On avait ramené Saskia à ses quartiers et on l'avait mise au lit. Devant sa porte, des Scoia'tael montaient la garde pour assurer sa tranquillité. Thatch, Iorveth et Geralt attendaient dehors, pendant que Shiva, Marco et Philippa essayaient de trouver un moyen de sauver la blonde. Cecil les avait rapidement rejoints et faisait les cent pas. Tous attendaient des nouvelles de Saskia. Elle portait sur ses épaules l'espoir d'un trop grand nombre. Sans elle, cela revenait à se rendre à Henselt. Sans elle, tout tombait à l'eau.
Iorveth se redressa brutalement.
- Philippa a arrêté de lancer des sorts.
Quelques instants plus tard, la porte s'ouvrit. Shiva sortit la première et partit à pas rapides, suivie par un Thatch inquiet, laissant les trois autres non-humains devant Philippa qui referma la porte avec précaution.
- Comment va Saskia ? demanda Cecil avec inquiétude.
- D'une certaine façon, elle va bien, répondit froidement la magicienne. J'ai ralenti ses fonctions vitales autant que possible pour la stabiliser et Marco restaure les dégâts de son mieux pour aider à la lutte contre le poison et retarder l'inévitable.
- Que sais-tu du poison ? demanda Iorveth.
- Thaumador. Connu aussi comme le Souffre Mage. Il a une terrible réputation. L'un des rares poisons conçus à base de magie, raison pour laquelle Shiva est sortie en rage. Encore une fois, cette amatrice découvre son impuissance.
- Yn Toredig a des talents que tu n'as pas Eilhart, tout comme tu en possèdes qu'elle ne pourra jamais atteindre, en dépit du potentiel en elle. Alors, au lieu de lui taper dessus sans savoir, dis-nous s'il y a un antidote.
- Le traitement nécessitera des herbes, de la magie… et du sang.
- Et pas du sang ordinaire, je suppose, devina Geralt.
- C'est correct. Nous avons besoin de sang royal.
- C'est dans ce genre de situation que nous aurions bien besoin de Letho, soupira Iorveth. Quoique… Deith Ichaer porte la Marque des Roi…
- Même si puissante, elle n'a pas de sang royal. Pire, c'est une bâtarde, balaya la magicienne. Nous aurions l'effet inverse à celui recherché.
- Le souverain le plus proche est de l'autre côté du brouillard, brouillard empli de spectres, rappela Geralt.
- Là encore, vous vous méprenez. Je n'ai pas forcément besoin du sang d'un souverain régnant. C'est le génotype présent dans le sang d'une lignée royale dont j'ai besoin. Les souverains sont issus d'anciennes dynasties. A travers le temps, pour survivre, les monarques ont toujours eu besoin d'une force et d'une résistance exceptionnelles. Et comme les dynasties royales admettent rarement le sang des communs, la puissance de leurs gènes reste immense.
- Si on part de ce principe, on peut donc conclure que Adda, l'actuelle épouse de Radovid, possède un sang très puissant, non ?
L'ironie de Geralt tira un bref sourire narquois à Iorveth et un regard noir de la part de Eilhart.
- Je vais employer une thérapie d'auto-guérison sur Saskia qui permettra à son corps d'apprendre de lui-même comment se débarrasser du poison, enchaîna la magicienne.
- Tu vas lui faire boire du sang humain ? demanda d'un air écœuré Iorveth.
- A ma connaissance, ce n'est pas un vampire que j'ai pour patiente et le seul en ville vient de partir pour je ne sais où. Je vais directement injecter ce sang dans son cœur.
Honnêtement, Geralt n'était pas certain sur cette histoire de force du sang royal et tout le bordel. Malheureusement, il n'y connaissait rien en poison, sauf quand il s'agissait d'huile pour ses lames afin d'affronter les monstres. Il devrait faire confiance à Eilhart sur ce coup.
- On parle de quel genre d'herbe ? se renseigna le mutant.
- Eh bien, je vais avoir besoin d'une variété de digitale souterraine mauve, que les nains appellent l'immortelle. Ce sera facile d'en trouver, puisqu'elle pousse profondément sous terre et il se trouve qu'une mine serpente droit sous Vergen. L'autre plante est une rose elfique. Une rose de souvenance.
- Je vois mal comment ça aidera Saskia, commenta Iorveth.
- Le Thaumador détruit les tissus, et l'immortelle accompagnera parfaitement les actes de Marco puisque ça permettra leur restauration. Quant à la rose, elle permettra l'apprentissage de la thérapie par le corps.
- Et les roses les plus proches ne sont pas ici, pointa l'elfe.
- Triss avait une rose sur elle. Elle disait qu'elles avaient des propriétés exceptionnelles, souffla le Loup Blanc.
- Il fut un temps, ceux parmi les Aen Seidhe qui parvenaient à les cultiver étaient grandement respectés, confirma la magicienne.
- Les temps ont changé, rappela froidement le borgne.
- Tout comme les elfes.
- De toute façon, il n'y a pas de jardin elfique dans les environs. Nous devons retourner à Flotsam ou retrouver la magicienne de Maribor. Quel est le reste de ta recette de potion magique ?
- Le Thaumador utilise la magie pour s'auto-substanter. La moindre présence de cette substance dans une cellule cause une réaction en chaîne qui l'empoisonne. Et pour chaque cellule corrompue qu'on retire, dix nouvelles la remplacent. Pour arrêter cette réaction, je vais avoir besoin d'une forte source de puissance magique. Un génie de l'air ou de l'eau, voir l'un des vingt anneaux légendaires de pouvoir serait un must.
- « Un anneau pour les amener tous et dans les ténèbres les lier, » récita le commandant.
- C'est ça, et après, je cours pieds nus jusqu'au sommet d'un volcan, commenta sarcastiquement le mutant.
- D'accord, d'accord, ignorons les anneaux, accorda Eilhart. J'ai cependant besoin d'une large quantité de pouvoir, peu importe la source. Et vous voulez savoir où c'est ironique ? J'en avais une, jusqu'à récemment. Mais ce cher Marco l'a volée et cachée. Où ? Comment ? Pourquoi ? C'est une bonne question. Et je doute qu'il cède l'objet en question de toute façon. Donc, il va falloir soit le persuader, soit trouver ailleurs.
- Une immortelle, une rose de souvenance, du sang royal et de la magie… la parfaite recette d'un conte de fée.
- Et une bien triste en plus, renchérit Iorveth. Même pas un baiser de prince charmant pour relever tout ça.
- Vous avez un soi-disant prince, ou devrais-je dire, princesse à disposition, si vous y tenez tant. Cependant, même si je le voulais, ce n'est pas un conte, même pas une stupide histoire. Parce qu'au moins, nous serions certains qu'il y aurait une fin heureuse, soupira la magicienne en lissant pensivement les plumes de chouette dans ses cheveux.
Elle regarda ensuite le sorceleur dans les yeux.
- Puis-je compter sur votre aide, Geralt ?
- Oui, mais que fait-on pour les spectres ?
- Je dois d'abord m'assurer que les actes de Marco n'interfèrent pas avec ce que je fais pour garder Saskia en vie, après, nous pourrons considérer la meilleure façon d'exorciser ces âmes en peine… vous pouvez aussi faire ça tout seul. Sans moi dans votre dos, Anabela sera certainement ravie de vous aider. Demandez donc aux locaux de vous parler de la dernière bataille, vous apprendrez quelque chose d'intéressant, peut-être.
Geralt détestait qu'on lui donne des ordres. Surtout avec le ton hautain et indifférent de cette magicienne.
- Je vais voir avec Shiva et ses talents particuliers si elle peut m'aider à trouver l'empoisonneur, annonça l'Écureuil en regardant Philippa retourner dans les quartiers de Saskia.
Son œil plissé disait qu'il n'aimait pas Philippa et/ou ne lui faisait pas confiance.
- Je vais m'assurer qu'Ace n'a pas encore mis le feu à la Vallée du Pontar, annonça Geralt.
- Je comprends bien mieux les raisons de sa haine dont les rumeurs courent dans tout le nord. À sa place, j'aurais tout fait pour rendre la vie de cette femme un enfer sur terre.
- C'est mal connaître cette tête brûlée que de croire qu'il est resté tout ce temps gentiment dans son coin.
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Sur le chemin pour quitter la cité, Geralt était tombé sur Cecil qui s'adressait à quelques personnes devant les portes closes de la ville, leur expliquant les risques du dehors. Il apprit aussi que les Scoia'tael avaient dressé leur campement du côté des maisons brûlées qu'il avait vues sur le chemin en arrivant. Après les avertissements du nain, les portes furent ouvertes. C'était clair comme message.
Si vous voulez vous faire tuer, allez-y. Dans le cas contraire, restez dans la ville.
Pour Geralt, l'objectif était dehors.
Il marcha au travers les portes alors que les gens commençaient à envahir de nouveau la ville basse. Il descendit quelques marches, puis arriva devant les grandes portes de Vergen. Ouvertes. Dehors, un couloir à ciel ouvert lui offrait la vue désolante de la roche des montagnes. Sans un mot, sans un soupir ou la moindre expression, il les traversa, passant à proximité d'un groupe de nains avec l'intention de célébrer le vol d'un rêve un peu trop récurrent pour l'un des leurs. Il devait y avoir des célanos dans les environs pour que cela arrive. Cette sous-espèce de harpies était capable de voler les rêves après tout.
En dépassant le couloir, il remarqua un embranchement auquel il n'avait pas prêté attention auparavant. Il s'y avança de quelques pas, curieux, pour voir un campement de femmes. Des elfes. Vu leur maigreur et leur pâleur, elles revenaient de loin. Deux Scoia'taels femmes discutaient avec elles. Elles tournèrent la tête en semblant remarquer Geralt, l'observant avec perplexité et méfiance, mais le mutant se contenta de les saluer de la tête avant de reprendre sa route. Ce devait être le camp des Scoia'tael.
Il reprit sa route, descendant la pente rocailleuse qui serpentait dans la roche sous le ciel bleu presque trop parfait de ce début d'après-midi.
Il arriva au village brûlé et comme à l'aller, il nota une lourde odeur de soufre. Et son Haki sentait une présence proche. Ou plutôt, une double présence. Il s'arrêta.
C'était un gémissement qu'il venait d'entendre, non ?
Oui. Un couple s'envoyait en l'air.
Ou plutôt, une succube avait trouvé un partenaire de jeu s'il déduisait correctement l'odeur.
Il secoua la tête et reprit sa route. Il n'allait pas chasser une succube pour si peu. Dans un sens, elles n'étaient pas différentes des catins sur beaucoup de points.
Il continua donc sa route, rencontrant un groupe de Scoia'tael, autour d'un feu, qui surveillait le chemin menant vers le brouillard et qui descendait encore plus bas dans la montagne.
- Thatch a dit que si tu cherchais l'autre, elle était par-là bas, lui dit un des elfes en montrant un chemin ascendant partant de l'autre côté.
- Merci.
Le mutant suivit l'indication, arpentant le chemin très légèrement en pente. A mi-chemin, il vit une voie se détacher de celle qu'il suivait et s'éloigner dans un maigre sous-bois. Geralt ne s'y aventura pas, parce qu'il vit passer plus loin la silhouette qu'il cherchait. Il continua donc sa route sans changer de cap, dépassant une maisonnette solitaire où un homme s'agitait à l'intérieur. Du coin de l'œil, il vit Ace accroupi au sol, ramassant quelque chose. De retour, le lourd chignon de dreads et les baguettes d'acier et d'argent. De retour, l'uniforme du chat. Et surtout, de retour, la longue et ample cape. Quand le Loup Blanc s'arrêta à ses côtés, le D. continua de ramasser ce qui semblait être des plumes de harpies. Et à voir ces bêtes les fixant avec méfiance dans les nids parsemés tout le long de la carrière dans laquelle ils étaient… ce n'était pas par la paix que le Chat avait obtenu ça.
- Qu'est-ce que tu fais ? s'enquit le Loup Blanc.
Le brun haussa les épaules.
- Ce gars paie une petite fortune pour un plumeau de plumes de harpies pour un collectionneur de Vengerberg. Garde-moi ça.
Les mains bien trop féminines offrirent une dizaine de plumes au Loup Blanc avant de se mettre au travail sur le fusil. D'un œil sans émotion, Ace observa les harpies aux alentours avant d'en mettre une en joue.
Un bruit assourdissant résonna dans la cuvette et une odeur forte de poudre brûlée attaqua l'odorat sensible du mutant. Plus loin, une harpie tomba au sol, sans vie, la tête explosée.
- Les balles ne sont peut-être pas en argent, mais peu importe la matière, à moins d'avoir des capacités de régénération ou d'être plus ou moins immortel… une balle qui explose le crâne, c'est toujours efficace, commenta Ace.
Et il entama sa descente dans la cuvette pour aller rejoindre sa proie morte en dépit des hurlements des harpies.
Geralt le suivit.
Il ne savait pas quoi dire. Lui demander si ça allait ? Cela aurait été aussi utile que de demander à Lambert de ses nouvelles. Lui dire qu'il comprenait ? Ce serait mentir et Ace ne l'apprécierait pas. Promettre son aide ? Il n'avait pas la moindre idée par où commencer. Il pouvait demander de l'aide à Triss, voire Yennefer s'il la retrouvait, mais il doutait que son camarade leur fasse assez confiance pour les laisser travailler aussi profondément sur son corps. Quant à Philippa, clairement, elle préférait la femme par rapport à l'homme, donc, si elle devait les aider, cela serait sous la contrainte… et pour contraindre une magicienne, il fallait des moyens que Geralt n'avait certainement pas.
- Tu sais… jusqu'à présent, j'ai jamais remarqué que cette cape était si lourde, commenta Ace.
Lourde ? Elle n'avait pas l'air plus différente que les autres capes de voyage classiques, ni même enchantée. Pourquoi serait-elle lourde, surtout pour lui avec sa force, même avec un corps de femme.
Ils arrivèrent devant le cadavre de la harpie morte et Ace commença à retirer méticuleusement les plumes des ailes de la bestiole, pendant que Geralt gardait un œil sur les autres. Pour l'instant, elles étaient trop apeurées. Mais elles allaient finir par se ressaisir et passer à l'attaque.
- Qu'est-ce que j'ai loupé ? se renseigna le D. dans sa récolte de plumes.
- De quoi te souviens-tu ?
Ace redressa la tête, le regard pensif.
- Tu te souviens de comment est apparu le brouillard ? poussa le plus vieux.
- Du tout. C'était… flou, au mieux. Je… je sentais tant de haine… de peur, de rage… de colère et d'incompréhension. Tellement de souffrance. Je… je me suis senti submergé.
- Henselt a réveillé par erreur une malédiction de sang. Je n'en sais pas plus pour l'instant. En plus du brouillard, des spectres ont fait leur apparition. Des souvenirs des soldats morts sur ce sol il y a trois ans. Ton camarade t'a assommé et porté hors du brouillard, avec Philippa Eilhart pour nous couvrir.
- Et on va avoir besoin d'elle pour lever la malédiction, c'est ça ?
- Hmhm.
- KUSOU !
Ace donna un coup de pied dans un pic rocheux qui tomba en morceaux sous le choc.
- Et ce n'est pas le pire.
- Parce qu'il y a pire que de devoir attendre le bon vouloir de cette putain et violeuse en robe de soie !?
- Saskia a été empoisonnée. Et c'est un poison loin d'être commun qui menace de la tuer. Pour l'instant, elle est dans le coma. Mais elle ne se réveillera pas si on ne rassemble pas l'antidote que demande la magicienne.
La roche tout autour commença à se fissurer sous la colère et le Haki du D.
Avant de retomber quand la tête bascula vers l'avant. Les épaules s'affaissèrent et un sanglot étranglé se coinça dans la gorge du Chat.
- Je te paye un verre et on invite Jaskier et Zoltan ?
- … ouais.
Le fusil retourna à l'épaule de son propriétaire et le chapeau noir fut enfoncé sur le crâne pour masquer le visage, bien qu'il ne pût rien contre les larmes qui roulaient sur les joues tachetées pour se perdre dans le col. Le D. se détourna un instant pour essuyer ses pleurs avant de suivre Geralt. Après avoir refourgué les plumes au pecno qui les demandait (et qui offrit une somme rondelette pour elles), ils reprirent leur route vers Vergen.
- Dur de me dire que j'aurais pu retrouver ma vraie identité pour l'espace de quelques mois seulement. Tu crois que la Dame du Lac acceptera de m'aider à nouveau ? marmonna Ace en shootant dans un caillou.
- Tu peux toujours essayer.
- Un pas en avant, trois pas en arrière. Je me sens presque aussi mal que la fois où Eilhart m'a transformé.
Sauf qu'aujourd'hui, il n'y avait pas… tout ça… Tous ces trucs que Eilhart avait voulu essayer à l'époque… les jeux, les expérimentations… tout…. Tous les petits passe-temps et envies de la magicienne… tous ces trucs qu'elle avait imposés à quelqu'un qui avait passé sa vie à se battre pour avoir le droit de choisir jusqu'au nom qu'il portait…
- Même si ça sera dur, je sais que tu surmonteras l'épreuve et trouvera une solution, assura Geralt comme s'il énonçait une vérité universelle.
Un œil argenté le regarda d'un air dubitatif de dessous un chapeau noir.
- Tu es trop têtu pour laisser tomber. Ce n'est pas dans ta nature.
- Pourtant, tu n'imagines pas le nombre de fois où j'ai eu envie de baisser les bras et me laisser crever.
- Tu as pris ta médication ?
- Je suis psychotique, Geralt, pas dépressif. Tu crois qu'ils ont des contrats pour les harpies ?
- Peut-être. Vu leur nombre, ce ne serait pas étonnant, répondit son camarade sans commenter sur le changement de sujet.
Ils dépassèrent le village brûlé et continuèrent leur route vers la citée.
- Je vais devoir encore prouver aux cons que c'est pas parce que j'ai plus rien qui pendouille entre les jambes que je suis incompétent. Oh merde… j'vais devoir me remettre au féminin.
- Utilise-le en public, si tu dois vraiment. De mon côté, je vois un homme et je pense que Vesemir a toujours vu un homme. Quant à ton frère, tu le connais mieux que moi. Si ça peut te faire plaisir, je peux t'assurer que Iorveth est resté sur l'image d'un homme.
- Tu crois qu'il me laissera dire une seconde fois qu'il a un cul de tous les diables maintenant que je suis comme ça ?
- Je pense que si tu t'y risques, c'est une flèche dans la tête qui t'attend.
Ils étaient à présent à quelques pas de la taverne quand Ace sauta brutalement vers l'arrière en brandissant son glaive d'acier.
Cling.
L'étrange sabre qu'il avait vu entre les mains de Thatch percuta dans un bruit de métal le plat de la lame du mutant. Quelqu'un, dans une ample cape couleur forêt, venait de tomber du ciel pour attaquer le Chat Noir. Et il ne s'arrêta pas là. Rapidement, les coups furent échangés, la vitesse et la violence augmentant progressivement. Chacun des adversaires tournait autour de l'autre dans une tentative de trouver une faille, une ouverture, quoi que ce soit pouvant permettre de prendre le dessus. Et vu ce que son nez et ses oreilles lui rapportaient, le Loup Blanc ne savait pas s'il pouvait se permettre de porter assistance ou pas à son camarade sous peine de mettre son nez dans ce qui ne le regardait pas. Sans compter qu'il n'arrivait pas à percevoir la moindre hostilité. Les coups visaient certes des points vitaux, et chacun des duellistes risquait sa vie, mais il n'y avait aucune intention belliqueuse derrière. Presque comme si consciemment ou non, ils étaient certains que celui en face allait esquiver. Comme un entraînement, en plus violent. Certainement le genre de chose qu'il avait dû suivre durant sa formation de sorceleur.
Un rictus tremblant agita les lèvres d'Ace.
La réponse de son assaillant fut un rire discret.
Le coup de poing passa sous la garde et frappa en plein visage l'agresseur.
- BAKA !
Le même poing revint à la charge accompagnée d'un sanglot.
Mais le D. n'atteint pas sa cible puisqu'il fut emprisonné dans une paire de bras bien familiers. Un parfum de plumes chaudes, de sel, d'antiseptique et d'encre vint emplir les narines du pirate. Le barrage céda et les sanglots devinrent une cascade inarrêtable.
- /Stupide stupide stupide stupide…/
- /Oui, je sais, yoi,/ lui répondit Marco.
- /Je te hais !/
- /C'est pas pour ça que tu m'as dit oui ?/
- /Non, c'est parce que t'es un stupide enfoiré de beau-parleur !/
Un rire franc et heureux jaillit de la gorge du blond qui resserra sa prise
Au moins on pouvait dire trois choses de ce Marco.
Premièrement, Ace était un sorceleur et un escrimeur de qualité. Il l'avait vu à l'œuvre plus d'une fois pour en juger. Et sans difficulté apparente, cet homme avait réussi à rivaliser pendant un instant avec lui, ce qui, en plus d'en dire long sur ses performances avec une épée, le désignait comme un homme dangereux.
De deux, on devait lui accorder aussi qu'il savait faire de belles entrées. Très remarquable, puisque quelques personnes regardaient encore et toujours le duo en se demandant clairement ce qu'il se passait.
Et troisième point, s'il y avait bien quelqu'un capable d'aider Ace dans la situation actuelle, c'était bien ce blond.
Dans un sens, le Loup Blanc les enviait. Alors qu'il n'était même pas certain que Yennefer soit toujours vivante, outre ce pressentiment, Ace, lui, avait retrouvé sa moitié par pur hasard, moitié qui avait changé de monde spécifiquement pour le retrouver. Oui, de quoi les envier. Et à côté, alors qu'il était lié par la magie d'un vœu, il n'avait aucune idée de s'il retrouverait un jour la magicienne Aedirnienne.
Le mutant tourna la tête en sentant une main sur son bras. C'était l'elfe brune, qui en réalisant qu'elle avait son attention, retira immédiatement sa main.
- Merci, dit-elle.
- Pourquoi merci ? Je n'ai rien fait.
- Tu as fait bien plus que tu ne le crois ou ne le sauras jamais. Je peux te l'assurer.
Ace se détacha des bras de Marco à cet instant et vint enlacer l'elfe.
- /Tu devrais pas être là, Kali. Tu n'aurais pas dû…/ murmura le D. en essayant d'arrêter de pleurer.
- /Sans toi, je serais morte sur un trottoir sans la moindre once d'honneur et sans avoir donné le moindre sens à ma vie. Je te dois bien ça. Et puis, si je ne suis pas là, qui ramènera la famille à la maison ? Oyaji m'a confié cette tâche et je l'accomplirai, mon Commandant. /
Le Loup Blanc contourna le duo qui se penchait à présent sur le gros chat (qui se frottait joyeusement à Ace) pour aller voir Marco. Le blond s'était assis sur une des rambardes de pierre qui empêchait de chuter dans le puits sans fond à côté de l'auberge. S'il remarqua le Loup Blanc le rejoindre, il ne fit aucun commentaire, trop occupé à observer Ace et le félin.
- Merci pour mon glaive. Le récupérer de la gueule de ce dragon n'a pas dû être une partie de plaisir.
- Je me suis retrouvé dans la bouche de créatures bien plus grosses que ça par le passé. J'ai peut-être eu une ou deux plumes de roussies durant la procédure, mais rien de nouveau, yoi. Et après t'avoir fait courir, je te devais bien ça.
- Pourquoi cette intervention durant le siège ? Et cette hostilité ?
- Je ne suis pas la créature sage et inoffensive des histoires pour enfants.
- Mais tu dois avoir une motivation.
- J'en ai quelques-unes en effet. Et l'une d'elle, c'est Shiva qui me l'a donnée, yoi.
Le sourcil de Geralt se leva.
- Quel est son vrai nom, entre Kali et Shiva ?
- Aucun des deux. Il n'y a que deux personnes encore en vie qui savent son vrai nom et ce sont ces deux têtes brunes devant toi. Je pense que ce nom, elle l'emportera pour une raison ou une autre dans sa tombe. Elle change d'identité suivant les circonstances, yoi. La seule chose qui reste, étrangement, c'est le surnom. La Grise.
- Je vois… et une idée de pourquoi elle m'a remercié ?
- Outre peut-être pour avoir accepté de supporter Ace ?
- Je suis la mauvaise personne à remercier, dans ce cas-là. C'est le doyen de mon école qui l'a pris sous son aile et en a fait un membre honoraire des Loups.
- Vesemir, si je ne me trompe pas.
- Déjà rencontré ?
- Non. Coën, paix à son âme, m'a parlé de lui, yoi.
- Ah, oui, j'ai cru comprendre que tu l'as disséqué.
- Je lui avais demandé l'autorisation avant qu'il n'expire. Dommage que la science locale soit si en retard, parce que ce que j'ai appris de lui permettrait des avancées fulgurantes en médecine. Sauver des vies est le devoir d'un médecin, mais si le monde ne veut pas ou n'est pas prêt pour ce qu'il apporte, autant s'ouvrir les veines, ça sera plus rapide et moins douloureux.
Les deux têtes brunes eurent enfin finies de leur côté et vinrent rejoindre Geralt et Marco, le félin trottinant sur leurs traces. Cela mit fin effectivement à leur conversation. Même si le mutant tiquait à l'idée d'expérimentation, les objectifs du blond et sa méthode étaient bien plus appréciables que ce qu'il avait vécu ou vu dans le monde. Tout d'abord, il avait demandé la permission. Ce n'était pas grand-chose, mais en tant que sorceleur, il était certain que bon nombre de gens avaient dû revenir hanter les médecins ayant eu le malheur de les disséquer. Si Coën avait accepté, ce serait un spectre à exorciser en moins. Ensuite, même s'il se doutait qu'il y aurait toujours un moyen de détourner les découvertes, Marco avait un objectif médical. Sauver des vies. Pas aider les gens à s'entre-tuer un peu mieux. Et en soit, cet homme dont il faisait tout juste connaissance avait réussi à se faire une place dans son estime.
- C'est quoi comme espèce ? se renseigna le Loup Blanc en s'accroupissant pour mieux observer l'animal qui se frotta à lui en ronronnant.
- /Couleur/ est une panthera pardus orientalis, communément appelée panthère de l'Amour ou de Chine. C'est mon familier ! présenta joyeusement Ace.
- Couleur ?
Le D. soupira et se pinça le nez, maudissant un instant Triss et son sort de traduction.
- Évite de maudire mes anciens patients, surtout quand la personne en question nous a aidé par le passé, yoi, rabroua Marco.
- Le sort de traduction te fait entendre le sens du nom, pas sa prononciation, expliqua le Chat en ignorant temporairement son compagnon qui se contenta de sourire. Dans l'alphabet commun, tu l'écris en trois lettres. I, R et O.
- D'accord.
- Maintenant, retour à l'essentiel, qu'a fait Merigold pour toi, Marco ?
- Ou plutôt, qu'est-ce tu lui as fait toi ? demanda Shiva en prenant le visage féminin d'Ace dans sa main. Sa magie est encore sur la griffure. Laisse-moi deviner, même après tout ce temps, tu n'as toujours pas appris à réfléchir aux conséquences avant de parler ?
- C'est ma faute, explicita Geralt.
- Alors là, certainement pas ! J'ai juste sauté sur l'excuse en or que tu m'as offerte pour lui dire ce qui me démangeait ! réfuta Ace. Et ça ne répond pas à ma question.
Shiva et Marco échangèrent un regard.
- Je vous laisse, je vais rejoindre le cuisinier du dimanche et m'assurer qu'il ne s'attire pas d'ennuis, dit l'elfe.
Et elle entra dans la taverne.
- Je vais vous laisser aussi, annonça le Loup Blanc.
Il n'eut pas le temps de se lever que Marco posa une main sur son épaule.
- D'après une des visions de Shiva, tu es concerné aussi, donc reste.
Le mutant cligna des yeux et resta donc assis. Marco rapporta son attention sur son partenaire et tendit une main. Même si cela faisait longtemps qu'ils ne s'étaient pas vus, Ace savait que si son époux lui demandait de lui donner la main, c'était que le reste de la conversation allait être un peu trop empli de guimauve à son goût, ou alors aborder un sujet douloureux. Dans tous les cas, il n'allait pas énormément apprécier la suite. Avec précaution, le brun posa sa main dans celle de son mari et déglutit.
- Je sais que ça remonte, que c'est traumatisant et que tu préfèrerais qu'on laisse ça au passé, mais c'est important. Surtout quand on sait que c'est notre unique piste pour rentrer chez nous, yoi. Te souviens-tu de Marine Ford ?
La main d'Ace se crispa mais Marco ne lâcha pas.
- L'essentiel et j'ai pas cherché à fouiller plus. Ça hante bien assez régulièrement mes cauchemars, répondit froidement le D.
- Alors, laisse-moi apporter un peu de précision à ma question… est-ce que tu te souviens de l'arrivée de la Chasse Sauvage durant la bataille ?
La simple mention de la Chasse attisa l'intérêt du Loup Blanc.
- Pas vraiment… j'étais trop occupé à fuir, et puis, y'avait tellement de bordel… y'avait ce salopard avec sa lave, là…
- Autre question et remonte un peu en arrière. Pendant que tu étais encore sur l'échafaud. Te souviens-tu des tentatives de Sakazuki pour détruire les navires et nous tuer en même temps ?
Les dreads qui n'étaient pas dans le chignon de fortune furent secoués de gauche à droite avec le mouvement de tête du D.
- Nous n'étions pas seuls à Marine Ford. Et je ne parle pas seulement de nos alliés. Deux femmes étaient avec nous. Deux magiciennes. Yennefer de Vengerberg et Triss Merigold de Maribor, yoi.
Le cerveau des deux mutants fit un arrêt sur image en même temps. Ils avaient bien entendu ?
- Elles ont débarqué environ une semaine avant la date fatidique, clamant avoir une dette à rembourser. Elles ont donné une lettre à Oyaji qui a accepté de les laisser combattre avec nous, yoi. Et sans elle, non seulement le Moby Dick serait plus qu'une épave au fond des eaux, mais nous serions nombreux à être morts ce jour-là. Dont Oyaji lui-même. C'est grâce à elles et Shanks qu'on a pu fuir Marine Ford et elles ont donné une piste à Shiva… enfin, Kali encore à l'époque, sur comment rejoindre ce monde pour te retrouver. Ça fait quarante-cinq ans qu'on parcourt ce monde pour ça. On est allés jusqu'en Ophir à ta recherche, yoi.
Ace avait tellement écarquillé les yeux qu'on aurait dit qu'ils étaient sur le point de tomber de ses orbites.
- Avant tout ça, tu parlais de la Chasse Sauvage. Où est le rapport, si je peux me permettre de demander, intervint Geralt.
- Le rapport, c'est qu'elle est déjà venue une fois prendre un des nôtres. Mais sans un élément bien particulier, elle ne serait jamais venue à Marine Ford, yoi. Et oui, je parle de Thatch, Ace. Le sang qu'on a trouvé dans sa cabine n'était pas sec, comme tu as pu le penser avant de partir en quête de vengeance. Si tu étais resté plus longtemps, tu aurais vite vu que ça fondait. Le sang était gelé.
- C'est pour ça qu'on a jamais retrouvé son corps ! comprit Ace.
- Exactement. Si sur le moment, ils avaient voulu te prendre, ils en auraient profité, yoi. On n'a rien remarqué avant le lendemain matin pour Thatch, ce qui veut tout dire. Dans le sens que s'ils t'avaient voulu, ils auraient pu le faire ce soir-là. Ils n'auraient eu aucun mal à me tuer et personne n'aurait rien pu faire, yoi. Pourtant, c'est à Marine Ford qu'ils ont agi. Pourquoi ?
- Ils voulaient Luffy, non ? Je suis persuadé que c'est pour cette raison que je me suis laissé prendre…
- Du tout. Vu ton état, il est possible que tu te sois mis à délirer, mais je peux t'assurer que ce n'était pas leur but. Quand ils sont arrivés, ils étaient à la poursuite de quelqu'un qui était apparu de nulle part, yoi. Une adolescente de certainement une quinzaine d'années. Les cheveux blancs cendrés, la peau claire, des yeux émeraude, une affreuse cicatrice lui barrant l'œil gauche et le même pendentif que toi, attaché à sa ceinture.
Les deux sorceleurs échangèrent un regard. Cette description… ce ne pouvait pas être une coïncidence…
- La Chasse l'a poursuivie un instant sur le champ de bataille, puis la demoiselle t'a aperçu, Ace. Et elle a paniqué, yoi. C'est en voyant ça, que ce gars s'est intéressé à toi. La demoiselle a essayé de l'en empêcher, de détourner son attention, mais ça se voyait clairement qu'il faisait ça pour l'avoir elle, yoi. Puis, tu as disparu avec lui et la demoiselle a rapidement suivi.
- C'est clairement Ciri, je mettrais ma main à couper, déclara Geralt. Et elle se balade avec l'amulette de l'école du Chat, si je me souviens bien.
Oui, il revoyait Ciri avec trois amulettes. Une du loup, une autre du griffon et enfin, une du chat. Lui-même avait perdu la sienne à ce moment-là, Ciri lui avait donc donné l'emblème du loup. La tête de griffon, c'était Yennefer qui en avait hérité, même s'il ne se souvenait pas de ce qu'elle en avait fait.
- Autre détail important. Merigold-san a débarqué à bord et a mené le combat avec un beau décolleté qui montrait clairement une marque de brûlure sur sa poitrine. Quand je l'ai revue, lorsque j'ai soigné les survivants de Sodden, elle faisait partie de mes patients. Mais non seulement, elle ne semblait pas me connaître, mais en plus de ça, cette marque, elle ne l'avait pas avant et l'a eue après les soins, puisque je n'ai pas réussi à sauver la totalité de l'épiderme, yoi.
- Donc…
- Donc, en changeant de monde, nous avons remonté le temps, et les trois dames qui se sont manifestées à Marine Ford étaient le futur. Le futur de ce monde est notre passé, et leur passé a influencé notre futur, yoi.
- That's fucked up, commenta Ace.
- Je ne l'aurais pas dit dans cette langue, mais je suis d'accord avec l'idée.
- Je peux deviner de quoi il est question, grogna Geralt.
A essayer de démêler les nœuds, il avait mal au crâne.
- Ce qui nous mène à notre seule piste pour rentrer, cette Ciri, conclut Marco.
- J'ai besoin d'un verre.
- Je te suis, Geralt, maugréa Ace en se massant les tempes.
- Thatch a la bouteille de saké… je dis ça en passant, yoi, glissa Marco avec un sourire de coin.
- /Putain le salaud !/
Et il n'en fallut pas plus pour qu'Ace parte presque au pas de course rejoindre l'auberge.
- Saké ? répéta Geralt.
- L'alcool le plus populaire de notre monde d'origine, yoi. Je t'offre un verre ?
- Ça me va.
Les deux hommes entrèrent dans la taverne pour voir Ace disparaître à l'étage en tenant un Thatch par l'oreille, laissant Shiva seule en compagnie d'une bande de nains (dont Zoltan) et de Jaskier qui essayait, en vain, de lui faire du gringue.
- Geralt ! Docteur ! Venez donc vous asseoir avec nous ! encouragea Yarpen qui faisait partie du petit groupe. On n'a pas célébré le petit raid du sorceleur dans le brouillard, donc, faut le faire maintenant !
Les deux hommes s'assirent. Marco leva un sourcil à l'adresse de Shiva qui donna une pichenette dans une bouteille d'alcool devant elle pour toute réponse. Apparemment, Ace avait choisi la manière forte pour obtenir la localisation des bouteilles de saké de la part de Thatch.
- Ah désolé ! Où sont mes manières ?! s'excusa Yarpen. Donc, Jaskier, Zoltan, voici le docteur Marco Newgate, le meilleur médecin que le Nord n'ait jamais connu !
- Pas bien difficile vu comment les institutions comme le Feu Éternel freine la recherche. D'un jour à l'autre, je m'attends à recevoir une lettre me disant que je ne suis plus invité à faire des conférences à Oxenfurt parce qu'ils auront fermé l'académie, yoi, soupira le blond.
- Shani nous a parlé de vous. Elle a fait ses armes à vos côtés à Brenna, non ? se fit confirmer Jaskier.
- Exactement. Et elle a un véritable potentiel que j'espère qu'elle continue d'exploiter à son maximum.
- Aux dernières nouvelles, elle est retournée à Oxenfurt pour étudier une possibilité de remède contre la peste Catriona, dit doucement Geralt.
Le fin sourire sur les lèvres du blond disait que c'était une réponse qui lui faisait plaisir.
- Côté nain, on a Sheldon Skaggs, un vétéran des batailles de Sodden et Brenna ! continua Yarpen.
Et il montra un nain au crâne totalement chauve avec juste une grande barbe rousse soigneusement tressée.
- Et de toutes les tavernes sur la route, rajouta le nain avec amusement.
- Tu connais déjà Cecil, Geralt, pointa Zoltan.
Cecil qui se retrouvait pour le coup à la droite de Marco salua calmement le mutant.
- Messieurs ! intervint Jaskier. Je ne sais pas pour vous, mais ma gorge est desséchée par toutes ces présentations !
- Amusant quand on sait que tu n'as parlé que pour faire mention d'une élève de Marco, le barde, nota narquoisement Shiva.
- Mais maître Jaskier a raison ! La première tournée est pour moi ! annonça Sheldon en faisant un signe à l'aubergiste.
Shiva se leva.
- Dans d'autres circonstances, je n'aurais pas dit non à une bonne beuverie, mais je préfère m'assurer que Vergen ne parte pas en flammes avec la renaissance de Hiken. Je laisse ma place à Thatch.
Elle pointa un doigt vers Marco avec un air presque menaçant.
- Je m'assurerai qu'il n'ouvre pas la bouteille sans vous deux, yoi. Dès qu'il la descend, je la lui confisque.
- Merci, mon commandant.
Et elle s'éloigna pour attendre près de l'escalier.
- De mon côté, je serais ravi de rincer la poussière de la route qu'il me reste dans la gorge, dit Geralt. Surtout en aussi bonne compagnie.
Et il fit un signe de tête à Yarpen à sa gauche.
- Ah… dommage que Calleb Stratton ne soit pas là. Puisse-t-il reposer en paix… commenta Yarpen.
- C'était un nain honorable. A sa santé !
Et il leva son verre que l'aubergiste venait de lui remplir, suivi par le reste des nains. Du coin de l'œil, Geralt nota Ace redescendre avec Thatch, une expression surexcitée sur le visage. Il échangea quelques mots avec Shiva alors que Thatch venait s'asseoir à la table.
- Je dois céder la bouteille ? demanda plaintivement le vampire.
Marco se contenta d'un léger hochement de tête.
- Je te hais.
- Généralement, c'est moi qui te déteste et toi qui me répond que tu es mon frère donc, que ça passera, yoi, rappela avec amusement le blond.
Et une bouteille d'alcool clair partit en glissade le long de la table.
- Vodka ? s'enquit avec intérêt Sheldon.
- Saké. C'est un alcool plus doux que la vodka.
- Ah ! Les dames reviennent ! pointa Cecil.
- On ne s'attarde pas, réfuta Shiva alors qu'elle et Ace se rapprochaient de la table.
Le médaillon du mutant s'agita brutalement contre sa gorge dès que son camarade fut à proximité. Vu la façon dont il conservait sa main droite dans sa cape, il devait cacher quelque chose. Sans le moindre regard pour la table, le brun attrapa le menton de Marco de sa main gauche et lui plaqua un baiser torride sur les lèvres qui manqua de renverser le médecin de sa chaise. C'est tout juste si on ne sortit pas un sablier pour contrôler le temps durant lequel ils restèrent à s'embrasser goulument. Et clairement, ils en avaient besoin. Finalement, avec un sourire lui mangeant la moitié de la figure, Ace se détacha pour s'éloigner, laissant un docteur ébouriffé mais satisfait derrière.
- On a des quartiers privés en ville, tu te rappelles ? demanda avec amusement Thatch.
- /Ta gueule, la sangsue./
- Eh bien, docteur ! On cache bien son jeu ! Alors comme ça, on saute celle que tout le monde nomme la Vierge Sanglante ! se moqua Yarpen.
- Je ne sais pas d'où sort le surnom, mais il est inapproprié. Même avant notre mariage, on était loin d'avoir une relation qu'on peut juger platonique. Donc, contrairement aux rumeurs, non, je ne suis pas un veuf éploré ou un célibataire endurci, yoi. Juste un homme fou amoureux et extrêmement fidèle. On approche de nos quarante-sept ans de mariage.
Si cela faisait presque autant que Marco poursuivait Ace dans tout le nord, cela voulait dire qu'ils étaient encore « jeunes mariés » quand ils avaient été séparés. Décidément, le Destin avait une dent contre eux.
- J'ai envie de dire que vot' vie doit être d'un ennui mortel, mais à côté, on parle d'une sorceleuse et elle a l'air bien farouche ! ricana Yarpen.
La conversation fut heureusement sauvée par Zoltan qui venait de remarquer que Sheldon à sa gauche avait un peu de mal à finir son verre.
- Sheldon, t'es à la traîne.
Un léger bruit alerta Geralt qui regarda du côté du médecin, mais celui-ci se contenta de prendre sa choppe et de la vider en quelques gorgées. Étrange, le mutant aurait juré que le blond avait déjà fini son verre. Et la bouteille d'alcool, ramenée par le vampire, qui s'asseyait à côté de Jaskier, était toujours scellée. Quant aux pichets sur la table, aucun n'avait bougé.
- J'ai une petite sauterie de prévu ce soir, se justifia Sheldon.
- Mais c'est une raison de plus pour boire ! Ça te rendra plus vigoureux !
- Ma pine tombe comme les seins d'une vieille truie si je bois trop.
- Attaches-y une carotte.
Thatch s'étouffa à moitié dans son verre sous l'hilarité.
- Regarde, même le vampire boit ! Et pourtant, on sait tous qu'il va se faire Shiva ce soir ! pointa Yarpen.
Le vampire reposa son verre, blanc comme un linge.
- Moi ? Avec Shiva ?! Mais vous êtes pas bien ! Je tiens à la vie !
- Non seulement elle te tuera, mais on aura l'Allumette derrière qui mettra au défi ta régénération en te découpant en petits morceaux, confirma Marco avec un sérieux inquiétant.
- Sinon, qu'est-ce qui amène deux sorceleurs dans cette belle citée de Vergen ? se renseigna Cecil.
- Portgas était à la recherche de son homme suite à une vieille séparation et avait eu des infos pour le retrouver. On s'est croisé en chemin pendant ma traque du Tueur de Roi, et vu qu'on a déjà travaillé ensemble suite à l'attaque l'an dernier de Kaer Morhen, on a décidé de faire équipe, expliqua Geralt. Je peux me permettre de poser quelques questions qui n'auront rien à voir, histoire de voir comment régler notre souci de brouillard ?
- Vas-y, encouragea Zoltan.
- Vous avez déjà entendu parler de la Bannière Brune ?
- On a leur étendard dans nos cryptes. On l'a enterré là avec le corps d'un de ses gars qui est mort ici, répondit Cecil en jouant avec son verre vide.
- Et où est cette crypte ?
- T'as trouvé Portgas avec les harpies, on est d'accord ? se renseigna Thatch.
Au hochement de tête, le vampire poursuivit après une nouvelle rasade d'alcool.
- Avant d'y arriver, tu as un petit chemin vers la droite qui mène à un petit bois. C'est une vallée pleine de cryptes.
- Après, dans laquelle a-t-on enterré la bannière…
- Faut demander à Shiva, répondit Marco en se resservant un verre.
- Et est-ce qu'une plante du nom de l'immortelle, ça parle à quelqu'un ?
- Si ça nous parle ? s'exclama Sheldon. Et est-ce que les cochons ont un cul serré ?
- Personne ne veut savoir ce que tu fabriques avec le rectum d'un porc, Sheldon, lui dit sévèrement Marco.
Toute personne en train de boire recracha son verre devant le commentaire. Le pire, c'était l'expression si sérieuse du blond quand il le sortit. Et cela fit craquer tout le monde. Le rire suivit la surprise et même Geralt esquissa un sourire. Marco eut un léger rire avant de lever son verre en salutation.
Ce qui était bien en présence de nains, c'est qu'il fallait peu pour que la conversation parte à la dérive. C'était assez relaxant dans un sens, surtout qu'ils n'étaient pas les derniers à raconter des conneries. Mais il semblerait que malgré tout le sérieux qu'on pouvait attendre de ce Marco, il avait tout de même un bon sens de l'humour.
Certainement les années de piraterie.
- Pour revenir au sujet, qu'est-ce qu'il en est de l'immortelle ? demanda Geralt.
- Eh bien, sorceleur, l'immortelle, on la trouve surtout à proximité des gisements d'anthracite et aluminosilicate, reprit Skaggs. Pourquoi tu en cherches ?
- La magicienne en a besoin pour soigner Saskia.
- C'est pas commun, mais on en a dans les mines sous la ville, informa Yarpen. Profondément sous terre.
- Où est l'entrée de la mine ?
- La mine est fermée. Le docteur et Shiva sont les dernières personnes à y avoir mis les pieds, histoire de ramener les corps, informa sombrement Cecil.
- Moi j'dis, elle a besoin d'être enfin nettoyée ! J'dis qu'on devrait laisser le sorceleur s'occuper de toute la merde de ces souterrains pour qu'on puisse reprendre le boulot.
- De quoi est-il question ? se renseigna Geralt.
- Il y a moins d'un mois, des mineurs ont commencé à disparaître. Shiva a dit qu'on avait réveillé la colère des profondeurs en touchant des tunnels qui n'auraient pas dû être découverts. On aurait bien voulu y envoyer un groupe pour nettoyer tout ça, mais Saskia disait qu'elle avait besoin d'un maximum d'hommes à la surface en cas d'attaque, afin qu'on puisse défendre au mieux Vergen, expliqua l'ancien.
Geralt se tourna vers Marco, sa question silencieuse facile à deviner. L'homme se démerdait très bien, et s'il avait pris le risque d'aller chercher les corps avec Shiva, pourquoi n'avait-il pas géré l'affaire lui-même ?
- Ma priorité était de trouver des survivants, yoi, expliqua le blond en réponse. Ensuite, même si j'ai déjà vu plus d'une fois ces trucs durant mes pérégrinations, et que je peux m'en débarrasser, je sais qu'ils reviendront, parce que je n'ai pas les compétences et le savoir d'un sorceleur pour régler définitivement ce problème. Cela m'embêterait énormément de vouloir arranger tout ça, et dans mon ignorance, faire tout le contraire, yoi.
- Qu'est-ce que c'était ?
- Des nécrophages, c'est certain. Pas des goules, mais autre chose. Grand, bipède, puant la charogne. Pas de traits faciaux reconnaissables.
Avec un geste de ses deux mains, il imagea quelque chose de très gros et imposant encapsulant le début du torse et la totalité de la tête.
- Ça explose quand c'est sur le point de mourir ? se fit confirmer Geralt. Et dans ce moment-là, c'est un nuage de gaz toxique qui est libéré ?
- Exactement.
- J'ai une petite idée de ce que c'est. Il y a donc des semblants de nids ou d'entrée de terrier à détruire pour régler le problème. Mais déjà, le retrait des corps a dû réduire drastiquement le nombre, puisqu'en cas d'absence de source de nourriture, beaucoup de charognards, dont ces créatures, ont tendance à recourir au cannibalisme.
- D'accord. Joyeux.
- Et si on s'y mettait ? proposa Zoltan.
- La présence de gaz toxique ne me rassure pas, Zoltan. Je préfère éviter la présence de civils. Je vais voir avec Portgas pour m'accompagner peut-être, mais sinon…
- L'homme du Chat Noir dit quoi ? demanda Yarpen.
- Que j'ai épousé une mule. Que je dise oui, non ou merde, Ac… Anabela n'en fera qu'à sa tête.
Le prénom féminin le faisait définitivement tiquer.
- Bon sang, docteur ! Vous êtes un homme ! Vous devriez lui apprendre à vous obéir !
- Je crois en l'égalité des sexes, d'une. Et de deux, quand on a commencé notre relation, elle m'a demandé une chose. Une seule et unique chose, yoi. Courber l'échine. Et je l'ai fait. Et je ne le regrette toujours pas.
Et il se leva en attrapant au passage la bouteille pleine.
- Messieurs, je vous laisse ici.
Geralt se leva à son tour.
- Puis-je avoir les clefs de la mine ?
Sans parlementer, Cecil remit un trousseau dans la main tendu du médecin.
- Thatch ? interrogea le blond.
- /Rendez-vous avec une jolie fille… un chouilla cornu !/sourit le vampire avec un clin d'œil.
Le médecin lui adressa un regard blasé si puissant que Geralt était certain que ce genre de regard aurait pu obtenir un « pardon, je le referais plus » de la part de Lambert. Mais pour le vampire, cela ne fit que provoquer un rire.
.
.
Ils avaient marché en silence pour retrouver Ace. Pas de silence lourd. Juste... le silence. Quelque chose de tranquille et calme. Il entendait à peine le bruit des pas de son compagnon. Pendant qu'ils avaient traversé Vergen, Geralt s'était renseigné sur l'étrange épée que le blond et le vampire utilisaient, pour apprendre que c'étaient des katanas, mais ensuite, cela avait été le silence. On n'avait pas attendu de lui qu'il se plie aux règles sociales en faisant la conversation.
Assez agréable.
En se rapprochant de la carrière, Geralt s'arrêta en voyant une tornade de feu jaillir pendant un instant dans le ciel, avant de retomber hors de vue.
Qu'est-ce qu'il venait de se passer ? Eilhart faisait une expérimentation ? Quelqu'un avait réveillé un élémentaire de feu ? Marco avait jeté un œil au phénomène, puis secoué la tête avec un vague amusement, pour continuer sa route.
En arrivant à l'endroit où le Loup Blanc avait retrouvé un peu plus tôt son camarade Chat, il réalisa que la tornade de feu était toujours là, juste assez réduite pour être contenue dans les roches de la carrière à l'abandon. Sur le bord, devant l'incendie, des cadavres de harpies continuaient de se consumer, de part et d'autre de Shiva qui avait les bras croisés en observant les flammes. Elle tourna la tête vers les deux hommes, avant de rapporter son attention vers le feu
- Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda Geralt.
Pour toute réponse, Shiva montra…
- Ceci est un fruit, explicita Marco devant l'interrogation du mutant.
Geralt récupéra le fruit en question. C'était gros, dépassant aisément la capacité de contenance de sa main. L'extérieur était très solide, avec l'écorce du fruit arborant rangées sur rangées de motifs en relief de flammèches. Et c'était le même dégradé de couleur qu'un vrai feu. Impossible de savoir si son médaillon s'agitait à cause du fruit ou de l'incendie devant lui. En tournant l'étrange fruit, il remarqua sur le dessous, qu'un tout petit morceau du fruit était absent. Juste un petit morceau.
- Tu veux goûter ?
Shiva avait la main tendue vers lui, un petit morceau du fruit dans sa paume de main. Trop petit pour correspondre en totalité à ce qu'il manquait.
- Je le déconseille, yoi, répliqua Marco.
- Le feu a retrouvé son ancien partenaire, il n'y a aucun risque.
- On sait tous les deux que c'est une sale blague que tu prépares.
- Je vais passer mon tour, merci, déclina Geralt.
Shiva reprit le fruit et entreprit de positionner le petit morceau de façon à laisser penser qu'on n'y avait pas touché.
- Mais qu'est-ce que tu fabriques ? lui demanda Marco. Jette-moi ça.
- Nop ! On va le rendre tel quel à Eilhart, elle va bien rire en voyant qu'il sert plus à rien ce fruit, outre la rendre malade !
C'était la voix d'Ace qui venait de la fournaise. Avec une intonation presque trop joyeuse pour ne pas inquiéter le Loup Blanc. Parce que quand son camarade de l'École du Chat prenait cette voix, ça voulait dire généralement des gros ennuis.
Le feu se pencha étrangement pour rejoindre le bord de pierre où le groupe était amassé. Les flammes qui touchèrent le sol rocailleux aspirèrent le reste de la tornade et se condensèrent pour prendre une forme humaine de plus en plus précise et détaillée. Puis la texture et les couleurs changèrent.
Portgas D. Ace.
Ce qui auparavant avait été un incendie, était maintenant un sorceleur qui riait comme un idiot en dépit de son apparence féminine.
- Qu'est-ce qui te fait rire comme ça, yoi ? demanda Marco.
- J'crois que j'suis défoncé à l'oxygène ! C'est comme si j'avais passé toutes ces années en apnée pour finalement, respirer à nouveau !
Geralt cligna des yeux, soupira et tourna les talons.
- Qu'est-ce que tu fabriques ? s'étonna le brun.
- J'ai une mine à nettoyer. Au moins, c'est quelque chose que j'arrive à comprendre.
- Avec ça, ce sera plus facile, je pense, yoi, lança Marco en envoyant le trousseau de clef que lui avait transmis Cecil.
Le Loup Blanc attrapa les clefs au vol et s'en alla, laissant un Ace toujours mort de rire derrière lui. Le Chat Noir riait bien trop à son goût.
