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LA NUIT LA PLUS LONGUE

Épisode III : Juste des remords

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Un café fumant à la main, je fermai doucement la porte et entrai dans la pièce. À l'intérieur, les murs étaient peints d'un blanc laiteux et parsemés de plusieurs affiches et dessins qui m'étaient très étrangers. Il y avait également sur les murs de nombreuses photos qui me rappelèrent aussitôt celles de l'appartement de Granger, et ce avec raison puisque ce bureau était le sien. Devant moi, au fond de cette grande pièce aussi profonde que large, était disposée une table jonchée de ces formulaires et papiers bien rangés qui sont habituellement l'une des caractéristiques de ces gens importants, affairés et disciplinés dont je ne fais pas partie. Assise derrière la table, une femme à la crinière brune feuilletait tranquillement un dossier du regard sans se douter le moins du monde que le destin de l'hurluberlu qui traînait dans son bureau à l'instant même était étroitement lié au sien. Le destin est très coquin, par moment.

Je m'approchai lentement de la table avec une allure volontairement absente. Je perdais mon regard dans chaque objet, chaque image qui se trouvait entre moi et ma destination. Je faisais semblant de m'intéresser à tout et étirais mes lèvres devant chaque photo représentant un médicomage enserrant tendrement un enfant atteint de je ne sais quelle maladie. Cette mise en scène dégoulinante de sensibilité, je ne la faisais que pour faire attendre celle qui m'attendait déjà depuis un bon moment déjà, Hermione Granger. Je ne la faisais que pour me convaincre que j'avais réellement le total contrôle de cette situation suicidaire dans laquelle je m'étais lancé tête la première.

- "Monsieur Blaise Zabini, si vous cessiez de me faire traîner sans aucune raison, je pourrais sans aucun doute me concentrer sur votre cas."annonça l'ancienne griffondor en relevant brusquement la tête, au bout d'un instant.

- "Oh... Appelez-moi Blaise."

Je lui fis alors mon plus charmant sourire. Celui qui découvre mes dents blanches et droites; cet irrésistible sourire qu'aucune femme n'a jamais refusé. Jusqu'à maintenant, du moins.

-"Monsieur Zabini, les rapports que nous entretenons ici sont strictement professionnels. Si je peux faire quoi que ce soit pour vous, asseyez-vous sur cette chaise."dit-elle en désignant l'objet en question qui était disposé devant elle."Sinon, sortez de cette pièce et j'occuperai mon temps à aider ceux qui en ont vraiment besoin."

Ses paroles me firent l'effet d'un choc électrique de premier degré. Un choc, oui, mais pas assez pour me déstabiliser. J'étais entré dans cette pièce avec une intention. L'intention de maîtriser la conversation que je tiendrais avec Hermione Granger, la seule femme qui m'intéressait pour autre chose qu'une simple relation d'un soir. Mais, curieusement, je me sentais désagréablement à nu alors que j'effaçais le sourire qui s'était dessiné sur mon visage. Je compris alors qu'il me faudrait beaucoup plus qu'un visage séduisant pour remporter mon combat contre cette griffondor de Granger. Et ça ne me plaisait pas du tout.

-"D'accord." Annonçai-je lorsque quelques secondes de silence se furent écoulées.

Puis, je m'assis calmement sur la chaise qu'on m'avait désignée et but quelques gorgés de café. Je m'appropriai ensuite le coin de la table de Granger afin d'y déposer ma tasse encore chaude.

De son côté, Hermione ne put s'empêcher de remarquer mon geste et elle me réprimanda aussitôt comme si cela avait été évident que j'eusse été en tort... alors que j'étais bien loin de me douter de l'existence d'un règlement de la sorte et le trouvait même plutôt idiot.

- "Monsieur Zabini, il est complètement innapproprié de boire en ces lieux.

- Mais j'ai acheté ce café dans cet hôpital!" Répliquai-je sans comprendre.

- "L'avez-vous acheté à la cantine?"Me demanda alors Hermione avec un air entendu.

- "Oui.

- Alors c'est là qu'il aurait fallu le boire, et non dans mon bureau."Conclue la médicomage en faisant disparaître ma tasse d'un coup de baguette.

J'eus soudain l'irrésistible envie de me lever de cette chaise inconfortable où on m'avait dit de m'installer et de hurler à m'en faire exploser les poumons. J'avais envie de hurler ma rage, de hurler à quel point j'emmerdais tous ces règlements stupides. J'aurais voulu hurler à Hermione que j'allais tout de même boire mon café - au diable les règles, et qu'elle n'avait plus qu'à le faire réapparaître à toute vitesse si elle ne voulait pas que je m'énerve encore plus...Et par-dessus tout, je voulais lui hurler à quel point je l'emmerdais, elle. Je voulais lui hurler que si je l'emmerdais, c'était parce que j'étais trop couard pour arriver à l'assassiner sans remords. J'aurais aimé lui hurler une fois pour toute comme je la détestais puisque, par sa faute, je devais chaque jour me heurter à la vérité. Qu'à cause de son existence, je ne pouvais désormais plus ignorer cette vérité et faire comme si elle n'existait pas. Et cette vérité, c'était que j'avais la trouille de la mort. Cette vérité, c'était que j'avais la trouille de disparaître comme cette foutue tasse à café venait de le faire.

Mais je ne fis rien de cela. Je me contentai de serrer les dents et de regarder droit devant moi. Pendant un instant, je dû même contenir de mon mieux une larme de fureur qui essayait avec fougue de percer ma paupière pour s'exiler à l'extérieur. Fuir la vérité, fuir ce que je ressens, c'est ce que je fais le mieux.

Quant à elle, cette sang-de-bourbe de Granger m'observait d'un œil perçant. Elle semblait avoir deviné que je bouillais intérieurement.

- "Est-ce que ça va aller? Je ne voulais pas vous vexer, mais le règlement est le règlement."Me dit-elle d'un ton désolé qui m'irrita au plus au niveau.

-"Je sais.

- Alors pourquoi boire votre café ici, si vous saviez? Mais bon...ce n'est pas un crime impardonnable. Passons à autre chose.

- Je sais.

-Oui…donc, voulez-vous enfin me dire la raison de votre venue à Sainte-Mangouste..? Qu'y a-t-il, Monsieur Zabini, qui requière la nécessité de me faire parvenir un hibou de toute urgence?

-En vérité, je ne suis ici pour aucune raison médicale. Vous l'aviez sûrement deviné, non?

-Oui."M'indiqua Hermione en souriant d'un air équivoque, "L'habitude m'a permis de faire la différence entre ceux qui se portent bien et ceux dont ce n'est pas le cas. De plus, quelques appareils magiques peuvent m'aider dans cette tâche."

Elle me pointa alors deux ou trois objets dont je n'avais pas encore remarqué l'existence. L'un d'entre eux ressemblait à une horloge antique dont l'unique aiguille se déplaçait sur une bande de couleur rouge nuancée qui allait d'une légère teinte rosée à un rouge écarlate et criard. Au moment présent, l'aiguille était immobilisée sur la plus pâle des teintes, et il ne fallait pas être prophète pour deviner que cela signifiait que je n'étais pas souffrant pour deux sous.

-"Alors, non, je ne suis ici pour aucune raison médicale." Déclarai-je alors qu'Hermione levait un sourcil attentif. "Je suis ici pour vous demander une faveur. Je ne prendrai pas beaucoup de votre temps, je sais qu'en ces temps d'après-guerre, chaque minute est essentielle. Vous savez, Hermione, lorsque j'ai effectué mes études à Poudlard, la fortune familiale était à son meilleure. C'est pour cette raison que je n'ai pas juger nécessaire d'apprendre une carrière convenable. Pendant un long moment, l'argent qui était emmagasiné à Gringotts suffisait à me faire vivre. Cependant, j'ai vite vidé les comptes et je suis maintenant fauché et dans une situation épineuse. Cela m'a amené à réfléchir à mon existence et j'ai alors compris plusieurs choses."

Je fis une pause et Hermione Granger en profita pour prendre la parole. Son regard indulgent en laissait paraître long sur ses pensées.

- "Monsieur Zabini, je suis médicomage, pas psychomage. Je ne suis absolument pas la personne qu'il vous faut pour résoudre les problèmes dans lesquels vous vous êtes empêtré. D'ailleurs, je vais appeler l'Auror qui s'occupe de la sécurité ici, à Sainte-Mangouste. C'est un bon ami à moi, vous pourrez lui faire confiance. Il ne vous fera aucun mal. Il s'appelle Ronald Weasley et il vous mènera près de gens qui pourront venir à votre aide. Vous savez, vous n'êtes pas seul dans votre situation.

- Attendez Hermione! Je réellement besoin de m'entretenir avec vous...Ce que j'ai à vous demander est important. Laissez-moi finir le discours que j'ai entrepris!

- Non mais vraiment, monsieur Zabini! Je n'aime pas qu'on me fasse perdre mon temps et je déteste plus que tout qu'on me prenne pour une idiote."Répliqua-t-elle d'un ton si ferme qu'un homme lucide n'aurait jamais osé ajouter un mot.

Comme Hermione semblait avoir été piqué au vif, mais qu'il était impératif qu'elle accepte la requête que je m'apprêtais à lui poser, je décidai d'enfiler mes gants blancs avant de poursuivre la conversation.

- "Je ne vous considère pas comme une idiote, au contraire... Hermione, je suis bel et bien ici pour vous demander de l'aide. L'aide dont j'ai besoin n'est pas médical, mais cela reste tout de même de l'aide, non? N'appelez pas les cueilleurs de fou, je ne suis pas fou.

- On n'a pas besoin d'être fou pour avoir besoin de ces gens. Il faut seulement avoir des problèmes, un besoin de parler. Et ne les appelez plus de cette façon, ces gens sont respectables.

- Peu importe, puisque je ne suis pas fou. Voulez-vous m'écouter, maintenant ?

-...comment puis-je en faire autrement? Ma profession m'oblige à porter attention à quiconque désir me rencontrer, même si le les appareils m'indiquent qu'il se porte à merveille.

- Ah, enfin...je remercie les obligations de votre remarquable métier. On n'est jamais immunisé contre les maladies qui échappent aux appareils, non? Les sortilèges sont parfois si malicieux..."

Tout mon corps se détendit. Je souris largement à Hermione, bien que je sache que mon charme ne l'atteindrait jamais. De ce côté, j'avais évidemment perdu d'avance. Les gens intelligents ne sautent pas au cou du premier charmeur venu. Puis, pendant quelques secondes, je détaillai l'ancienne griffondor d'un regard rapide. Sa crinière était toujours la même, ses dents toujours un peu trop longues, bien qu'elles n'étaient plus comme lors de ses premières années à Poudlard. Elle n'était pas une beauté, certes, mais l'intelligence qui brillait dans son œil donnait du piquant à son regard fade. Cependant, je ne voyais pas dans son regard le même bonheur qui m'avait tant interpellé lorsque j'avais indécemment observé les photos posées au-dessus de la cheminée de son appartement. Quand elle me regardait, ce bonheur infini se cachait derrière cette hargne réciproque que les griffondors ont envers nous, les serpentards. Cette hargne insurmontable qui survit au siècles sans que personne ne sache à cause de quelle querelle cela a jadis commencé. Mais peu importe, puisque tous les griffondors qui m'ont été donnés de connaître étaient tous des abrutis...ou des assassins. Alors à quoi bon m'opposer à cette querelle, puisque je suis certain qu'elle est fondée?

-"La dernière chose que je vous ai dite avant que vous ne m'interrompiez, c'était que j'avais réalisé plusieurs choses à propos de mon existence de fils de riches sang-pur, sarcastique et prétentieux. J'ai réalisé que mon existence était pitoyable, que je ne faisais que les mauvais choix depuis toujours. À cause de ses mauvais choix, je suis fauché, je n'ai plus de raison de vivre, bref, j'ai besoin que vous m'engagiez."Déclarai-je en un souffle.

Hermione fonça les sourcils et me considéra longuement.

-"Pourquoi êtes-vous venu ici, Zabini? Pourquoi me raconter tous vos problèmes pour ensuite me demander cette faveur délicate? Pourquoi me la demander à moi, alors qu'un tas d'autres sorciers vous engagerait sans aucune justification?

Je remarquai alors que, cette fois, elle m'avait simplement appelé par mon nom. Quant à sa question, il m'était impossible de répondre. Avant de me présenter ici, je n'avais même pas songé une seconde qu'elle puisse me poser cette question. Mon insouciance m'avait mis en impasse. Je décidai donc de brillamment éviter la balle qu'elle m'avait envoyé en bifurquant hors de sa trajectoire.

- "Des questions, encore et toujours des questions... et si c'était à mon tour, maintenant, de te questionner? Je vais te poser une question...Pourquoi me détestes-tu autant, Hermione? Me détestes-tu parce que dans le passé j'étais membre de la famille des serpentards? Depuis que je suis dans cette pièce, je sens au plus profond de mes entrailles que tu n'apprécies pas que je sois ici. Je t'en prie, rassure-moi et dis-moi que tu n'es pas comme tous ces griffondors et serpentards qui se détestent sans même savoir pourquoi. Cette querelle est dépassée, ne me déteste pas à cause de l'ambition, la pureté et l'innocence qui m'aveuglaient dans ma jeunesse. Je reconnais mes erreurs, et les torts que j'ai occasionné."

Je fis une pause, histoire d'ajouter un peu de lourdeur à mon discours.

- "J'ai vieilli, Hermione. Je ne demande que de travailler ici, à Sainte-Mangouste.

- Travailler ici? Mais pourquoi ici et pas ailleurs, si ne n'est qu'une question d'argent? Pardonne-moi, mais je n'arrive pas à saisir pourquoi quelqu'un comme toi désir travailler à Sainte-Mangouste alors qu'il n'a aucune raison de le faire. Et surtout s'il n'est question que de dettes et d'argent."

Hermione se tut un instant.

-" Zabini, je ne te hais pas pour ton passé. Ce n'est pas une question de haine, de rancune, ou même de vengeance. Ce n'est qu'une question de logique. Crois-tu réellement que je puisse engager dans gens au hasard dans cet hôpital? Non mais vraiment! J'admets avoir beaucoup d'importance quant au choix des nouveaux médicomages… mais il se trouve que tu n'es pas médicomage, et que tu n'as pas la moindre connaissance des soins médicaux! Je ne sais pas ce qui t'est passé par la tête lorsque tu t'es présenté ici, mais je me dois de refuser ta demande. Je ne peux pas engager un homme seulement parce qu'il a besoin d'argent…bien que je pense que ce ne soit pas la raison qui t'amène. Des tas d'autres personnes peuvent le faire. Alors dis-moi, une question me brûle les lèvres...pourquoi désires-tu travailler à Sainte-Mangouste..? Pourquoi choisir un endroit comme celui-là, même si tu sais que tu n'as aucune expérience ni aucune chance d'y être admis?"

Hermione me regarda avec curiosité et suspicion. Je me sentis alors comme un animal coincé dans ces zoos moldus que l'on fixe interminablement. Je me sentais comme un sujet d'analyse. Elle me considérait comme l'un des ses fils de riches prétentieux de serpentard, mais ne l'avouerait jamais. D'ailleurs, elle avait un peu raison.

- "Tu sais Hermione, je ne suis pas aveugle. Je sais que ma famille n'a jamais été très... honnête. Je sais que les serpentards, mes anciens amis, ma famille, la plupart des sangs-purs dont j'étais fier de faire partie, je sais qu'ils ont fait des torts à un tas gens. Toi y compris. Tu crois que j'ai oublié ce que Malefoy et sa bande t'ont fait à Poudlard? Il n'y a pas un jour où je n'y songe pas. Les remords me hantent... Et en ce moment, alors que nous sommes en plein milieu de l'après-guerre, ils n'ont jamais été aussi forts. Lorsque je lis dans les pages de la gazette tout ce que ces anciens fidèles de Voldemort font aux gens de bien, lorsque je lis le nombre de ces gens qui meurent à cause d'eux, une immense culpabilité m'envahit. C'est ignoble. Je ne peux plus me permettre de voir toutes ces horreurs arriver sans rien faire pour les arrêter. Je veux me rendre utile et travailler à Sainte-Mangouste, parmi tous ces rescapés de l'après-guerre dont tu t'occupes avec dévotion... Je veux aider."

Hermione ne réagit pas. Elle baissa les yeux et semblait réfléchir à la situation. Intérieurement, je me croisai les doigts et me félicitai de ma prestation. Ce que je faisais était lâche, mais c'était la seule solution à laquelle j'étais parvenu.

J'attendis alors sa réponse, sa décision finale.

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