Bonjour à tous ! Avec ce chapitre, nous finissons le jeu deux de Witcher ! Hourra ! Novembre, on attaque "Wild Hunt", le plus connu et populaire des trois. J'attends donc vos retours sur cette seconde partie de l'histoire et vos spéculations sur la suite de l'histoire.
Je vous souhaite donc d'avance une bonne lecture et à bientôt !
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Ace n'était pas fan de laisser Anaïs loin de sa vue, pas après le sang d'encre qu'il s'était fait pour elle. Mais il allait falloir. Il devait rejoindre Vergen, rester avec les siens, le temps que la nouvelle politique soit mise en place dans le Haut-Aedirn. Voire, dans le reste du pays. Après, peut-être qu'il pourrait s'arranger pour faire un détour ou deux par la Temeria, dans leur quête pour rentrer au bercail.
Anaïs marchait entre eux, se tenant à la cape du Chat Noir. Ils quittèrent les quartiers du mage et retournèrent dans la cour qui portait encore les marques du combat. Le D. passa une main dans son dos pour former une boule de feu en entendant des bruits d'armures. Suivant l'exemple, Geralt porta une main à son glaive et Roche l'épée à sa taille. Même Anaïs resserra sa prise sur son poignard. Une escouade des chevaliers de la Rose Ardente venait à leur rencontre. Leur chef s'avança et leur dit d'un ton pompeux qui ne cachait pas son mépris pour les mutants devant lui :
- Au nom du roi Radovid, nous demandons que vous nous remettiez l'enfant de Louisa La Valette.
La fillette s'accrocha un peu plus à la cape d'Ace qui se plaça devant elle pour la masquer du regard des hommes en armures.
- Elle a rendez-vous autre part, annonça calmement Geralt.
- Je n'en ai rien à faire, mes ordres sont clairs, refusa le chevalier.
- Nous ne sommes pas des sujets de Radovid, ses ordres ne nous concernent pas, pointa Roche en plissant des yeux.
- Si vous n'acceptez pas la méthode pacifique…
- Regardez autour de vous. C'est majoritairement le travail du Chat Noir, renvoya Vernon. Vous croyez qu'elle fera quoi si vous continuez à vouloir faire pression sur le futur de son Enfant Surprise ? Réfléchissez un peu avant de faire des menaces, putains d'abrutis.
Quelques rires s'élevèrent des rangs.
Ace se contenta de sourire. Puis il pencha la tête sur le côté.
- Il fait chaud, non ?
La boule de feu était devenue un essaim de lucioles flamboyantes qui volèrent rapidement autour des soldats de la Rose Ardente.
- Je vous présente /Hotarubi/. Ne vous fiez pas à l'aspect inoffensif, messieurs. Ça brûle.
Les lucioles se rapprochèrent des visages découverts des chevaliers et le sourire d'Ace s'agrandit. Sentant comment cela allait se finir, Geralt attrapa Anaïs et lui masqua les yeux.
- /Hidaruma/.
Un claquement de doigt.
Un seul claquement de doigt du logia.
Et ce fut l'explosion.
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Thatch et Iorveth cachèrent les corps des hommes de la Rose Ardente qui montaient la garde devant l'amphithéâtre où avait lieu la réunion qui déciderait du destin du Nord.
- Je hais ces faux vertueux, grinça l'elfe en se redressant de là où ils avaient jeté les corps dans un égout.
- Ils sont peut-être pas les meilleurs des hommes, mais tu peux pas leur en vouloir d'avoir voulu faire leur job, pointa le vampire.
- Eh bien, il ne le faisait pas suffisamment bien. On peut y aller ?
La voix grincheuse de l'elfe disait qu'il n'avait plus de patience. Il était l'heure d'en finir.
Ils passèrent la porte pour se retrouver en haut d'une rangée de sièges, juste en face d'un escalier qui descendait droit devant une esplanade bien plus bas, où quelques mages négociaient avec les dirigeants en présence. Essayant de se faire discrets, ils descendirent pour se rapprocher et mieux entendre. De ce qu'ils percevaient, c'était Radovid qui menait la danse, mais à cet instant, c'était Natalis qui parlait :
- Ces dernières semaines, nous avons délibéré longuement à Wyzima pour savoir qui succèdera à Foltest. Et parce que nous ne savons point ce qu'il est advenu des deux derniers enfants de Foltest, nous n'avons pas pu arriver à un accord.
- Que cela ne vous plaise ou non, Jan Natalis, Temeria se doit de devenir mon protectorat, répondit Radovid. Et ce, dans le but de préserver l'intégrité du Nord. Seul moi possède le pouvoir et la puissance militaire, ainsi que politique, pour mettre fin à la lutte pour le trône entre les anciennes maisons. Je suis le seul apte, ici présent, à instaurer la paix de Gors Velen jusqu'à Ellander. Nous ne pouvons autoriser la division de cette nation en des minuscules provinces que sont les baronnies. Vous vous tenez entre le Nord et le Nilfgaard. Temeria doit rester forte et unifiée.
Le duo criminel trouva Marco assis dans le public quand Jan Natalis ouvrit la bouche pour répondre. Sa réponse, personne ne l'entendit, parce qu'avec un grand bang la porte de la salle de réunion s'ouvrit.
- Shisturei shimasu ! salua joyeusement Ace qui venait de faire son entrée avec encore la jambe levée. Nous avons une invitée de dernière minute à cette réunion.
Et il s'écarta, dévoilant Vernon qui marchait aux côtés d'Anaïs dont les cheveux avaient été rassemblés en chignon maintenu par les baguettes du Chat Noir. Geralt arriva en fin de cortège et ferma la porte derrière lui.
- Je vous prierais d'oublier tout ce que j'ai pu dire durant cette réunion, s'il vous plaît, demanda Natalis en voyant Roche lui adresser un léger signe de la tête pendant qu'il descendait avec Anaïs.
La fillette jeta un œil par-dessus son épaule à Ace qui lui adressa un signe encourageant de la tête, avant que l'enfant ne regarde de nouveau devant elle. Si Radovid l'avait pu, il aurait tué dans l'instant la fillette qu'il foudroyait du regard avec haine. Roche s'arrêta devant Natalis, le salua comme le bon soldat qu'il était, s'inclina devant Anaïs, puis s'éloigna pour disparaître dans la foule sur l'esplanade. L'enfant regarda autour d'elle, inspira profondément, carra les épaules, et affronta le regard du jeune souverain de Redania.
- Anaïs La Valette possède du sang royal dans ses veines. Elle est la parfaite héritière au trône de Temeria, annonça Jan à l'assemblée en présence.
- Cet enfant est un bâtard, pointa très justement Radovid.
- Cette fillette ira à Wyzima et sera présentée à la noblesse. Elle est certes trop jeune pour diriger, mais nos lois de succession ont de quoi remédier à cette situation.
Pendant ce temps, Ace et Geralt avaient rejoint Vernon dans la foule et observaient en silence la discussion entre les deux camps.
- Elle a vraiment une chance de s'asseoir sur le trône ? s'enquit à voix basse Geralt.
- Natalis ne laissera personne lui faire du mal. Nous avons fait tout ce que nous pouvions, répondit Roche avec un soupir.
Ace se mordit un ongle et jeta un œil par-dessus son épaule en direction de Marco un peu plus haut. Il lui fit un signe de tête disant clairement « plus tard », avant de rapporter son attention sur les délibérations.
Un soldat de la Temeria s'avança et offrit sa main à la fillette pour lui proposer de la mener jusqu'à leurs quartiers. Mais l'enfant refusa.
- Je suis la future souveraine de la Temeria. Je dois rester ici et voir ce qu'il se passera ensuite, apprit la petite Anaïs. Même si je ne comprends pas tout aujourd'hui, demain, j'aurais l'occasion d'apprendre. Et j'apprendrais bien plus en voyant les choses qu'en laissant les autres me les rapporter.
- Je suis tellement fier de son éducation à cette petite, fit semblant de sangloter Ace en dépit de son immense sourire.
- Elle a du cran, je l'admets. Elle fera une bonne reine, admit Roche.
Le chapitre sur la Temeria était fini.
A présent, les regards s'étaient posés sur Saskia qui était restée dans son coin en silence, pas très loin de Sheala qui était elle aussi sur l'esplanade avec d'autres mages et magiciennes.
- Aedirn ne contrôle pas la Vallée du Pontar, votre majesté, informa la guerrière. Vergen est une ville libre.
- Libre ? répéta Radovid avec un soupçon de moquerie. Et qu'est-ce que cela signifie ?
- La région de Lormark n'appartient pas à Kaedwen et ne fait plus non plus partie d'Aedirn. Prince Stennis, paix à son âme, a depuis longtemps perdu son autorité sur nous.
- J'ai cru comprendre, oui…
- Nous avons infligé une incroyable défaite au roi Henselt qui est malheureusement mort devant nos remparts.
- Soyons honnête, ma chère, mais vos forces ne sont qu'un amas de paysans rebelles et de brigands elfiques. Tôt ou tard, ils devront prêter allégeance à quelqu'un, ou alors, ils seront vaincus et se disperseront.
- Ils ont déjà une allégeance. Moi. Reine Saskia.
Sur son siège, Marco croisa les bras et se laissa aller en arrière. C'était la preuve que Saskia n'était plus aux commandes. Elle avait embrassé à bras le corps l'idée de république. De démocratie. La royauté, ce n'était pas dans leurs ambitions. Ou leurs plans.
- En tant que territoire indépendant, nous nous prononçons en faveur de la reconstitution du Conseil et du Conclave.
Clairement, Radovid était de mauvaise humeur et Saskia était la cible parfaite pour ses moqueries, son ironie et sa méchanceté :
- Tu es adorable, demoiselle, mais tu es issue de la populace. La seule couronne que tu es digne de porter, elle est en fleur sauvage, pas en or. Et la Redania ne reconnaîtra sous aucun prétexte votre couronnement.
- Eh bien, il va vous falloir choisir, roi Radovid. Attaquer la Temeria pour empêcher le couronnement d'une enfant de sang royale, ou alors, marcher sur la Vallée du Pontar ? Henselt, dernier descendant de la lignée de la Licorne, est mort devant nos murs parce qu'il a eu l'ambition de nous attaquer. Philippa Eilhart en est témoin. Souhaitez-vous suivre cet exemple et vous aussi tomber devant nos murs ?
- Intéressant, parce que Philippa Eilhart est dans mes donjons et elle attend son jugement pour trahison.
Iorveth et Thatch échangèrent un regard et le vampire eut une grimace. Pas tant que ça en prison, la magicienne. Saskia continua de sourire et de répondre toujours avec calme à Radovid :
- Elle était dans vos donjons. Ce n'est plus le cas. Et elle sera à Vergen en tant que ma conseillère royale.
- Si ça arrive, tout notre travail à Vergen aura été vain, grommela Iorveth.
- Vous avez trouvé ce qu'il faut pour le désenchantement, yoi ? se renseigna Marco.
- Oui, répondit Thatch en lui passant une dague qu'il avait enveloppée dans du tissu pour ne pas attirer l'attention.
Ils ne parlèrent pas plus parce qu'un mage s'avança avec des documents en mains, attirant l'attention de tous sur lui.
- Ces sujets étant clos, nous pouvons nous concentrer sur la raison principale de la présence de chacun en Loc Muinne.
Derrière le mage, toujours adossé à une muraille avec les bras croisés dans un apparent désintérêt, les yeux de Sheala brillaient étrangement pendant qu'elle fixait son confère. Celui-ci, ignorant l'attention qu'avait pour lui la magicienne la plus crainte de cette ère à son égard, il continua sa mission :
- Ces documents décrivent la charte du Conseil et du Conclave qui est, comme nous avons pu le confirmer, une exacte copie de la charte que nous avons retrouvée dans les ruines de l'île Thanned. La question la plus importante se rapporte au Conclave et son pouvoir pour désigner des conseillers royaux. Aujourd'hui, des mages et magiciennes choisies de façon hasardeuse résident dans de nombreuses cours. Cependant, à l'époque du précédent Conclave, ces personnes étaient choisies avec un soin tout particulier.
Un autre mage s'avança, récupéra les documents et les apporta à Radovid qui les parcourt en premier puisqu'il était la seule tête couronnée dans le lot (Anaïs ne l'était pas encore et on refusait de reconnaître les actes de Saskia). Le roi lut rapidement la première page avant de relever le nez pour s'adresser au maître de cérémonie. Clairement, le contenu du papier ne l'intéressait pas.
- Pourquoi ne pourrions-nous pas choisir nous-mêmes nos propres conseillers ?
- Ces individus devront endosser une énorme responsabilité, votre Majesté. Le Conclave se doit de s'assurer que les élus soient plus compétents pour cette tâche.
- Et qu'elles garderont les intérêts du Conclave à l'esprit… compléta le jeune souverain.
- Bien évidemment, Seigneur, puisque l'intérêt principal du Conclave est la prospérité et la bonne santé des Royaumes du Nord. Le document a été signé par tous les membres que nous voudrions voir siéger au Conclave, ainsi que celles de presque tous les conseillers que nous avons déjà sélectionnés. Il ne manque plus que celle de Sheala de Tancarville.
- Sans l'approbation et le sceau royal, vous ne devriez pouvoir désigner des conseillers que pour des troupeaux de vaches, au mieux.
Le mage inclina la tête. S'il y a deux choses qui étaient communes entre Ban Ard et Aretuza, c'était l'étude de la magie et de la politique. L'homme savait donc comment parler à un souverain. Au minimum pour garder la tête sur ses épaules encore quelques minutes.
- C'est vrai, votre Majesté.
Avant que quiconque ne puisse renchérir ou faire une remarque, une voix s'éleva dans l'amphithéâtre à ciel ouvert :
- Sheala de Tancarville ne devrait pas être autorisée à signer ce document !
Les têtes se retournèrent vers le haut de l'escalier. Tout en haut, Triss Merigold de Maribor se tenait en compagnie de Shiva qui avait masqué ses oreilles pointues sous le bandeau de ses cheveux. Consciente de l'attention de tous, la rousse adressa un signe de tête à la brune avant de descendre les marches à pas rapide.
Quelque chose avait changé dans son regard. Ce n'était plus la conseillère royale, calculatrice et froide qu'Ace détestait. C'était une femme trahie qui avait l'intention de régler ses comptes avant de prendre un nouveau départ.
- Vous vous décidez à vous joindre à nous, finalement, Triss Merigold de Maribor, nota le mage qui menait les discussions.
La magicienne finit par arriver sur l'esplanade. Elle eut un maigre soupir rassuré en voyant Anaïs aux côtés de Natalis avant de reprendre sa façade froide et de se tourner vers Radovid. Elle exécuta une brève révérence avant de se relever et d'aller droit au but, sachant que tout le monde voulait qu'elle s'explique. Dans son coin, le regard de Sheala s'était fait menaçant. Triss sentait la sueur froide roulait dans sa nuque. Philippa était peut-être une salope manipulative, mais en termes de pouvoirs et de magie, Sheala était la plus terrifiante. Quand elle parlait, quand elle menaçait, tout le monde se taisait et écoutait. Parce qu'on ne rigolait pas avec elle. L'ex-conseillère royale s'était mise dans la ligne de mire de sa consœur la plus dangereuse. Et ce volontairement. Mais elle n'avait pas l'intention de reculer.
- Je suis ici pour faire tomber les masques et dévoiler la vérité au grand jour ! annonça d'une voix forte Triss. De Tancarville a du sang royal sur ses mains. Elle ne doit pas avoir le droit de siéger au Conclave !
- C'est un mensonge, répondit avec un calme froid l'accusée.
- Avez-vous des preuves pour supporter vos accusations, Merigold ? demanda Radovid.
Triss se tourna vers l'escalier et Shiva le descendit à son tour en brandissant un cristal de roche bien particulier entre ses mains : le rêve de Letho. Elle s'arrêta en silence à côté de Triss et ne bougea que pour adresser un regard à Ace qui avait commencé à enflammer sa main. Ce simple regard rassura le D. qui éteignit les flammes. Shiva agissait volontairement, Merigold ne la contraignait pas par magie.
- Nous avons nombres de témoins pouvant confirmer que Tancarville est derrière l'assassinat de Demavend III d'Aedirn. Et surtout, Yn Toredig* a entre ses mains un lien tangible entre l'assassin de Demavend et Sheala de Tancarville. Ce qu'elle tient n'est nulle autre que le rêve cristallisé de Letho de Guletta, qui, en plus de ça, est l'assassin du roi Foltest, ce qui pourrait laisser supposer que De Tancarville a aussi un lien avec la mort du souverain de Temeria.
- Je peux diffuser ce rêve volé à quiconque le désire. Dois-je le faire ? proposa Shiva avec une voix tellement douce qu'on ne pouvait s'empêcher de refouler un frisson de paranoïa.
- Cela sera utile plus tard, intervint Radovid d'un ton sévère.
Et il se tourna vers le maître de cérémonie.
- Que les officiers du futur Conseil et Conclave arrêtent Sheala de Tancarville afin de la juger. Si Triss Merigold dit la vérité, Dame de Tancarville sera condamnée à mort.
Triss croisa les bras et fixa froidement Sheala. Son regard disait clairement « vous avez voulu jouer avec moi, maintenant, bouffer les conséquences ».
Ce que personne n'attendait, ce fut l'arrivée d'une escouade de la Rose Ardente. Un peloton de dix soldats de l'église du Feu Éternel descendit les marches dans leur armure pourpre. Leur objectif était facilement devinable. Le maître de cérémonie se tourna vers sa consœur et lui annonça la décision qui brisa les projets de la Loge :
- Sheala de Tancarville, jusqu'à ce que les propos de Triss Merigold de Maribor soient réfutés ou abandonnés, vous ne pouvez pas siéger au Conclave.
Radovid fit un geste pour les chevaliers de la Rose Ardente en direction de la magicienne.
- Arrêtez-la.
Le mage recula, laissant sa collègue seule face aux arbalètes des hommes armés.
- Vous ne savez pas toute la vérité, leur dit froidement Sheala. Merigold ne sait pas de quoi elle parle.
- Peut-être pas, mais elle a un gros soupçon, lui dit Shiva en poussant le vice jusqu'à lui tirer sa langue de serpent.
Marco fronça les sourcils et observa la foule avec attention. Il se leva subitement, attirant l'attention de Geralt, Ace et Shiva. Pour le coup, Triss se retourna pour le regarder.
- /Où est la dragonne ?/ demanda le médecin.
Les yeux des pirates et de l'Écureuil s'arrondirent d'effroi en comprenant la question. Saskia avait disparu.
Mais elle n'était pas allée bien loin, puisque peu après, avant qu'on ne puisse procéder à l'arrestation de Sheala, la dragonne apparut sous sa forme naturelle, dominant tout le monde depuis le ciel. Elle atterrit en chevauchant le mur dans le dos de la magicienne qui n'avait même pas eu un battement de cil à cette intervention. La gueule pleine de crocs s'ouvrit en grand et abreuva la foule de ses flammes.
- ANAÏS !
Ace fonça dans les flammes, attrapant la fillette au passage et la protégea de sa carrure, une main tendue vers le brasier. Le feu se condensa en un long serpentin qui s'enroula rapidement autour du bras du logia, sauvant quelques vies au passage. Cependant, cela avait créé une ouverture suffisante pour laisser le temps à la dragonne d'attraper délicatement Sheala dans sa patte avant. Elles s'envolèrent à quelques distances de là, le temps que Saskia dépose la magicienne sur une tour, avant de s'en aller et de revenir pour un second service.
- Princesse ! appela Natalis en se relevant de là où il s'était abrité derrière un siège.
- Je vais bien ! répondit Anaïs en émergeant de derrière le bras d'Ace.
- Shiva ! Dis-moi qu'on peut sortir d'ici ! appela le D. en surveillant la dragonne.
- Impossible, Tancarville a dû préparer un dispositif qui coupe la magie de tout le monde, outre la sienne, voire celle de Eilhart, en cas de souci, ragea Shiva qui se retenait de se transformer en réflexe à la situation de danger.
- Il faut forcer Sheala à s'éloigner de Loc Muinne ! cria Merigold. Si on arrive à l'avoir, à la neutralisé, alors, on pourra fuir !
- Je m'occupe du feu ici, que quelqu'un prenne Sheala ! lança Ace.
Marco fonça vers son époux et le D. poussa Anaïs vers lui.
- Tu seras en sécurité avec lui, ici, ça va devenir vite difficile.
Anaïs eut un air incertain avant que le D. n'embrasse brièvement son homme avant de foncer un peu plus loin dans la fournaise, ne laissant plus vraiment le choix à son Enfant Surprise que de suivre Marco.
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Geralt avait réussi à sortir de l'amphithéâtre. A présent, il courrait en contournant la ville par l'extérieur pour rejoindre la tour d'où se tenait Sheala. Il entendait sa voix dans sa tête, lui conseillant de faire demi-tour, le menaçant des pires conséquences. Et pour instrument, elle avait Saskia qui plantait son museau ou ses pattes au travers les murs de la tour qu'il escaladait à présent, afin de l'empêcher d'atteindre la magicienne. Il était vraiment reconnaissant de son Haki dans ce genre de situation, parce que cela lui permettait de rester en vie et éviter d'être transformé en rôtie par les flammes de la dragonne.
En arrivant enfin au bout de l'escalier, il constata qu'il était dans les appartements de la magicienne. Elle était au milieu de son mégascope qui luisait de magie. Il était trop tard, elle était sur le point de fuir.
- Tôt ou tard, tu devras affronter les conséquences de tout ça. Et quelqu'un finira par te trouver si on le motive assez. J'entends par-là une grosse prime, lui dit Geralt.
- Je préfère partir de la façon qui me plaît.
- Où est Letho ?
- Saesenthessis s'occupera de lui quand il aura refait surface, tout comme elle se chargera de cet insolent garnement avec une couronne qui croit pouvoir me juger.
- Je t'ai posé une question.
- Et je n'en sais rien, imbécile ! Je suis à sa recherche depuis la mort de Foltest ! Cela me fait mal de l'admettre, mais il s'est joué de tout le monde. Il a bien joué son rôle avec son visage sans expression et son regard de limace. Tu ne peux pas comprendre le tableau. Oui, je l'admets que la Loge a cherché à faire tuer Demavend. Mais il était faible, volatile. Aedirn aurait fini par mourir étouffé sous son règne. C'est en partie de ta faute si notre meilleure option n'a pas pu être mise en œuvre. Cirilla était parfaite dans notre plan. Sans elle, nous avons dû nous rabattre sur cette solution.
La colère se mit à rugir dans les veines de Geralt. Il se souvenait de la dispute durant le banquet de l'année dernière. Ciri devant concevoir un enfant magique avec Tankred Thyssen pour les plans de la Loge. A cet instant, Triss avait reproché à Ace de s'occuper de ce qui ne le regardait pas et de parler de chose dont il ne savait rien, mais il était clair que le Chat Noir avait dit quelque chose qui n'aurait pas dû être su de tout le monde. Avant que sa colère ne puisse sortir, Sheala reprit :
- C'était le moindre mal. Il devait être éliminé. Et nous avions Letho a porté de main au bon moment.
- Eilhart a encouragé la mort de Henselt au travers Saskia et Letho a tué Foltest aussi.
- Nous n'avons rien à voir avec cela ! se défendit Sheala. Après l'assassinat de Demavend, Letho devait utiliser notre magie et notre or pour se cacher auprès de Iorveth jusqu'à ce que l'affaire se tasse, du moins, c'est ce que l'on pensait. La Loge ne voulait pas la mort de Foltest !
- Qui alors ?
- Nilfgaard.
Celle-là, Geralt ne l'avait pas vu venir, mais c'était assez logique dans un sens. Il n'y avait que deux personnes à qui cela arrangerait de voir mourir les souverains du Nord et s'assurer qu'aucun Conclave ne revoit le jour. Radovid détestait bien trop les non-humains pour confier une tâche pareille à un sorceleur. Mais les Nilfgaardiens n'avaient pas les mêmes préjugés.
Letho avait bossé pour Emhyr var Emreis. Il s'était foutu de la gueule de tout le monde.
- Des preuves ? demanda Geralt en cherchant à gagner du temps.
Quelque chose se passait avec le mégascope, il en avait l'impression. Et Sheala ne l'avait pas encore remarqué. S'il gagnait du temps, il pourrait voir quelque chose d'intéressant.
- Juste avant la réunion, j'ai reçu un message d'un agent de la Loge en poste à Cintra. L'armée Impériale traverse la Yaruga au moment où l'on parle. Tu penses que le Nord peut se défendre dans l'état actuel des choses ? Ou alors, espères-tu un nouveau miracle, comme à Brenna ?
- Je n'en sais rien et je n'ai pas d'opinion sur la question. Ce que je sais, c'est que tu as participé en partie à ce qu'il se passe et que pour le coup, tu vas te retrouver avec une plus grosse étiquette de traîtresse qui te poursuivra pendant longtemps. Tu as rendu tout cela possible.
- Personne ne quittera cette cité en vie. Personne ne pourra raconter ce qu'il s'est passé.
- Là, tu te trompes.
- J'en doute. Philippa contrôle le dragon. Et dès que je serai partie, cette cité sera un enfer de flammes.
Geralt secoua la tête.
Aucun risque avec les flammes, Ace avait un parfait contrôle dessus. Le tout était qu'il fallait calmer Saskia vite, sinon, le D. finirait par perdre pied avec la réalité et là, ils auraient un autre problème.
- Nous avons peut-être perdu cette bataille mais ce n'est que le début de la guerre. Et j'ai bien peur, sorceleur, que tu n'y participeras pas. Ici est ta fin. Adieu.
Au lieu d'ouvrir un portail ou de la téléporter ailleurs, elle se mit à gémir et à se tordre de douleur, pulsant de magie de l'intérieur. Clairement, elle souffrait.
Geralt se retourna pour voir Shiva surgir de l'escalier et se jeter sur le mégascope pour se saisir d'un de ses diamants. Dès le contact avec l'objet, sa tignasse noire redevint longue et blanche, la laissant haletante avec une main en sang autour du cristal. Sheala tomba à genoux sur le sol, un peu de sang coulant de sa bouche et de son nez.
- Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda Geralt à l'elfe.
- Le diamant était défectueux. Un sabotage, informa l'elfe.
Elle s'avança vers la magicienne qui leva un regard farouche vers elle.
- Je ne t'ai sauvé la vie que pour une raison. J'ai vu ta mort. J'ai vu ta souffrance, ton humiliation. Et entre nous, je la savoure d'avance, sourit froidement la zoan. A toi de saisir le temps qui t'est offert pour empêcher cette vision de se réaliser.
- Dire que si j'ai rejoint la Loge, c'est parce que Philippa m'a persuadée que c'était pour forger un meilleur futur pour la magie et les hommes, cracha la magicienne.
Elle ouvrit un Portail tremblant et se jeta au travers.
Shiva fit sauter le diamant dans sa main avec satisfaction.
- Tu es venue juste pour ça ? se renseigna Geralt.
- Non. Je veux trouver l'origine de ce qui coupe la magie des autres, dont la mienne. Pour ta gouverne, j'ai beau avoir des ailes et être grande, je reste un serpent. Saskia peut aisément m'avaler, tu m'excuseras de ne pas vouloir m'approcher de ses mâchoires. Comme…
Shiva tira sur un côté Geralt, lui faisant esquiver la tête de la dragonne quand elle détruisit un mur pour les atteindre. A vouloir rester un maximum à l'abri, ils attirèrent plus loin à l'intérieur leur adversaire qui finit par briser le sol de l'étage avant de s'en aller. Geralt se rattrapa au bord du trou juste à temps pour ne pas faire une chute et attendit que la poussière retombe pour voir s'il pouvait localiser Shiva. Il la vit allongée plus bas, à moitié masquée par ses ailes, juste en bas des escaliers à moitié effondrés désormais.
- Tout va bien ? appela le sorceleur.
- J'ai connu mieux, répondit la zoan en se relevant.
- Je vais gérer Saskia.
Et il escalada l'ouverture. S'il voulait affronter le dragon, il avait besoin d'un espace ouvert. C'est pour cela qu'il se retrouva vite sur le toit. La dragonne répondit au défi et vint se mesurer à lui, s'agrippant au bord de la tour pour lui donner des coups de pattes et de mâchoire qu'il parait avec son glaive. Elle finit par reprendre son envol et tourner un instant autour de la tour, cherchant un angle pour réattaquer.
Mais le mutant était prêt.
Quand Saskia fut à sa portée, il sauta sur elle et planta son arme dans sa nuque. La lame pénétra le cuir et les écailles bien assez pour s'y coincer, mais pas suffisamment pour être dangereux pour la vie de la créature. En rugissant, elle se cabra de douleur avant de s'envoler au loin, vers la forêt dont avait parlé Iorveth à leur arrivée. Pendant qu'elle volait, elle roula sur elle-même dans l'espoir de se débarrasser du sorceleur, mais il resta agrippé à son glaive. Avec précaution, il ajusta sa position pour plaquer ses pieds sur le long cou de sa monture de fortune et se libéra une main pour attraper le crochet qui pendait généralement de sa ceinture et qu'il utilisait pour les trophées pas trop encombrants. Il le décrocha et se jeta vers l'avant pour chopper avec l'orbite de l'œil gauche, avant de tirer de toutes ses forces. Saskia rugit de nouveau. Avec la tête ainsi attirait vers l'arrière, impossible de voir où elle allait ou même de voler droit.
Résultat prévisible, ils se crashèrent.
Ils percutèrent d'abord les arbres, puis la roche et la poussière. Avec trop d'élan et de vitesse, la dragonne ne contrôlait plus rien. Geralt fut envoyé valdinguer plus loin, pour finir à moitié sonné. Saskia venait de pousser un énorme hurlement mais il avait la tête qui tournait trop pour s'y attarder.
Quand tout retomba, il se redressa, se tenant le crâne dans une main.
Saskia gémissait toujours, son immense corps de dragon immobilisait par un fait simple : dans sa chute, elle s'était empalée sur un tronc d'arbre à moitié brisé. Geralt tourna la tête en direction de la ville tout juste visible. Il ramassa son glaive d'argent qui s'était décroché dans la chute et fixa la boule de feu bleuté qui venait vers lui à toute vitesse.
Marco ne prit même pas la peine de se poser. Il se changea en plein vol et finit accroupie sur le sol, quelques flammèches se dispersant encore sur son corps.
- Aide-moi à la dégager. Elle va aggraver les choses si elle continue de se débattre, demanda Geralt.
Il ne fallait pas le dire deux fois au Phénix et les deux hommes coururent rejoindre la dragonne qui commençait à se résigner de son sort. Elle ouvrit un œil en sentant les deux hommes lui caresser le front d'un geste rassurant, avant que le médecin ne sorte une dague gravée de runes de sa ceinture et ne l'applique contre le front de sa protégée. L'objet émit une lueur orangée et pulsa. Une fois. Deux fois. Puis, des serpentins de lumières se dispersèrent sur le corps tout entier de la dragonne qui secoua la tête et étendit les ailes.
- A trois, dit Geralt alors que Marco rangeait l'arme.
Les deux hommes se mirent contre le corps de la dragonne et comptèrent. A trois, ils poussèrent difficilement, et en s'aidant de ses ailes et de ses pattes, Saskia parvint à se dégager du tronc d'arbre. Elle retomba rapidement sur ses quatre pattes et baissa son museau vers eux, avant de finalement reprendre forme humaine. Là, le médecin s'avança et l'aida à s'asseoir. Geralt vint l'assister pour retirer l'armure de la femme afin de libérer la plaie.
- Aucun geste brusque, Saskia, le temps que je te soigne, yoi.
- Je vais guérir vite, gémit la dragonne.
- On doit reparler du glaive d'argent que j'ai retiré de ta bouche ?
- Ce devait être une agréable expérience, commenta Geralt en s'écartant pour laisser plus de place au médecin.
- Pour laquelle je ne te remercie pas, yoi.
Le blond chaussa ses lunettes, examina les plaies et posa ses mains dessus. Des flammes turquoise dansèrent rapidement dessus. Saskia inspira profondément et sa posture se détendit.
- Philippa a profité de tout ce qu'il s'est passé pour fuir, et ne parlons pas de Shiva qui a décidé de laisser Sheala s'en aller. Deux personnes qui connaissent le secret et qui peuvent l'utiliser contre vous tous, annonça Geralt.
- Rien que je ne peux gérer, rassura la guerrière en retenant une grimace.
- Tu vas la poursuivre ?
- Non. Si même le Chat Noir n'a pas réussi à l'attraper, essayer ne sert à rien. Je laisse au destin décider de si on doit ou non se rencontrer de nouveau. Si Shiva a laissé partir Tancarville, j'ai foi en elle et je sais qu'elle l'a fait parce qu'il n'y avait aucun risque pour notre cause.
- Pas de crainte qu'elle essaye de reprendre le contrôle ?
- Oh non. Eilhart m'a eu une fois. Pas deux. Et je sais des choses sur elle. Bien plus qu'elle ne le voudrait. Des choses que je laisserais volontairement entre les mains de Portgas si Philippa ne garde pas le silence à mon sujet. Quelque chose qui pourrait la détruire en un instant.
Elle regarda Marco, adressant visiblement ses paroles au blond :
- Même si je partage votre douleur et votre mal à tous les deux, et que je serais prête à vous aider dans votre quête, c'est ma seule protection.
- Villentretenmerth serait si fier de toi. Ne t'en fais pas. Même si Ace râlera certainement, il comprendra.
- Une connaissance commune, on dirait. J'ai déjà eu l'occasion de discuter avec ce dragon, pointa Geralt.
Un pauvre sourire apparut sur le visage de Saskia.
- C'est mon père.
Ah.
Cela expliquait l'étrange coloration de la forme naturelle de la dragonne, en plus de sa taille imposante, sans parler de sa capacité à prendre forme humaine. Elle avait le sang d'un dragon doré dans ses veines. Ce n'était pas rien.
- Je croyais qu'il ne pouvait pas avoir d'enfant, se remémora le sorceleur.
- Il le pensait aussi jusqu'à ce que je sois là.
Elle réprima un gémissement de douleur quand Marco déplaça ses mains.
- C'est dans ce genre de situation que je tuerais pour de la morphine. Ou de l'opium, yoi, soupira le Phénix. C'est bientôt fini, alors, serre les dents. Geralt, les questions attendront qu'elle soit en meilleur état, s'il te plaît, yoi. Ne fait pas parler quelqu'un qui a une telle blessure à la poitrine.
Le Loup Blanc haussa des épaules. S'il avait bien saisi une chose, c'était que l'homme prenait son devoir de médecin au sérieux et pouvait devenir violent si on allait contre son objectif.
- Vous êtes au courant que Nilfgaard a traversé la Yaruga ? se renseigna Geralt en se tournant vers le médecin.
Le blond s'arrêta un instant, avant de reprendre ses soins.
- Cela pourrait faire référence aux visions de Shiva. On s'y attendait. Même si miss naïve pense qu'on peut se défendre de l'empire, j'en doute. C'est pour ça qu'on a un atout dans notre manche, yoi. On discutera avec lui et il se devra d'accepter nos conditions. Parce que ça serait payant pour lui de dire oui.
- Je serais presque tenté de demander ce que tu vas mettre sur la table, mais je pense que le temps me le dira. Il est temps que je reprenne la route. Je présume qu'Ace ne sera pas cet hiver à Kaer Morhen.
- Beaucoup de facteurs vont jouer. Dont la guerre en approche. Le temps de voir la république mise en place et bien implantée dans le Lormark, nous resterons à Vergen. Après… On verra, yoi. Mais on se reverra, c'est certain.
- Alors à une prochaine fois.
Geralt tourna les talons et prit la route vers Loc Muinne qui fumait encore à l'horizon.
- Vous serez toujours un invité à Vergen. Et j'insiste sur invité, dit Saskia.
Elle grimaça quand Marco lui mit une tape derrière la tête pour avoir parler alors qu'elle avait pour consigne de se taire. Le Loup Blanc s'arrêta dans sa marche et tourna la tête vers elle.
- Je garde ça en mémoire, mais je ne suis jamais plus qu'un visiteur dans les villes. Va fail.
Il reprit sa marche.
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Pendant ce temps, en ville, maintenant que la panique était passée, c'était le temps de rendre des comptes. Un commandant de la Rose Ardente avait obtenu tous les noms des membres de la Loge en fouillant dans les quartiers de Philippa. Il s'approcha d'un mage et les lui mit sous le nez.
- C'est la liste des membres de cette Loge des Magiciennes ? se fit confirmer le magicien.
- C'est la liste de toutes les catins que tu vas nous aider à trouver, rectifia froidement le chevalier.
Ailleurs, quelques nobles et soldats furent exécutés sommairement afin de mettre fin à des conflits internes et externes. Les corps furent rapidement traînés des quatre coins encore debout de la ville pour être réuni à un grand tas. Alors que les délégations s'en allaient, un mage se chargea de l'incinération des cadavres avant de refermer par magie les portes de la cité.
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Le Loup Blanc arrêta sa marche sur le chemin à quelques centaines de mètres des portes de la ville. Il voyait l'entrée close. Il chercha autour de lui pour une autre issue dans le silence presque pesant des environs. Son regard tomba sur un coin abîmé de la palissade de pierre. Il marcha dans cette direction en arrangeant ses gants et l'escalada.
Une main lourdement gantée d'une mitaine apparut dans son champ de vision quand il arriva au sommet. L'alliance et les fers enroulés au poignet confirmaient ce que le Haki et le nez de Geralt racontaient. Il lui suffit de lever les yeux pour voir Ace accroupi au bord du vide. Sans un mot, il accepta l'aide et se hissa sur le sol de la ville. Triss fonça immédiatement sur lui et l'enlaça, clairement rassurée de le voir là. A proximité immédiate, on avait Iorveth qui avait clairement hâte de lui poser quelques questions tout en jetant des regards inquiets qu'il voulait discret à Shiva. Pas très discret si on en croyait l'air à la fois agacé et résigné de la voyante. A peine plus loin, très étonnamment, on avait Roche. Il se tenait immobile, les bras croisés. Presque surprenant qu'il ne soit pas en train de se battre avec l'elfe. Ou le vampire, parce que Thatch n'était pas loin non plus, regardant les délégations royales s'en aller au loin depuis le sommet d'un morceau encore intact de la muraille.
- Comment va la dragonne ? demanda Iorveth.
- Notre combat lui a infligé quelques blessures, notamment durant l'atterrissage. Un arbre s'est empalé dans sa poitrine. Marco est déjà sur place. On a fait sauter l'enchantement. Elle va s'en sortir. Elle a le meilleur médecin du Nord à son chevet…
À ce commentaire, Ace et Thatch échangèrent un sourire, gonflant visiblement de fierté qu'on complimente Marco.
- … et je sais que l'air des montagnes est bon pour les dragons. Elle va bien s'en remettre, tu peux en être certain.
- Tu es l'humain le plus noble que je n'ai jamais connu, Gwynbleidd, souffla le Scoia'tael qui était clairement soulagé.
- Ce qui tombe mal, parce que je ne suis pas humain.
- Je suis heureux que tu me le rappelles, parce que ma haine pour cette race a failli s'apaiser pendant un instant.
- Donne quelques années à Anaïs et elle te donnera une petite raison pour croire qu'il y a de l'espoir pour l'espèce humaine, lui dit sèchement Shiva.
- En parlant d'elle, comment se porte-t-elle ? se renseigna Geralt en regardant tour à tour Ace et Roche.
Pour une raison inconnue, cela fit rire Thatch alors que le D. croisait les bras d'un air grognon. C'est Roche qui lui donna des réponses :
- Elle est en sécurité et elle est bien partie pour devenir une femme coriace comme l'étaient Bienvenu la Louve ou Calanthe la Lionne de Cintra. Le vieux Natalis a voulu lui offrir une poupée… devine ce qu'elle lui a répondu ?
- Vu la comparaison, je présume que ce devait être cinglant.
- Elle lui a dit de garder ses jouets, que ça faisait longtemps qu'elle avait abandonné ses poupées pour les armes. On n'aura pas une reine postiche, c'est certain. Elle est déjà en train de préparer les réformes qu'elle veut faire passer une fois qu'elle sera sur le trône. Et vu ce que j'ai entendu, Thaler et moi, on va avoir un putain de boulot monstre pour la garder en vie.
Et contre toute attente, il adressa un étrange sourire à Ace qui ferma les yeux avec résignation.
- Mais vu le nom qui a été avancé comme maître d'arme pour la future reine, je pense qu'on aura tout de même une paire de bras en plus pour la protéger. Et Velerad a tout intérêt à filer droit.
Comprenant le sous-entendu, Geralt fixa son camarade en levant un sourcil alors que Triss se retenait de rire aux dépens du D.
- Toi ? Maître d'armes royale ? En voilà une position confortable.
- Pitié ! Je devais suivre tout le monde pour retourner à Vergen et me voilà obligé de me cloîtrer à Wyzima ! J'en ai soupé de la capitale pendant l'affaire de la Salamandre, merci ! Et t'avise pas de raconter ça à Lambert, il serait capable de se foutre de ma gueule et de mon statut de chat domestique royal !
- Entre toi qui lui apprendra les armes et Natalis qui lui enseignera l'art de la guerre… je peux dire avec certitude que nous allons avoir une bonne reine. Et j'ai cru comprendre qu'il y avait de la place à la cour pour un médecin, marmonna Roche.
- Marco refusera, répondirent en cœur les pirates. On ne met pas en cage un oiseau.
- Et je pense pas que tu resteras longtemps à Wyzima. Avant de fuir, Sheala m'a dit que Nilfgaard a traversé la Yaruga, annonça le Loup Blanc.
- Encore ?! Mais il n'en a jamais assez cet empereur de merde ! s'indigna Vernon.
Triss eut une brutale inspiration, comme si elle venait de comprendre quelque chose.
- Sheala dit aussi que Letho, notre tueur de roi, travaillait en priorité pour Emyr, confirma son amant.
- Sans tête couronnée, on ne peut pas lever une armée, ou alors, difficilement, grinça Roche en se mettant à faire les cents pas en mordillant son pouce ganté. Et si on sème le doute sur les mages, c'est affaiblir un peu plus les forces du Nord, avant de l'attaquer. C'est sournois et très bien pensé.
Il s'arrêta et se tourna vers Iorveth. Il soupira et croisa les bras avant de parler :
- Je sais pas ce que tu visais en aidant cette Saskia, mais ça tombe à l'eau.
Iorveth le fixa de son œil unique et se contenta d'esquisser un sourire moqueur. Shiva jeta un regard noir au Scoia'tael, clairement lasse, avant de s'adresser au Commandant des Stries Bleues:
- Cela faisait partie des futurs possibles que j'ai entrevus. Nous avons donc pris nos précautions pour nous assurer que Vergen ne tomberait pas comme ça. La République de Lormark ne tombera pas. Tu as suivi mon conseil, je le sais.
Vernon fronça les sourcils, sans comprendre.
- Je suis l'autrice du message que t'a remis Marco.
- Pourquoi l'aider ? demanda Iorveth en fronçant les sourcils.
- Parce que c'est un homme intelligent et qu'il peut aider le moindre mal à gagner.
Elle s'avança vers l'humain.
- Avant de croire Radovid sur parole, arrête-toi un instant et demande-toi ce que ça lui apporterait. Et surtout, ce qu'il adviendra de toi et de ceux que tu protèges si tu l'écoutes. Garde un œil ouvert, le pire avec les fous, c'est que les plus dangereux sont ceux qui paraissent sains d'esprit. Je l'ai appris durant mes vacances à l'asile de Flotsam.
Et elle se détourna.
- J'ai bien saisi pourquoi tu m'aidais, mais je ne comprends pas pourquoi tu ne me détestes pas. Je suis un humain et tu es une elfe, pointa le soldat.
Pour une raison étrange, Shiva se mit à rire avant de répondre :
- Que tu crois. Mais la raison principale est que sans les humains, je serais morte dans un caniveau, sans avoir eu le temps de comprendre et savourer ce que la vie pouvait me donner. Parce que là où ma caste voulait faire de moi un tas de chair bon à la guerre et à la reproduction, les humains m'ont offert l'amitié, le respect, la compassion. Je suis une victime du D. et je ne m'en porte pas plus mal.
- Oh ta gueule, grommela Ace.
- Pour revenir à Letho, coupa Geralt. Quelqu'un sait où il est ? Est-il venu à Loc Muinne ou on va devoir ratisser tout le Nord pour le trouver ?
- Il t'attend, lui dit Triss avec sérieux. Il nous a envoyé un messager signalant qu'il voulait te parler et qu'il était dans l'ancien campement des Temeriens.
Le sourcil de Geralt se leva.
- Je t'accompagne ? proposa Ace.
- Avec plaisir.
- Si tu ne te presses pas, on part sans toi, Portgas, avertit Roche.
- Eh bien, tu devras expliquer à Anaïs-chan pourquoi je ne suis pas là et je peux t'assurer que tu le regretteras.
Les deux sorceleurs se mirent en route, laissant le groupe derrière eux.
- C'est un miracle que Iorveth et Roche ne se soient pas encore entretués, commenta Geralt quand ils furent seuls.
- Triss a jeté un sort sur eux. S'ils se rapprochent trop l'un de l'autre ou s'ils prennent leur arme en présence de l'autre, la magie les empêchera de se battre, expliqua le D.
- Qu'est-ce qu'il s'est passé pendant que j'étais absent ?
Ace haussa les épaules avec lassitude.
- Le Nord dans toute sa splendeur. J'en ai pas vu beaucoup des conseils de paix, mais celui-ci est particulièrement foiré. Durant l'évacuation, il y a eu quelques combats qui ont éclaté. Des exécutions. Des règlements de comptes. Kaedwen et Temeria qui s'entendront toujours comme chien et chat. On a aussi la Rose Ardente qui a prouvé sa toute puissance en organisant le viol de deux magiciennes. Et ils auraient réussi si Thatch n'était pas passé par là, parce que les autres qui avaient essayé de les en empêcher ont été assassinés par nos amis en rouge.
- Des chances que le Conseil et le Conclave survivent ?
- C'est le fait qu'ils aient été officiellement établis qui a empêché que cela ne devienne un véritable massacre. S'ils vont survivre, seule Shiva le sait. Mais dans l'instant T, c'était la meilleure solution. Soit ça, soit on se retrouvait avec une nouvelle Loge. Viens, on va passer par en haut. Les mages encore présents nous ont bien fait comprendre qu'ils allaient sceller la ville une fois fini avec le nettoyage et qu'on n'était pas invités à rester longtemps. Ou du moins, pas vivants.
Geralt suivit le D. quand il commença à escalader un mur.
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Passer par en haut permettait de voir des choses intéressantes. Les mages à l'œuvre dans le nettoyage et la fermeture de la ville. L'éveil de vignes enchantées et de golems. Les restes des objets abandonnés par les soldats. Les corps qu'on brûle. Mais surtout, le silence de mort de l'endroit.
Finalement, ils arrivèrent sur un mur qui entourait ce qui avait été le campement de la Temeria en Loc Muinne. Depuis leur poste en hauteur, ils virent l'homme qu'ils cherchaient, assis au bord du bassin d'une fontaine depuis longtemps assécher, patientant calmement.
- Je vais lui parler seul à seul, dit Geralt.
- Comme tu veux. Au moindre souci, j'ai le fusil, donc, je lui collerais une balle dans le crâne, lui répondit le brun.
Il arrangea sa position pour être assez bien positionné afin d'avoir Letho dans son viseur. Le Loup Blanc se laissa tomber dans le campement et marcha vers le sorceleur de l'école de la Vipère qui le regarda venir vers lui sans bouger et sans rien dire. Il faisait sauter dans sa main un diamant. Un diamant quasiment identique à celui qu'avait retiré Shiva du mégascope de Sheala.
- Tu as pris ton temps, commenta le mastodonte d'une voix profonde en se levant finalement.
Il rangea le diamant dans sa besace à élixir avant de jeter un œil en direction d'Ace qui le braquait toujours depuis son poste en haut du mur.
- Cette babiole vient du megascope de Sheala de Tancarville, je me trompe ? se fit confirmer le Loup Blanc.
- Mhm. Ma dernière surprise pour la magicienne. J'ai remplacé celui-ci par un autre défectueux. Très léger, mais bien assez pour l'empêcher d'utiliser son appareil pour se téléporter. Les théoristes magiques de l'Empereur m'ont assuré que l'effet serait spectaculaire.
- Quelqu'un est intervenu et l'a laissée fuir.
- Le Chat Noir qui te couvre avec son étrange arme, si j'identifie correctement la femme assise sur le mur derrière toi ?
- Non. Une de ses amies.
- Eh bien, elle devra dire à son amie qu'elle est sans cœur. Radovid va lancer des chasseurs de sorcières à sa poursuite. Et tu n'as aucune idée de ce qu'ils lui réservent. Elle va passer par une longue période de souffrance.
- Je n'en doute pas et je pense que c'est justement pour ça que cette elfe l'a laissée fuir.
- C'est une originale, je veux bien l'admettre.
- Prêt à jouer franc jeu ?
- Pourquoi tu n'invites pas notre camarade à se joindre à nous ? Je sais qu'avec nos sens de sorceleurs, elle peut nous attendre de là où elle est, mais ça serait plus confortable et conviviale si elle se joignait à nous.
Pan !
En guise d'avertissement, Ace avait tiré sur la fontaine asséchée, faisant voler en éclat un bout de son rebord.
- Je pense que ça répond à ta question, pointa Geralt.
- Une arme bien intéressante. Elle les a volées à l'école de la Grue ?
- Non. Bon, tu me montres ton jeu, oui ou non ?
- Peu importe les jeux, il arrive toujours un moment où les adversaires doivent montrer leur main et j'adore ce moment. Mais d'abord… Vodka ?
Il lui proposait vraiment de boire un verre ? Cela pouvait être un piège, mais quel serait l'intérêt. Pourquoi lui ? Maintenant ? Tout était joué à présent. C'est pas comme s'il avait le pouvoir d'empêcher l'invasion par Nilfgaard. Il haussa donc les épaules et accepta.
- Je veux bien admettre que ma gorge est un peu sèche.
- Dans ce cas, buvons à notre vieille amitié. Un verre Chat Noir ?
- Non, merci, répondit Ace.
Même sans lever la voix, dans le calme et le silence, sa réponse était parfaitement audible, presque comme s'il avait été à côté. Letho haussa les épaules et ouvrit sa sacoche pour sortir une gourde en terre cuite qu'il donna à Geralt. Celui-ci en bu deux belles gorgées avant de la rendre à son propriétaire qui en but autant, avant de la ranger.
- Tu as retrouvé ta mémoire ? se renseigna le grand sorceleur.
- Pas dans sa totalité, mais ça commence à venir.
- Te souviens-tu de notre première rencontre ?
- Oui. Je t'avais sauvé la vie à toi et tes camarades. J'aurais espéré une façon plus sympathique de me remercier que de me voir accuser d'un crime à ta place.
- En toute honnêteté, je ne le pouvais pas. Je veux dire, j'ai tout de même pris soin de ta nana… Yennefer. Je n'arrive pas à comprendre ce que tu peux lui trouver, mais je suppose que chacun à ses goûts…
Donc, elle était en vie. Bon à savoir.
Il se rappelait du solstice d'hiver en 1270. C'était Midinvaerne, la Nuit de la Magie. Comme le lui avait assuré Letho, ils avaient rattrapé la Chasse Sauvage qui s'était arrêtée au pied d'un arbre aux pendus. Se préparant à une sorte de cérémonie, ils avaient fait une sélection parmi leurs prisonniers. Et Yennefer avait été dans le tas.
Quand il est question d'un spectre, on ne peut que pratiquer un exorcisme. Les coups de lames ne font que repousser la créature. Pourtant, quand Geralt avait attaqué avec Letho et ses deux camarades, les cavaliers de la Chasse s'étaient effondrés dans une mare de sang. Il était impossible de tous les tuer. Il y en avait bien trop. Ils ne pouvaient que gagner un peu de temps. C'est là que leur chef s'était avancé. Clairement différent des autres elfes. Aucune honte dans son regard. Comme s'il n'avait jamais connu les persécutions et les massacres. Comme si les humains n'avaient jamais pris sa terre.
Clairement, cet elfe n'était pas de ce monde, à l'instar de Shiva. Mais contrairement à la brune, lui, il était un envahisseur.
Le Loup Blanc avait passé un marché avec lui. Son âme, contre celle de Yennefer. Et le ravisseur n'avait pas hésité un instant pour dire oui.
Geralt cligna des yeux et les releva en entendant la voix de Letho.
- De retour parmi nous ? J'avais le sentiment que tu nous avais abandonnés, pendant un instant.
- Des souvenirs. Je me rappelle de l'échange.
- Donc, cartes sur table, hein ? A moins que tu ais fait tout ce chemin pour me tuer avec l'assistance de la demoiselle ?
- C'est une assurance vie dans le cas où tu préparerais un coup en douce. Je t'ai poursuivi pour bien des raisons. Et je pense qu'avec le merdier dans lequel tu m'as foutu, tu me dois déjà des explications.
- Et on dit que les Chats et les Loups se détestent.
- C'est le cas. Raison pour laquelle Portgas est plus un membre honoraire des Loups qu'un Chat. Alors, ces réponses ?
- Pose moi tes questions.
Les questions tombèrent. L'une après l'autre, coupées seulement par les explications du sorceleur de la Vipère.
Tout d'abord, Yennefer. Ce qu'on lui raconta était familier. Il y a un peu plus d'un an, il était dans le même état que celui de sa compagne après qu'il ait été enlevé par la Chasse. Fiévreuse pendant plusieurs jours, délirante et à l'agonie. Au point qu'on puisse croire qu'elle ne s'en remettrait pas. Puis, elle avait fini par s'en remettre. Mais elle restait désorientée, et pour cause, elle était devenue amnésique. Et c'est là qu'elle s'était montrée comme une femme avec un caractère désastreux. Entre ses caprices de petite princesse, sa tentative de séduction sur l'un des camarades de Letho et ses manipulations pour les faire se déchirer entre eux… Ils avaient été tentés de l'abandonner au milieu de nulle part, mais ça aurait été insultant pour le sacrifice si noble de Geralt. La femme avait les exigences d'une duchesse, mais elle restait une magicienne sans mémoire. Elle n'aurait pas survécu un mois.
A cet instant, ils étaient en plein cœur de Nilfgaard. Et là-bas, les mages avec ce comportement étaient encouragés à changer rapidement, sous peine de finir écartelés par des chevaux sur la Place de la Victoire. Ils faisaient de leur mieux, mais à chaque ville où ils passaient, Yennefer se retrouvait dans les ennuis et ils se devaient de l'en tirer. Pour au final, finir capturé par la police secrète impériale. Letho et ses trois camarades, avec Yennefer. Ce devait être elle la source qui les avait menés sur leur intérêt pour la Loge des Magiciennes. Même si Findabair avait voulu que Yennefer de Vengerberg se joigne à elles, Yen avait refusé, à cause de plans pour Ciri à qui elle s'était attachée. Elle était une personne d'intérêt pour Emhyr, et pour le coup, on la surveillait de très près. C'était la dernière fois que Letho l'avait vue. Le groupe avait été séparé et interrogé. En longueur et en profondeur, afin de ne louper aucun détail. Mais ça avait été un interrogatoire calme et sans violence.
C'est ainsi que lui, un simple sorceleur, avait fini par rencontrer Vattier de Ridaux, et enfin, l'Empereur en personne. Emhyr lui avait offert une mission dans les Royaumes du Nord. Tuer les Rois.
Pourquoi ? Raison très simple et très compréhensible : l'Empereur avait promis de reconstruire l'Ecole de la Vipère. Les écoles du sud étaient autant en ruine, si ce n'est plus, que celles du nord, mais surtout, depuis bien plus longtemps. Quant à leurs sorceleurs, ils étaient des exilés internes, interdits d'entrer dans bien des cités. Outre ses trois camarades, désormais morts, Letho avait connaissance de deux autres membres de son école toujours vivants et sur la Voie. Il ne les avait pas vu depuis longtemps, mais il savait que maintenant que son accord avec l'Empereur était honoré, il pouvait essayer de les retrouver pour leur dire qu'il n'était plus nécessaire de se cacher et qu'ils pouvaient retourner à leur bastion. À la maison. En échange, l'Empereur aurait un territoire simple à conquérir. En tuant les rois et en faisant accuser les magiciennes, le chaos attaquerait profondément le territoire et sa défense serait facile à renverser pour conquérir ces terres en proie à la discorde. Le pire, c'est que tout s'y prêtait déjà dans les Royaumes du Nord. Peu importe les faits ou les guerres, les rois allaient s'accuser entre eux et poursuivre leur droit divin dans la vengeance et dans le sang des autres. Et ce, pour de longues années. Comme l'aurait dit Jaskier, ou même Foltest de son vivant, le Nord était un bordel en flamme.
Puis vint le sujet de la Chasse Sauvage. Apparemment, l'Ecole de la Vipère avait, avant sa destruction, une quantité astronomique de livres et parchemins sur la Chasse. Comme si le but de cette école était de résoudre cette énigme. Certes, leur savoir restait fragmentaire, mais ça rejoignait ce que Geralt avait appris de la part de Shiva. Le Loup Blanc se fit donc un plaisir de transmettre ce savoir. Un allié de plus dans cette lutte contre des cavaliers dont l'existence relève du mythe jusqu'à présent. On ne trouve pas facilement la route d'un monde à l'autre, la raison pour laquelle, généralement, ils n'envoyaient que leur émanation spirituelle, leur spectre. Ils ne venaient en personne que pour les missions importantes. Comme pour Yennefer et lui. Ou Ciri. Ou avoir de nouveaux esclaves.
Pour conclure, Geralt lui demanda pourquoi il l'avait attendu ici. Pourquoi n'était-il pas encore parti ? A cela, le mastodonte avait une explication aussi : Geralt n'était pas un homme qui abandonne facilement. Il continuerait de poursuivre Letho jusqu'à mourir ou être satisfait. Mais aujourd'hui, il ne voulait plus se cacher et il voulait se montrer en face à face pour que son camarade sorceleur sache vraiment qui il était et ne se base pas sur les paroles de quelques-uns qui ne savaient rien du tout sur lui. En fait, Geralt de Riv était désormais le seul homme vivant du Nord à savoir qui était vraiment Letho de Guletta et pourquoi il avait tué ces rois. Pour lui, Geralt n'avait jamais été une menace, un adversaire. Il voulait juste tracer sa route de son côté, désormais. Mais si pour ça, il devait se battre contre le Loup Blanc, ainsi soit-il, et l'histoire se finirait pour l'un d'eux à Loc Muinne. En disant ça, l'homme n'avait pas touché pour autant à ses armes.
Il y avait encore beaucoup de questions sans réponse. Comment est-ce qu'il avait réussi à contacter Sheala et qu'elle lui confie la mission de tuer Demavend ? Comment avait-il appris l'existence de la Loge ? Comment avait-il réussi à tuer Demavend ? Comment avait-il su où trouver Foltest pour l'assassiner ? Pourquoi vouloir se débarrasser de Iorveth ?
Tellement de choses qui lui venaient à l'esprit.
Mais la conversation s'éternisait et il n'avait pas tout son temps avant que Loc Muinne soit scellée.
- Tu veux te battre ? demanda Letho quand le Geralt lui dit qu'il en avait fini.
- Il te reste de la vodka dans ta gourde ?
- Juste assez pour une gorgée chacun.
La gourde retourna dans les mains de Geralt qui prit sa gorgée avant de la rendre à Letho qui s'enfila le reste. Après s'être essuyé la bouche avec le dos de sa main gantée d'une mitaine, le mastodonte parla de nouveau :
- L'armée impériale doit être déjà en train de traverser la Yaruga. Cela va être un parfait carnage. C'est la fin du Nord. Il est temps pour moi de rejoindre le Sud où la belle vie m'attend.
- L'empereur et toi avez tort sur un point, Letho de Guletta.
Les deux hommes se retournèrent pour voir qu'Ace avait redressé son arme pour la mettre contre son épaule. Voyant qu'il avait leur attention, il poursuivit :
- C'est dans les pires moments que les humains font causes communes avec leur pire ennemi. C'est en causant le chaos que le Nord va finir plus unis que jamais. Parce que tu as oublié un souverain. Radovid. Sans autre tête couronnée d'ampleur vers laquelle se tourner, tous les pays se mettront sous sa bannière pour survivre à Emhyr. Mais peu importe. Je suis une paria. Un Chat. C'est pas comme si j'en avais quelque chose à foutre. Du moment qu'on reste loin des La Valette, ça me va.
- Cela ne me concerne pas non plus, nota Geralt en haussant les épaules.
- Vas-tu me laisser partir ? Je ne suis pas ton ennemi, je ne l'ai jamais été. Si je peux partir, tu ne me verras plus jamais. Mais si tu me forces à te combattre, ce n'est pas le Chat Noir qui m'empêchera de te tuer, dit Letho avec calme.
En réponse, Ace remit le géant en joue.
- J'ai appris beaucoup et je n'ai plus de temps devant moi. Sans compter que mes souvenirs me reviennent vraiment. Te tuer ne changera pas les choses maintenant. Fais ce que tu veux de ta vie.
- Juste comme ça ? Pas de menace ? Pas de conseils sages et avisés ?
- Outre de rester loin des La Valette si tu veux pas que le Chat Noir vienne pour ta tête ? demanda Ace.
- Bon, tu t'en vas ou pas ? s'impatienta presque le Loup Blanc.
- Eh bien, adieu Geralt.
Le Loup lui adressa un salut de la main et tourna les talons pour rejoindre Ace qui l'aida à grimper sur le mur.
- Dis-moi, Chat Noir. Un sorceleur qui se prénomme Ace, ça te parle dans ton école ? demanda Letho. Parce que tu lui ressembles.
Le D. ne lui répondit pas, se contentant de disparaître de l'autre côté du mur avec le blandin.
Et ainsi, ils quittèrent Loc Muinne.
Durant leur voyage à travers le continent pour retrouver l'assassin de Foltest, les deux mutants avaient fait beaucoup de rencontres. Et beaucoup de choix, qui, qu'ils le veuillent ou non, avaient profondément changé le Nord.
A Flotsam, le commandant Loredo était mort avec sa mère, mais peu le pleurèrent. Avec sa mort, la vente du comptoir à Kaedwen était caduque, la laissant dans le giron de la Temeria. En réparation pour le siège de leur baronnie (et aussi parce qu'Anaïs l'avait décidé même si elle n'était pas encore couronnée), les La Valette étaient à présent à la tête de la cité. Et s'il y avait bien un grand ennemi de Kaedwen, c'était bien eux. La particularité était aussi qu'avec leur longue relation avec le Chat Noir, ils n'avaient pas autant de préjugé sur les non-humains que la majorité, ce qui était parfait pour les projets de réformations de la future reine. Désormais, on se réunissait autour de feux dans les draves afin d'écouter les histoires sur les exploits des sorceleurs. Les nuits de pleines lunes, on pouvait apercevoir Anezka près de l'eau enseignant à la petite demi-elfe à sa charge les beautés de la magie, comme une elfe l'avait fait il y a longtemps pour elle.
En Aedirn, ils avaient rencontré Saskia et le groupe de pirates, avec leurs idées révolutionnaires et utopiques. Et les avaient aidés à arracher une grande victoire dans la guerre contre Henselt, signant l'indépendance de la région du Lormark, l'ancien Haut-Aedirn. Vergen était désormais la capitale de la première démocratie de ce monde. C'était la terre promise pour tous les exilés et les parias, ceux qui avaient tout perdu et souhaitaient une meilleure vie. La guerre avait permis aux humains et aux races anciennes de s'entendre assez bien afin de commencer quelques pas sur la longue route qui mènerait aux respects et à l'égalité entre les races qui siégeaient déjà au conseil de Vergen. Même ce vieux roublard de Zoltan Chivay voulait croire en l'idéal de Vergen.
Pour revenir à la Temeria, il y avait le sort du pays dans son ensemble. Après tout, avec la mort de Foltest, les nobliaux avaient cherché à accéder au trône, mais aucun ne put rassembler suffisamment d'alliés pour y parvenir. Le dernier espoir d'un royaume au bord de la guerre civile reposait sur les épaules de la petite Anaïs. Si Natalis fut nommée régent et dirigea le pays en attendant que la reine soit plus vieille, la gamine restait le symbole de l'unité du royaume et avec l'aide du loyal Thaler et du grognon Roche, le changement commençait en douceur. Bien entendu, le changement ne plaît pas à tout le monde, mais aucun ne parvinrent à passer outre l'œil vigilant de la maîtresse d'armes en dreadlocks qui défendait bec et ongles son Enfant Surprise.
Il y a quelques années, Geralt de Riv avait assisté la chute du Conclave et du Conseil des mages, et le sommet pour la paix à Loc Muinne les avait rétablis, en échange du sacrifice de Sheala de Tancarville et de ses complices de la Loge des Magiciennes (sauf Triss qui y échappa pour avoir dénoncé ses consoeurs) : Philippa Eilhart ; Margaritta Laux-Antille ; Keira Metz ; Francesca Findabair. Assire var Anahid avait déjà été tué par Shillard Fitz-Oesterlen pour avoir trahi l'empire qu'elle servait, et Fringilla Vigo était dans les prisons de l'Empereur. Findabair était la duchesse de Dol Blathanna. Avec la mort de Stennis, elle avait eu la possibilité de déclarer son royaume de nouveau indépendant, lui rendant son statut de reine. L'atteindre ne serait donc pas une partie de plaisir, et ne parlons pas de Ida qu'elle avait invité dans la Loge. La traque des traîtresses ne serait pas une mince affaire. Cependant, le reste des mages ne s'en tira pas pour autant. Puisqu'il était le dernier souverain d'influence, Radovid exigea humilité et loyauté envers lui de la part de tous les pratiquant de la magie. Et il était certain que personne n'était content. Des jours sombres se profilaient pour eux à l'horizon si on en croyait les nouveaux décrets royaux qui commençaient à apparaître dans les rues.
Cependant, qui aurait cru que les tempêtes qui avaient ravagé ces royaumes n'étaient que les annonciatrices d'un plus grand cataclysme et un nouveau chapitre dans la Geste du Loup Blanc et du Chat Noir ?
Certainement pas ces paysans en bordure de la Yaruga qui finirent morts et brûlés sous les armes du grand soleil de l'étendard du Nilfgaard.
Le monde que tout le monde connaissait était sur le point de s'effondrer, mais le passé reste la clef du futur.
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A/N : Plus ou moins inspiré du gallois pour dire « The Broken One ». Vu l'inspiration des langues Gaelliques pour la Langue Ancienne, le choix est réfléchi.
