Chapitre I
Trop triste
Elle était là, étendue sur le dos, à fixer le plafond d'un air songeur. Elle le fixait depuis longtemps déjà, depuis des heures, des jours même. Elle n'avait pas le cœur à faire autre chose. Elle était dans cet état depuis la mi-juillet, depuis un mois. Elle tourna la tête vers la fenêtre. Au loin le soleil se couchait. Bientôt, il ferait nuit. Il devait être près de neuf heures du soir.
Elle entendit le bruit de pas dans l'escalier, puis celui d'un coup discret frappé à la porte de sa chambre.
« Míriel chérie, le dîner est prêt. »
C'était encore Mrs. Weasley. Elle était déjà venue trois fois dans la journée, pour l'inciter à manger, mais à chaque fois la jeune fille avait refusé. Pourquoi accepterait-elle cette fois ?
« Pas faim », se contenta-t-elle de répondre.
Elle entendit alors le déclic de la poignée qui tournait, le grincement du battant qui s'ouvrait. Elle empoigna donc sa baguette magique, la pointa vers la porte qui se referma vivement, poussant ainsi violemment sur le mur celle qui se trouvait derrière. On entendit alors les jurons que Mrs. Weasley laissa échapper :
« Nom d'une gargouille ! Míriel, même si tu n'as pas faim, ça ne te donne pas le droit de me claquer la porte au nez de cette manière ! »
La concernée ne tint même pas compte des reproches qu'on lui adressait, se contentant d'ignorer le bruit de l'orage jusqu'à ce qu'il se dissipe. Après un moment, il finit bien sûr par passer. Les cris cessèrent, suivis de bruits de pas qui redescendaient les marches.
Cela faisait quelque temps que des scènes semblables se produisaient à l'heure des repas, devant la porte de cette chambre. Depuis un mois. Depuis qu'elle s'était laissée aller au découragement, après quelques semaines de vaine agitation.
Molly Weasley redescendit les escaliers, furieuse de s'être fait traiter de la sorte. Lorsqu'elle arriva enfin dans la cuisine du 12 square Grimmaurd, elle y trouva Remus Lupin. Il était assis à la table, en train de lire un livre. Dès qu'elle entra dans la pièce, il leva les yeux de son bouquin pour les poser sur elle.
« Et puis, que t'a-t-elle répondu ? »
« Qu'elle ne viendrait pas, qu'elle n'a pas faim. Mais comment peut-elle dire cela ? Elle n'a pas avalé un morceau de la journée ! Elle va se rendre malade si elle continue comme cela. Il faut faire quelque chose. »
« Je vais aller lui parler. Je suis sûr qu'elle m'écoutera, moi. »
Remus sortit de la cuisine, abandonnant son livre sur la table. Il emprunta l'escalier, montant jusqu'au dernier palier. L'étage ne comptait que deux pièces, reliées par un étroit couloir. Il y avait là un grenier et une chambre ; Chambre qui n'avait pas servi depuis plus de vingt ans, mais qui aujourd'hui était occupée par la jeune fille dont nous avons fait connaissance. Remus s'approcha de sa porte et cogna.
« Míriel ? Ouvre, c'est moi. »
Il entendit le déclic de la serrure et sans attendre il ouvrit. Il la vit, étendue sur le côté, tournée vers la fenêtre, dos à la porte.
Míriel n'avait aucune envie de parler à qui que ce soit mais, lorsqu'elle avait entendu la voix de Remus derrière la porte, elle avait tout de même décidé de lui ouvrir. Il était la seule personne avec qui elle s'entendait plutôt bien. Il était comme un semblant d'ami, si une fille de seize ans pouvait être amie avec un homme de trente-six. De plus, il était le seul à pouvoir la comprendre, comprendre sa peine. La comprendre parce qu'il la vivait lui aussi. Elle avait perdu un père et lui un ami. Et même si tout le monde était attristé par sa mort, personne ne l'était autant qu'elle. Elle, elle restait enfermée dans sa chambre autant qu'elle le pouvait, ne sortant que quand elle y était obligée, ce qui se révélait très peu car plus rien n'avait assez d'importance pour la faire sortir de son sanctuaire.
Elle restait allongée sur son lit, songeant à ce que sa vie avait été jusqu'à maintenant, et voyant combien elle ne valait pas l'effort d'être poursuivie après la mort de son père.
Elle n'était encore qu'une jeune fille, avec des dizaines de connaissances mais aucun ami… La moitié de la gente sorcière savait qui elle était, par sa famille ou par sa fortune. Elle possédait des millions chez Gringotts, de la parenté quelconque avec presque tous les sangs purs, et ses entrées au ministère de la Magie lui donnaient beaucoup plus d'influence qu'une adolescente normale devrait posséder. Et c'était justement pour tout cela qu'on l'avait acceptée dans l'Ordre du Phénix, pour cela et pour rien d'autre. Non parce qu'elle était intelligente ou courageuse, juste pour son nom et son argent.
Et ensuite il y avait Remus à sa porte, qui venait essayer de lui faire croire qu'on tenait à elle et qu'il ne fallait pas qu'elle se fasse du mal. Non, mais!
« Míriel, pourquoi ne descends-tu pas pour manger ? Ça a l'air délicieux ce que Molly nous a préparé. »
« VOUS NE POUVEZ PAS ME FICHER LA PAIX DEUX MINUTES ? JE N'AI PAS ENVIE DE MANGER, UN POINT C'EST TOUT ! »
En disant cela, elle s'était retournée vers lui, s'appuyant sur ses coudes. Remus s'était figé en l'entendant parler sur ce ton. Elle qui était si douce avec lui à l'ordinaire. Míriel sembla s'apercevoir elle aussi de son comportement inhabituel, car elle se radoucit quelques instants plus tard, respirant profondément plusieurs fois pour se calmer.
«Excuse-moi. Je ne sais pas ce qui m'a pris.»
Remus était bien la seule personne à qui elle s'excusait, la seule personne qu'elle respectait. Elle ne lui avait jamais crié après comme elle venait de le faire. Il fallait qu'elle se calme, qu'elle reprenne ses esprits. Remus s'approcha et s'assit sur le lit. Elle posa sa tête sur ses genoux comme elle avait l'habitude de le faire.
« Écoute, tu n'as peut-être pas faim, mais tu dois manger quand même si tu ne veux pas te rendre malade. D'ailleurs, ça fait combien de temps que tu n'as rien avalé ? »
« J'sais pas… Depuis la dernière réunion de l'Ordre…»
« Mais c'était hier matin ! »
« Si tu le dis… »
« Mais pourquoi est-ce que tu fais cela ? »
Elle lui envoya un regard las qui lui montrait clairement qu'elle se fichait de ce que pouvait être son état de santé, à présent.
« Sirius n'aurait pas voulu que sa mort t'empêche de vivre. »
Elle ne répondit pas. Elle savait que c'était la vérité, que son père n'aurait pas voulu la voir dans cet état, mais c'était trop dur. Elle n'arrivait pas à supporter sa mort…
Après quelques minutes de silence, le lycanthrope reprit la parole.
« C'est ce soir que Harry devrait arriver », dit-il, comme pour changer de sujet. « Tu sais, le filleul de ton père. Je t'ai déjà parlé de lui. Tu as dû rencontrer ses amis, Ron et Hermione. Ils sont ici depuis quelques semaines déjà, je crois. »
« Le rouquin énervé et la sang-de-bourbe ? S'ils ont des traits de caractère en commun avec ton Harry, alors je crois que je vais me passer de faire sa connaissance », marmonna la jeune fille méchamment.
« Míriel ! Comment oses-tu traiter Hermione de cette manière ? Elle ne t'a rien fait à ce que je sache. »
« Désolée si cela t'offusque que je l'appelle ainsi, mais moi j'ai été élevée comme ça : « Les sangs purs, les sangs-mêlés et les sangs-de-bourbes. » »
« Et bien il est temps que cela change. Je ne te laisserai pas insulter mes amis juste parce que ta mère t'a appris à traiter les enfants de moldus comme de la vermine. »
« Très bien, c'est une excellente nouvelle. Tu parleras des modifications que tu veux apporter à mon éducation avec mes parents. Ça va aller comme sur des roulettes pour les convaincre puisqu'ils sont morts. »
« Míriel, sois raisonnable à la fin. Ce n'est pas en agissant de cette manière que tu vas faire revenir Sirius. Prends exemple sur Harry, il est aussi peiné que toi par sa mort, mais il n'est pas bête avec tout le monde pour autant. »
« Harry ? Et bien parlons-en de Harry si tu y tiens tant. S'il avait suivi un peu plus sérieusement ses cours d'occlumencie, il n'aurait pas fait ces rêves idiots, il ne serait pas accouru au Ministère pour jouer au héros et mon père ne serait pas mort ! C'est à cause de ton Harry si je suis bête avec tout le monde et si je m'enferme toute la journée dans ma chambre. Et toi, tout ce que tu trouves à dire, c'est que j'exagère, que je devrais prendre exemple sur Saint Potter. On le sait bien que tu l'aimes cent fois plus que moi. Pas besoin de me rappeler que je ne suis que la p'tite riche de service qui a beaucoup trop d'argent pour son âge. Pas besoin de me rappeler que personne ne m'aime. Merci, mais j'étais déjà au courant. »
Elle avait déversé tout ce flot d'émotions contenues sur un Remus abasourdi. Elle avait ôté sa tête de ses genoux, s'était levée de son lit et se contentait de lui crier tout ce qu'elle avait sur le cœur. Après un moment de silence, Remus se leva à son tour.
«Si voilà tout le bien que tu penses de nous alors je crois que je peux m'en aller maintenant. »
Il se retourna et se dirigea vers la porte. Juste avant qu'il ne la referme complètement derrière lui, Míriel (qui avait retrouvé son calme) l'appela.
« Remus ? »
« Oui ? »
« Est-ce que tu pourrais demander à Molly de me laisser une portion. Je crois que j'ai un peu faim finalement. »
Un pale sourire éclaira la figure de Remus en entendant cela. La conversation avait dérapé et il en avait oublié le but de sa visite, but qu'il avait atteint après tout.
« Oui, bien sûr, Míriel. »
Et il s'en alla.
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Míriel se rassit sur son lit, pour essayer d'y voir plus clair dans ses pensées. En même temps, elle aurait voulu s'enfermer dans sa coquille pour qu'on la laisse tranquille. Elle aurait voulu pouvoir détester tout le monde, mais elle voulait aussi désespérément qu'on lui donne de l'affection, ou même juste de l'estime. Elle en avait tellement besoin. Elle ne savait plus pourquoi elle était méchante avec tout le monde, ce n'était pas cela qu'elle voulait, mais c'était tout de même cela qu'elle faisait. Elle enfouit sa tête dans ses mains. Elle était perdue et son ventre vide ne l'aidait guère à réfléchir.
« D'abord aller manger. Je ne peux pas me concentrer avec mon estomac qui crie famine. »
Elle troqua son chandail bleu clair et son pantalon beige pour une robe de sorcier noire aux reflets bleutés. Elle s'assit ensuite devant son miroir, entreprenant de brosser ses longs cheveux noirs. Dans la glace, son reflet n'exprimait pas la moindre émotion. Son teint pâle lui donnait l'air d'être malade. Seul la faible étincelle qui persistait dans ses yeux miel la différenciait d'une statue de marbre…
Ayant fini de brosser ses cheveux, elle sortit de sa chambre et se dirigea vers l'escalier. Elle descendit lentement les marches, le manque de nourriture la rendant plus fragile qu'à l'ordinaire. Il ne lui restait maintenant plus qu'un pallier à franchir avant d'arriver au rez-de-chaussée où se trouvait la cuisine. Elle entendit alors les pas de deux personnes arrivant en sens inverse. « Faites que ça ne soit pas eux, faites que ça ne soit pas eux… », songea-t-elle.
« Bonjour Míriel », commença Fred Weasley.
« Nous te cherchions justement », compléta son frère George.
« Je suis maudite, ce sont eux. », pensa la concernée.
« Allez dont énerver quelqu'un d'autre, voulez-vous ! »
« Non, justement nous ne voulons pas. »
« Nous aurions une question à te poser, Míriel. »
« Fichez-moi la paix, je n'ai pas envie de répondre à vos questions. »
Elle ne leur laissa pas le temps de réagir et finit de descendre les quelques marches qui lui restaient. Ils ne furent pas capables de la retenir et elle atteignit la cuisine sans autres encombres. Elle referma la porte derrière elle et s'assit sans plus de cérémonie à la table. Tout le monde avait déjà fini de manger. Il ne restait plus que Mrs. Weasley et Tonks. Cette dernière abordait aujourd'hui une chevelure rose fushia, coupée droit, juste au dessus des épaules. « Mais pourquoi faut-il qu'elle soit toujours aussi extravagante ? », pensa Míriel. L'auror lui décrocha un énorme sourire, accompagné d'un « alors, ça va comme tu veux ? » des plus gais. Mais la jeune fille n'avait aucune envie de lui répondre et se contenta de lui envoyer un regard noir en travers de la table. Mrs. Weasley déposa devant elle un grand bol de ragoût fumant qu'elle attaqua sans plus attendre. Elle ne s'en était pas rendu compte avant, mais elle avait vraiment faim.
Après quelques essais de Tonks pour engager la conversation (essais infructueux doit-on préciser) Míriel repoussa son plat, après avoir avalé sa deuxième portion de ragoût. Elle entendit alors le son strident de la sonnette d'entrée. Suivi, quelques secondes plus tard, par les hurlements du tableau maintenant réveillé de Mrs. Black : « Monstres ! Vermines ! Résidus de pourriture et d'abjections ! Mutants ! Saletés ! Quittez cette maison ! Comment osez-vous souiller la demeure de mes aïeux ? »
« Non, mais vraiment ! Combien de fois va-t-on falloir leur dire de cogner pour se faire ouvrir la porte ? », grommela Míriel en se dirigeant vers le hall d'entrée.
Mrs. Weasley se dirigea vers la porte pour ouvrir aux nouveaux arrivants tandis que la jeune fille se précipita vers le tableau de Mrs. Black.
« Vous voudriez pas la fermer de temps en temps grand-mère ! »
« Recule bâtarde ! Recule ! Honte à mon sang et à ma chair ! Ne m'approche pas. »
« VOUS ALLEZ-VOUS TAIRE, OUI ? »
Míriel tira d'un coup sec le rideau devant le tableau de Mrs. Black et tout redevint silencieux. Elle se tourna alors vers les personnes qui étaient à l'origine de tout ce bruit. Mrs. Weasley étreignait un garçon aux cheveux noirs ébouriffés qui devait avoir environ son âge. Étaient alentour quelques membres de l'Ordre du Phénix. Maugrey Fol-œil était toujours dehors, en train de rallumer tous les lampadaires du square. Dedallus Diggle se tourna alors vers elle.
« Désolé, j'avais oublié qu'il ne fallait pas utiliser la sonnette. »
« Et bien, tu t'en rappelleras à l'avenir si tu ne veux pas devoir faire taire cet horripilant tableau tout seul. »
Et sans un mot de plus, Míriel tourna les talons, monta l'escalier et regagna sa chambre.
Lorsque Harry put enfin se libérer de l'étreinte de Mrs. Weasley, il eut à peine le temps d'apercevoir la jeune fille avant qu'elle ne disparaisse dans les étages supérieurs.
« Qui est-ce ? Je ne me rappelle pas l'avoir déjà vue ici. »
« Ah ! Ça mon garçon », lui répondit Diggle, « c'est Míriel Delombre. Un conseil, ne va surtout pas l'embêter si tu ne veux pas qu'il t'arrive des bricoles. »
