Au départ simple camaraderie, notre amitié se renforça au fil des semaines pour devenir un amour sincère et profond. Souvent, après nous être croisés toute la journée, nous nous donnions rendez-vous dans une vieille grange abandonnée. Là, nous imaginions un monde meilleur ou la souffrance et le malheur n'existaient pas. Nous réinventions nos vie. Elle était une artiste admirée et adulée, tandis que moi, son époux, était un médecin réputé.
« Tu t'intéresses donc tant que ça à l'anatomie ? » me demanda-t-elle un soir.
Je la regardai d'un air surpris. Elle me posait cette question d'un ton détaché, sans aucun signe de dégoût ou de remontrances.
« Euh…oui. Je m'intéresse depuis tout petit au fonctionnement du corps. Je voulais être médecin….pff…c'était un rêve d'enfant, regarde ou je suis à présent ! »
« Pourquoi ne demande-tu pas au docteur, euh…je ne me souviens plus de son nom…celui qui exerce en ville, si tu peux être son assistant ? »
Je ris. Un rire sans joie.
« Son assistant ? Pourquoi le docteur Gottreich voudrait de moi pour assistant ? Je n'ai pas fait d'étude, je suis issu d'une classe ouvrière, je…pff…et puis ce docteur a une drôle de réputation. On dit parfois qu'on se porte plus mal après être allé le voir qu'avant ! Pour tout te dire, il me fait un peu peur. »
« Ce n'était qu'une idée. »
« Et je te remercie de l'avoir proposée. Tu es la première personne à qui je parle de mes passions sans que celle-ci ne soit choquée ! Il est tard ! Tu devrais peut-être rentrer. Tes parents risquent de s'inquiéter non ? »
« Mes parents ? » C'était à son tour de rire sans joie. « Ma mère ne sait même pas que j'existe et mon père… ».
Elle avait l'air triste.
« …mon père », continua-t-elle « est un homme violent et qui ne se fera pas de souci pour moi ne t'inquiètes pas !… ».
Je la pris dans mes bras pour la réconforter.
Mes parents quant à eux n'étaient pas fâchés de ne pas me voir souvent. Pour eux, plus j'étais loin d'eux, mieux c'était.
« Tu n'as jamais imaginé faire tes recherches sur un corps humain ? » demanda-t-elle gentiment.
« Un humain ? »
« Oui, dans les écoles de médecine ils dissèquent des hommes ! »
« Oui, mais je ne suis pas dans une école de médecine malheureusement voudrais-tu que je travaille sur un corps humain ? »
Il y eut un moment de silence.
« Si jamais je meurs, je te donne la permission et même l'ordre d'ouvrir mon corps pour voir comment c'est là-dedans ! » dit-elle d'un ton détaché.
« Quoi ? Qu'est-ce que tu racontes ? Tu ne vas pas mourir ! Et quand bien même cela arriverait, je serais incapable de toucher à un de tes cheveux !….quelle horreur, rien que d'y penser ça me donne des frissons !… »
« Je ne te demande pas ton avis, si je meurs, je veux que tu progresse dans tes recherches…grâce à mon cadavre. »
Elle avait un ton sérieux et décidé. Moi, je n'en croyais pas mes oreilles.
« Mais de toute façon, je ne comprends pas pourquoi tu me dis tout ça ! Pourquoi tu mourrais maintenant ? Tu es jeune, en bonne condition physique… »
« On ne sait jamais ce que la vie nous réserve, c'est tout…un accident est vite arrivé. »
Je la serrai contre moi et l'embrassai. Sur le front, sur les joues, sur la bouche. Son odeur m'enivrait. Ma main, jusqu'alors au niveau de sa taille, remonta sur ses seins, puis sur son épaule. Je fis descendre les bretelles de sa robe. J'embrassai sa poitrine, si douce.
Nous fîmes l'amour.
Quelle découverte pour nous deux ! Explorer le corps de l'autre, exalter nos cinq sens dans cette union. Il n'y avait alors plus rien de sale : ni la fusion de nos deux corps, ni la grange dans laquelle nous nous trouvions qui pourtant était lugubre et délabrée, ni le monde qui nous entourait, l'usine, nos parents, nos vies. J'étais simplement là, avec un ange, qui me donnait un avant goût du Paradis.
Au petit matin, alors que je dormais encore, je la sentis se défaire de l'étreinte de mon bras et s'éclipser. Elle m'embrassa sur le front puis partit retrouver la maison ou vivait ses parents et qui lui servait de foyer.
La journée, bien que semblable à toutes les autres passées à l'usine, me parue plus supportable qu'à l'ordinaire. Sans doute était-ce la bénédiction que mon ange avait donné à mon âme qui mes donnait cette impression. Cependant, un chose me dérangeait : monsieur Lewis, le contre-maître, m'avait affecté pour la journée à un poste différent de celui que j'occupais habituellement, si bien que je ne vis pas Emily la journée. Je savais néanmoins que nous nous retrouverions le soir même comme nous en avions l'habitude.
(suite le 11/03/06)
