Chapitre 6

Blanche, qui se rendait chez Regina, eut la surprise de croiser en chemin un Robin des bois plus maussade que jamais. Regardant ses pieds, l'esprit visiblement ailleurs, le voleur ne vit même pas la princesse qui venait à sa rencontre, et la dépassa alors qu'elle ouvrait la bouche pour lui parler.
D'abord un peu vexée que Robin l'ait ignorée de la sorte, Blanche réalisa presque aussitôt que quelque chose clochait, et mit sa susceptibilité de côté tandis qu'elle accélérait le pas en direction du manoir de Madame le Maire.

- Regina ? Appela-t-elle d'une voix forte, après avoir toqué à la porte sans succès pour la deuxième fois. Vous êtes là ?

N'entendant toujours pas de réponse et personne ne venant lui ouvrir, Blanche, un peu inquiète, tourna la poignée et, pensant la trouver verrouillée, eut un léger sursaut quand la porte s'ouvrit aussitôt.
La reine était donc bien ici, cela ne faisait aucun doute !

- Regina ? Appela-t-elle à nouveau tandis qu'elle poussait lentement le battant de la porte et passait la tête dans l'entrebâillement.

Avançant de quelques pas qui résonnèrent sur le carrelage du vaste hall d'entrée, ses yeux mirent quelques secondes pour s'habituer à la pénombre. Blanche constata rapidement que les rideaux du salon étaient tirés, ainsi que ceux de la cuisine, ce qui expliquait que le rez-de-chaussée était plongé dans la pénombre. Elle se dirigea alors vers le salon et écarta légèrement un des rideaux, juste assez pour laisser passer un rai de lumière.

Jetant un rapide regard circulaire dans la pièce, la princesse comprit qu'elle ne trouverait pas la mairesse au rez-de-chaussée. Après une brève hésitation, elle entreprit donc de monter les escaliers, son inquiétude grandissant au fur et à mesure qu'elle gravissait les marches.

Un peu plus tôt…

Regina, d'un claquement de doigts rageur, ferma tous les rideaux du rez-de-chaussée brutalement. Submergée par le chagrin, elle monta les escaliers de marbre blanc plongés dans une semi-obscurité qui ne la dérangea pas le moins du monde. Elle connaissait les moindres coins et recoins de son manoir et pouvait s'y déplacer les yeux fermés.

La solitude et l'obscurité quasi-totale lui permirent de faire le vide dans son esprit et un semblant de lucidité lui revint tout à coup, arrêtant ses pas au milieu des marches...

Elle avait fait une terrible erreur...

« L'amour est une faiblesse Regina... »

Alors que les paroles de sa mère claquaient comme un fouet dans son esprit, le visage de la reine retrouva son habituel masque de froideur et ses traits se durcirent.

Bon sang, que lui avait-il pris de mettre ainsi son cœur à nu ? De dévoiler sa plus grande faiblesse ? Elle qui avait passé tant d'années à se rendre impitoyable et redoutée de tous...

Elle avait enseveli ses sentiments les plus nobles sous une montagne de rancœur, elle avait noyé sa sensibilité dans un océan de fausse indifférence.

Elle qui avait passé la majeure partie de sa vie à se cacher derrière un masque d'insensibilité, elle l'avait fait tomber pendant quelques secondes, suffisamment longtemps pour ruiner ses efforts de toute une vie…

Et elle se maudissait pour cela.

Prenant une profonde inspiration afin d'apaiser sa colère contre elle-même, elle reprit la montée des escaliers et, une fois parvenue dans sa chambre, se dirigea vers sa table de nuit. Après une brève hésitation, elle ouvrit le tiroir du petit meuble et s'empara d'une fiole remplie d'un liquide nacré.

Elle s'assit sur son lit et eut un léger soupir tout en considérant l'objet avec attention, le faisant tourner entre ses doigts, hésitant à en boire le contenu.

De longues minutes s'écoulèrent ainsi, sans que la reine s'en rendît compte.

Troublée par ces sentiments qu'elle avait toujours reniés et qu'elle venait pourtant d'avouer, ces sentiments dont elle ne savait que faire et qui l'embarrassaient, elle n'entendit pas Blanche-Neige toquer à sa porte et l'appeler. Elle ne la vit pas non plus, une minute après, l'observant depuis le seuil de sa chambre, le front barré d'un pli soucieux.

- Regina, est-ce que tout va bien ?

Réprimant un sursaut, l'intéressée leva un regard rempli de haine vers l'intruse.

- Vous... Qui vous a permis d'entrer chez moi ? Fit-elle d'une voix glaciale.

- Je... J'ai toqué à la porte mais vous ne m'avez pas entendue, répondit Blanche, qui ne se laissa pas démonter par le ton peu engageant de la reine.

- Et cela vous donne-t-il le droit d'entrer par effraction à mon domicile ? Reprit cette dernière de sa voix toujours aussi glaciale.

- Je n'ai pas forcé la porte, elle était ouverte et... Je m'inquiétais pour vous.

En entendant ces mots, Regina afficha malgré elle un air de surprise, et ses yeux brillèrent de reconnaissance.

Mais elle reprit, retrouvant presque aussitôt son attitude glaciale :

- Pourquoi diable étiez-vous inquiète ? Je vais parfaitement bien.

- J'ai croisé Robin et…

Voyant Regina devenir livide tout à coup, Blanche s'arrêta net de parler.

- Qu'y a-t-il ?

Sans tenir compte de sa question, la reine lui en posa une à son tour :

- Robin... Que vous a-t-il dit ?

Blanche devina sa frayeur sans en comprendre la raison…

- Il ne m'a absolument rien dit. Il ne m'a même pas vue. Il avait l'air d'une humeur exécrable…

Soudain, un éclair de compréhension illumina l'espace d'un instant les yeux de la princesse tandis qu'elle observait avec curiosité la minuscule fiole que Regina faisait tourner entre ses doigts, pensive.

- Ne buvez pas cette potion Regina ! S'alarma-t-elle, ayant deviné le contenu de la petite bouteille. Vous feriez une terrible erreur... J'ai moi-même bu cette potion un jour et les conséquences furent désastreuses…

- Vous, vous connaissez cette potion ? Fit Regina, dubitative et un brin moqueuse. Je suis sûre que vous ne savez même pas de quoi il s'agit…

- C' est une potion d'oubli, rétorqua aussitôt Blanche d'un ton assuré. Elle m'avait été donnée par Rumplestiltskin il y a des années de cela... C'est moi qui la lui avais demandée, afin d'oublier Charmant.

La reine la regarda avec étonnement. Ainsi, Blanche-Neige avait un jour essayé d'oublier son prince?

- Vous voulez oublier Robin, c'est ça ? Poursuivit Blanche, l'air attristé. Qu'a-t-il bien pu se passer entre vous pour que vous en arriviez là ?

- Mêlez-vous de vos affaires, Blanche. Je n'ai aucune envie de me soumettre à votre petit interrogatoire, répondit la reine froidement. Et je vous prierai de quitter cette chambre et de me laisser tranquille.

Cependant les paroles de Blanche-Neige, aussi intrusives et agaçantes soient-elles, la firent réfléchir. Elle hésitait désormais à boire le contenu de la petite fiole.

Voyant son hésitation, Blanche ajouta :

- Même si l'être aimé disparaît de votre mémoire, vos émotions et vos sentiments seront toujours là, et vous ne serez plus en mesure de les comprendre... Vous ne serez plus que colère et frustration mêlées... Croyez-moi, je sais de quoi je parle…

Regina, à ces mots, leva vers la princesse un regard qui ne présageait rien de bon. Cette dernière ne put s'empêcher de baisser les yeux et se sentit rougir comme un enfant pris en faute.

- Que savez-vous de mes émotions et de mes sentiments, Blanche? L'interrogea alors la reine d'un ton doucereux . Rien, vous ne savez absolument rien... Et qui vous dit que c'est Robin que je veux effacer de ma mémoire ? Vous les Charmant, vous n'avez jamais su voir plus loin que le bout de votre nez !

Regina, une fois encore, regretta ses paroles aussitôt après les avoir prononcées. Elle les regretta encore davantage lorsqu'elle vit la consternation dans le regard que lui lançait Blanche. Elle avait voulu clouer le bec à son ancienne ennemie, sa rancœur envers elle étant toujours aussi tenace malgré les efforts qu'elle faisait depuis quelque temps déjà, à la fois pour lui pardonner et surtout pour se pardonner...

Mais une fois encore son impulsivité lui avait joué des tours…

- Laissez-moi s'il-vous-plaît, se contenta-t-elle d'ajouter, tout en fulminant intérieurement.

Cette fois, Blanche n'insista pas et sortit de la pièce. Mais alors qu'elle s'apprêtait à refermer la porte derrière elle, elle se souvint brusquement de la raison de sa venue et passa sa tête dans l'entrebâillement, la main toujours posée sur la poignée.

- En fait je suis venue vous voir pour une raison bien précise Regina, fit-elle, hésitante. Je ne suis pas venue dans l'intention de vous bombarder de questions indiscrètes... Je suis vraiment désolée pour cela... Je suis venue pour vous demander de m'accompagner jusqu'à la chaumière où s'est réfugiée Emma. Charmant a accepté de me laisser aller la voir, à condition que vous veniez avec moi... Il ne veut pas que je prenne le risque de me rendre là-bas sans une personne pourvue de pouvoirs magiques à mes côtés... Au cas où Emma s'en prendrait à moi…

Blanche avait parlé d'une seule traite, et elle attendait, nerveuse, que Regina daignât lui répondre. Mais la brune ne la regardait pas et restait obstinément silencieuse, affichant une expression indéchiffrable.

- Regina ?

La reine réfléchissait si intensément qu'elle n'avait même pas entendu Blanche l'appeler tout doucement.
Se sentait-elle prête à affronter de nouveau la colère de Emma ? Se sentait-elle prête à croiser le regard de la Ténébreuse tout en étant désormais parfaitement lucide sur la réalité de ses sentiments pour elle ?

Non, elle savait qu'elle était loin de se sentir prête... Elle souffrait trop, elle n'était pas dans son état normal. Elle sentait un nœud douloureux au fond de sa gorge depuis qu'elle avait avoué ses sentiments pour Emma à Robin. Ses émotions prenaient le dessus, l'entraînant sur une voie dangereuse...

Elle était terrifiée. Elle était amoureuse. Elle se sentait malheureuse.

Elle avait l'impression d'être un chaudron bouillonnant d'émotions contradictoires qui menaçait d'exploser à tout moment.

Et elle ignorait qu'à des kilomètres de là, Emma se sentait tout autant submergée par ses émotions…

- C'est d'accord. Je vous accompagnerai, répondit finalement Regina.