Holà holà~
Merci aux personnes qui ont commenté le chapitre précédant, vous n'imaginez pas à quel point ça m'a donné le sourire et ça m'a fait du bien. Même si ce n'était qu'une phrase, quelques mots, quel bonheur d'avoir vos retours.
Je ne vous tiens pas davantage la jambe, j'espère juste que vous allez bien.
Chapitre 5 — Noël sous la tempête
Partie 1
C'est au moment où leur père leur annonce, au détour d'une phrase qu'il veut rendre enjouée par son ton anecdotique, qu'ils se rendraient à Carlisle pour fêter Noël avec leur grand-mère et leurs cousins, qu'Abigail comprend d'où vient la lueur d'inquiétude au fond de ses yeux cernés. Elle sait, par ces quelques mots, que si pour elle ils ne signifient que le début des ennuis, pour son père, ils témoignent de jours d'angoisses et de nuits d'insomnies.
Pourtant, il ne dit rien, ne se plaint pas. Son sourire est sincère quand il accueille la joie de Katie et celle, plus modérée mais franche, de Will. Mais Abigail remarque bien ses épaules basses, son visage épuisé, ses mains mangées par des plaques rouges. Elle remarque bien que malgré le bonheur de les retrouver, il laisse tomber son masque lorsqu'il se croit seul. Elle est même persuadée de l'avoir entendu pleurer, une nuit qu'elle ne réussit pas à dormir et doit se lever pour se rendre aux toilettes.
Alors, assise à l'arrière de la Ford Anglia secouée par la vitesse et le vent sur l'autoroute qui les éloigne de Stamford, elle observe les mains de son père, crispées sur le volant, et ne peut s'empêcher de se demander pourquoi, après cinq ans de silence, sa grand-mère a décidé d'ouvrir les blessures du passé.
La radio crache des morceaux de rock malmenés par le mauvais signal. Ian et Will chantonnent par-dessus, quand bien même ils entendent davantage la pluie et les centaines de voitures qui, comme eux, empruntent l'autoroute pour les fêtes. Combien, comme eux, laissent derrière eux le confort, la tendresse et la sécurité promise par le cocon de leur maison, ça, Abigail l'ignore. Une boule de chagrin de loge dans sa gorge, alors que son père et son frère imitent les interférences de la radio, arrachant un rire à Katie. Incapable de se joindre à leur bonne humeur, elle se blottit davantage sur le siège, et écrase sa joue contre son écharpe bleu et bronze, glissée entre l'appuie-tête et la vitre. Ses yeux surveillent la route qui défile à toute allure, ponctuée de façades de maison ou de grandes surfaces décorées d'une multitude de guirlandes électriques.
La pluie est bientôt remplacée par des flocons, si timides que leur chanson s'entend à peine Abigail doit se concentrer pour en percevoir la mélodie. Will a définitivement éteint la radio, finalement agacé par la mauvaise réception. Le silence dans l'habitacle les enveloppe, alors qu'un clocher au loin sonne quinze heures trente, et que la nuit tombe à toute vitesse.
Katie finit par réclamer le paquet de madeleines que Ian a cuisinées avant leur départ, et, sans qu'ils sachent trop comment, la petite barquette se retrouve vidée même de ses miettes en moins de temps qu'il ne faut pour s'en apercevoir. Rassasiés, ils décident de faire une pause pour permettre à leur père de somnoler avec eux.
Les lumières de l'aire sur laquelle ils s'arrêtent sont sales, sauvées par les guirlandes lumineuses accrochées sur la façade du restaurant implanté là ils ne savent pas trop comment ni pourquoi. Katie et Will, contents de pouvoir se dégourdir les jambes, s'amusent à faire crisser la neige sous leurs pas. Adossée à la voiture, les mains enfoncées dans ses poches, Abigail les observe de loin, sans oser prendre part à leur jeu, puis son regard se pose sur leur père, emmitouflé dans son manteau, occupé à réchauffer ses mains, les yeux dans le vide. Un coup d'œil à sa montre indique à la fillette qu'ils ont déjà trainé dix minutes de plus que prévu, et, dans un soupir malheureux, elle se dit que ce n'est peut-être pas tout à fait involontaire.
Elle comprend aisément que son père souhaite atermoyer leur arrivée - elle non plus n'a pas hâte de terminer le périple. Elle préfèrerait faire demi-tour, fuir ces personnes auxquelles elle ne s'identifie pas, fuir leurs regards laids chargés de jugements, fuir leurs messes-basses lorsqu'elle et ses frère et sœur essayent d'appartenir au nom de ces belles personnes. Quand Ian appelle finalement Will et Katie pour remonter dans la voiture, son regard croise celui d'Abigail, et c'est avec un sourire un peu honteux et penaud qu'il hausse les épaules, comme pour s'excuser de ce que les yeux bleus de sa fille l'accusent sans bruit.
Lorsqu'ils repartent enfin pour engloutir les derniers kilomètres, Will baille, s'étire, et fait remarquer avec un petit sourire rêveur sur les lèvres :
— Tu sais, papa, ça me fait plaisir de revoir tout le monde. Je suis content que mamie nous ait proposé ça.
Sa voix enjouée se heurte à la grimace froide qu'esquisse son père sans oser rencontrer son regard, si bien que le moi aussi ! ravi de Katie se perd dans l'air soudainement lourd de l'habitacle. Mortifié autant que surpris d'une telle réaction, Will fronce des sourcils confus, et s'inquiète d'une petite voix :
— Ça ne va pas, papa ?
—Si, si, mon grand, ça va. Et toi ?
— Euh, oui, ça va.
— Tu as reçu des nouvelles de Stephen ?
Le changement de conversation, trop peu subtil pour ne pas être remarqué par le jeune garçon, le laisse un instant silencieux, puis il secoue brièvement la tête.
— Non. Tu sais, je le comprends. Il a eu beaucoup de choses à faire ces derniers jours.
— Evidemment, murmure Ian doucement.
Soudainement plongé dans ses pensées, Will ne répond rien qu'un silence réservé, plisse seulement les lèvres, le regard posé sur les mains rouges et sèches de son père. Un éclair las de chagrin mêlé d'inquiétude brille dans ses iris, mais, avec lenteur, il détourne la tête pour regarder les flocons tomber sur la route autant que pour fuir un éventuel croisement de regard avec son père.
Abigail remarque, le cœur lourd, qu'il cherche à camoufler son soupir. Le mouvement malaisé de leur père trahit son intention de cacher qu'il remarque l'embarras de son fils, et, dans l'obscurité percée par les phares dansants des autres véhicules, il propose sa main à son aîné, lequel lui attrape aussitôt et la serre doucement.
Ian regarde sans les voir les magasins, les rues, son ancienne école primaire, défiler comme dans un cauchemar. Il se sent étouffer. Chaque détail, chaque réminiscence accrochée à ces pierres rouge et ocre se détache et le poursuit pour lui ravir tout le bonheur qu'il a péniblement réussi à construire, le draine de toute la maigre volonté qu'il possède encore. Les souvenirs sont trop vifs, trop douloureux, et il sent, il sait, au fond de sa poitrine compressée, qu'il n'est pas revenu pour s'en créer. Du moins, pas des positifs.
La maison qui leur fait face n'a rien d'effrayant, au contraire : des guirlandes de couleurs vives volent dans le vent, accrochées aux murs, aussi festives que les autocollants de Noël déposés sur la boîte aux lettres. Une couronne de gui et de bois pend sur la porte, protégée du vent par le petit porche. A la fumée qui s'échappe du toit, ils peuvent deviner qu'un feu a été allumé dans la cheminée, et les lumières tamisées brillent derrière les rideaux de dentelle blanche aux fenêtres.
Pourtant, elle n'inspire qu'effroi et détresse à Ian. Tout dans l'aspect propre et rangé de cette maison lui serre les entrailles et la poitrine. Tout n'est qu'enrobage d'hypocrisie mielleuse et de mensonges, tellement qu'il en ressentirait presque un haut-le-cœur.
Autant que la peur – ou peut-être plus, il ne parvient plus à penser correctement –, c'est la culpabilité qui fait palpiter son cœur trop vite contre ses côtes. A quel moment, et de quel côté ça a merdé pour que les choses s'enveniment à ce point ? Il n'ose même pas regarder ses enfants s'agiter sur leurs sièges. Et lui, que ressentirait-il si Will, Abby ou Kat freinaient des quatre fers à l'idée de lui rendre visite, ou tout simplement de lui parler au téléphone ?
A quel moment tout avait foutu le camp ?
— J'ai vu mamie !
Le cri de la petite Katie, encore attachée, le raccroche à la réalité, et c'est avec un air amusé plaqué sur son visage qu'il suit le doigt de la fillette, pointé vers la fenêtre. L'ombre de Mrs Swann se détache en effet dans la cuisine et s'efface bientôt.
L'épouvante se mélange à la colère, mais c'est avec un sourire que Ian attrape la main de Katie pour l'embrasser joyeusement.
— Allons-y alors, annonce-t-il d'une voix décidée alors que la petite fille rit de la caresse inattendue.
En sortant de la voiture, il décide de garder courage, ne serait-ce pour que le sourire édenté de Katie ne fane pas, ou pour que les yeux de Will continuent de briller mais en refermant sa portière, il se rend compte que tous ses membres sont secoués de tremblements qu'il ne parvient pas à maîtriser, et que ces tremblements n'ont rien à voir avec le froid. Le constat le glace, accentue l'angoisse qu'il sent grossir dans son ventre et plante ses racines pointues dans la chair de ses jambes. Une seconde, il espère profiter d'un moment pour reprendre le contrôle sur sa respiration trop profonde pour ne pas alerter ses enfants, mais leur impatience et leur désir de récupérer leurs sacs ne lui laissent aucun répit.
Pour maquiller son agitation, ses gestes se font brusques, sa voix incertaine dans sa gorge tendue. Le coffre de la voiture, capricieux depuis quelques mois, lui donne une bonne excuse pour camoufler la panique dans son souffle. Finalement, c'est peut-être ce qu'il lui fallait - le coffre finit par s'ouvrir sous les cris aigus de Katie qui se jette sur son petit sac de voyage comme une grande. Elle emmitoufle quand même sa peluche pendante à la lanière dans son manteau pour qu'elle n'attrape pas froid, et Will est obligé de la suivre au pas de course pour la rattraper.
Alors que Ian attrape son sac et le met sur son dos, Abigail s'approche. D'abord, il la sent à la caresse du vent sur ses joues, plus mordant et peut-être plus saisissant, puis elle surgit dans son champ de vision, alors qu'il referme le coffre de la voiture et la verrouille.
Sur son visage froidement fermé, ses lèvres sont légèrement pincées et ses sourcils à demi froncés, mais c'est sur son regard que s'arrêtent les iris de Ian : son regard brille si fort qu'il sent les larmes lui monter aux yeux. D'un geste lent, elle lève une main à son cou et dénoue l'écharpe rayée bleu et bronze, et, sans une hésitation, lui tend.
— Prends-la, murmure-t-elle si bas qu'il lit plus sur ses lèvres qu'il ne l'entend.
La surprise le laisse sans voix, et, confus, il papillonne des paupières, ouvre la bouche et la referme aussitôt.
— Mais…, proteste-t-il finalement.
— Prends-la, insiste Abigail d'une voix plus déterminée. Elle ne me sert à rien. Et garde-la.
Ian sent ses lèvres trembler, mais il accepte bien vite de prendre l'écharpe : elle est froide, sans surprise, mais ce froid-là lui semble si doux qu'il se sent aussitôt apaisé, et l'accroche autour de son cou, par-dessus la sienne.
— Merci, ma chérie, souffle-t-il. Je te la rendrai…
— Quand il sera temps, coupe-t-elle en haussant les épaules.
Il acquiesce doucement, ému.
Au milieu de l'allée, Will et Katie les attendent de pied ferme, tout tremblants dans leurs manteaux trop fins pour le vent glacé. Ian soupire tellement fort pour se donner du courage que ses épaules se relâchent, et quand il croise de nouveau le regard d'Abigail, il se sent pris d'une force nouvelle. Même ses tremblements se sont tranquillisés.
— Ensemble ? propose-t-elle.
— Ensemble, acquiesce-t-il, comme le jour où ils ont passé la barrière magique du quai neuf trois-quarts.
Katie se réserve le privilège d'appuyer sur la sonnette. L'impatience que lui confère sa joie de retrouver sa grand-mère lui plaque un immense sourire sur les lèvres, si bien que Ian ne peut s'empêcher de poser une main attendrie sur son épaule et de la blottir contre lui pour la réchauffer. La fillette effleure du doigt l'étiquette que leur grand-mère a accrochée au-dessous de la sonnette, et sur laquelle elle a écrit son nom pour annoncer aux visiteurs chez qui ils ont atterri.
L'excitation retombe bien vite quand la porte reste fermée et que personne ne vient leur ouvrir. Ils ne voient même pas la lumière du vestibule s'allumer derrière la petite vitre floutée de la porte d'entrée. Will se met à trembler de froid, le nez dans son écharpe rouge et or.
— Eh ben alors ? râle Katie, mécontente.
— Elle est peut-être aux toilettes, hasarde Will, frigorifié et pressé d'entrer.
— Ou peut-être morte, marmonne Ian suffisamment bas pour que seule Abigail l'entende.
Le sérieux avec lequel elle lève une main, son index et son majeur croisés dans une prière silencieuse, dénote tant avec la lueur mutine qui brille une seconde dans son regard bleu que Ian ne peut s'empêcher de ricaner bêtement.
Au bout de quelques secondes d'attente, Katie sonne de nouveau, s'impatiente, tremblante contre Ian, tapote le paillasson du pied. Will claque des dents, alors qu'elle s'apprête à tambouriner à la porte. Même la lumière automatique au-dessus de la porte s'éteint. Ian laisse s'échapper un rire nerveux.
— Bon, c'était sympa, mais il est grand temps de rentrer, vous ne croyez pas ?
— Mais enfin papa, qu'est-ce que tu racontes ? réplique Will, pas du tout amusé par la situation.
— Eh bien, visiblement votre grand-mère ne nous attend pas, je propose donc de repartir d'où nous venons pour lui éviter des désagréments supplémentaires.
— Mais on lui a dit qu'on partait, ce midi, elle devrait nous attendre, pleurniche Katie en soufflant sur ses doigts gantés.
— Le jour où je percerai les mystères de votre grand-mère n'est pas encore arrivé.
Alors que Katie commence à réclamer la chaleur de la voiture et d'un bon repas, la lumière s'allume dans le vestibule, et une ombre se dessine derrière la vitre – Prudence Swann entre-ouvre prudemment la porte, et l'ouvre complètement quand elle s'est enquise de l'identité de ses visiteurs.
La surprise, plus que l'enthousiasme, illumine son visage poudré, et, derrière ses lunettes trop grandes, ses yeux bleu clair s'écarquillent.
— Oh ! C'est vous !
Ian, dont le cœur se gorge de colère, lui adresse un sourire plus proche de la grimace désabusée, mais elle ne relève pas, et s'écarte de la porte pour les laisser entrer. L'odeur du mauvais vin chaud lui donne la nausée, et c'est dans un réflexe qu'il se tourne vers Abigail, dont le visage pâle est froncé dans une tentative pour ne pas vomir.
— C'est nous ! rugit Katie, trop contente de pouvoir se mettre à l'abri et de revoir sa grand-mère pour s'indigner de sa réaction.
— Mes chéris, comme je suis contente de vous voir. Oh, ma chérie, comme tu as grandi, et comme tu es belle, minaude-t-elle en embrassant Katie.
Et cette fois, ses lèvres se mettent à sourire, un sourire que Ian exècre, et qui l'écœure, mais Katie est tellement contente de montrer à sa grand-mère à quel point elle a grandi qu'il se raccroche à cette vision d'elle, tournoyant sur elle-même avec le sourire, pour ne pas sombrer dans la colère.
— Et toi, William, oh, quel beau petit jeune homme tu deviens ! Quel âge ça te fait, maintenant ?
— Treize ans, mamie.
— Treize ans ! répète Prudence en lui tapotant les joues, et Ian admire la patience de son fils qui ne bronche pas, un sourire content quoique timide au bord des lèvres. Entrez, entrez, il fait un froid de canard dehors. Oh, que tu es beau, et grand ! On dirait ton père au même âge.
Pendant sa tirade, elle embrasse les deux enfants, montre le meuble à chaussures à Will, leur désigne un portemanteau flambant neuf, débarrasse Katie de son manteau et se tourne vers Ian.
— En parlant de ton père, ajoute-t-elle, un trémolo dans la voix. Ça fait plaisir de te revoir, mon chéri.
— Mère, raille-t-il dans un sourire tordu.
Le sobriquet la fait tiquer, mais elle n'y répond pas et s'approche, les deux mains tendues vers lui, prête à le prendre dans ses bras, ou, pire, l'embrasser. Son mouvement de recul est évidemment remarqué, et c'est dans un monumental effort qu'il laisse sa mère s'approcher, tous les sens à l'affût, le regard particulièrement attentif à ses mains.
Il se force à ne pas grimacer quand ses doigts pressent ses épaules, et à ravaler son désir de fuite. C'est maladroitement qu'il lève ses propres mains, incapable de savoir où les poser. Alors il tapote le dos de sa mère, pendant qu'elle dépose un baiser sur sa joue.
— Cinq ans, Ian, lui lâche-t-elle dans un murmure désapprobateur. Cinq ans…
— Je sais, je sais, répond-il, tâchant de ne pas faire ressentir trop d'impatience dans sa voix.
— C'est trop long, Ian, c'est trop long.
Alors qu'il lève les mains tout en haussant les épaules d'un air vaguement coupable, Prudence se tourne vers sa dernière petite-fille occupée à retirer son manteau et l'expression froissée de son visage s'efface au profit d'un sourire que Ian trouve, sinon aimant, au moins poli. Son hésitation ne passe pas inaperçue - Abigail réfrène son envie de s'enfuir, lance un regard à son père, lui aussi tendu, dans l'attente du prochain geste de sa mère.
— Et toi ! chantonne-t-elle en levant les mains avec trop de brusquerie, faisant presque sursauter la fillette. Toi aussi tu as sacrément grandi.
— Prudence ? lance une voix féminine et inquisitrice depuis le salon.
— J'arrive ! C'est mon fils et mes petits-enfants qui sont arrivés !
Tout en posant son manteau et celui qu'Abigail lui a timidement donné sur celui de Will, Ian se tourne vers sa mère, déjà las.
— Qui est-ce que tu as invité ? Cette voix est bien trop sénile pour appartenir à Coleen, quoique je sais qu'on ne s'est pas vus depuis cinq ans mais enfin…
— Non, non, répond Prudence en haussant les épaules. Ce sont les copines de mon club de tarot. Ecoute, chéri, je ne vous attendais pas avant dix-huit heures, ajoute-t-elle tout en adressant un petit sourire et une caresse à Katie.
— Il est dix-huit heures dix, raille Ian avec une méchante grimace. Mais je comprends que le tarot soit si prenant. A moins que tes invitées n'aient des ragots croustillants, auquel cas je comprends d'autant mieux pourquoi vérifier l'heure ou attendre tes petits-enfants n'est pas ta priorité.
— Mais enfin, ne dis pas de bêtises, Ian. Allons, venez, je vais vous les présenter.
Elle attrape le bras de Will d'un côté, celui de Katie de l'autre, et les entraine au salon.
— Oh, oui, avec plaisir, j'espère que tes copines ont gardé quelque histoire polissonne pour nous, lance Ian avec colère. Alors, combien de fois M. Smith a perdu son dentier, la semaine dernière ? Oh, je ne peux pas attendre une seconde de plus !
Ses épaules s'affaissent soudainement, quand sa mère a disparu dans le salon, et c'est d'une main terriblement lasse qu'il se frotte le visage et les cheveux, avant de se tourner vers Abigail, toujours pétrifiée dans l'entrée.
— J'y vais, chuchote-t-il. Je n'aime pas trop laisser Will et Kat seuls avec cette harpie. Monte directement, d'accord ? Ça sentira moins fort, à l'étage. Laisse-nous juste le temps de dire bonjour à ces vieilles pies et nous arrivons. Tu te rappelles quelle chambre c'est, la mienne ? Celle la plus à gauche quand tu viens de monter les escaliers.
Le minuscule hochement de tête que lui adresse Abigail lui fend le cœur. Elle est si pâle et si frêle dans le décor si hostile qu'il s'en veut de l'avoir amenée ici, de les avoir amenés tous les trois. Mais leur expérience n'est pas la sienne, et il les sait plus en sécurité que lui. En tout cas, c'est ce qu'il espère de tout son cœur.
— Bon courage, murmure Abigail en prenant le chemin inverse, vers la cuisine où mène le chemin vers l'étage.
— Pour ça, j'ai ce qu'il faut.
Avec un sourire penaud, il désigne l'écharpe bleu et bronze toujours à son cou.
Abigail hoche la tête, puis s'éclipse en mettant une main sur son nez. Ian la regarde s'éloigner avec un soupir malheureux, et, avant de s'aventurer dans le salon, décroche l'écharpe rouge et or de Will. Il aura bien besoin d'une double dose de courage pour affronter sa mère et ses copines du club de tarot.
— Tu aurais pu faire un petit effort.
La voix claque comme un reproche, dans l'air froid du salon. Ian ferme les yeux une seconde et expire dans un geste théâtral des plus dramatiques pour signaler à sa mère son agacement, mais celle-ci répond seulement d'un 'Bah !' encore plus agacé, et poursuit sa tâche. Ian l'observe ranger ses cartes dans leurs étuis, puis dans leur tiroir dédié.
— De quel moment de la soirée parles-tu ? A moins que tu ne parles de l'entièreté de ma vie ? Dans les deux cas, il va falloir préciser.
— Fais attention à la nappe, s'il te plait, ou elle sera toute fripée. Je parle de ton comportement de tout à l'heure.
— Avec tes copines ? J'ai été poli, il me semble.
Prudence émet un son de langue qu'il ne connait que trop bien et qui le met hors de lui, mais c'est sans faire de commentaire qu'il attend la suite du sermon, les mains crispées sur la nappe qu'il replie pour la ranger.
— Bah !
— C'est toujours peu précis, mais soit.
— Tu peux replier la nappe s'il te plait ? Elle est fragile, et tu as laissé un pli.
— Je remarque d'ailleurs, non sans surprise, ni sans fâcherie, que tu profites du fait que les enfants soient montés se laver pour m'accabler enfin de reproches. Tu t'améliores.
— Tu te trompes, marmonne Prudence en secouant tristement la tête.
— Comme toujours, commente Ian en haussant des épaules désintéressées.
— Je suis contente de te voir, chéri, continue sa mère sans se soucier de son interruption, comme si elle n'avait pas eu lieu. Ça faisait trop longtemps.
— Ça, j'ai cru comprendre, quand tu l'as répété dix fois au moins à table. Mais j'avais compris dès la première fois, tu sais.
— Bon, c'est vrai que tu as été poli tout à l'heure…, avoue encore Prudence sans donner l'impression d'écouter les protestations de son fils, suivant seule son fil de pensées incohérent. Je trouve ça juste dommage qu'Abigail ne soit pas venue se présenter et dire bonjour. Ça aurait été la moindre des choses.
— Abby était fatiguée du voyage. Sache aussi qu'elle a du mal à supporter les odeurs trop prononcées, et on ne peut pas dire que le vin chaud de ta copine était subtil de ce point de vue-là.
— Si tu le dis. Je vais faire du thé, tu en veux ?
— Non, soupire Ian. Mais quelque chose me dit que je n'ai pas vraiment le choix. De quoi tu vas m'accuser, encore ?
— Je veux juste te parler, chéri. Et tu pourrais juste, s'il te plait, avoir la gentillesse de m'écouter.
Ian attend qu'elle soit partie dans la cuisine pour rejeter la tête en arrière et soupirer longuement, la poitrine serrée.
— La gentillesse, répète-t-il dans un murmure désabusé.
Prudence, ironiquement, a sorti ses plus belles tasses, et sa pire théière. Elle sert Ian sans remarquer son regard las, s'assoit à ses côtés et avale une première gorgée d'un geste si ridiculement précieux que son fils se retient à grand peine de faire un commentaire. Puis, sans douceur, elle repose sa tasse et se tourne vers lui :
— Comment vas-tu ?
— C'est vaste, comme question, ronchonne Ian en touillant son thé nonchalamment. Ecoute, à Stamford, ça va.
Prudence hoche la tête, décide de ne pas rebondir sur le sous-entendu de son fils, et reprend, comme si de rien n'était, les yeux posés sur les mains de Ian :
— L'eczéma est revenu.
— Ça n'est jamais vraiment parti. Ça revient de temps en temps.
Une seconde, il hésite à lui rappeler ce que les quelques médecins qu'ils avaient consultés lui avaient trouvé comme cause concernant son apparition, mais au pincement de lèvres de sa mère, il sait qu'elle s'en souvient parfaitement. Elle hausse lentement les épaules, ajoute un sucre dans ton thé, un peu de lait, et continue, sans s'émouvoir :
— Est-ce que tu arrives à sortir un peu ? A rencontrer des gens ?
— Oh wow, ça t'intéresse, ça, maintenant ? J'étais resté sur le fait que je devais me concentrer sur mes enfants et sur d'autres études pour faire un 'vrai métier'. Je crois d'ailleurs que c'était moins effrayant.
— Oh, ne fais pas l'imbécile. Je n'ai jamais pensé ça. Mais je te connais, et je pense que sortir de ta solitude te ferait le plus grand bien, en plus de changer ce désagréable cynisme.
— Je n'aime pas du tout le tournant que prend cette discussion.
— Je pensais seulement qu'en cinq ans, tu aurais pu te trouver une gentille femme avec qui partager tes obligations. Ça te ferait le plus grand bien.
Le soupir qu'il lui adresse n'a pas l'air de l'émouvoir outre mesure, pas plus que la main qu'il passe sur ses yeux, espérant chasser l'horrible malaise teinté de colère de son cœur, et ainsi retrouver son sang-froid. Mais Prudence attend, patiemment, trop patiemment peut-être, qu'il lui réponde, ses yeux bleus agrandis par ses lunettes fixés sur lui. Ian voudrait bien lui faire ravaler son demi-froncement de sourcils et les doigts qu'elle a posés sur son menton dans une posture détaillant chaque réaction, chaque pore de sa peau. Au comble de l'impatience, il hausse une main en même temps que les épaules et marmonne :
— Ok.
— Ok ? répète Prudence lentement, et ses sourcils se haussent d'un air las.
— Mais enfin, que veux-tu que je réponde à ça ? Oh, merci Mère de me faire part de cette excellente idée, heureusement que vous faites encore partie de ma délicieuse existence ?
— Parfois, oui, j'aimerais que tu te rappelles que je suis ta mère et que je fais partie de ta délicieuse existence, répond-elle dans un léger sourire tordu, puis reprend une gorgée de thé avant de continuer tu ne peux quand même pas me reprocher de m'inquiéter pour toi.
— Tu ne t'inquiètes pas pour moi, tu t'inquiètes de ma situation amoureuse et du fait que je ne rentre pas dans tes critères d'idéaux, et je t'assure que tu n'as vraiment aucun intérêt à mettre ton nez dans ces affaires-là.
Prudence ne bouge toujours pas, mais la lueur qui s'est illuminée dans son regard ne prédit rien de bon. Un frisson remonte le long de la colonne vertébrale de Ian, et d'un seul coup, un poids s'écrase dans son estomac : il connait ce regard, et il le hait de toutes ses forces, ce regard pétillant de méchanceté brute, ce regard qui lui signifie sans colère ni effusion de voix qu'il est allé trop loin, et qu'il va le regretter.
Prudence sait appuyer là où ça fait mal, et ce regard, ce regard carnassier, malveillant, c'est un avertissement que le coup va porter. Et malgré toutes les fois où elle l'a gratifié de ce regard, malgré le fait qu'il sait ce qui va s'abattre sur lui, Ian n'a jamais réussi à se protéger de ces coups-là.
— Tu sais, je comprends que tu aies du mal à oublier Alison. C'était une femme d'exception.
Et, lentement, elle s'agite, porte sa tasse à ses lèvres et boit longuement. Ian ne répond rien, ne peut rien répondre. Ses lèvres ont été scellées avec le même plomb qui s'est logé dans sa gorge et l'empêche de respirer ou déglutir correctement. Il refuse même de lever les yeux vers sa mère, de peur de croiser la cruelle lueur de victoire dans ses prunelles, et tant pis si garder le regard baissé le fait passer pour un lâche. Il n'est plus à ça près.
— Pourtant il va falloir. Elle est partie, c'est un fait. J'espère qu'elle a refait sa vie de son côté, mais maintenant, c'est à toi de refaire la tienne, tu ne crois pas ?
— Je…
— Je comprends aussi que ce soit délicat pour toi, avec…
La soudaineté avec laquelle crisse de la chaise de Ian, brusquement reculée, l'interrompt. Ian se lève, attrape sa tasse d'une main qu'il espère ferme, et, sans lui montrer son soulagement de l'avoir fait taire aussi facilement, il plonge finalement son regard furieux dans celui de sa mère :
— Je n'ai pas envie de parler de ça, et surtout pas avec toi. Bonne nuit.
C'est après avoir balancé sa tasse dans le lave-vaisselle qu'il entend la voix de sa mère, restée dans le salon, une voix calme, satisfaite :
— Bonne nuit, chéri.
Les bruits de pas, d'agitation dans les escaliers, de Prudence dans la salle de bains se sont tus depuis un moment déjà. Pourtant, Ian, allongé sur son misérable lit, garde les yeux grands ouverts.
Il ne parvient pas à dormir. Comment le pourrait-il ? Il déteste cet endroit, suffoque au milieu des souvenirs et des murs à la peinture aussi morne et vieille que les meubles que Prudence a laissés toutes ces années, comme un pied de nez à son fils qui lui avait assuré ne plus jamais vouloir y revenir. Dans cette chambre d'adolescent figée dans le passé, il lui est impossible de fermer les yeux se retrouver dans le noir : ses paupières closes lui renvoient toutes les images alimentées par ses peurs d'enfant, trop vivaces, trop cuisantes.
L'obscurité somme toute relative de la chambre ne lui offre pas non plus un répit dans la panique qui lui secoue le cœur et crispe ses muscles : la fenêtre manque des rideaux que Prudence n'a pas daigné faire réparer, et le lampadaire juste en face de la fenêtre perce les ténèbres avec trop de puissance pour ne pas devenir dérangeant.
Comme à peu près chaque centimètre carré de cette maison, Ian déteste ce lampadaire, et il le déteste d'autant plus que c'est la raison pour laquelle on lui a attribué cette chambre quand il était enfant : il était hors de question pour sa sœur de dormir avec tant de lumière, elle qui avait le sommeil déjà trop léger. En tout cas, c'est ce que ses parents lui avaient dit, lui refusant également la possibilité de s'y installer eux-mêmes. Ian déteste ce lampadaire car il est la cause de si nombreuses terreurs lors de ses réveils nocturnes, il était et est toujours le monstre projetant des ombres effroyables sur ses murs qu'il ne parvenait pas à reconnaître suffisamment vite pour se moquer de la panique qui le saisissait à chaque fois.
Dans un soupir de résignation silencieux, il se redresse et se lève discrètement pour ne pas réveiller Katie, mais la petite fille dort profondément, la bouche entrouverte, sa peluche blottie dans ses bras. Ian contourne ensuite le matelas de Will, posé à même le sol, dans lequel le garçon a insisté pour dormir et laisser le lit à son père et sa cadette. Lui aussi dort à poings fermés, la couette remontée jusqu'à son nez.
Maintenant qu'il a abandonné la protection de ses couvertures chauffées par les bouillottes qu'il a piquées à sa mère, Ian frissonne dans l'air froid de la pièce. Son regard s'arrête un instant sur la silhouette menue d'Abigail, de l'autre côté de la pièce, elle aussi allongée sur un matelas de fortune. Il ne saurait dire si elle aussi rêve de plus beaux endroits que la chambre aux couleurs passées - elle lui tourne le dos, est suffisamment immobile pour qu'il la pense endormie, mais il la connaît assez pour ne pas en être persuadé. Après tout, ça n'avait pas d'importance, un bruissement de draps dans une chambre voisine ou un bruit de pas à l'étage du dessous suffisait à la réveiller.
Sans un regard pour sa piètre bibliothèque datant de son entrée au CP, il s'installe sur ce qu'il a toujours appelé son 'canapé', espèce de banquette trop vieille pour être encore confortable – mais l'a-t-elle seulement été un jour – qu'il avait récupérée à l'âge de sept ans d'une tentative de vide-maison de ses parents. Un sourire amer étire ses lèvres alors qu'il passe une main sur le revêtement rêche. Il se souvient d'avoir bataillé pour garder cette horreur, comme l'appelaient sa mère et sa sœur. Il se souvient de son sentiment de victoire immense quand il l'avait finalement déplacée dans sa chambre, en face de la fenêtre donnant sur la rue – et par extension, sur ce maudit lampadaire –, il se souvient de la fierté inondant sa poitrine quand il s'était assis dessus, de l'agacement dans le regard de ses parents, de l'insolence avec laquelle il les avait nargués d'avoir réussi, et eux d'avoir échoué à lui enlever cette affreuse banquette. Ils ne comprenaient pas, ne pouvaient pas comprendre que cette monstruosité lui servirait de refuge, de canapé attitré quand viendraient les moments de lecture solitaires. Personne ne pouvait lui retirer cette victoire-là.
Pourtant, aujourd'hui, cette victoire-là lui laisse un arrière-goût amer sur la langue.
Même dans le calme endormi de la maison, même assis à cette place, il ne se sent pas en sécurité, comme si le danger se jouait de lui, lui faisait cruellement croire qu'il s'était endormi pour mieux le surprendre.
En regardant la rue vide et ensommeillée, Ian se rend compte qu'il est épuisé, et que tout l'épuise. La tension dans son cou rend sa nuque si raide qu'elle lui fait mal sans même qu'il s'en aperçoive. Mais c'est peut-être la peur dans son ventre ou tout simplement ses pensées chaotiques dans son crâne en ébullition qui l'assomment. A force de chercher, de ressasser, de penser, il ne sait même plus exactement à quoi il pense, et cette confusion de réflexions, en plus de l'embrouiller, renforce la panique grondante dans son cœur.
Ses mains rongées d'eczéma tremblent. Cette fois, il n'essaye pas de stopper ses tremblements, ferme seulement les yeux, accueille toute sa détresse comme une vieille amie, lui demande pardon de l'avoir si vivement rejetée ces dernières heures. Elle passe ses bras décharnés autour de lui, pose sa joue contre son cou. Elle ne lui veut pas, chuchote-t-elle à son oreille, mais il la sent lui attraper le cœur et le faire sauvagement remonter dans sa gorge.
Alors qu'il inspire profondément toute sa peine et considère qu'il est peut-être temps de laisser sortir les pleurs que la tension a gardés enfermés toute la journée, un frisson hérisse les poils de ses avant-bras. Un frisson aussi froid qu'un glaçon, aussi doux qu'une boule de coton. Une petite voix aussi absurde que naturelle lui glisse à l'oreille que les nuages ont recouvert les étoiles et qu'il s'est mis à neiger.
Sans pouvoir s'en empêcher, il sourit. Son cœur retrouve sa place entre ses côtes, et, aussi prudemment qu'elle est apparue, sa détresse glisse, se fond dans les ombres des murs et disparait.
Quand il ouvre les yeux, son sourire s'élargit, et malgré le froid glacial qui s'est abattu dans la chambre, sa poitrine le brûle.
Dehors, il neige.
Silencieusement et méthodiquement, de peur de réveiller ses frère et sœur, Abigail se glisse et s'assoit à ses côtés, serre son ourse en peluche contre sa poitrine. Ian la suit du coin de l'œil, sent qu'elle l'observe aussi discrètement que lui, mais elle n'a pas l'air de vouloir échanger de regard, du moins pas tout de suite. Ils n'ont pas besoin de ça pour reconnaître et accepter leurs chagrins.
Ils ignorent combien de temps ils restent immobiles et silencieux, à surveiller la neige tomber, et ils s'en moquent finalement bien.
Ian sent soudainement quelque chose de froid, et de doux, très doux, aussi doux qu'un flocon de neige, se poser sur la peau nue de son avant-bras. Tous les mots que ce contact rassemble sans bruit se diffusent dans ses veines, remontent à son cœur, le gonflent d'un bonheur serein un sourire heureux étire ses lèvres. Il ne tremble plus.
La petite truffe noire de l'ourse en peluche est délicatement, si délicatement que Ian sait que ça n'a rien d'un hasard, posée sur lui. Et, dans la semi-obscurité, il sait qu'Abigail, du haut de ses onze ans et de son mètre quarante, veille sur lui.
Dehors, le lampadaire s'éteint.
Merci d'avoir lu.
Je réitère, vos retours sont un rayon de soleil, même les plus petits ! Si vous pensez que c'est plus facile quand vous avez des questions du style : qu'avez-vous pensé de telle scène / tel personnage (d'ailleurs, qu'avez-vous pensé de la terreur Prupru ?)?
Merci d'ailleurs à mes partners in crime d'écriture Docteur Citrouille, et Sun Dae V ! Merci merci merci !
Prenez soin de vous.
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