Lorsque je me réveillai, j'étais de retour en ville, dans une cellule de la prison.
Les jours qui suivirent furent absolument épouvantables.
Le père d'Emily m'accusait d'avoir assassiné sa fille – ce que nul ne contestait puisque même des policiers m'avaient vu plonger mes mains dans son cadavre. Mais il m'accusait aussi de l'avoir violée, ce qui n'arrangeait pas mon cas aux yeux de ceux qui n'avaient pas assisté à la scène.
J'avais beau protester, expliquer notre histoire, qui aurait pu me croire ?…
Mes parents m'avaient définitivement renié lorsqu'ils avaient appris ce qui s'était passé. En fait, le père d'Emily ne voyant plus sa fille chez lui après qu'il l'ait pourtant presque laissée pour morte dans la cave, avait fait appel à la police. Un passant avait vu Emily se diriger vers la grange et c'est comme cela qu'ils nous avaient retrouvés.
J'eus tout de même droit à un procès. Il fut vite terminé. J'étais coupable, cela ne faisait aucun doute pour personne. Cependant, on me croyait fou c'est pourquoi on hésita entre la peine de mort et l'asile récemment crée ainsi que l'hôpital dans lequel il se trouvait et dont le fameux docteur Gottreich avait la charge. Le jury qui me jugea coupable décida de me diriger vers l'asile. Cela constituait sans doute leur vengeance : ils se doutaient que l'asile du docteur Gottreich était cent fois pire que la mort.
Il était déjà mort….
On me conduisit à l'asile en camisole de force.
On m'installa dans une pièce lugubre, toute blanche et toute carrelée. Je devais attendre là le docteur Gottreich pour un premier entretient.
« Bonjour mon garçon » me dit-il. « Alors ? Qu'avons-nous fait pour nous retrouver ici hum ? Ah oui ! C'est toi le jeune homme qui a massacré une demoiselle en ville. » dit-il d'un ton presque blasé en lisant le dossier qu'il avait devant les yeux.
Lorsque je l'entendisprononcer ces mots, quelque chose se brisa en moi, comme si je réalisais seulement à ce moment précis tout ce qui s'était passé. Je me mis à pleurer. Mais je n'étais pas triste : les larmes coulaient toutes seules comme si elles étaient la réponse de mon corps aux récents événements. Mais moi, je n'étais pas triste, je ne ressentais plus rien, tout m'était étranger. La douleur provoquée par les liens de ma camisole, l'atmosphère lugubre de la pièce, la peur que m'inspirait le docteur Gottreich, tout ce qui était passé, présent ou futur, rien de tout cela n'avais d'importance. A partir de cet instant plus rien ne comptait. Les gens me pensaient fou avant ces événements, ils me savaient fou après mais pourtant je ne le devint vraiment qu'à partir de cet instant précis. C'était eux qui m'avaient rendu malade, dingue, maboul, fou à lier, barge, siphonné.
« Des regrets peut-être ? » demanda-t-il me voyant pleurer.
Il sourit. Un sourire sadique.
« Il est trop tard pour ça mon garçon !
Je vais t'emmener dans une autre salle ou nous te ferons passer des examens. »
Et il m'emmena dans cette salle.
L'hôpital était tout neuf et l'asile encore davantage comme je l'ai déjà dit plus tôt. Pourtant, cette salle portait déjà un nom bien particulier. Les patients et le personnel la surnommaient « la chambre des douleurs ».
Elle portait si bien son nom.
En guise d'examens, le docteur Gottreich me fit passer une série de tests afin d'éprouver et de mesurer ma résistance physique et psychique à la douleur. Ce n'était rien d'autre qu'une séance de torture…en plus vicieux : à la différence des prisonniers de guerre, les patients n'ont aucun renseignements à révéler en échange de l'arrêt des souffrances.
Goutte à goutte sur le crâne (un supplice qui est en apparence « gentil » mais qui se révèle être un des pires : le patient qui le subit des heures voire des jours devient fou…encore plus qu'avant…) Aiguilles plantées dans des nerfs Electrocutions diverses Longues heures –très longues heures- passées à être fouetté et battu de diverses façons Plaies diverses Exposition à des produits corrosifs …
La liste des traitements était longue et loin d'être exhaustive. Tous les moyens étaient bons tant qu'ils faisaient souffrir. Le docteur et ses infirmiers essayaient simplement de ne pas trop nous « abîmer »…pour pouvoir recommencer plus vite !
Etais-ce mon soudain changement d'état d'esprit ou une résistance naturelle à la douleur, toujours est-il que je passais avec « succès » les tests du docteur Gottreich. Peut-être aurait-il mieux valu pour moi que j'échoue, il m'aurait sans doute tué plus rapidement, il n'aimait pas les gens peu résistants. Là, au contraire, ce bon docteur augmenta la cruauté de ses tests.
Bien sûr, plus le temps passait, plus je m'affaiblissais. Et je perdais un peu plus la raison chaque jour.
Un soir, le docteur Gottreich vint me voir dans ma cellule après une de mes « séances ».
« J'ai lu dans ton dossier que tu avais déclaré à la police avoir massacré cette jeune fille par amour de la science. Peut-tu éclairer un peu ce fait mon garçon ? » me demanda-t-il.
J'étais allongé par terre. Je ne pouvais pas bouger car mon corps était trop douloureux. Mon esprit aussi était engourdi si bien qu'il me fallut un moment pour comprendre la question du docteur.
« Je ne l'ai pas massacrée » commençais-je par dire. « Elle n'est pas morte par ma faute. Enfin….je…si en fait je l'ai tuée…mais je ne le voulais pas….si j'avais su, je serais parti avant que ma présence ne lui fasse du tort »
Le docteur s'esclaffa.
« Quelle jolie façon d'avouer que tu l'as tuée…massacrée » dit-il en insistant bien sur les mots. « Mais revenons à ma question : que veux-tu dire par « amour de la science » ? »
J'éclatais de rire.
« Oui ! Oui vous avez raison je l'ai massacrée ! »
Je riais toujours…mais des larmes coulaient une fois de plus le long de mes joues.
« Amour de la science » prononçai-je dans la plus grande détresse. « Je voulais devenir médecin quand j'étais enfant. J'ai toujours été curieux du fonctionnement du corps humain. Je ne l'ai pas tuée, du moins pas de mes mains, je l'ai disséquée. »
« Une dissection ? » répéta-t-il, surprit.
Il parut réfléchir un instant.
« Dis-moi, mon garçon, je te propose un marché. J'ai besoin d'un assistant. Si tu le désire, et en échange d'une diminution du nombre de séances d'étude de la douleur, je t'offre la place ! »
Je crus sur l'instant avoir mal compris.
« Votre assistant ? » demandai-je incrédule.
« Oui, tu m'assisteras lors de certaines séances et tu m'aideras lors de certaines études. Au début, tu ne feras qu'assister à tout cela sans intervenir bien sûr, à part pour me préparer le bon matériel et me le donner aux bons moments…mais plus tu apprendras, plus je te confierai de responsabilités !…. Qu'en dis-tu ? »
