parle-moi donc de ton marché.
- Je t'offre Iorveth, et je veux bosser dans ton affaire. Ce doit être très gros pour que tu assassines deux rois. Mais j'attends une chose de toi en échange.
- Quoi donc ?
- Geralt de Riv. Je le veux mort. J'essaie de me glisser sous sa garde pour l'abattre quand il aura le dos tourné, mais il est méfiant.
- Ah. Lui.
- Tu le connais ?
- Je l'ai rencontré il y a quelques années en arrière. Et ce jour-là, le Loup Blanc m'a sauvé la vie.
- Oh. Voilà qui est intéressant. Tu sais quoi ? Je pense qu'on va te garder vivant un moment. Le vieux loup lubrique aura certainement des questions à te poser.
Pan !
Un coup de feu traversa la forêt dans le petit matin et Letho évita les blessures en invoquant Quen.
- Assez plaisanté ! hurla Iroveth en se débarrassant des cordes pendant que Geralt sautait par-dessus la porte pour les rejoindre. Vedrai ! Enn'le !
Des elfes sortirent de partout alors que dans son poste dans un arbre, un Thatch invisible rechargeait son fusil.
- A quoi tu joues ? demanda Letho en tirant son arme.
- Oups ? sourit un peu trop largement le bun en faisant tourner le bisentô autour de lui.
- On joue à un jeu que tu viens tout juste de perdre, informa Geralt.
Ou du moins, c'était ce qui aurait pu se passer si l'un des elfes ne s'effondra pas brusquement, suivi d'un second. Un autre coup de feu résonna et un humain tomba d'un arbre à proximité.
Les Stries Bleus.
Roche avait dû deviner ou sentir l'affaire. Et il avait donc cherché à faire une pierre, deux coups. Mais déjà, le reste des Stries Bleues, menés par Roche, fonçaient au travers les fleurs et escaladaient les rochers.
Les elfes se faisaient clairement massacrer.
- Donne-moi mon épée ! exigea Iorveth qui venait de finir de se libérer.
Et il tendit une main vers Ace.
Tout autre nordien aurait frappé l'elfe en pleine gorge pour l'incapacité et ainsi, récolter sa prime. Mais Ace, d'une part, n'était pas un nordien, et de l'autre, il restait un pro-Scoia'tael. Sans compter que le commandant elfique lui avait remis volontairement son arme, ce qui était, qu'on le veuille ou non, un geste de confiance. Et le D. n'avait pas l'intention de le décevoir. Il retira l'épée de sa taille et l'offrit au borgne qui le remercia d'un bref hochement de la tête avant de se jeter sur Vernon qui l'affronta avec une masse. Geralt se mit en garde, alors que Letho le regardait lui et Ace, cherchant à savoir par qui commencer. Quand un des Stries Bleus se jeta sur le D. en lui hurlant qu'il était un traître, le choix fut vite fait et le sorceleur de la Vipère attaqua Geralt. Rapidement, les coups d'épées firent naître des étincelles. Celle de Letho était plus une grosse épée bâtarde qu'un glaive classique, mais cela n'entravait ni la vitesse, ni l'agilité du mutant. Même avec le Haki, ce serait une épreuve difficile.
- Je dois te tuer, siffla Letho entre ses dents.
- Essaie donc, mais je ne suis pas un roi, rétorqua Geralt.
Il recula un pied pour sentir le bout du trou par lequel il était tombé par erreur avec Triss avant de se laisser tomber vers l'arrière, entraînant Letho avec lui dans la chute. Ils tombèrent tous les deux dans le bain. Ils refirent surface presque en même temps, leur arme levée.
- C'est triste que nous soyons dans deux camps différents, nota Letho.
Et ils recommencèrent leurs échanges, Geralt réussissant à esquiver, malgré l'eau, quelques coups de de son adversaire grâce au Haki. Par contre, le Aard à bout portant dans la poitrine, il ne l'avait pas vu venir et ça faisait un mal de chien.
.
.
- GERALT !
Ace se laissa tomber agilement dans le bain et en ressortit. Il remarqua ce qu'il restait d'un mur de brique qui avait servi à couper l'accès à une autre pièce à l'abandon. Et le sorceleur aux cheveux blancs se présenta dans l'encadrement. Même si son visage était de marbre, la façon dont il serrait son arme disait qu'il était furax. La course de son cœur dans sa poitrine n'était pas seulement dû à l'effort suite à un combat.
- Je l'ai vu prendre la fuite, se contenta de dire Ace. J'ai pas pu le poursuivre. Roche veut vraiment ma mort.
- On verra plus tard. Comment ça se passe ?
- Le combat a été relocalisé plus loin. Dans le style, les Scoia'tael ont attiré les Stries Bleus dans les bois. Et Thatch fait de la chasse au pigeon pour le coup. On est dans la merde ?
- Il en a après Triss. Il veut qu'elle le téléporte en Aedirn.
- Alors, allons sauver la demoiselle en détresse.
Ace ne s'embarrassa pas d'utiliser le couloir qu'il avait emprunté avec Roche quelque temps avant. Non, il se contenta de sauter par le trou dans le plafond, s'accrochant agilement au rebord pour se hisser à l'extérieur. Il glissa ensuite un bras avec une main grande ouverte. Geralt se jeta dessus et l'utilisa pour se hisser lui-aussi à l'extérieur. Sans se consulter, ils coururent entre le corps des humains et des elfes. Les questions attendraient. La priorité était la magicienne.
Et ils tombèrent en chemin sur Iorveth qui les regarda en levant son sourcil.
- Tu n'étais pas en train d'affronter Roche ? s'étonna Ace.
- Je l'ai épargné. Nous avons tué quelques-uns de ses hommes avant qu'il ne sonne la retraite, expliqua Iorveth.
Malgré son impassibilité, une oreille attentive aurait perçu une certaine satisfaction et fierté dans sa voix.
- Letho est-il mort ?
- En direction de Flotsam. Il veut utiliser Triss pour se téléporter en Aedirn, grinça Geralt.
- Il doit être tué avant qu'il ne contacte ses deux associés.
- Juste un conseil, je sais pas depuis quand tu bosses avec Thatch, mais la prochaine fois qu'il te dit que ça pue, écoute-le, recommanda le D. à l'elfe. En attendant, nous, on a quelque chose à faire. Un truc où tu ne peux pas nous aider, sauf si tu veux affronter la garnison.
- J'ai autre chose à faire, pour l'instant. Mais je pense qu'on se reverra très vite. Bonne chance à vous deux.
Ils se séparèrent, Iorveth s'enfonçant dans la forêt et les deux sorceleurs de l'autre côté.
- Un instant, toi, là. Ace, c'est ça ?
Ace s'arrêta et le regarda par-dessus son épaule.
- Qu'est-ce qui fait que tu connais si bien le vampire Newgate et qu'il te fait à ce point confiance ?
- Eh bien, la réponse est dans son amnésie et sur sa nuque. Je t'aurais bien explicité le commentaire sur sa nuque, mais j'ai pas le temps de retirer, puis, remettre mon armure pour te montrer. Nous en rediscuterons, commandant Iorveth.
Et le D. reprit sa marche, rattrapant Geralt, puis les deux mutants partirent dans une course dans les bois. Ils devaient rejoindre Flotsam. Letho avait beaucoup d'avance, et l'avantage du terrain. Il était là depuis plus longtemps qu'eux. Sans compter qu'ils ne connaissaient rien (ou dans le cas de Geralt, ne se souvenait pas) des capacités de l'école de la Vipère.
Leur foulée s'accéléra, Ace allant jusqu'à avaler un élixir pour compenser son problème respiratoire.
Avant d'arriver en ville, ils perçurent qu'il y avait un problème.
Ce fut une odeur. Celle de la chair brûlée.
Puis des cris. De la colère, des larmes et de la peur.
Sans cesser de courir, les deux mutants échangèrent un regard.
La poudre avait atteint son but, ils le sentaient. Flotsam avait pris feu. Dans leurs tripes, ils en étaient certains, c'était ça qu'ils entendaient.
Le Pogrom.
Mais comment avait-il débuté ? Iorveth était trop occupé avec les Stries Bleus, il n'aurait pas eu l'occasion d'attaquer la ville et tout ravager !
- Les entrées seront bloquées, siffla Geralt.
- Aard, répondit Ace en économisant son souffle.
Ils arrivèrent en vue d'une des portes et déjà, l'un des gardes leur demandait de s'arrêter parce qu'il y avait une révolte et tout le bordel.
Il n'eut pas l'occasion d'en dire plus parce qu'il se prit un Aard en pleine face. La porte derrière lui ne résista pas non plus, offrant une ouverture pour les deux mutants.
Pourtant, dans les murs, ils durent s'arrêter. Un bon quart des bâtiments étaient en feu, les voisins se battaient entre eux. Et généralement, c'était les humains qui s'y mettaient à plusieurs contre les non-humains, allant jusqu'à les frapper quand ils étaient encore au sol. La terre devenait boueuse à cause du sang. Les corps jonchaient les allées et les corbeaux regardaient avec intérêt le carnage depuis les murailles et les bâtiments encore debout.
Des morts à n'en plus finir.
- Vas-y. Cherche Triss avant que je perde le contrôle, encouragea Ace en baissant la tête.
Il attrapa son chapeau qui pendait dans son dos et l'installa sur son crâne, mettant son expression dans l'ombre. Mais malgré ça, rien, rien, ne pouvait masquer la lourdeur de l'air. Cette atmosphère chaude et presque irrespirable. Sans compter que ses yeux brillaient dans l'ombre de son chapeau.
Son Haki était sur le point de s'échapper.
Et il n'avait pas envie de rester dans les environs.
- Tu peux vivre avec ? demanda Geralt.
- J'ai assez de morts sur la conscience. Un de plus ou de moins ne changera malheureusement pas les choses, siffla le Chat en tirant son glaive d'acier de son dos.
Son choix.
Geralt courut dans les rues, espérant que l'auberge/bordel soit toujours debout et Triss en sécurité. Il ignora les hurlements des humains qui voulurent l'attaquer parce qu'il était un autre « monstre ». Il avait une priorité. Et malheureusement pour eux, le Chat Noir était sur le chemin de la guerre.
Le Loup Blanc arriva sur la grande place. Les étales étaient en cendre, mais l'auberge tenait toujours. Il perçut, en dépit de la cacophonie, la voix de Jaskier, le faisant entrer en trombe dans la grande salle de l'auberge.
- Geralt !
Il trouva Jaskier qui se tenait entre un couple d'elfes et trois humains en colère, dont le propriétaire de l'auberge.
- Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda le Loup Blanc en s'interposant.
- Ils ont tué mon fils ! Foutu elfes ! J'aurais leur tête pour ça ! ragea l'un des hommes.
Le mutant n'avait pas la patience ni le temps pour gérer les esprits échauffés. Et heureusement pour lui, aucun d'eux n'avait de fourche. Une dans l'estomac, c'était assez, il n'en voulait pas une seconde.
- Je te recommande de te calmer si tu veux vivre pour en concevoir un nouveau, menaça froidement le sorceleur avec un bref rictus qui montra ses dents.
Venant de quelqu'un qui a deux glaives et des yeux de chat, on pouvait comprendre que la menace ait son petit effet.
- Tu vas finir par rencontrer plus fort que toi un jour, monstre. Allons-y les gars, ces saloperies d'elfes ont de la chance aujourd'hui… mais certainement pas demain.
Et le trio s'en alla.
- Merci, Gwynbleidd. Nous serions morts sans vous, remercia l'un des elfes.
- Anezka ne devait pas organiser la fuite ? s'enquit Geralt.
- Nous n'avions pas cru à la menace, mais à présent, nous n'allons pas nous attarder, assura la femme.
- Passez par le port, ce sera moins risqué.
Les deux elfes ne se le firent pas dire deux fois, laissant Jaskier en tête à tête avec son vieil ami.
- Comment ça a commencé ? Iorveth n'a pas pu lancer l'attaque, pourtant.
- Je n'ai aucune preuve, mais je pense que c'est Loredo. Les dirigeants cherchent toujours un moyen de couvrir leurs erreurs et échecs. Sans compter que la foule cherche toujours le divertissement, qu'il soit joyeux ou sanglant. Cette ville ne sera plus jamais la même. Le Temps du Mépris est venu, soupira le barde.
- Comment ça a commencé ?
- Roche est déjà revenu et tout le monde a vu qu'il n'était pas gagnant. Alors, Loredo a dit qu'il était l'heure de venger les soldats morts au combat. Pas directement, il a utilisé des bras armés qu'il a payés dans ce but. Soulèvement spontané, mais bien sûr… Et pendant ce temps, Loredo reste en arrière, et se lave les mains, pendant que ses tas de muscles agitent la foule. J'ai vu plusieurs soldats déguisés en civil prendre la tête du mouvement. Et malheureusement, nous n'aurons jamais la preuve qu'il est derrière tout ça.
- Je n'en n'ai ni le temps, ni l'intention, ce n'est pas mon rôle. Et pendant que je parle, on a Ace qui fait un massacre dehors.
- Et tu le laisses faire ?
- Oui.
Les yeux de Jaskier s'arrondirent.
- Je me souviens du pogrom de Rivia. J'ai changé depuis. Et je n'ai plus la même acceptation qu'avant. Ce n'est pas comme ça que la leçon sera apprise, mais au moins, en rasant la ville sur ses fondations, elle a une chance de renaître sur de meilleures bases. C'est pour ça que je n'ai pas cherché à museler sa colère. Flotsam pue. Un nettoyage intensif est requis.
- Ah… je… oui, dans un sens… m'enfin…
- Pense ce que tu veux, Jaskier, cela m'est égal.
- Je n'ai rien à dire. Ce n'est pas moi qui me suis pris une fourche dans le ventre à Rivia, après tout. Si vous pouvez vivre avec ça tous les deux…
- Je regrette bien plus la boucherie de Blaviken que ce qu'il se passe ici. Anezka a réussi à faire fuir les innocents ? Ace m'a dit que c'était son rôle.
- Oui. Les enfants, humains ou non, et beaucoup de femmes sont hors de la ville. Où, je l'ignore, mais je pense que c'est en sécurité.
- Celle qui l'a formée est une connaissance d'Ace, apparemment. Une amie à lui.
- Une femme ?
- On en parlera plus tard. Je cherche Triss.
- La dernière fois que je l'ai vue, elle voulait voir Sheala dans sa chambre. Je lui ai parlé du mégascope dont elle avait commandé les pierres à Zoltan.
- Allons trouver Triss. Et après ça, on verra pour ramener Ace à la raison.
Jaskier agita une clef avec un petit sourire.
- J'ai eu une certaine chance d'obtenir la clef de la chambre de Sheala. C'est assez étonnant que l'épouse de l'aubergiste, alors qu'elle est si imposante, puisse se montrer aussi souple.
Jaskier… vraiment…
Le barde lui fit signe et ils quittèrent la pièce pour voir un autre groupe d'humains s'en prendre à ce qui semblait être trois nains… Avant de finir sur le dos, sans connaissance, leur salive moussant au bord de leurs lèvres.
Les nains se relevèrent difficilement et prirent la fuite aussi vite qu'ils pouvaient.
- Qu'est-ce qu'il vient de se passer ? demanda Jaskier en fronçant les sourcils.
- La Marque des Rois, ça te parle ?
- C'est une vieille histoire, une légende aussi vieille que l'histoire de Larra Dorren et du Sang Ancien. Un cadeau des dieux aux souverains, une preuve de leur légitimité de leur pouvoir.
- Yaevinn a identifié le don d'Ace comme étant cette marque. C'est une capacité de son monde, apparemment.
- C'est Ace qui fait ça ?! Il aurait cette marque, mais…
- On en parlera plus tard. Cherchons Triss.
Il passa devant dans l'escalier menant à l'étage et aux chambres. Celle de Sheala était à l'autre bout. En arrivant devant, il remarqua du sang. Il avait un mauvais pressentiment. Geralt toucha la porte et celle-ci s'ouvrit sans la clef. La chambre était sens dessus dessous, avec du sang partout. Deux des piliers de bois du mégascope étaient renversés, les papiers étaient dans tous les sens avec les livres. Au centre du cercle à la craie au sol, une mare de sang pénétrait le plancher.
- C'est pas bon du tout… souffla Jaskier en observant la scène.
Le mutant n'avait pas besoin de son commentaire pour le savoir. Il était déjà en mouvement, à genou sur le sol, examinant le moindre détail.
Un gros mastodonte, certainement le garde du corps de Sheala, gisait dans un coin de la pièce, mort. On lui avait brisé le cou, ce n'était donc pas lui qui avait perdu tout ce sang.
- Triss entre, brise le cou du garde puis se blesse ? Ça n'a aucun sens, commenta Jaskier.
- Et ce n'est pas sa façon de faire, non plus.
Il se releva et se rapprocha du mégascope en pièce.
C'était beaucoup de sang. Bien trop de sang. Encore frais. Quelques minutes avant qu'ils n'arrivent dans la ville certainement. Il regarda autour de lui et son regard fut attiré par un petit trou dans le mur. Assez pour qu'on puisse voir dans la pièce voisine. Il y mit un œil.
Cela donnait sur une chambre du bordel. La Matrone était assise par terre, recroquevillée sur elle-même en état de choc, une des filles allongées sur le lit à côté d'elle. De par l'immobilité de sa poitrine, elle était très certainement morte.
- Il y a un trou qui donne sur une des chambres du bordel. Peut-être que quelqu'un a vu quelque chose, supposa Geralt.
Et sans un mot de plus, Jaskier sur ses talons, il quitta la pièce et passa la porte à côté. En les voyant, la Matrone se leva et essuya ses larmes.
- Revenez plus tard, le bordel est fermé… Ils ont tué l'une de mes filles…
Un sanglot étrangla sa voix.
Un coup d'œil à la prostituée morte disait pourquoi elle avait été prise pour cible. Une demi-elfe.
- C'est Derae, reconnut Jaskier. C'était sa chambre.
- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? s'enquit le mutant.
- Ils l'ont assassinée ! cria la femme hystérique. Hier, ils l'adoraient ! Ils buvaient avec elle, ils lui disaient qu'elle était belle ! Aujourd'hui, ils sont venus à cinq, ivre de sang, hurlant des saletés…!
- Elle était avec un client à cet instant ?
- Non, elle était avec moi.
En long silence s'installa, brisée par la femme.
- Où est le problème, je ne faisais que la consoler !
- Est-ce que vous sauriez par hasard ce qu'il s'est passé dans la chambre d'à côté ? J'ai vu qu'il y avait un trou dans le mur, mais si vous étiez occupées…
Le sorceleur ne voulait pas savoir ce qu'il se passait entre la Matrone et ses filles. Discrètement, il utilisa Axii et l'effet fut immédiat. La femme sécha ses larmes et reprit sa contenance. La magie des signes, même si primitive pour le reste des mages et sorciers, restait efficace et faisait son job.
- On l'était, jusqu'à ce qu'on entende des voix de l'autre côté du mur, alors que Sheala lance habituellement un sort qui bloque tout moyen d'espionnage, mais cette fois, rien de tout ça. Alors, on a commencé à espionner. J'ai vu cette rousse, Triss Merigold, et Cedric, l'ex-Scoia'tael alcoolique. La rouquine s'est approchée du miroir magique, elle voulait voir avec qui la « reine de glace » avait parlé récemment. D'abord, c'était un gars tellement laid que Derea a poussé un cri d'horreur. Mais le temps que je puisse voir par le trou, une autre personne était à la place. Une femme, et cette Triss l'appelait Philippa.
Philippa Eilhart... Oh, Ace allait adorer ça.
- La conversation n'avait pas l'air de plaire à l'une comme à l'autre. La rousse lui a posé plein de questions. Sur la Chasseuse de Dragon Saskia, qui mène une sorte de rébellion en Aedirn, et sa possibilité de s'opposer à sa majesté le roi Henselt. Elle lui a aussi demandé ce que Sheala lui voulait. Elles auraient discuté de quoi faire avec la mort de deux rois et tout…
Magiciennes et politique. Pour ne pas changer. Surtout quand on parlait d'Eilhart.
- La Philippa a dit qu'elle et sa loge allaient faire de leur mieux pour utiliser la situation pour « protéger la magie ».
Merveilleux. Plus de manipulation qu'il n'en faut.
- La rousse voulait justice mais la brune lui a dit de se calmer et de réfléchir. La rousse lui a demandé d'au moins laver vot' nom, messire, mais la brune lui a rétorqué d'arrêter de réfléchir avec son vagin et de se mettre à utiliser sa tête, parce que vous alliez vous en sortir.
D'un côté, c'était agréable que Triss fasse ça pour lui, et de l'autre, blasant de voir qu'Eilhart se contrefichait d'une réputation d'innocent traîné dans la boue. Mais il avait l'habitude, il était un sorceleur.
- La rousse a demandé aussi pourquoi Sheala était à Flotsam. Apparemment, elles avaient besoin d'une magicienne dans la cour de sa majesté Henselt, mais il déteste les magiciennes. Le prince héritier serait mort, et il a pas d'autres enfants, c'est pas faute d'essayer. La reine de glace a dit pouvoir aider le roi avec son souci de verge mais qu'il lui fallait des trucs rares pour ça.
D'où son intérêt pour le kayran. Si Sheala de Tancarville y parvenait, alors, la Loge pourrait de nouveau avoir l'oreille du souverain de Kaedwen. Les sorceleurs devraient essayer quelque chose comme ça pour s'assurer la bénévolence du roi envers leur école.
Non.
Le massacre, qui avait mené à la rancœur des Loups avec les Chats, avait été orchestré par le souverain de Kaedwen. Un des parents de Henselt, certes, mais c'était un roi qui avait fait ça. Et la blessure ne se refermerait pas comme ça.
- La rousse l'a aussi mise en garde. Elle lui a dit qu'un vieil ennemi à elle la traquait et que si elles n'étaient pas des consœurs, eh bien, elle serait restée en arrière à regarder Philippa subir ce qu'elle avait provoqué. La rousse a parlé d'un chat noir, mais la Philippa s'est contentée de rire en disant qu'elle regrettait presque de s'en être débarrassé au départ.
Ace allait adorer apprendre ça.
- Et qu'est-ce qu'il est arrivé à Triss ? demanda Geralt.
La peur revint sur le visage de la femme.
- Je n'en sais rien ! Je vous ai déjà tout dit ! C'était avant que ces assassins n'arrivent ! Ils m'ont frappé et ils ont poignardé Derae ! Cependant, j'ai entendu des bruits de luttes à côté. Vot' magicienne, elle criait…
Ce qui expliquait le sang.
- Quand les meurtriers sont partis à la recherche de nouvelles victimes, j'ai jeté un œil à côté et j'ai vu Cedric essayer de rejoindre discrètement la forêt. Et il avait dû mal à marcher.
- Merci Margot, vous nous avez rendu un fier service.
- Attendez.
La femme sortit une lettre de son décolleté, le regard dur.
- Donnez ça à Iorveth.
Et elle leur offrit le message.
- Ce sont les noms des assassins de Derae. Il comprendra.
Depuis tout ce temps, alors qu'elle faisait croire qu'elle était une humaine comme une autre, elle avait soutenu en secret les non-humains et le Scoia'tael… peut-être qu'il restait de l'espoir dans ce monde, après tout.
- Je ferais mon possible. Jaskier, réunis mes affaires et celles d'Ace, et attends-nous sur le port. Moi, je vais chercher notre chat sauvage pour trouver Cedric.
Il fonça hors de la chambre et observa le sol.
Cedric avait perdu beaucoup de sang. Ce devrait être facile de le repérer.
Trouver Ace le fut plus encore.
Il avait entassé des corps d'humains et de soldats, au centre de la place pour s'asseoir dessus, son glaive contre l'épaule, la tête basse sous son chapeau. Si ça n'avait pas été pour le sifflement caractéristique de sa respiration, on l'aurait cru mort.
- Ace ! On doit trouver Cedric ! Il a perdu beaucoup de sang !
Le D. se releva, retira le bisentô d'un des corps, rangea son glaive d'acier dans son dos, avant de suivre Geralt. Les yeux sur le sol, ils suivirent les traces de sang menant à la forêt. Il fallait espérer qu'ils ne soient pas sur une fausse piste. Là, sur un tronc, une trace de main laissant présager qu'on s'y était appuyé pour reprendre son souffle. Là, des herbes à moitié arrachées comme si on s'était pris le pied dedans. Et sur tout le chemin, du sang. De plus en plus de sang. Si Cedric était au bout, il n'y avait aucune chance de le sauver.
Ils trouvèrent enfin l'elfe au pied d'un arbre, près d'une petite cascade, agonisant. Thatch était sur lui. Il lui avait ouvert le manteau vert forêt du moribond pour remonter sa tunique afin de compresser sa plaie. C'était trop tard, il ne faisait querepousser l'inévitable. Cedric avait perdu bien trop de sang. Son visage était blanc, exsangue et en sueur. Ses yeux avaient dû mal à se focaliser sur quoique ce soit et sa respiration tremblait à chaque cycle.
- Caedmill, Gwynbleidd… haleta l'elfe en réalisant la présence de Geralt quand celui-ci se laissa tomber à genoux à côté de lui. Je…je ne ressens plus la douleur…
Un pauvre rire lui échappa alors qu'il regardait le toit feuillu de la forêt.
- J'ai toujours… toujours voulu mourir parmi les arbres…
- Qu'est-ce qu'il s'est passé, Cedric ? demanda le Loup Blanc.
- Votre amie magicienne… Triss… m'a demandé de l'aide… J'ai tué le dh'oine qui gardait la porte, et on est entré… j'ai de nouveau tué un dh'oine…
- Nous le savons, nous cherchons Triss.
- Un sorceleur est arrivé… Il… il nous a attaqué… J'ai essayé de protéger Triss, mais il était trop… trop rapide… pour moi…
Il humecta ses lèvres, prit une goulée d'air tremblante, avant de continuer son récit :
- Il a frappé Triss avant qu'elle ne puisse lancer un sort… Il savait comment affronter une magicienne… Il lui a ordonné d'activer le megascope… Il devait rejoindre Aedirn, à proximité de la ville naine de Vergen…
Thatch plissa les yeux mais continua de compresser la plaie en silence.
- Triss lui a dit que c'était de la folie, qu'elle n'avait pas les coordonnées… Il l'a regardée étrangement avant de la menacer… Il lui a dit : « Tu as intérêt à faire de ton mieux, parce que tu passes devant et que je serai juste derrière toi »… Puis, j'ai perdu connaissance… Quand… quand je me suis réveillé, ils n'étaient plus là… et je mourrais, je le savais…
Il prit une nouvelle inspiration et son sourire s'agrandit légèrement, alors que ses yeux semblaient retenir des larmes.
- La forêt m'appelait…
- Pourquoi, Cedric ? Pourquoi est-ce que tu t'es impliqué ?
- Pourquoi l'as-tu fait toi ? Parfois, on le doit…
Il ferma les yeux.
- T'ai-je parlé de mes visions ? C'est pour ça que je bois… ça aide. Je suis en sécurité dans les brumes de la vodka… Je ne vois rien… je ne sens rien…
- Calme-toi Cedric, recommanda Thatch avec une voix douce.
L'elfe rouvrit les yeux. Des yeux étrangement vifs.
- Mais maintenant, je vois clair…
Il attrapa faiblement le poignet de Geralt.
- Tu dois retrouver ta mémoire… il n'y a que ça qui te permettra de comprendre qui est derrière la mort des dh'oines couronnés… et pourquoi.
- Et comment est-ce que je le peux ? se renseigna le sorceleur.
- En Aedirn… en un lieu corrompu par de la magie assez sombre pour craqueler le Prince des Pirates… Là où les fantômes des défunts livrerons une grande bataille… Sauve ces âmes et tes souvenirs reviendront.
Ace fronça les sourcils. Il n'aimait pas beaucoup ça. D'une part, cela lui rappelait l'avertissement de la Dame du Lac, et de l'autre… craqueler ? C'était un bien mauvais signe pour lui.
Cedric toussa un peu de sang, ses yeux papillonnant dans le vague de nouveau. Il chercha à regarder autour de lui, mais Ace intervint pour l'en empêcher.
- Qu-qu'est-ce qu'il se passe ?... La forêt… je sens une présence… haleta l'elfe.
Il suffisait de regarder autour pour comprendre. Le soleil avait réussi à faire une trouée dans le feuillage et la brume pour saluer les derniers instants de l'elfe, mais pas que. Sur les arbres, de nombreux oiseaux venaient de se percher en silence avec quelques écureuils, alors qu'autour du groupe, des animaux sauvages (allant du lapin au cerf, en passant par le renard) se réunissaient. Ils restaient là, en silence, à les regarder.
- Ils sont venus te dire adieu, lui dit Geralt à voix basse.
Des larmes dévalèrent sur les joues de l'elfe avec un dernier sourire.
- Ma forêt… Va fail Gwynbleidd, Deith Ichaer, et toi aussi, Thatch. Adieu.
- Va fail, Cedric. Profite des pommiers en fleurs, répondit le vampire alors qu'Ace joignait les mains en prière.
Son cœur ralentit, sa poitrine se souleva une dernière fois, puis, sa tête tomba mollement sur le côté, le nez contre la racine de l'arbre auquel il était appuyé.
- Va fail, Cedric, répéta Ace.
L'elfe n'était plus. Il venait de mourir dans la forêt qu'il aimait tant.
Délicatement, Geralt passa sa main gantée sur les yeux du mort, les fermant, avant de soupirer. Un soupir qui se perdit dans le bruit de la cascade à proximité.
- Je vais m'occuper du corps, annonça Thatch.
Les deux mutants s'écartèrent, laissant le vampire ramasser la dépouille et disparaître dans les bois. Les animaux le regardèrent passer avant de se disperser.
.
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Le soleil se couchait. Les deux sorceleurs étaient toujours dans la forêt. Ils étaient juste épuisés, mentalement et physiquement. Ils n'avaient pas la force dans l'instant pour retourner à Flotsam et affronter les conséquences du pogrom. Chacun s'était assis sur la racine d'un arbre, encaissant ce qu'il s'était passé du mieux qu'ils pouvaient. Ils avaient vu tant de morts, tant de bêtises, tant de douleurs… Ils avaient juste besoin de souffler.
Et ce fut à cet instant là que Jaskier et Zoltan les retrouvèrent.
- Geralt ! Ace ! Bon sang ! Où est-ce que vous étiez passés !? s'exclama Jaskier.
Ace n'eut aucune réaction, son menton appuyé dans le creux d'une de ses mains alors qu'il regardait le vide d'un air absent. Geralt soupira et se leva lourdement pour répondre :
- J'étais à peu de neutraliser le Tueur de Roi. A un cheveu. Fais chier.
C'était rare quand Geralt jurait, ce qui exprimait le niveau de frustration et fatigue qu'il ressentait.
- Il a réussi à fuir ? devina Zoltan.
- En Aedirn, grâce à Triss. Cedric a cherché à la défendre, mais ça lui a coûté la vie.
- Et merde ! ragea Zoltan.
Jaskier retira son chapeau et se gratta la nuque, le visage fermé, se mordant seulement la lèvre du bas. Il ferma les yeux, expira par le nez, comme résigné, avant de dire :
- Roche m'a demandé de te trouver. On s'en va. Il aurait appris quelque chose de nouveau.
- Et à côté, les Scoia'tael préparent eux aussi quelque chose de gros, informa Zoltan avec presque résignation.
- Que prépare Roche ? se renseigna le Loup Blanc.
- Il n'arrêtait pas de cracher sur Loredo, donc, ça doit le concerner et être très important.
- Et la Scoia'tael ? se renseigna Ace en se levant à son tour.
- Ils veulent libérer les occupants de la barge pénitentiaire, et ils auraient bien besoin d'aide, informa Zoltan.
- Je viens avec toi.
- On se retrouve à la barge, dit Geralt.
Sans comprendre, Ace se tourna vers lui.
- Tu as plus de chance de rattraper le Tueur de Roi si tu vas avec Roche, pointa le Chat Noir.
- Mais si je te suis, je peux retrouver mes souvenirs. C'est mon choix. Si je retrouve mes souvenirs, je pourrais comprendre ce qu'il se passe et l'attraper plus facilement. Donc, je vais gérer avec Roche et je te rejoins.
- Comme tu veux. Zoltan, je te suis.
Il reprit le bisentô qu'il avait planté dans le sol et suivit le nain à pas rapides quand celui-ci partit en courant. Geralt regarda Jaskier en hochant la tête et celui-ci l'entraîna avec lui.
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Iorveth et son commando étaient en ordre de bataille dans les ruines elfiques. Thatch était penché sur le fusil pour l'entretien quand Ace et Zoltan arrivèrent.
- Thatch m'a dit que Letho a fui pour Aedirn en usant de la magicienne, se contenta de dire l'elfe pour toute salutation.
Son poing se serra.
- Les Scoia'tael là-bas vont subir les conséquences de ma stupidité et y perdre la vie… Ele'yas a déjà mis mon groupe sur le pied de guerre, nous partons.
- Tu vas profiter du pogrom ? demanda Ace avec une voix atone.
- J'ai eu vent de tes actes, que ce soit dans le sauvetage des femmes que ce porc de d'hoine avait enlevées, que tes précautions pour limiter les pertes innocentes. Au nom de tous les Aen Seidhe, je t'en remercie.
- Excuse-moi, mais j'ai pas la tête à accepter des remerciements quand des gens meurent stupidement, comme aujourd'hui. Alors, malgré tout mon respect, torche-toi le cul avec.
Thatch eut un reniflement hilare au commentaire en se redressant.
- Vous partez pour Aedirn ? se fit confirmer Ace.
- Le Haut-Aedirn.
- Pourquoi cet endroit ?
- La Vallée du Pontar est un morceau de choix que se disputent des chiens puissants.
- Ce sont les Scoia'tael qui mordent le plus fort, surtout quand leur chef est familier avec le Haki.
Iorveth haussa son sourcil visible.
- Tu n'as pas vu les crocs d'Isengrim, vatt'ghen. Mais tu loupes le point. C'est notre terre ! Celle de nos ancêtres ! Je ne suis pas un bandit, je commande une armée !
- Mollo ! J'ai participé au bottage de cul de la Rose Ardente durant le soulèvement de Wyzima, je suis la dernière personne auprès de qui tu as besoin de te justifier ! Je suis juste curieux de savoir pourquoi Vergen ! Dîtes-moi si je me trompe, mais c'est une cité naine de base !
- Je confirme ! lança Zoltan.
- Henselt et son armée ont profité de la mort de Demaven pour revendiquer ce morceau de terre une seconde fois, informa Thatch en armant le fusil. La Vierge d'Aedirn, qui est une… femme admirable, intègre et qui croit en l'égalité, ainsi qu'une magicienne, réunissent des renforts pour défendre le territoire. Vergen est le début d'un rêve impossible dans un monde comme celui-ci.
- Un rêve où un elfe pourrait entrer sans crainte dans une auberge humaine et où un humain pourrait marcher sans danger dans une forêt, précisa Iorveth.
C'était un beau rêve, Ace voulait bien l'admettre, mais quelque chose l'intéressait bien plus.
- As-tu le nom de la magicienne ?
- Philippa Eilhart.
- Ohoh, commenta Zoltan en jetant un regard nerveux au sorceleur.
- Parfait. J'ai une vieille rancœur que je me traîne depuis quarante ans. Et j'ai la rancune tenace, très tenace.
- Et cela te coûtera la vie, avertit l'elfe.
Ace haussa les épaules.
- En effet. Et c'est déjà arrivé.
Il afficha un sourire sarcastique.
- On ne serait pas ici à papoter sans l'intervention des Aen Elle. Ou la Chasse Sauvage, comme tu préfères. Donc tu vois, je sais très bien que mon gros défaut est de ne pas reculer quand il le faut.
- C'est ta vie.
- Eilhart est pas censée être à la cour de Radovid ? intervint Zoltan.
- Elle seule le sait, lui répondit l'elfe. De base, j'espérais que Gwynbleidd nous accompagne en Aedirn, mais tu es le bienvenu, vatt'ghern.
- Merci pour l'invitation. Geralt nous rejoindra certainement plus tard, pas d'inquiétude. Cependant, même en passant par la forêt, on est à deux jours de marche, donc, on n'y sera jamais à temps. Est-ce pour cette raison que tu veux t'occuper de la barge ? Excuse-moi de le rappeler, mais y'a un pogrom en cours. J'ai déjà raccourci quelques têtes par colère et frustration. Le seul ici qui peut s'en sortir, c'est Thatch, et seulement parce qu'il est un vampire supérieur et donc, peut devenir invisible. Tu es fou à lier, et c'est un Chat qui doit se shooter pour rester lucide qui te le dit.
- Je sais, ma mère disait la même chose de moi. Allons-y, nous n'avons pas de temps à perdre.
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Geralt avait réussi à revenir en ville pour voir que le massacre commençait à s'éteindre. Il se faufila entre les ruines encore fumantes pour rejoindre le quartier général des Stries Bleus. Et il avait le pressentiment que Roche ne serait pas de très bonne humeur en le voyant.
Et comme prévu, en le voyant entrer, le soldat l'interpella avec mauvaise humeur :
- Qu'est-ce que toi et ton putain de pote foutiez avec les Scoia'tael, bordel ?! Et ce con qui donne une arme à Iorveth !
- Tu nous as suivis, accusa Geralt.
- J'ai des gens qui le font pour moi, Geralt. Cyn, pour être exacte, rétorqua le commandant en s'appuyant de ses deux mains sur la table qui lui servait de bureau.
- Le problème est que Iorveth a des informations sur le Tueur de Roi. Et ce dernier a essayé de le doubler, ce qui lui fait un nouvel ennemi. Il peut nous mener à lui.
- Le seul moment où je voyagerais avec Iorveth sera pour le conduire à l'échafaud sur la place publique de Wyzima, cracha l'humain. Alors, au lieu d'essayer de te justifier ou de m'attendrir, dis-moi que tu as appris quelque chose d'intéressant.
- Outre que le vampire n'a jamais eu confiance en le Tueur de Roi ? L'homme est un sorceleur de l'école de la Vipère. Son nom est Letho. Et il a fui vers Vergen en Aedirn en forçant Triss à les téléporter tous les deux.
De rage, Roche frappa du poing sur la table.
- Et merde ! Il se moque de nous ! Si c'est à ça qu'il veut jouer, je vais lui faire payer !
- Jaskier dit que tu as du nouveau ?
- Le message que tu m'as donné, celui que tu as réussi à obtenir durant ta visite chez Loredo…
- C'est Ace qui l'a récupéré, pas moi, rectifia Geralt.
- Peu importe. Il ne disait pas la moitié de ce qu'il se passe. Loredo a un accord avec Kaedwen. Il y a un marchand qui vit chez lui qui est un agent de Henselt. Et pour une poignée d'or, il a promis d'offrir du soutien à l'armée Kaedwennienne en cas de conflit.
- Et donc ?
- C'est de la trahison. Je veux pouvoir interroger cet espion. Quant au Commandant Loredo, je l'ai condamné à mort, parce que j'en ai le pouvoir. Il n'est pas question que je quitte Flotsam sans avoir gérer tout ça. Après tout, cet espion sait peut-être quelque chose. Je ne serais pas surpris que Henselt de Kaedwen soit derrière tout ça.
- J'aurais plus songé à Radovid, mais c'est toi l'expert. Allons-y.
Roche fit signe à ses hommes de le rejoindre et bientôt, tout le monde fut autour de la table. Le commandant étala quelques parchemins, des plans sommaires du manoir de leur cible.
- Soyez attentif, j'ai pas l'intention de me répéter, annonça l'homme. Nous avons deux cibles. Le premier, c'est Arnolt Malliger, l'espion de Kaedwen. Je le veux vivant. Le second, c'est Bernard Loredo, le commandant de ce comptoir et un traître à la couronne de Temeria. Il est hors de question que cette engeance survive.
Il posa une main sur l'une des cartes.
- Arnolt ne quitte jamais la résidence, donc, on doit l'attaquer là-bas. Pour entrer, nous allons utiliser les talents particuliers de Cyn...
Sa féminité, ou en d'autres termes : cul et seins.
- … et les habitudes de Bernard.
- Arrête de l'appeler par son prénom, ça me donne la gerbe, grogna Geralt.
- Comme ça te chante, marmonna Roche en levant les yeux au ciel.
Il revint au plan.
- La maison de Loredo, donc. Premier étage, c'est la chambre des invités. Puisque Geralt a eu l'occasion d'y jeter un œil, nous savons qu'il y a des patrouilles régulières.
Il prit une autre carte :
- Au deuxième, c'est le quartier de l'escorte de Loredo. Ils pensent qu'ils sont les guerriers les plus puissants de ce côté de la Yaruga, mais ce sont de simples noyeurs dans de jolis uniformes.
Eh bien, ça promettait.
- Troisième étage, enchaîna Roche en attrapant une autre carte. C'est l'antre du monstre. C'est là où Loredo entasse son butin le plus précieux. C'est aussi là où il dort, chie et se branle devant la statuette d'une elfe.
Geralt haussa un sourcil à la remarque.
- Il n'y a que quelques personnes autorisées à entrer : Arnolt Malliger, la mère de Loredo, son cousin Louis Merse et… les catins.
- Ah, fit Cyn d'une voix sombre. Je suis pas certaine d'avoir toujours une tenue pour ça.
Ce ne devait donc pas être la première fois qu'elle devait jouer les filles de joies pour le boulot, apparemment.
- Après sa ronde autour du comptoir, Loredo commande toujours deux femmes, présenta Roche en se redressant. Cyn prendra la place de l'une d'elle. La maison était une forteresse, mais il l'a faite agrandir, offrant une zone avec une sécurité plus faible. C'est par là que le sorceleur entrera. Cyn t'ouvrira une fenêtre.
Geralt hocha la tête pour dire qu'il avait saisi.
- Une fois dedans, tu devras certainement improviser, mais tu auras la surprise pour toi, Geralt. Cyn peut gérer elle aussi. Zenin et Ryckard vous couvriront depuis l'extérieur. Si ça chauffe, attirez ces fils de chiens près des fenêtres. Je serai dans le jardin avec le reste de la troupe, prêt à entrer en cas d'extrême nécessité. Et je dis bien extrême. C'est tout. Des questions ? Non ? Alors au boulot.
Et il planta son poignard marqué des trois lys de la Temeria sur la chambre de Loredo.
Cela laisserait le temps à Geralt de monter ses affaires et celle d'Ace sur la barge en tout discrétion. Comme ça, il n'aurait qu'à se presser pour la rejoindre quand il en aurait fini avec Roche. Suivre Ace était le meilleur moyen de retrouver sa mémoire, il n'allait pas laisser filer cette chance.
Quand la nuit fut réellement tombée, Geralt se présenta au point de rendez-vous avec les hommes des Stries Bleus. On lui indiqua une échelle contre un mur, cachée par le renfoncement. Agilement, il l'escalade et arriva sur une passerelle en bois qui devait servir à faire les rondes.
Personne en vue.
Il se glissa le long de celle-ci et traversa la muraille qui séparait le reste du comptoir de la résidence de Loredo. Doucement, il se faufila entre les herbes et les fleurs du jardin. Objectif premier, éviter le marchand. Ou mieux. L'assommer.
Et c'était simple.
Il l'entendait beugler partout tel un monstre ivre, appelant apparemment une fille avec qui il aurait rendez-vous. Le mutant se cacha dans l'ombre d'un morceau de mur et attendit. Le marchand passa à côté de lui sans le voir et le sorceleur se jeta sur lui, lui administrant un coup de coude dans le crâne.
Objectif un accompli.
Il traina l'homme inconscient jusqu'à un tas de bois pour le chauffage et le cacha derrière, avant de reprendre sa progression dans le jardin. Il se dirigea vers l'air de stockage et se hissa facilement par-dessus le mur pour voir qu'il était attendu par une catin nerveuse qui faisait les cent pas en se mordillant un ongle.
- Tu es l'ami de la nouvelle fille ? lui demanda-t-elle à voix basse.
- Exact. Où est-elle ? confirma Geralt.
- Le commandant l'a conduite dans la tour, dépêche-toi.
- Comment l'as-tu deviné ?
La femme haussa des épaules.
- C'est flagrant qu'elle n'était pas l'une des nôtres ; une prostituée reconnaît toujours une autre fille comme elle. Donc, j'ai deviné qu'il allait se passer quelque chose… Avant qu'ils ne l'embarquent, elle m'a murmuré quelque chose au sujet de la fenêtre de l'extension. Puis, quand ce bâtard est allé pisser, je t'ai vu traverser le mur.
- Et comment je peux rejoindre Loredo ?
Parce que le trouver, ce serait faisable via le Haki, mais y accéder…
- Quand il s'envoie en l'air, il laisse personne rentrer. Mais sa mère a un double de clef. Pour prendre de tels risques, tu dois vraiment l'aimer.
Aimer Cyn ? Ils bossaient ensemble sur cette affaire, c'est tout et il n'allait pas la laisser tomber.
- Où est la mère ?
- Dans la cave, elle distille du fisstech.
La famille Loredo, des fripouilles de mère en fils.
- Très bien, merci. Maintenant, va-t'en. Prends la fuite. Si un homme en bleu t'arrête, raconte-lui tout et dis-lui de ma part que son plan était bien trop simple et prévisible.
- Ce ne sera pas nécessaire de le dire deux fois. Cependant, si tu parviens à entrer dans la tour, sorceleur, achève ce salopard. Il doit mourir lentement et douloureusement en rétribution pour tout ce qu'il nous a fait subir.
Et la femme se dirigea vers les caisses qu'elle commença à escalader pour quitter la résidence. Geralt tourna les talons et quitta le coin pour entrer dans la maison par une des portes de derrière qu'il avait vues sur le plan de Roche. Direction le sous-sol. Il descendit un escalier et assomma un gros malabar qui faisait ses rondes dans le couloir avant que celui-ci ne sonne l'alarme. De là, il s'approcha d'une porte à sa droite et sentit un léger courant d'air. Bon, ça donnait sur l'extérieur. Il revint vers le couloir, avança d'une dizaine de pas et s'arrêta devant une porte sur sa gauche. Il sentait une présence seule. Il entrouvrit la porte et une forte odeur de fisstech lui agressa les narines. Il se glissa dans la nouvelle pièce pour voir un laboratoire pour distiller du fisstech, avec, tout autour, sur les murs, des peintures et des sculptures dérangeantes. Devant lui, de l'autre côté de la table, une vielle femme lui sourit d'un air méchant. Non seulement elle était grosse, vieille, moche et flasque, mais malheureusement, elle avait l'air clairement dérangée, si on prenait en compte qu'au milieu de ses colliers de perle, elle brandissait fièrement une patte de poulet et qu'elle avait une sorte de couronne de fleur sur son crâne à moitié dégarnie.
- Ooooh ! Qui es-tu ? Que veux-tu ? demanda la vieille femme.
Derrière elle, Geralt nota d'autres dessins dérangeants sur les murs. Des dessins qu'il était certain d'avoir déjà vu dans les ruines de l'asile psychiatrique.
Quelque chose lui disait qu'il avait compris d'où venait la mystérieuse fortune de la mère de Loredo.
- La clef pour l'étage. Je sais que vous l'avez, répondit directement le Loup Blanc.
La vieille eut un rire caquetant.
- Tu veux libérer la catin elfique ? Tes efforts sont vains. Comme dans la prophétie d'Ithlinne, la graine qui a été plantée va bientôt émerger.
Et d'une démarche vacillante, elle se leva.
- Ta gueule et donne-moi la clef.
- Uh… la clef, la clef… où est-ce que je l'ai mise ?
La mère de Loredo fit le tour de la table pour la chercher… avant de donner un grand coup dans le gros tas de fisstech en poudre qu'il y avait en bout de table, l'envoyant voler droit dans le visage du mutant qui poussa un cri de douleur et de rage.
Geralt recula en vacillant, clignant des yeux frénétiquement pour se débarrasser de la poudre, alors qu'en hurlant, la vieille fonça vers lui avec un vulgaire couteau qu'elle utilisait pour faire les lignes avec la poudre. Les yeux fermés, le chasseur de monstre pivota hors du chemin de la vieille folle et d'un grand coup d'épée, la décapita. Le corps s'effondra à côté d'une statue sanglante. Et la tête sur l'autre côté.
Avec une démarche vacillante, Geralt se rapprocha du corps pour le fouiller. Il trouva sur elle une clef qui devait correspondre (il l'espérait) à celle qu'il cherchait. Note à soi-même, demander à Ace de lui apprendre à forcer des serrures.
Le monde commença à cesser de tanguer et il se dirigea vers l'escalier au fond de la salle. Il accéléra quand il entendit un hurlement. Cyn était en danger. Il se retrouva dans le couloir de l'entrée officielle de la résidence. Il n'avait plus qu'à courir pour rejoindre la blonde en difficulté.
Il rencontra une porte verrouillée qu'il se hâta d'ouvrir, avant de continuer sa course dans les couloirs et escaliers. La discrétion, c'était fini, il n'avait pas de temps à perdre pour ça. En montant l'escalier jusqu'en haut, il tomba sur une nouvelle porte verrouillée. Et la seule clef qu'il avait ne marchait pas.
Il ne lui fallut pas longtemps avant de faire son choix.
Aard fit son office.
Il jeta un œil dans la pièce pour voir Cyn, habillée en fille de joie, attachée debout contre un mur, par des fers.
- C'est un piège ! Attention ! hurla la femme en le voyant.
Loredo jaillit d'une pièce voisine en hurlant, une hallebarde dans les mains qu'il avait l'intention d'utiliser pour embrocher le sorceleur.
Au dernier moment, Geralt posa un genou à terre et tendit son glaive vers l'avant. Emporté par son élan, Loredo ne put détourner sa course et s'embrocha dessus comme le porc qu'il était. La hampe de l'arme du commandant tomba au sol, alors qu'il saisissait la lame enfoncée dans son poitrail à deux mains. Avec un rictus, Geralt la fit pivoter de sa position verticale pour qu'elle soit à l'horizontal, avant d'y mettre autant de Haki que possible. Et tirer.
Le glaive déchira tout sur son passage pour sortir par les côtes de l'homme qui s'effondra sans vie au sol. Le Loup Blanc se saisit des clefs pour les fers de la blonde et alla à la délivrer.
- On n'a pas une minute à perdre, elle a besoin d'aide ! On doit la sortir d'ici ! fit la soldat.
Juste elle ? Juste une personne ? Mais il aurait juré avoir senti la présence de deux autres vies avec son Haki ! Deux vies en difficultés en plus !
Cyn se précipita vers la porte par laquelle Loredo avait jailli, Geralt sur ses talons. En arrivant dedans, il sentit son sang se mettre à bouillir dans ses veines. Une elfe était allongée dans le lit, à l'agonie et couverte de haillons qui ne cachaient en rien les sévices qu'elle avait subis. Mais surtout, elle était enceinte. Et au vu de la taille du ventre, elle était sur la fin.
- ~~Me laisser pas ici… pitié,~~ supplia l'elfe à bout de force.
- Tu n'as pas l'air d'être une catin, elfe. Que fais-tu ici ? demanda Cyn en se rapprochant doucement d'elle.
L'elfe aux tresses blondes déglutit, essaya d'arranger sa position pour se soulager de la charge de son énorme ventre, avant de répondre dans la langue commune du nord :
- Mon nom… mon nom est Moril…. Quel mois sommes-nous ?
- Nous n'avons pas le temps de parler. Peux-tu marche ?
- J'en doute Cyn, lui dit Geralt.
C'était dingue qu'il puisse parvenir à sentir la faiblesse, l'agonie et le mal de cette femme avec le Haki. Sans compter la vie de l'enfant à venir. Il arrivait même à savoir que ce serait une petite fille.
- Je refuse de rester un instant de plus ici, même si je dois ramper ! gémit l'elfe.
- Elle ne parviendra pas à passer par le jardin, on va devoir prendre la porte de devant, lui dit Cyn.
C'était inutile, Geralt savait qu'ils ne quitteraient pas cet enfer avant la naissance. Mais soit. Cyn aida l'elfe à se lever et la soutint vers la sortie de la pièce.
- Alors ? Quel mois sommes-nous ? demanda Moril à nouveau en mettant vaillamment un pied devant l'autre.
- Lammas, lui répondit Cyn alors que Geralt ouvrait la voie.
- Déjà le début de l'automne ? Quand… quand ils m'ont enlevée… il… il neigeait.
- Le père de l'enfant est… ?
- Cet enfant n'a qu'une mère, répondit avec une voix haineuse et tremblante l'elfe. Quand… quand j'ai compris que j'étais enceinte… j'ai voulu me tuer…
- Ne dîtes pas ça, lui souffla avec peine Cyn.
Pour une Strie Bleu, elle faisait preuve de beaucoup de compassion pour une elfe.
- Je suis une Aen Seidhe, grinça la femme enceinte.
Ils avaient tout juste descendu un étage que ce qui devait arriver arriva : Moril était sur le point d'accoucher. Il fallait remonter dans la tour pour trouver un lit propre et de l'eau chaude. Geralt, quant à lui, reçut la mission d'aller chercher du secours. Et c'est ce qu'il fit. Il descendit le reste des escaliers au pas de course, tuant le moindre garde sur son passage pour s'assurer qu'on ne dérangerait pas Cyn. Au dehors, il entendait déjà des bruits de lutte. Roche avait dû avoir le message et passait à l'assaut. Il arriva dans la cour avant de la résidence juste à temps pour voir le reste du commando en finir avec les gardes.
- Geralt ! Dis-moi qu'on est arrivé à temps ! appela Roche en venant à sa rencontre.
- Où est-ce que tu étais ? siffla le mutant en allant à sa rencontre.
- On a eu quelques ennuis sur le chemin. Je suis tombé sur Iorveth…
Et vu le rictus, on pouvait deviner que l'Écureuil borgne avait eu le dessus sur Roche avant de le laisser partir.
- Foutus non-humains ! cracha un des hommes qui accompagnait Vernon.
Geralt tiqua mais ne fit aucun commentaire.
- Où sont Loredo et Cyn ? demanda Roche pour changer de sujet.
- Loredo est mort et je suis arrivé juste à temps pour sauver Cyn.
- Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
Ah ? Il n'avait pas eu le message, donc ? Eh bien, Geralt se ferait un plaisir de le lui dire en face.
- Ton plan était de loin le plus…
Ce qu'il dit fut coupé par Cyn qui arriva dans l'entrée.
- C'est une fille, Geralt ! Et elle est en pleine santé !
- Mais qu'est-ce que… c'est le mioche de qui, ça ?! s'étrangla le commandant.
- Celui de Moril, répondit Geralt.
- Qui ça ?
- Loredo a enlevé au cours des années plusieurs elfes femelles. Il y a deux jours, on en a trouvé quelques-unes qu'il avait enfermé dans le grenier de la vieille tour de guet sur le port. Moril, elle a été enlevée il y a presque un an, et il l'a gardée sous le coude. C'est lui qui a conçu cet enfant.
L'un des Stries Bleues cracha par terre.
- J'toucherais jamais une de ces putains d'elfes.
Geralt prit une profonde inspiration… et craqua.
Le petit malin se prit une mandale du mutant dans le visage. Vernon s'interposa, un bras entre les deux belligérants.
- Assez ! On règlera ça plus tard ! Il y a autre chose à faire dans l'immédiat, comme réparer le navire.
- Le réparer ? répéta Geralt avec perplexité.
- Oui, il a été saboté. Rien de grave, mais ça va nous prendre un à deux jours pour le réparer.
Le hurlement de Cyn qui était retournée dans la maison les alerta. Quatre à quatre, la troupe d'hommes remonta dans la tour pour savoir ce qu'il se passait.
L'horreur les saisit en arrivant tout en haut.
Moril avait tenu parole. Elle avait mis fin à ses jours. Elle avait réussi à s'ouvrir les veines avec ses dents. Il n'y avait plus rien à faire. Normalement, il aurait fallu plus de temps, mais elle avait été tellement faible, tellement à bout, tellement épuisée…
Un des hommes voulut réconforter Cyn, mais il se fit envoyer sur les roses par la blonde qui partit en courant.
- Je hais cette ville, commenta le soldat maladroit.
C'était l'avis de tout le monde, ce soir.
- On fait quoi de la gamine ? demanda quelqu'un d'autre.
- Aucune idée. Surtout que personne dans ce putain de trou à rat ne prendrait une demi-elfe.
Geralt avait une idée sur qui s'adresser mais son médaillon avait un tout autre avis. En observant l'enfant de plus près, il sentit le loup de métal contre sa gorge vibrer. C'était peut-être mieux. Certes, l'elfe Seherim avait aimé Moril, mais ce sentiment ne lui permettrait peut-être pas d'accepter une fillette dont il n'était pas le père.
- Trouvez Anezka. Je pense que cette fillette a de la magie. Et si elle ne la veut pas, essayer avec Seherim, dans les draves. Si vous allez le voir lui, dites-lui bien que c'est l'enfant de Moril.
Et il tourna les talons.
- Où vas-tu ? lui demanda Roche.
- J'ai rendez-vous à Vergen avec le Chat Noir.
Et sans un mot de plus, il dévala une énième fois les marches de la résidence. Courant aussi vite qu'il le pouvait, il traversa Flotsam endormi. En arrivant sur le port, il nota la présence des corps de soldats sur les planches, alors que la barge commençait à lever l'ancre. Il accéléra et sauta pour la rattraper.
Une main se referma sur son poignet et il rencontra l'œil unique de Iorveth.
- Un peu plus et on te laissait derrière, lui dit le commandant Scoia'tael. Quoi d'intéressant ?
- Comment vous avez réussi à récupérer la barge ? s'intéressa Geralt.
Il vit toute l'unité de Scoia'tael sur le pont, avec en plus Jaskier et Zoltan. Ace était un peu plus loin, assis sur un des espars à fixer le large.
- Ton ami a fait croire qu'il m'avait capturé pour nous permettre de rejoindre la barge sans trop de difficultés. Le reste de mes hommes ont attaqué la garde par derrière. Et toi ?
- Loredo est mort. Je pense que c'est le plus important à partager de cette soirée.
