Bonjour !

Ça me fait tout bizarre de poster aussi rapidement un nouveau chapitre. Je me suis promis de tenir le rythme d'un chapitre minimum par mois en 2020. C'est vrai que je ne m'inquiète pas trop entre la fantastique Docteur Citrouille, ses blagues et ses idées incroyables à la minute, et la non moins inspirante Sun Dae V (bon anniversaire à sa protagoniste, d'ailleurs, hihi), je pense que l'inspiration et la motivation devraient rester.

Merci également aux nouvelles personnes qui ont follow cette histoire, Morgane451, ballerine91, DrussLAssassin, Cookie-Eat, Liliena, et salmonelodie. J'espère ne pas en oublier huhu.

En vous souhaitant bonne lecture !


Chapitre 2 — Le château aux mille étoiles


Le premier septembre arriva trop vite.

La veille, Ian prépara un repas de fête qu'ils dégustèrent dehors, dans la douceur de fin août, réchauffés par un ciel sans nuage au soleil pâle.

Les plats se succédèrent sur la table - une salade aux pommes et noix, un écrasé de pommes de terre accompagné de pêches cuites, une casserole de Dahl d'épinards au lait de coco, et pour parfaire le tout, une cascade de desserts - de la crème au chocolat, un reste de brownie, des biscuits aux flocons d'avoines et framboises du jardin, et un cake aux bananes tout droit sorti du four.

Le festin se finit malheureusement par une vérification des bagages pour le lendemain. Katie monta avec Will pour jouer avec ses chaudrons et les drôles de petits instruments que ses copains lui avaient offerts pour son anniversaire et Noël.

Abigail monta dans sa chambre rajouter les quelques affaires que son père avait lavées pour elle. Ses yeux se posèrent plusieurs fois sur le livre qu'elle s'était offert sur le Chemin de Traverse, Magies d'hier et d'aujourd'hui, qu'elle avait terminé sans trouver la moindre information intéressante sur une quelconque forme de magie comme la sienne, hésitante à l'emporter, avant de finalement décider qu'il se portait très bien sur sa table de chevet.

Une fois son bagage terminé, elle s'assit sur son lit et soupira lentement, les mains l'une dans l'autre, sur ses cuisses. Son coeur serré ne parvenait pas à s'apaiser depuis la fin du repas - le lendemain soir, elle ne viendrait plus se réfugier dans sa petite chambre bleue solitaire et silencieuse, aux rideaux trop fins et à ses dessins d'enfant encore accrochés aux murs - des gâteaux, pour la plupart des créations originales, souvent irréalisables.

Au fond, elle voulait se persuader que ses angoisses étaient irraisonnées. Que tout se passerait bien, que Dumbledore avait tout fait pour que ses camarades de dortoir soient en sécurité.

Trois petites tapes contre la porte la dérangèrent dans ses pensées - son père entra bientôt dans la pièce, un sourire un peu penaud aux lèvres. Prévenant, il avait enfilé un gros pull en laine et d'épaisses chaussettes - et pourtant, malgré ses précautions, il frissonna en entrant dans l'antre glacé de la fillette. Elle le suivit des yeux alors qu'il s'approchait et s'asseyait sur le lit doucement, comme s'il craignait de le briser.

Pendant un instant, ils restèrent muets. Ian posa ses mains à plat sur ses cuisses, à défaut de les poser sur les épaules ou les joues de sa fille, et tapota ses genoux de ses index, cherchant la meilleure façon de démarrer la conversation qu'il voulait amorcer avec elle.

— Ça va ? demanda-t-il finalement d'une voix si peu convaincue qu'elle leva les yeux vers lui.

Son visage fatigué portait toute la tristesse de quitter ses enfants le lendemain pour quatre longs mois, mais au fond de ses iris clairs, qu'il posait partout sauf dans le regard de sa fille, brillait une autre inquiétude. Lentement, de sa voix froide, Abigail répondit :

— Tu es sûr que ce n'est pas à toi que je devrais poser la question ?

Ian soupira lourdement. Ses épaules s'affaissèrent, il se mit à jouer avec ses mains, le regard sur les différents dessins de la pièce.

— Je ne devrais pas, mais je suis un peu inquiet pour toi, pour ton entrée à Poudlard, avoua-t-il.

— Je n'ai pas peur, mentit doucement Abigail.

Un sourire et une lueur rassurés dans ses yeux éclairèrent le visage de Ian. Cette fois, il accepta son regard et l'enveloppa de tant d'amour qu'elle sentit son coeur se serrer davantage.

— D'accord. Alors c'est tant mieux. Mes angoisses n'ont pas lieu d'être. Je suis sûr que tout se passera bien. Dumbledore aura fait le nécessaire. De toute façon, ajouta-t-il encore, ce n'est pas grave si les autres comprennent que tu as une magie un peu différente. Hein, ma puce ?

— Oui, papa, répondit froidement Abigail, droite et tendue comme une statue.

Son ton fit pâlir son père d'embarras.

— Tu n'es pas anormale, c'est ce que je veux dire. N'aie pas honte de toi.

— Ça ira, papa, murmura Abigail d'un ton qui le dissuada de continuer dans cette voie.

Ian hocha la tête, penaud. Son regard se posa sur l'ours en peluche qui traînait sur l'oreiller de la fillette et sourit :

— Tu ne l'emmènes pas ?

— Je la mettrai dans ma valise demain matin.

— D'accord. Kat se serait fait une joie de te la prendre, sinon.

Il sourit doucement, repensa au lit de Katie rempli de peluches en tous genres.

— Je ne suis pas sûre que Katie accepterait le moindre cadeau de ma part.

Le sourire de Ian fana aussitôt.

— Pourquoi tu dis ça, Abby chérie ?

— J'ai l'impression que je lui fais peur.

La réponse mortifia Ian, qui secoua la tête.

— Ce n'est pas de la peur, chérie. Tu l'impressionnes un peu, c'est tout.

Abigail ne répondit rien, le regard perdu sur sa moquette.

— Tu n'es pas une anomalie, Abby.

Sa voix n'était plus qu'un murmure chagriné dans l'obscurité de la chambre. La fillette hocha la tête, lentement.

— Un jour, j'espère que tu le croiras vraiment. En attendant, il se fait tard et demain, nous partons tôt. Au lit.

Il la laissa se faufiler dans ses draps, sa peluche contre elle, et se releva.

— Tu as mis tes compléments alimentaires dans ta valise ?

— Oui.

— Parfait. Alors bonne nuit, ma chérie. Dors bien.

Il résista à l'envie de l'embrasser sur le front et se dirigea d'un pas lourd vers la porte.

— Je t'aime, chérie. A demain.

— A demain, papa.

Et après un dernier sourire, Ian ferma la porte. Abigail soupira silencieusement, le coeur gros. Elle voyait bien qu'il essayait de toutes ses forces de communiquer avec elle, sans autre résultat que des maladresses et des incompréhensions, parfois. Et au fond, elle s'en voulait.

Elle observa une dernière fois la chambre, éteignit la lumière, serra son ours contre elle et se retourna dans son lit.


La pluie se mit à tomber au milieu du trajet entre Stamford et Londres. Assise à l'arrière avec une Katie somnolente – la faute à Will qui les avait réveillés deux heures trop tôt en descendant les escaliers avec la discrétion d'un troll dans une boutique de miroirs –, Abigail regardait le paysage d'une désolante banalité défiler, son petit sac contenant sa baguette magique, quelques livres et son déjeuner serré contre elle. A l'avant, Will et leur père chantaient par-dessus Freddie Mercury, tellement fort et parfois faux que Katie se retourna plusieurs fois dans son demi-sommeil, les mains sur les oreilles.

La pluie s'était – heureusement – calmée quand Ian coupa le moteur de la vieille Ford Anglia. Ils sortirent les valises et se dirigèrent vers King's Cross, appréciant l'architecture de la gare de St Pancras par la même occasion.

En ce dimanche 1er septembre 1985, seuls les habitués des voyages et les fêtards de la veille souhaitant rentrer chez eux erraient dans la gare presque vide. Ils se dirigeaient vers le monde magique dans un silence presque intimidé. Seul Will irradiait d'impatience et de bonheur, balançait joyeusement la main que Katie avait pris dans la sienne. Ils furent d'ailleurs les premiers à passer la barrière entre les quais neuf et dix, sans un dernier regard pour le monde moldu – dans un léger 'pop', ils avaient disparu.

Abigail s'immobilisa, après leur départ. Un élancement aussi court que soudain dans ses mains faillit lui arracher une grimace. Dans sa poitrine, son cœur s'affola tant la barrière suintait la magie. L'excitation de plonger dans ce nouveau monde et la peur de laisser le confort moldu qu'elle avait toujours connu – bien qu'elle ne s'y sentît jamais réellement à sa place – se mélangeaient dans sa poitrine, l'engourdissait.

— A nous, murmura Ian très doucement.

Elle hocha la tête, le cœur battant au fond de sa gorge. Un coup d'œil à ses mains fermement accrochées sur son chariot lui confirma que le gel se répandait lentement sur les poignées. Ian la vit déglutir et réaffirmer sa prise.

— Ça va aller, Abbynette.

— Oui.

Le regard emplit de détermination qu'elle lui lança ne fut peut-être pas suffisant pour lui cacher son stress, mais il fit s'étaler sur le visage de Ian un sourire attendri.

— Ensemble ? proposa-t-il.

— Ensemble.

Et, comme si de rien n'était, ils s'appuyèrent contre la barrière, comme un père et sa fille en pleine discussion. Abigail garda son regard fixé sur lui, son seul accrochage au monde moldu, alors que, d'un battement de paupières, ils quittaient l'espace entre le quai neuf et dix et entraient chez les sorciers.

Une odeur de fumée, de cuir et d'ambre assaillit aussitôt le nez de la fillette, alors que tout, autour d'eux, s'était métamorphosé.

La modernité des trains, des affichages ou horloges, même des bagages en eux-mêmes, tout le mobilier du quai changeait du tout au tout. La locomotive rouge vif crachant sa fumée blanche, l'énorme horloge dorée, les énormes valises entassées autour du conducteur qui s'échinait à les faire monter dans le wagon spécialement aménagé, sortaient tout droit d'un siècle plus tôt.

Tout était excuse à s'émerveiller. La foule de sorciers et sorcières habillés de robes et de chapeaux pointus, les différentes couleurs portées par les élèves de Poudlard déjà répartis de leurs précédentes années, les chouettes, hiboux, et autres animaux en cage près à partir. De nouvelles choses apparaissaient partout où pouvait se poser le regard. Pourtant, c'est vers les cheveux de son père que le regard inquiet d'Abigail se dirigea – quelques flocons s'y étaient déposés, et même le bout de son nez et ses pommettes étaient colorées par le froid.

Au vu du regard que lui adressait sa fille, Ian passa une main dans ses cheveux et y découvrit la neige.

— Ce n'est rien du tout, Abby chérie, la rassura-t-il doucement.

— Mais…-, murmura Abigail, et sur les poignées de son chariot, la glace s'épaissit.

— Abby, papa, par ici !

L'appel pressé de Will et le chaos de bruits, d'odeurs et de couleurs dans lequel le quai était plongé accentuèrent l'horreur au fond de la poitrine d'Abigail, l'étranglèrent presque. Son sang-froid manqua d'éclater au fond de sa gorge, elle pouvait presque sentir sa magie jubiler le long de ses bras pour s'arrêter brutalement dans ses mains – non, pas maintenant.

— Respire, chérie.

Dans le tumulte de la locomotive et des voix semblables à des cris dans ses oreilles, ces deux mots prononcés d'une voix trop calme résonnèrent contre son crâne, trouvèrent leur écho dans sa gorge, alors qu'elle lâchait lentement son chariot et respirait longuement. Faire le vide, comme lui avait si souvent répété Dumbledore, faire le vide et contrôler la peur, au fond de sa poitrine, la peur qui reculait lentement, se recroquevillait au fond de ses entrailles, s'endormait d'un seul œil, pressé de cogner de nouveau contre ses côtes pour signaler sa présence.

— Ça va, chérie ?

— Ça va, Abby ?

Ian souriait tranquillement, mais les sourcils à demi froncés d'inquiétude sur le visage de Will faillirent laisser ressurgir le monstre tapi au fond de son ventre. Elle s'efforça de ne pas croiser le regard de Katie, collée à son frère, et hocha la tête sèchement :

— Je vais bien.

Si elle omettait la désagréable douleur qui lui tirait la poitrine, jusqu'à ses mains encore douloureuses.

— Ouf, soupira Will, soulagé. On va pouvoir poser ton chariot et trouver une place dans le train. Je ne sais pas si Charlie est déjà là…

Ses yeux brillaient tellement qu'Abigail n'eut pas le cœur à lui avouer qu'elle préférait rester seule durant le voyage.

Malheureusement, en parlant du loup…-

— Ohé, Will !

L'interpellé fit volte-face – Charlie s'approchait d'eux, souriant jusqu'aux oreilles. Dans ses mains, il tenait un livre à la couverture écornée, les couleurs passées, presque pelucheuse, et, contrairement à ce que Will put penser, il ne s'arrêta pas devant lui tout de suite, mais tendit le curieux livre à Abigail.

— Tiens, j'avais promis.

La fillette s'en saisit si rapidement, dans l'espoir que si du givre recouvrait la couverture, Charlie n'y verrait que du feu, que le sourire du garçon fana avec la surprise, et c'est en baissant la tête qu'elle murmura un piteux :

— Merci beaucoup.

— Je t'en prie, répondit Charlie sur un ton qui ressemblait plus à une question.

Il lança un regard étonné à Will qui haussa seulement les épaules, un air inquiet sur le visage.

— Tu me le rends quand tu veux hein, et ne t'inquiète pas si tu l'abîmes. Comme tu peux le voir, il n'est plus de prime fraîcheur. Tu sais s'il y en a d'autres qui sont arrivés ? ajouta-t-il en se tournant vers Will.

— Non. On n'est pas là depuis longtemps.

M. Weasley, qui embrassait Bill pour le laisser ensuite rejoindre ses amis, s'approcha bientôt d'eux, ravi de retrouver Ian pour lui parler de la merveilleuse découverte qu'il avait fait la semaine précédente – un vieux grille-pain retrouvé dans une poubelle qu'il avait récupéré. Quant à Will et Charlie, ils s'étaient lancés dans une grande conversation sur les différents modèles de balais qu'ils avaient pu voir sur le Chemin de Traverse, et les essais pour entrer dans l'équipe de Quidditch qu'ils avaient follement envie de passer cette année.

— Oh mais regarde, Stephen est là-bas, s'écria Charlie joyeusement en adressant un immense signe de main à un garçon, un wagon plus loin.

Plus par réflexe que réelle curiosité, Abigail suivit son regard, et sentit ses entrailles se tordre alors que le dénommé Stephen répondait d'un sourire et d'un signe de main, un peu plus loin.

Ce grand garçon aux lunettes rondes, c'était celui qu'elle avait presque assommé à Fleury et Bott. Il était accompagné d'un homme long et fin habillé d'une cape de voyage sobre. Lui aussi portait des lunettes épaisses qui lui mangeaient la moitié du visage et lui conféraient un air un peu rêveur. Il sourit quand il remarqua les deux adolescents saluer son fils avec tant de bonheur sur leur visage, et bientôt, au grand malheur d'Abigail, ils se dirigèrent vers le petit groupe que formaient les Swann et les Weasley.

Abigail se réfugia près de son père, toujours en conversation avec M. Weasley, lequel s'arrêta en apercevant les nouveaux venus s'approcher.

— Par la Barbe de Merlin, le fameux Archibald Picadilly ! s'exclama-t-il.

Mais le ton jovial et détaché qu'il avait pris laissait comprendre que la présence du nouveau venu l'impressionnait.

Archibald Picadilly, géant au sourire doux, rougit et émit un léger rire gêné.

— Le fameux, le fameux… C'est un peu exagéré, Arthur.

— Archibald est un archéomage exceptionnel, expliqua M. Weasley, sans se soucier des plaques rouges qui s'étalaient sur les joues de l'intéressé. Nous avons travaillé ensemble lorsque le Ministère a eu des soucis avec… les bijoux ensorcelés, ajouta-t-il en baissant quelque peu la voix.

— Oui, je m'en souviens, c'est ce qui vous avait retenu au Ministère lorsque nous sommes allés au Chemin de Traverse, répondit poliment Ian.

Il se tourna vers Archibald Picadilly et lui tendit la main que le nouveau venu attrapa en souriant doucement.

— Ian Swann, moldu de profession, enchanté.

Will leva les yeux au plafond en entendant cette description de son père.

S'en suivirent des discussions des plus pénibles. Les garçons, tous trois dans la même année à Gryffondor, avaient visiblement beaucoup de choses à se dire, et Ian, M. Weasley et M. Picadilly parlaient de tout et de rien comme s'ils se connaissaient depuis des années. Abigail refusait catégoriquement de croiser le regard de Stephen, de peur qu'il ne la reconnaisse, et n'osait pas non plus trouver un soutien en Katie, qui restait collée à son frère et y allait gaiement de sa petite anecdote dans le cercle de garçons.

Peu avant onze heures, un garçon gigantesque, qu'Abigail crut en septième année – voire plus, tant il la dépassait de trois ou quatre têtes – se greffa à leur groupe, saluant M. Swann et M. Weasley d'un sourire poli, avant de se tourner vers M. Picadilly – son père, à n'en pas douter, tant ils se ressemblaient, les lunettes en moins – pour lui dire au revoir avant de rejoindre ses copains dans le train.

— Tu pourras rassurer maman, je prendrai soin de mon petit frère, ajouta-t-il malicieusement en ébouriffant Stephen.

Celui-ci faillit en perdre ses lunettes et essaya de remettre de l'ordre dans sa chevelure désordonnée, sous les gloussements amusés de Will et Charlie.

A onze heures moins cinq, M. Weasley considéra qu'il était temps pour eux de monter dans le train. M. Weasley et M. Picadilly, plus habitués à laisser leurs enfants rejoindre le monde magique qu'ils avaient côtoyé pendant leur jeunesse et connaissaient comme leur poche, embrassèrent seulement leurs fils rapidement. Ian, intimidé par leur assurance, accepta le seul baiser sur la joue que lui offrit Will.

— Je t'écrirai ! promit-il.

— Comme l'année dernière ? se moqua gentiment son père avec un haussement de sourcil couplé d'un sourire dubitatif.

Will rougit, mais Ian le laissa enlacer sa petite sœur et lui promettre à elle aussi qu'il lui écrirait, et se tourna vers Abigail. Un pauvre sourire étira ses lèvres alors qu'il marmottait maladroitement :

— On se revoit à Noël, Abbynette.

Le ton attristé qu'il souhaitait dissimuler sous son sourire lui brisait à demi le cœur. Au fond, elle non plus ne voulait pas le quitter sur le quai, ne savait pas non plus comment lui dire. Un premier coup de sifflet indiqua aux élèves qu'il était temps de monter dans le train.

— N'aie pas honte de toi, ma puce. Tu seras exceptionnelle, j'en suis sûr.

— Ne t'inquiète pas, papa.

Le sourire sur les lèvres de Ian s'étira davantage, plein de fierté. Une boule de chagrin se bloqua dans la gorge d'Abigail. Maintenant qu'elle était sur le point de se séparer de son père, elle prenait conscience de l'immense soutien qu'il pouvait lui apporter au quotidien, et imaginer se construire sans lui semblait davantage vertigineux que tout le reste.

— Je penserai beaucoup à toi, murmura-t-elle.

La lueur qui éclaira les yeux clairs de son père la rassura – il comprenait tous les mots qui se cachaient sous cette simple assertion, en mesurait toute l'ampleur. C'était tout ce qui comptait.

— A bientôt, Kat.

— A bientôt, Abby, répondit la fillette avec un sourire poli.

— Bonne première rentrée, lui lança gentiment M. Weasley avec un sourire nostalgique.

Un deuxième coup de sifflet retentit. Abigail sauta dans le train, les portes se refermèrent derrière elle. Will, Charlie et Stephen étaient restés au hublot pour saluer leurs pères. Prise d'une horrible sensation de vide, Abigail détourna le regard et serra son sac contre elle. Le train s'ébranla lentement. Des cris retentirent de tous les côtés : « écris-nous ! », « prends soin de toi ! », « ne fais pas de bêtises, hein ? ». Ian, adressa un dernier signe de main à ses enfants, et, très vite, Katie et lui disparurent de leur champ de vision.

— Ça y est, soupira Charlie. Une nouvelle année qui commence.

— Il faudrait peut-être aller chercher un compartiment avant qu'ils ne soient tous pris, proposa Stephen en remontant ses lunettes sur son nez d'un air préoccupé.

— Tu veux t'asseoir avec nous, Abby ? proposa gentiment Will.

— Tu es la bienvenue, si tu veux, renchérit Charlie avec son sourire aimable.

Abigail les dévisagea un instant et secoua lentement la tête.

— Je vais vous laisser. Je préfère rester seule.

Un éclair de confusion passa sur le visage de Stephen, pour finalement s'illuminer d'un sourire amusé. Abigail se mordit les joues – il l'avait reconnue, c'était certain, comme son agresseur dans les rayons de Fleury et Bott. Mortifiée de honte, elle détourna le regard.

— Oh, murmura Will, qui n'avait rien remarqué. D'accord. Mais si tu as besoin de quelque chose, surtout tu n'hésites pas, hein ?

— Oui. Merci, Will.


Abigail comprit rapidement pourquoi Stephen avait eu l'air si inquiet lorsqu'il proposait à ses copains de vite chercher un compartiment – tous ceux devant lesquels Abigail passa étaient plein, ou du moins, trop remplis pour qu'elle s'y sente à l'aise. La plupart des élèves se connaissaient déjà, et les éclats de rire, les parties endiablées de cartes ou les séances de bécotages n'étaient franchement pas au programme de la fillette.

Elle s'arrêta finalement dans un compartiment où une petite fille aux cheveux mi-longs coiffés en carré était assise, un carnet sur les genoux et un crayon à paillettes dans les mains. Elle se crispa quand Abigail ouvrit la porte, rougit, et ferma son carnet en vitesse.

— Euhm. Je peux ? murmura Abigail d'une voix incertaine.

La fillette hocha seulement de la tête, observa la nouvelle venue s'installer dans un coin et se faire toute petite, puis rangea son carnet dans son propre sac et regarda par la fenêtre, ramenant ses cheveux blonds sur son visage en protection.

Abigail ouvrit son sac, attrapa les contes de Beedle le Barde et commença à lire.

Elle avait eu le temps de terminer les trois contes contenus dans l'ouvrage et de recommencer pour la troisième fois l'Histoire de la Magie, qu'elle avait emporté au cas où Charlie aurait oublié sa promesse, quand la porte du compartiment s'ouvrit, laissant passer la tête d'une petite sorcière aux cheveux gris et au sourire affable.

— Bonjour, mes mignonnes, dit-elle doucement.

Abigail releva les yeux de sa lecture, pas sûre d'apprécier se faire appeler 'ma mignonne' par une parfaite inconnue. C'est alors que la sorcière désigna un énorme chariot rempli de confiseries colorées, de montagnes de chocolats et de gâteaux, qu'elle poussait devant elle avec ce qui semblait une terrible difficulté.

La fillette aux cheveux blonds ouvrit de grands yeux, absorbée par le spectacle. Elle jeta un coup d'œil vers Abigail, comme n'osant pas se lever si sa camarade ne l'imitait pas.

— Une petite douceur ? proposa la sorcière en souriant aux fillettes indécises.

Le regard d'Abigail se vissa sur les petits sacs contenant une multitude de bonbons, chocolats et de petites baguettes noires.

— Une mornille pour le sac de bonbons, ma mignonne, déclara la sorcière, qui avait suivi son regard.

Son estomac impatient et le prix la persuadèrent de se lever pour s'en procurer. La sorcière lui en donna un deuxième sachet avec un clin d'œil – 'première année à Poudlard hein ? Profitez donc' – et en offrit également à la petite sorcière blonde, qui protesta d'une voix basse et aigue :

— Je n'ai pas d'argent.

— Bah, ça ne fait rien, ma choupette. Vous avez l'air perdues, je peux bien vous faire ça. Personne ne viendra me chercher des noises.

Alors, la fillette esquissa un sourire et attrapa le sachet en remerciant tout bas sa bienfaitrice, qui s'en alla aussitôt après.

Le silence revint dans le compartiment, uniquement brisé par le papier plastique sous les doigts des fillettes. Abigail commença par une balle en chocolat qu'elle croqua à pleines dents – malheureusement, la balle, fourrée d'une mousse à la fraise, était tellement garnie qu'elle se fit avoir et faillit en renverser partout sur son jean. Elle finit tout de même par avaler l'épaisse – et délicieuse – mousse, si salement qu'elle ne regretta pas que son frère fût absent du compartiment. Alors qu'elle se décidait de quel doigt lécher en premier pour se débarrasser de toute cette crème à la fraise, un petit gloussement aigu s'échappa des lèvres de la fillette blonde en face d'elle.

— Tu en as sur le nez, expliqua-t-elle tout doucement, un sourire un peu tordu sur ses lèvres roses.

Honteuse, Abigail s'empressa de trouver un mouchoir en papier pour se débarbouiller, mais le sourire de sa camarade était tout sauf moqueur. Elle rougit quand Abigail croisa de nouveau son regard et murmura :

— Je m'appelle Adélaïde.

— Abigail.


La fin du trajet se fit sans encombre. D'abord excitée par la quantité de sucre qu'elle avait ingurgité, Abigail se trouva bientôt abrutie de fatigue mais n'osa pas s'endormir – au contraire d'Adélaïde dont la tête pendouillait sous le sommeil – de peur que ses pouvoirs se manifestent au moment où elle le souhaitait le moins.

La fatigue faillit avoir raison d'elle, quand elle fut réveillée en sursaut par une voix dans le Poudlard Express :

— Nous arriverons à Poudlard dans cinq minutes. Veuillez laisser vos affaires dans le train, elles vous seront apportées à l'école.

Adélaïde s'étira, encore endormie, et son visage déjà pâle perdit ses couleurs. Elle lança un regard paniqué à Abigail, mais celle-ci, trop occupée à cacher les quelques cristaux de glace qui s'étaient accrochés à sa valise, ne remarqua rien. Elles enfilèrent leurs robes dans le silence tendu du compartiment. Elles avaient eu beau n'échanger aucune autre parole que leurs prénoms – et au fond, c'était très bien, vu comment Abigail fuyait les dialogues avec des inconnus comme la peste – mais il était clair que la petite sorcière blonde était, comme Abigail, née-moldue et en première année.

Jamais le cœur d'Abigail n'avait cogné d'une telle force que lorsque le train s'arrêta et que les élèves commencèrent à s'agglutiner devant les portes.

— Tu… Tu crois qu'on peut prendre son sac ? demanda la voix angoissée d'Adélaïde, derrière elle. Ma baguette est dedans.

— Je ne crois pas, murmura Abigail, plus froidement qu'elle ne l'aurait voulu. Ils apporteront tout à l'école, visiblement.

Aucun autre élève ne portait un sac ou ce qui s'en rapprochait. Abigail se promit de demander à Will si elle croisait son chemin avant d'arriver au château.

Adélaïde laissa son sac et sa baguette à contrecœur, et suivit sa camarade hors du compartiment. D'abord, la lumière braquée sur le train les aveugla, puis, petit à petit, leurs yeux s'habituèrent. Les élèves se dirigeaient vers un chemin de terre, sur le côté, à droite du quai. Elles firent quelques pas hésitants vers eux, clignant des paupières, ne sachant où se diriger. Une désagréable panique grossissait dans la poitrine d'Abigail, alimentée par le trop-plein de lumières, d'odeurs et de bruits confus.

— Première année ! Les première année, par ici s'il vous plait ! rugit alors une voix, à l'opposée du chemin qu'empruntaient les autres élèves.

Adélaïde sursauta. Elles se retournèrent pour apercevoir un homme immense à la barbe et aux cheveux hirsutes. Il brandissait dans sa main aussi grande que les fillettes une gigantesque lanterne, portait un énorme manteau de fourrure parsemé de poches, sur lequel étaient accrochées ce qui ressemblait à des queues de furet. Adélaïde lança un regard terrifié à Abigail, mais s'avança courageusement vers la masse démesurée. Abigail ne la suivit pas aussitôt. La panique rendant sa poitrine et ses mains douloureuses l'obligea à reprendre son souffle avant de faire le moindre mouvement.

— Ohé, Abby !

L'interpellée tourna la tête en reconnaissant la voix de Will – il s'approchait en trottinant, fièrement affublé de sa robe, sur laquelle était cousu le blason rouge et or des Gryffondor. Il n'avait pas son sac de voyage, ce qui rassura sa sœur.

— Je suis content de te voir. Bon trajet ? Ecoute, ne t'inquiète pas pour la Répartition. Je serai le premier à applaudir et on te gardera une place, promis.

— Merci, Will, marmotta Abigail, proche de la nausée.

Il rit doucement, lui souhaita encore bon courage, se retourna pour retrouver ses copains et heurta de plein fouet une petite fille à la robe sans couleur, qui passait derrière lui afin de rejoindre le groupe de première année.

— Oh, je suis tellement désolé ! s'écria-t-il en levant les mains dans un signe d'excuse.

La fillette leva sur lui des yeux apeurés, puis croisa, l'espace d'une seconde, le regard d'Abigail – elle était très pâle, les traits tirés par la peur, et, dans un geste qui semblait plus machinal que réfléchi, elle porta une main à son cou entouré d'une écharpe sobre, avant de s'éloigner d'un pas vif. Will grommela dans sa barbe que c'était 'inadmissible pour un Gryffondor d'être aussi maladroit', et se dirigea vers ses amis alors qu'Abigail suivait lentement la fille à l'écharpe, jusqu'au groupe de première année.

Elle s'arrêta un peu en retrait, remarqua qu'Adélaïde la cherchait du regard, mais ne la rejoignit pas, préférant rester derrière plutôt que coincée dans le groupe. Ses yeux se posèrent sur les cheveux sombres de l'inconnue bousculée par Will un instant plus tôt, dont les mains touchaient toujours l'écharpe autour de son cou.

— Les première année, tout le monde est là ? Dépêchons-nous, allons-y.

Le petit groupe s'agita, et se mit en marche derrière leur guide. Ils suivirent un chemin de terre entre les arbres hauts et touffus. Leurs pas s'enfonçaient légèrement dans la boue. Certains élèves avaient commencé à former des duos ou trios, et les conversations allaient bon train.

Ils contournèrent bientôt un bosquet et s'immobilisèrent.

— Ooooooooh !

Le souffle d'Abigail se bloqua dans sa gorge, tant le spectacle qui s'étendait devant eux l'émerveilla. C'était une chose que Will le raconte, c'en était une autre de l'avoir devant les yeux : l'étroit passage s'ouvrait un vaste lac noir. Perché sur le haut de la colline, de l'autre côté, les fenêtres scintillantes, le château les attendait, protégeant le lac comme une immense veilleuse. Fier, il se confondait presque avec l'immensité étoilée du ciel. Ses hautes tours illuminées, qui semblaient se détacher pour voleter avec les astres, émerveilla tellement les jeunes sorciers et sorcières qu'ils ne remarquèrent qu'à peine les barques en bois sombre flottant à leurs pieds.

— Pas plus de quatre par bateau !

Abigail fut brutalement ramenée à la réalité – ils allaient traverser le lac. Elle soupira lourdement – elle détestait l'eau. Les trop nombreuses fois où elle avait rempli les bains préparés par son père en glace fondue et les verres remplis en glaçon lui avaient appris à se méfier des étendues d'eau, grandes ou non. Autour d'elle, les élèves se précipitèrent dans les barques. Le géant, visiblement habitué à ce genre de comportement, les laissa faire en vérifiant qu'aucun élève n'était resté sur la terre ferme.

— Vous deux, avec moi, lança-t-il en direction d'Abigail et de la fille à l'écharpe, restées toutes les deux en retrait.

Les deux fillettes se lancèrent un regard embarrassé. Abigail fit un pas en avant la première, encouragée par le sourire à demi effacé par la barbe du géant. L'eau mouvante sous le bois lui donnait la nausée, et le château lui semblait si loin qu'un soupir désespéré franchit ses lèvres. Du fait de sa petite taille, elle se prit les pieds dans sa robe et dut s'accrocher à la barque pour ne pas tomber, laissant s'échapper de ses doigts de petits flocons qui s'accrochèrent sur le bois et le gelèrent.

Heureusement, la fille à l'écharpe se faisait aider par le géant, et ne remarqua rien.

Puis, lorsque tout le monde fut en place, leur guide derrière la petite fille à l'écharpe, les barques s'ébranlèrent et quittèrent le quai d'elles-mêmes, arrachant des cris de surprise et d'euphorie. Les embarcations glissèrent silencieusement sur le lac, arrachant des exclamations admiratives chez les jeunes élèves.

Tout autour d'eux brûlait de magie. Les mains d'Abigail lui faisaient mal, sa poitrine grondait de douleur.

Les lumières voletant sur le lac, qu'elle avait pris pour des lucioles, s'approchèrent d'elle, dévoilant leurs minuscules corps de fées, coiffées de couronne de bois et vêtues de robes d'algues. Abigail les observa, aussi fascinée que les fées avaient l'air curieuses de la découvrir. Elles se crièrent des mots que la fillette ne comprit pas, et s'envolèrent plus loin. Étonnée, elle les suivit du regard, se retourna pour les regarder s'éloigner, et croisa le regard de sa camarade à l'écharpe qui, visiblement, l'observait, car à peine leurs yeux se furent rencontrés qu'elle baissa le regard.

Les cris et chuchotis s'amplifièrent lorsque les barques, glissant toujours aussi silencieusement sur l'eau, s'approchèrent de la colline sur laquelle se tenait le château imposant. Ils baissèrent la tête pour éviter un rideau de lierre, se blottirent les uns contre les autres en longeant un couloir sous terre, et accostèrent devant un interminable escalier de pierre. Quand le géant leur annonça la fin du voyage, Abigail soupira de soulagement – la douleur commençait à lui engourdir les jambes, et il était grand temps qu'elle bouge. Une fois debout, elle leva la tête et se sentit aspirée par la hauteur, quand ses yeux rencontrèrent le château.

Ils grimpèrent l'escalier, heurtant leurs pieds aux pierres et cailloux. Plusieurs exclamations de douleur retentirent, tous se trouvèrent essoufflés mais soulagés en sentant l'herbe molle sous leurs chaussures. Il régnait un silence de plomb lorsqu'ils longèrent un mur de pierre et s'arrêtèrent devant une lourde porte en chêne. Abigail, toujours à l'arrière du cortège, déglutit péniblement, le cœur coincé dans la gorge, quand le géant se tourna vers eux avec un grand sourire.

— Tout le monde est là ? Parfait !

Abigail vit les lèvres d'Adélaïde trembler, devant elle. La fille à l'écharpe avait plongé sons nez dedans et respirait profondément, les joues rouges. Lentement, le géant se tourna vers la porte.

Tous retinrent leur souffle lorsqu'il y abattit trois fois son poing.


Abigail comprit tout de suite que le professeur McGonagall n'était ni impressionnable, ni une personne à chatouiller, même en surface. Grande, droite et sévère, elle leur ordonna avec un fort accent écossais de la suivre à travers un hall à en faire pâlir les plus grands architectes, puis les assomma d'un discours sur les quatre maisons – même si Abigail ne doutait pas que le premier à oser montrer des signes d'assommement en prendrait pour son grade.

Ses explications valaient toutefois bien mieux que celles de Will, et Abigail s'étonna à boire ses paroles, fascinée par la prestance qui émanait d'elle. Sa fascination s'évanouit bien vite et fut remplacée par un frisson de terreur, lorsque la directrice adjointe fixa son regard dans le sien, une seconde qui lui sembla une éternité.

— La cérémonie aura lieu dans quelques instants, veuillez attendre ici pendant que je vérifie que les préparatifs sont terminés. Vous pouvez en profiter pour mettre un peu d'ordre dans vos tenues, ajouta-t-elle en lançant un regard sévère à un garçon au premier rang.

Quelques rires s'élevèrent, bien vite tus par les éclairs que lancèrent les yeux. Elle se détourna et poussa les portes de la Grande Salle – Abigail sentit son cœur sombrer dans ses chaussettes. Des dizaines de paires d'yeux se penchèrent pour essayer d'apercevoir les première année, mais le professeur McGonagall fut avalée avec eux lorsque les lourds battants se refermèrent dans un bruit sec.

Quelques murmures s'élevèrent dans l'assemblée – des murmures timides, inquiets, des conseils.

— Et si ça fait mal ?

— Et si on n'aime pas trop sa maison ?

— Pfiou, vous avez vu la taille du hall de tout à l'heure, on va se perdre, c'est sûr.

Désormais libérés du regard de rapace de McGonagall, les élèves pouvaient se dévisser le cou à l'envi sans craindre de recevoir une remarque acérée sur leur lenteur ou leur désinvolture – seule la fille à l'écharpe gardait son regard marron résolument baissé sur le sol, ses longs cheveux blond cendré cachant la moitié de son visage. Abigail préféra surveiller les armures plutôt que d'admirer les prouesses architecturales du château, persuadée d'avoir vu un casque bouger, lorsqu'ils étaient passés devant elle, un peu plus tôt – et elle trouvait le coup des armures mouvantes d'un bien trop mauvais goût pour en plaisanter.

Mais leurs observations affamées de détails cessèrent bientôt, quand les portes s'ouvrirent de nouveau – les discussions fanèrent aussitôt, laissant place à un silence angoissé. McGonagall jaugea les élèves du regard – ils retenaient leur respiration de peur de se voir foudroyé sur place par ses yeux verts.

— Suivez-moi.

Ses mots claquèrent dans les oreilles des première année. La petite procession se mit en marche en trottinant presque pour suivre le professeur. Abigail se sentit aveuglée par les lumières provenant de la Grande Salle, mais avança courageusement à la suite des autres, faisant abstraction – avec plus ou moins de réussite – de son cœur battant furieusement contre sa cage thoracique.

La fillette blonde à l'écharpe avança au même moment, si bien qu'elles faillirent se marcher sur les pieds. Elles s'arrêtèrent d'un coup, et, muettes, attendirent que l'autre fasse le premier pas. Gênées, elles hésitèrent, avancèrent et reculèrent en même temps, jusqu'à ce que leurs regards se croisent – et, d'un signe de tête poli, la fillette à l'écharpe laissa Abigail passer la première.

La Grande Salle, quand elles entrèrent finalement, était encore plus extraordinaire que Will lui avait raconté. Partout où l'œil se posait, se découvraient des trésors – que ce fût les torches d'une précision et d'une finesse remarquables, les vitraux aux couleurs éclatantes dont les personnages bougeaient pour chuchoter entre eux au passage des première année, les magnifiques portraits qui les saluaient chaleureusement ou encore les quatre immenses tables aux couverts dorés qu'ils longeaient. Mais le plus étourdissant, dans tout ce mélange grandiose de couleurs et de formes, était sans doute le plafond – au milieu des arches, la toiture s'effaçait au profit d'un ciel d'un bleu si profond qu'il en paraissait noir. Des centaines de chandelles flottaient au-dessus des élèves, veillaient sur eux comme les étoiles sur un lac de chapeaux noirs et d'assiettes ambrées.

Soudain, là-haut, au milieu de la flaque noire du ciel – Abigail plissa les yeux pour mieux la discerner – se détacha une boule blanche éthérée. Elle se laissa tomber comme une plume, pour s'évaporer près d'une table. Une deuxième la suivit, puis une troisième, et c'est finalement par dizaines puis centaines que tombèrent les flocons de neige.

Abigail entendit à peine les exclamations tantôt exclamatives, tantôt inquiètes retentir autour d'elle, prisonnière d'acouphènes que l'horreur avait déclenchés. Son corps pesait si lourd qu'elle avait considérablement ralenti. Le nez en l'air, mortifiée, elle aurait disparu dans un trou de souris si seulement elle avait pu.

— J'ai conscience que vous avez tous hâte que le concours du plus beau bonhomme de neige s'organise cette année, mais il est peut-être encore un peu tôt, lança une voix profonde à la table des professeurs.

L'intervention de Dumbledore calma les élèves autant qu'elle fit reprendre ses esprits à Abigail. Son cœur pesait lourd dans sa poitrine douloureuse, alors que la panique essayait de briser les cordes trop fines de son sang-froid. Respirer, faire le vide. Lentement, les flocons cessèrent de troubler le plafond.

Le professeur McGonagall, dont le visage pincé n'affichait qu'une indifférence profonde, adressa un regard impatienté au directeur, puis se tourna vers un tabouret installé au milieu de l'estrade, sur lequel se reposait un chapeau miteux. Ce devait être le fameux Choixpeau dont avait parlé Will à de nombreuses reprises la première fois qu'il était revenu de Poudlard.

Sous les yeux écarquillés des nouveaux élèves, le chapeau s'ébroua, sortant de sa torpeur – une large fente de tissu se fendit à sa base, et il s'agita lentement. Il y eut un silence, puis une voix – sa voix – s'éleva dans la Grande Salle.

Il y a longtemps, très longtemps,

Quand je n'étais qu'un chapeau innocent,

Quatre sorciers, venus d'horizons différents,

Me donnèrent une âme, un cœur et un esprit clairvoyant.

Il y avait d'abord le hardi Gryffondor,

Fort en carrure, mais au cœur d'or.

Il voulait réunir autour de lui,

Tous les sorciers impatients d'apprendre la magie.

Puis venait Serdaigle, l'Érudit,

Douce, aimable et réfléchie.

« Tous ceux qui ont soif de connaissance,

Auprès de moi trouveront bienveillance. »

Poufsouffle prêchait la tolérance,

Elle accueillait avec complaisance

Ceux qui faisaient preuve de ténacité,

Et apprenaient la magie avec félicité.

Dernier des quatre, le grand Serpentard,

Des idées, il en avait le lascar !

« Détermination et ambition, tel est mon credo,

Je m'occuperai de ces magiciens, mon cher chapeau. »

Allons ! ne soyez pas apeurés,

Car maintenant, il faut m'essayer :

Moi seul peux décider

Dans quelle maison vous serez placés !

Le chapeau se tut aussi soudainement qu'il s'était animé. La Grande Salle explosa en applaudissements, et quelques première année se tapotèrent le bout des doigts, abasourdis par une telle démonstration de la part d'un miteux morceau de cuir. Le professeur McGonagall demanda le silence en levant les mains d'un air sec, puis elle embrassa du regard le petit groupe, déroula un parchemin avant de hausser la voix :

— Quand j'appellerai votre nom, vous vous avancerez. Une fois assis sur le tabouret, je placerai le Choixpeau sur votre tête.

Aklin, Gabriella, fut appelée en première et envoyée à Gryffondor. Brown, Clara rejoignit les bancs des Poufsouffle sous les applaudissements. Plusieurs autres élèves furent ainsi appelés. Abigail les regardait sans les voir, le souffle court.

— Davies, Ivy.

Un sursaut fit tressaillir les épaules de la petite fille à l'écharpe à côté d'Abigail. Courageusement, les mains tremblantes, elle avança, ses cheveux blond cendré cachant son visage, et refusa de lever son petit nez en trompette parsemé de taches brunes quand McGonagall posa le Choixpeau sur son crâne.

— POUFSOUFFLE ! hurla-t-il après ce qui sembla une éternité, et la table de droite se leva pour crier et applaudir.

La petite Ivy ouvrit les yeux et un sourire éclaira son visage paniqué. Elle se hâta d'enlever le Choixpeau, et courut presque à la table, les joues roses.

Et les noms continuèrent de succéder. Soutworth, Gabriel fut envoyé à Serdaigle, Strauss, Edmund à Gryffondor – ceux-ci applaudirent à s'en arracher les mains, excepté Will, qui comptait avec anxiété le nombre d'élèves répartis dans sa maison, et adressait à sa sœur un regard inquiet. Restée seule avec la petite Adélaïde et un garçon brun, elle fixait le professeur McGonagall sans remarquer sa détresse. Will cacha ses mains et croisa les doigts sous la table.

— Swann, Abigail.

Un sursaut aussi violent qu'un coup de fouet la secoua. La respiration hachée, les mains douloureuses, elle laissa ses jambes avancer d'elles-mêmes, s'installa face à la salle sans la voir, et attendit, fébrile, que McGonagall pose le Choixpeau sur son crâne. Aussitôt qu'il toucha ses cheveux, elle se sentit s'engourdir, alors qu'un nouvel acouphène résonnait au creux de ses oreilles. La voix mielleuse du Choixpeau tinta contre ses tympans :

— Intéressant.

La panique monstre gronda dans ses entrailles. Elle rentra sa tête dans ses épaules et ferma les yeux dans un réflexe, reprit le contrôle de sa respiration, les poings serrés sur ses cuisses. Le Choixpeau plantait douloureusement ses racines dans son esprit, farfouillait la moindre de ses pensées. Elle avait l'impression qu'on lui plantait des griffes acérées dans les tempes.

— Tu possèdes une grande magie, une magie comme il en existe peu, et une immense détermination à contrôler l'incontrôlable.

— L'incontrôlable ?

Sa pensée résonna comme un cri désespéré dans son esprit. Les griffes s'enfoncèrent davantage dans sa peau, lui arrachèrent une grimace.

— Il te faudra un grand courage et une force d'esprit que Gryffondor te permettra d'affirmer, continua le Choixpeau sans sembler porter le moindre intérêt à sa question.

— Je ne suis pas courageuse.

— Je sens en toi un grand courage, une immense détermination et une soif intarissable d'apprendre et de comprendre. Tes pensées sont troublées, ton cœur amer et solitaire. Serdaigle serait à-même de t'aider à accomplir ce que tu cherches à entreprendre.

— Mais vous avez dit que c'était incontrôlable.

Le Choixpeau ne répondit pas à sa protestation, se tut, sans que les bourdonnements ne cessent. Crispée sur le tabouret, elle attendit pendant ce qui lui sembla des heures, secouant légèrement la tête dans l'espoir de se débarrasser du chapeau, quand soudain, le silence l'envahit et les griffes dans son esprit se retirèrent brutalement. Une voix rugit à travers la Grande Salle, la faisant sursauter :

— SERDAIGLE !

Abigail ouvrit les yeux et les posa sur les élèves levés, applaudissant et criant à tout rompre. Elle eut besoin de quelques secondes supplémentaires pour comprendre ce qui venait de se produire, et le professeur McGonagall dut la réprimander légèrement pour qu'elle se lève et rejoigne sa maison.

La fillette se tourna machinalement vers la table des Gryffondor, espérant trouver le regard de son frère, mais fut pressée par les Serdaigle qui la prièrent de s'asseoir pour que Turner, Aaron puisse se faire répartir. Elle ne l'entendit pas se faire envoyer à Serpentard, mais entendit et applaudit doucement Adélaïde Twinket se faire répartir à Serdaigle.

Petit à petit, les conversations reprirent, et bientôt, un brouhaha s'éleva dans l'immense pièce – la Répartition était terminée. Puis, aussi soudainement qu'il s'était évanoui, le silence revint – tous les yeux se tournèrent vers le professeur Dumbledore, qui, faisant face aux quatre tables de toute sa hauteur, écarta les bras en souriant doucement.

— Bienvenus pour cette nouvelle année. Avant de nous restaurer et de nous désaltérer, j'aimerais vous présenter le professeur O'Cuinn, qui a accepté de prendre la responsabilité des Défenses Contre les Forces du Mal.

Des applaudissements polis retentirent. Le cœur d'Abigail cogna dans sa poitrine alors qu'elle se grandissait pour mieux l'apercevoir – un homme de taille moyenne, au visage tanné et consumé par les années, à la forte moustache et au sourire bonhomme. C'était donc avec lui qu'elle passerait du temps à maîtriser sa magie, songea-t-elle en déglutissant de malaise. A choisir, elle aurait préféré le professeur McGonagall, mais avait-elle son mot à dire.

— L'accès à la forêt interdite est prohibée, la magie n'a pas sa place dans les couloirs, et je prierai les élèves intéressés par le Quidditch de se rapprocher de Madame Bibine avant la fin septembre. Sur ce, je n'ai plus que deux mots à vous dire : bon appétit !


Allongée dans son lit, les yeux fixés sur les étoiles gravées à-même le plafond de son baldaquin, Abigail écoutait, à travers ses rideaux fermés, Pearl et Mackenzie débattre de l'utilité d'ouvrir un club de ce qu'elle imaginait un sport – car le nom, en plus de l'avoir oublié, ne lui rappelait rien de ce que Will avait pu lui raconter – à Poudlard. La discrète Autumn les écoutait sans oser apporter sa pierre à l'édifice.

L'épuisement rendait ses paupières lourdes. Elle avait l'affreux – et en même temps délicieux – sentiment de s'enfoncer dans son matelas et son oreiller. Il s'était passé tant de choses ce jour-là que sa tête lui tournait. Entre le Poudlard Express, l'arrivée à l'école, la Répartition, les innombrables escaliers qu'ils avaient dû monter pour se retrouver devant une porte à énigmes, les portraits accrochés aux murs – sans oublier les armures mouvantes –, tout était un peu dur à diriger d'un seul coup.

Adélaïde souhaita la bonne nuit à leurs deux camarades et Abigail l'entendit tirer ses rideaux. Pearl et Mackenzie reprirent leur conversation plus bas, cette fois.

Abigail soupira, soulevant quelques flocons de ses draps – ils flottèrent puis retombèrent sur son visage dans une douce caresse. Elle ferma les yeux, se rassura en songeant que Dumbledore avait prévu sa venue, que les quatre filles partageant son dortoir ne craignaient rien. Avec une dernière pensée pour son frère, son père et sa petite sœur, elle se laissa sombrer dans le sommeil, bercée par les voix de ses nouvelles camarades.


Et voilà, c'est fini pour l'arrivée et l'installation d'Abbynette et de ses camarades de dortoir! Je sais que le Poudlard Express et l'arrivée des nouveaux élèves, c'est un peu comme le Chemin de Traverse, on le connaît tous un peu par coeur, mais je pense que là encore c'est un passage obligé... Les prochains chapitres iront plus vite en cadence.

D'ailleurs c'était le dernier chapitre au passé ! J'espère sincèrement que le passage au présent vous plaira et/ou ne vous gênera pas. :)

Encore une fois, un grand merci à tous ceux et toutes celles qui me suivent et lisent dans l'ombre. N'hésitez pas quand même à mettre un petit mot, même deux lignes, ça fait plaisir.

Je tenais également à attirer votre attention sur le fait que Docteur Citrouille a repris l'écriture de sa fanfiction La Symphonie du Corbeau, l'histoire de Maggie Fox qui fricote un peu trop près avec la mort... Si vous n'avez plus rien à faire après avoir terminé ce chapitre, je vous conseille de faire un tour !

Je vous dis à très bientôt car le chapitre 3 est déjà écrit, il ne me reste plus qu'à le relire pour m'assurer que feufeunet n'a pas enlevé de passages ou de mots comme ça peut arriver parfois..., et je pourrai le poster !

En attendant, prenez soin de vous.

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