Chapitre 5
Tous avaient quitté le restaurant de Granny à l'exception des Charmant et de leur bébé. Le nourrisson babillait tranquillement dans les bras de sa mère, et James nota tout à coup, non sans inquiétude, le contraste saisissant entre les yeux rieurs et lumineux de leur bambin et le regard morne et éteint de sa femme.
- Blanche, je ne t'empêcherai pas d'aller voir Emma, seulement... Es-tu sûre que ce soit une bonne idée ? Se risqua-t-il à demander.
- Ténébreuse ou pas, Emma reste notre fille et je n'ai pas peur d'elle, lui répondit Blanche en le fusillant du regard. J'ai besoin de savoir comment elle va et de lui rappeler que nous sommes là pour elle.
James hésitait à poursuivre, connaissant l'entêtement légendaire de sa femme – dont leur fille avait d'ailleurs très certainement hérité... Mais il ne put s'empêcher de lui dire ce qu'il avait sur le cœur.
- C'est juste que... J'ai peur qu'elle te fasse du mal, même involontairement. Nous savons toi et moi qu'il y a cette rancœur en elle, qu'elle a toujours le sentiment d'avoir été abandonnée…
- Parce que c'est ce que nous avons fait Charmant ! Explosa Blanche. Nous l'avons abandonnée !
Quelques têtes se tournèrent vers eux, piquées par la curiosité. Ni l'un ni l'autre ne s'en aperçut, et bébé Neal, quant à lui, continuait à babiller tranquillement, nullement alarmé par le soudain haussement de voix de sa mère.
- Certes, la situation nous y avait contraints, poursuivit Blanche dans un murmure, consciente de s'être laissée emporter par ses émotions. Mais le fait est que nous l'avons abandonnée.
Sa voix se brisa et elle sanglota doucement. James lui prit alors la main par-dessus la table et la serra tendrement.
- Et elle ne nous a pas encore pardonnés, termina James en soupirant.
OoO
Robin et Regina étaient arrivés au manoir de cette dernière. Ils avaient roulé jusqu'à la luxueuse demeure dans un silence de mort, et la jeune femme avait frissonné en sentant les regards lourds de reproches de son amant, qu'elle avait fait mine de ne pas remarquer tandis qu'elle conduisait.
Mais à présent qu'ils étaient assis l'un en face de l'autre dans son salon, la tension était presque palpable.
Regina proposa un verre de son meilleur cidre à Robin, qui refusa sans la quitter des yeux. D'habitude, le voleur ne refusait jamais de boire de l'alcool quand l'occasion se présentait...
La jeune femme devina que les choses se présentaient mal pour elle et se servit un verre pour se donner du courage.
Elle le but d'une traite et les effets ne se firent pas attendre – elle ne tenait pas l'alcool...
Celui-ci lui brûla la gorge et à peine eût-elle posé son verre qu'elle fut saisie d'un léger vertige.
- Regina, j'aimerais que tu m'expliques ce qui s'est passé tout à l'heure, s'enquit le voleur sans plus de cérémonie.
La brune, qui n'avait jusque-là pas réussi à soutenir le regard de son amant, leva lentement les yeux vers lui... Et fut frappée par la froideur de son regard, qui était implacable.
- Je ne vois pas ce que tu veux dire, mentit Regina.
- Ton silence soudain... Ton trouble.
- Et bien quoi ? S'agaça Regina, qui venait de terminer son deuxième verre de cidre et commençait à sentir la tête lui tourner. Il me semble avoir déjà répondu à cette question quand nous étions chez Granny, continua-t-elle froidement tout en se servant un autre verre. Fatigue et migraine, rien de plus.
- Je suis sûr que tu n'as pas dit la vérité, insista Robin sur un ton accusateur. Je ne sais peut-être pas toujours reconnaître quand quelqu'un me ment comme le fait Emma, mais je sais reconnaître quand toi tu me mens.
Lorsque Regina entendit le voleur prononcer le prénom de Mademoiselle Swan, sa main qui tenait la carafe à cidre vacilla brusquement, et un peu du liquide se renversa sur la table basse.
- Tu vois, ça recommence ! S'écria Robin qui désignait de la main la petite flaque de cidre.
- Je vais chercher une éponge, se contenta de lui répondre la brune, qui était soulagée d'avoir un prétexte pour s'éloigner du voleur un moment.
Mais Robin n'était pas dupe. Il la rattrapa au moment où elle atteignait le seuil de la cuisine et lui barra le passage avec son bras.
- Laisse-moi passer Robin.
- Pas tant que tu ne m'auras pas dit quel est le problème !
- Je ne te le demanderai pas une nouvelle fois, siffla la reine entre ses dents, tandis qu'une boule de feu apparaissait dans sa main droite.
- Tu n'oserais pas ! S'insurgea le voleur, qui eut tout de même un mouvement de recul devant la paume de main flamboyante de Regina.
Mais ce qui l'effraya plus encore, ce fut la lueur maléfique qui anima soudain le regard sombre de sa maîtresse.
Robin reconnut alors le fameux regard de méchante reine qu'avait un jour évoqué Henry au cours d'une conversation.
C'était la première fois qu'il voyait cette lueur mauvaise dans le regard de Regina, et cette lueur le terrifiait...
Il ne se démonta pas pour autant et continua son interrogatoire... à ses risques et périls.
- Il s'agit de Emma n'est-ce pas ?
Regina ne répondit pas et se contenta de regarder fixement le voleur, sa boule de feu crépitant toujours dangereusement au creux de la main.
- Tu veux savoir s'il se passe quelque chose entre Emma et moi ? Susurra-t-elle finalement d'une voix doucereuse, tandis qu'elle revenait sur ses pas en lui tournant le dos. La réponse est non. Tu veux savoir si j'ai des sentiments pour elle ? La réponse est oui. Je l'aime de toute mon âme, je l'aime de façon inconditionnelle.
Regina s'arrêta un instant, submergée par ses émotions, les yeux baignés de larmes.
- Tu veux savoir pourquoi je me suis rapprochée de toi ? Continua-t-elle dans un murmure à peine audible, comme si elle s'adressait plus à elle-même qu'au voleur. Et bien parce qu'un jour une fée m'a dit que tu étais mon grand amour. La vérité c'est que si j'avais franchi la porte de cette taverne, il y a des années de cela, tu aurais sûrement été celui qui m'était destiné. Mais le fait est que je n'ai pas franchi la porte pour courir vers toi. Et aujourd'hui je ne suis plus cette femme qui t'aurait rendu heureux, tout comme tu n'es plus l'homme qui aurait pu me rendre heureuse. Nous nous sommes manqués, par ma faute je le reconnais. Il était déjà trop tard pour nous deux le jour où tu m'as embrassée pour la première fois. Je crois que je l'ai su dès l'instant où nos lèvres se sont touchées. Mais cela m'était égal, car je ne pouvais pas être plus malheureuse que je ne l'étais déjà, avec ou sans toi…
La voix de Regina s'éteignit sur ces derniers mots, tandis qu'au même moment la boule de feu disparaissait au creux de sa main. Toute sa colère était retombée, il ne lui restait plus à présent qu'une terrible sensation de vide.
Regina soupira. Elle n'avait pris clairement conscience de toutes les choses qu'elle venait de confesser qu'au moment où elle les avait formulées à voix haute…
Tournant toujours le dos au voleur, elle ne pouvait voir sa réaction, mais son silence ne présageait rien de bon.
La reine finit par se retourner et affronta sans ciller le regard dur et froid de l'homme qu'elle avait toujours connu doux et attentionné. Regina savait qu'elle lui avait brisé le cœur, que ses paroles avaient été impitoyables. Mais elle avait été trop loin pour faire marche arrière, elle ne pourrait pas revenir sur ce qu'elle avait dit et il fallait à présent en assumer les conséquences.
Se sentant plus misérable que jamais, elle fit un pas dans sa direction.
- Robin, commença-t-elle, je…
- Quand tu as dit que tu ne pouvais pas être plus malheureuse que tu ne l'étais déjà, avec ou sans moi, à quoi faisais-tu allusion exactement ? La coupa-t-il sèchement.
- Je pense que tu le sais déjà, répondit Regina d'un ton las.
- Non je ne sais pas pourquoi tu étais si malheureuse. Qu'est-ce qui t'empêchait de déclarer tes sentiments à Emma ?
- C'est... compliqué. Les choses ont toujours été compliquées entre elle et moi. Je pense que les seuls sentiments qu'elle peut avoir pour moi sont, au mieux le mépris, au pire la haine... Et puis elle a rencontré Crochet…
- Et tu t'es jetée à corps perdu dans une relation avec moi, alors même que tu savais qu'elle était vouée à l'échec, comprit Robin, qui ne semblait plus en colère, mais seulement triste lui aussi.
Les yeux baissés, Regina acquiesça d'un léger hochement de tête.
Robin passa devant la brune sans un regard pour elle et alla récupérer son blouson sans un mot. Prêt à s'en aller, il allait tourner la poignée de la porte quand il suspendit son geste et se tourna vers la reine.
Ils se dévisagèrent en silence pendant quelques secondes, puis Robin prit la parole, hésitant.
- Une dernière chose... Toutes les fois où nous faisions l'amour, étais-tu vraiment avec moi ?
La reine ouvrit la bouche pour répondre mais aucun son ne sortit. Elle finit par détourner le regard, terriblement mal-à l'aise.
- Ce n'est rien, murmura Robin qui affichait à présent un sourire triste qu'elle ne vit pas. Je crois que je l'ai toujours su en fait. Sois heureuse Regina.
Elle avait écouté les pas de Robin s'éloigner dans l'allée, les yeux inondés de larmes. Elle les laissa couler allègrement sur ses joues sans même prendre la peine de les essuyer tandis qu'elle retournait vers le salon d'un pas lent et guère assuré, la vision brouillée par les larmes et le cerveau embrumé par l'alcool. Elle pesta contre elle-même. Elle avait bu trop de verres et elle les avait bus trop vite.
L'alcool l'avait désinhibée bien plus qu'elle ne l'aurait voulu…
Certes, elle s'était libérée d'un lourd fardeau, après tant d'années tout au long desquelles son secret l'avait prise en otage, l'avait bâillonnée, l'avait étouffée. Mais à présent elle était terrifiée à l'idée que la Ténébreuse découvrît la vérité sur ses sentiments. Et si Robin trahissait son secret ?
Elle se sentait déjà terriblement coupable de tout le mal qu'elle avait pu faire à Emma dans le passé, et voilà qu'elle venait de briser le cœur de Robin – le seul qui ait su l'aimer depuis la mort de Daniel.
Regina éclata en sanglots. Décidément elle avait un don pour briser le cœur de tous ceux qui comptaient un tant soit peu pour elle.
