Helloo!~

Bon, allez, j'abandonne de trouver une introduction digne de ce nom. Straight to the point comme on dit ici.

Désolée pour cette absence si longue (six mois, un record !), on va dire que la vie était pas de tout repos. J'espère que pour vous, ça va.

Avant de commencer, un immense merci aux personnes qui ont reviewé (merci merci merci à la lectrice Guest pour ton chouette commentaire! ça me file toujours un sourire pas possible pendant des heures! En espérant que la suite te plaira!), votre soutien fait chaud au coeur, et ça fait du bien en ce moment.

Merci à mes partners in crime d'écriture, on ne les présente plus mais :

Merci à Citrouille de supporter mes chouinements quand j'ai envie de tout abandonner et pour nos conversations interminables,

Merci à Sundae Vanille d'être toujours si encourageante et pour son amour inconditionnel pour Ian (c'est bien réciproque ;)),

Merci à Aliete, Orlane Sayan et malilite pour nos conversations et battles, sans lesquelles le chapitre aurait pris six mois de plus.

Je ne peux que vous conseiller de lire leurs fictions et fanfictions, évidemment c'est de qualité prenium !


Avant de vous lâcher dans le chapitre, quelques précisions à toutes fins utiles, même si elles seraient inutiles si je ne mettais pas dix ans à écrire un chapitre :

- le papa de Stephen Picadilly, le copain de Willy, a été retrouvé mort avant les vacances de Noël. C'était un archéomage célèbre dans le monde de la Sorcellerie.

- Ivy a commencé à apprendre la langue des signes à Abby pour pouvoir communiquer avec elle.

- Abby et Willy ont des cousins à Poudlard : Ellanaëlle (Serpentard, 5ème année) et Avalon (Serpentard, 3ème année) O'Brien.

- Ivy était absente pendant toute une semaine avant les vacances de Noël.

J'en oublie certainement, mais allez, bonne lecture !


DERNIER DETAIL :

J'ai écrit une grande partie du chapitre en écoutant la BO de Ori and The Will of the Wisps, le meilleur jeu vidéo du monde (avec le premier opus Ori and The Blind Forest). Je vous conseille d'écouter ''Separated by the storm'' de Gareth Coker pour un peu de douceur, et pour aller avec l'ambiance que j'ai essayé de faire passer dans ce chapitre.


Chapitre 7 — Le Secret du Lierre

Partie 1


Les étoiles gravées dans le bois sombre de son lit se sont tues depuis longtemps, remplacées par le hurlement du vent et la chanson mélancolique des flocons. Cette nuit-là, pourtant, même leur complainte ne parvient pas à apaiser la fillette.

Allongée sur le dos, ses cheveux – grossièrement tressés par Katie avant leur départ de Stamford la veille – écrasés sur l'oreiller et le sifflement de la locomotive écarlate toujours dans ses oreilles, Abigail fixe le plafond et masse son abdomen. Elle sait son espoir de faire disparaître la souffrance et la panique sourdes qui l'accompagnent depuis le départ du train complètement vain, mais elle s'y accroche comme un papillon attiré par la lumière d'un lampadaire – désespérément.

Rien à faire - les fourmillements, réveillés depuis la veille après quelques semaines de répit, rampent sous sa peau et s'insinuent toujours plus profondément dans leur entêtante exploration d'une parcelle vierge à gangréner. Elle sent sa magie couler dans ses veines, éclater dans ses doigts, lui gonfler la gorge et l'étouffer dans un ronronnement cruel.

Elle ferme lentement les yeux, écrase ses paupières l'une contre l'autre comme on lui a tant répété quand elle était enfant – « ferme les yeux, tu verras, tu vas t'endormir », mais, autant que les mensonges des adultes les rattrapent, le sommeil lui échappe.

Alors elle compte les flocons, se répète leur mélodie, retient son souffle pour contrôler la douleur de ses crampes. L'angoisse des minutes qui s'égrènent, des obligations du lendemain sans le précieux sésame d'une bonne nuit lui tord les entrailles et menace de faire exploser son sang-froid, alors, pendant les quelques secondes de répit que lui accorde le monstre au fond de son ventre, elle se lève, borde sa peluche et laisse derrière elle ses draps brillants de gel et de glace.

La salle commune est à l'image du dortoir : endormie et paisible, figée dans le silence et la douceur de la nuit. Abigail s'arrête un instant, intimidée, honteuse de briser la quiétude de la pièce, laisse son regard embrasser les immenses fenêtres derrière lesquelles les flocons dansent dans le ciel sans lune.

Ils l'appellent, et elle ne peut résister à la boule de chagrin dans sa poitrine, au besoin de les rejoindre. De les laisser la consoler.

Sans un bruit, les étoiles au plafond la suivent lorsqu'elle descend l'escalier, l'éclairent et chantent dans un murmure qu'ils laissent résonner au creux de ses oreilles. Elle se laisse guider par leur mélodie, par les émanations de magie brute du cuivre dans lequel est emprisonnée Rowena Serdaigle près de la bibliothèque, par les appels de plus en plus pressants de la neige.

Bientôt, alors qu'elle se pelotonne dans le fauteuil le plus proche de la fenêtre, le nez en l'air et les bras autour de ses genoux repliés contre sa poitrine douloureuse, elle n'entend plus rien que la mélodie des flocons dans le silence de la salle commune.

Elle se sent accueillie par les pierres chargées de magie comme une amie que l'on aurait trop longtemps attendue. Les flocons virevoltent dans le vent écossais avant de s'écraser sur la couche épaisse de poudreuse blanche. Ils dansent sous le ciel sans lune. Ils se jouent de la brise, tournoient dans une ronde qu'eux seuls comprennent et maîtrisent. Leurs murmures accompagnent la chanson du vent, leurs complaintes se mélangent à la terre. Oui, décidément, elle a l'impression d'être de retour après une trop longue absence.

Pourtant, songe-t-elle avec un pincement de culpabilité au cœur, elle n'est pas certaine de se sentir chez elle. Ou du moins, elle n'est pas certaine de vouloir se sentir chez elle. La magie du château résonne peut-être avec la sienne, la chanson des flocons n'a peut-être pas jamais été plus belle, mais les murs hantés par la solitude et les souvenirs qui ne sont pas les siens lui font un peu peur.

Les yeux fixés sur la fenêtre, elle pense à Ivy, qu'elle est contente de revoir le lendemain même après avoir passé la journée avec elle dans le Poudlard Express, puis à son père, à son dernier signe de main lorsque Will et elle sont montés dans le Poudlard Express, à son dernier sourire qui n'aura trompé personne. Elle se demande s'il neige à Stamford, si son père dort, si, comme elle, incapable de trouver le sommeil, il se réfugie dans la contemplation du dehors et pense à eux. Elle espère qu'il saura lire dans les flocons qu'elle pense à lui.

Ses pensées s'envolent ensuite vers la tour des Gryffondor, où, elle l'espère, Will doit dormir, enfin entouré de ses copains qu'il voulait tant retrouver. Elle se demande sans vraiment souhaiter le savoir si Charlie et lui ont pu discuter comme ils le voulaient avec Stephen de l'enterrement de son père, de l'enquête menée par la police magique dont avait parlé la Gazette, ou tout simplement de la tristesse qui creuse les joues et éteint les yeux du jeune garçon. Ses doigts se resserrent instinctivement contre ses genoux lorsqu'elle revoit le désespoir au fond du regard vert de Stephen.

Elle n'a que tout juste le temps de songer que Will a peut-être la capacité d'alléger tous les cœurs mais pas l'efficacité du temps sur ce genre de blessure, quand l'impression d'être observée dans l'obscurité fait remonter un long frisson le long de sa colonne vertébrale. Son souffle bloqué dans sa gorge, elle tourne la tête dans un mouvement que seule la panique rend indolore - une silhouette d'un gris perlé, presque translucide, flotte non loin, plongée dans une méditation silencieuse. Alertée par le mouvement brusque de la petite fille, la Dame Grise tourne lentement la tête – son regard de pluie croise celui d'Abigail et la transperce sans douceur.

Quand la fillette se rend compte une fois debout qu'elle a quitté précipitamment son fauteuil comme prise de faute, elle déglutit péniblement. Elle souhaiterait pouvoir baisser les yeux, témoigner le respect que la prestance du fantôme dégage et mérite, mais son regard reste cloué à celui de la jeune femme - un regard aussi dur que triste, aussi coupant que déchiré. Un regard dans lequel l'espoir s'est éteint depuis trop longtemps pour que l'on puisse essayer de l'y trouver.

— Je suis désolée, bafouille la fillette en baissant les yeux sur ses mains qu'elle lie timidement l'une à l'autre, avant d'amorcer un mouvement pour quitter les lieux.

— Non, ne partez pas, lui répond la voix du fantôme. J'imagine qu'il y a une raison à votre présence ici.

Dehors, les flocons dansent plus doucement. Au-dessus de la tête de la fillette, les étoiles chantonnent en suivant leur cadence, leur lueur pâle éclairant à peine les deux intruses dans le tableau figé de la salle.

— Je cherche la solitude, murmure Abigail tout bas. Je ne désire pas troubler la vôtre.

— Vous ne la troublez pas.

L'une comme l'autre ne se quittent pas des yeux, puis, dans un courant d'air, le fantôme s'approche légèrement - Abigail recule aussitôt de deux pas, les mains crispées l'une contre l'autre, horrifiée de sentir sa magie, frustrée de ne pouvoir s'échapper depuis ses mains, couler dans ses jambes jusqu'à ses pieds.

— N'ayez pas peur, je suis faite d'immatériel, votre magie ne peut pas m'atteindre. Vous ne pouvez pas me blesser.

L'horreur succède à la surprise bien trop vite pour que la fillette réussisse à contrôler les battements de son cœur. Un instant, elle reste pétrifiée et muette. Le regard du fantôme la déstabilise - un regard dans lequel danse l'hésitation, et ce qu'elle lit sans le comprendre comme une curiosité mêlée de pitié.

— Vous savez pour ma magie ? parvient-elle finalement à bredouiller.

— J'écoute et j'observe, bien sûr que je sais.

Elle disparait derrière un fauteuil, réapparait derrière une tenture, glissant à quelques mètres du sol, sans bruit, plongeant la fillette dans un tourbillon de pensées plus incohérentes et bruyantes les unes que les autres. Derrière les fenêtres, les flocons s'agitent, s'ajoutent aux bourdonnements dans ses oreilles.

Un clignement de paupières plus tard et la Dame Grise avait disparu.


Le quotidien à Poudlard reprend son cours dans la douceur froide de l'hiver. La neige, inlassablement, se laisse tomber sur les tours et dans le parc en un manteau glacé, promettant aux élèves d'innombrables batailles de boules de neige endiablées lorsque les examens du premier trimestre seraient terminés.

Un vent de panique souffle sur le château le lundi suivant le retour des élèves - la Grande Salle, pourtant d'ordinaire bourdonnante de discussions, est bien silencieuse alors que les professeurs distribuent les emplois du temps à chaque table. Abigail reçoit celui des première année en déglutissant, mais sa grimace n'est rien comparé à la pâleur du visage d'Ivy, assise en face d'elle. Ses doigts caressent nerveusement la petite broche dorée – une branche de lierre à laquelle est accrochée une petite noisette, cadeau qu'Abigail lui a fait parvenir pour son Noël – accrochée à son écharpe comme pour se donner du courage. Les deux filles ne peuvent qu'approuver quand Bony, lui aussi un peu tremblant, signale quand même que c'est un sacré gâchis de distribuer un parchemin à chaque élève.

C'est dans un silence quasi religieux qu'ils se lèvent tous les trois et se dirigent vers la salle de Sortilèges pour leur premier devoir théorique.

Quand ils arrivent devant la salle de classe, le professeur Flitwick les attend, un long parchemin entre les mains. L'air tranquille – si ce n'est joyeusement satisfait – que son visage détendu affiche dénote tant avec ceux, fatigués et tendus des première année, qu'il arrache une grimace amère à Abigail. A l'air sombre d'Ivy, elle comprend que son amie songe à la même chose, mais elles n'ont pas le temps de se promettre que tout irait bien - le professeur se racle la gorge dans l'intention d'attirer l'attention de ses élèves – inutilement, puisque tous les regards sont pendus à ses lèvres.

— Bienvenus, bienvenus ! N'ayez aucune crainte, vous n'avez pas à vous inquiéter de la difficulté du sujet. Il est simple, pour qui a pris le temps de réviser.

Loin de rassurer les élèves, ses mots arrachent un frisson de panique dans l'assemblée et même son sourire bienveillant ne perce pas la tension dans l'air. La petite Serpentard devant Abigail passe mécaniquement ses doigts dans ses cheveux, et, non loin, elle aperçoit Adélaïde, le visage plus pâle qu'un fantôme. La fillette se tort les mains, les yeux figés sur le mur qu'elle n'a pas l'air de voir. Un peu plus loin, Pearl tapote l'épaule d'Autumn et Mackenzie tripote la lanière de son sac en grinçant des dents.

— Vos noms ont été apposés sur les tables, continue Flitwick de sa voix chantante. Quand je vous appellerai, vous pourrez entrer et vous installer. Vous n'aurez qu'à écrire votre nom avec la plume qui vous aura été attribuée, mais soyez prévenus que ce sont les seules que vous pourrez utiliser. Nous prendrons le temps de répondre à vos questions quand vous serez tous assis.

Les souffles se perdent dans leurs gorges quand Gabriella Aklin est appelée, et, très digne, elle s'avance et entre dans la salle. Lorsqu'Ivy est appelée, elle lance un regard à Abigail avant de passer les portes, le nez dans son écharpe.

Petit à petit, les élèves entrent dans la pièce et le couloir se vide. Il ne reste bientôt plus qu'Abigail, Adélaïde et un garçon maussade de Serpentard auquel les fillettes n'ont jamais adressé la parole. Au moment où le professeur Flitwick appelle Abigail, elle lève les yeux pour croiser le regard d'Adélaïde dans une tentative de se raccrocher à un visage rassurant avant le stress de l'épreuve. Les prunelles de la fillette se baissent sur le poignet d'Abigail, où est accroché le bracelet de perles bleues(*).

Quand, quelque dix minutes plus tard, le professeur leur annonce qu'ils ont deux heures et demie pour accomplir leur devoir, Abigail se concentre sur le sourire et les étoiles qu'elle a vues danser dans les yeux d'Adélaïde pour se donner du courage.

En sortant de la première journée d'examens théoriques, Abigail a si mal à la tête et aux mains qu'elle songe un instant à rater le dîner et à se rendre aussitôt à son dortoir. La seule présence d'une Ivy angoissée lui fait changer d'avis, et c'est avec la seule motivation de passer la soirée avec elle qu'elle la suit jusqu'à la bibliothèque pour des révisions de dernières minutes.

Ivy et Bony sont penchés sur leur manuel de Métamorphose quand Abigail aperçoit la tignasse rousse de Charlie, plus occupé à se chatouiller le nez avec sa plume qu'à lire le livre ouvert devant lui. Il est seul, mais un autre cahier est ouvert et délaissé à sa gauche, et c'est dans un élan d'espoir que la fillette s'approche, espérant trouver son frère dans un rayon attenant à la table – avant de se rendre compte que l'écriture sur les parchemins laissés à l'abandon est bien trop soignée pour lui appartenir, et pire, que le nom 'Picadilly' est inscrit sur chacun d'eux.

Elle se fige brutalement de peur de se retrouver nez-à-nez avec Stephen, qu'elle fuit comme la peste malgré tout le bien que lui en a dit Will, mais le jeune garçon a l'air perdu dans un rayon de la bibliothèque. De toute façon, elle peut difficilement faire demi-tour - Charlie l'a déjà aperçue et lui sourit.

— Salut Abby, l'interpelle-t-il dans un murmure joyeux en délaissant sa plume. Tu cherches Will ?

— Oui, avoue-t-elle d'une petite voix trop basse, inquiète que Madame Pince la fusille du regard comme la fois où, les bras trop chargés, elle avait fait tomber sa pile de livres dans un raffut pas possible. Il est là ?

— Il est pas encore sorti de Métamorphose, lui apprend Charlie avec un petit sourire désolé. McGonagall a accepté qu'il reste plus longtemps dans chaque matière, tu sais, pour qu'il prenne bien son temps pour écrire.

Abigail hoche la tête - Will, à qui les professeurs enlevaient constamment des points à cause de son écriture trop chaotique pour être correctement lue, lui avait avoué redouter les examens plus encore que l'année précédente. A croire que malgré tout, c'était encore possible que son écriture s'empire.

— Tant mieux, murmure-t-elle, sincèrement contente. Il doit être soulagé.

— Oui, on est contents pour lui avec Stephen.

— Et Stephen, comment va-t-il ?

L'interrogation, somme toute un peu hésitante, semble étonner Charlie. Il hausse lentement les épaules, un léger sourire qu'Abigail suspecte plus pour les formes qu'autre chose sur les lèvres :

— Ça va. On s'attendait à pire, et ça ne l'empêche pas de travailler dix fois plus pour rattraper son retard. Ne t'en fais pas pour lui, c'est un battant, et puis avec Will on fait de notre mieux pour être là pour lui.

Elle hoche simplement la tête, convaincue qu'en effet, les deux garçons ne lésinent pas sur leurs efforts.


La semaine se poursuit ainsi. Les heures ont beau passer comme des minutes, les élèves se retrouvent le soir épuisés par le stress et les efforts. Les visages se creusent au fur et à mesure que les jours passent. Si le soulagement se lit sur certains sourires le jeudi soir, veille de la fin des examens théoriques, Abigail ne s'est jamais sentie aussi tendue - d'une part car les douleurs dans sa poitrine l'élancent encore plus qu'à l'ordinaire, d'autre part car le lendemain se joue le théâtre de ses pires cauchemars : l'épreuve théorique des Potions. Elle n'ose pas l'avouer à Ivy ou Will mais tous ses espoirs se placent dans cette épreuve théorique pour grappiller le plus de points possibles et ainsi pallier sa nullité en pratique.

Le ventre trop noué et douloureux pour descendre dîner, elle préfère se rendre directement à la bibliothèque pour revoir une dernière fois ses cours qu'elle connait par cœur, mais l'angoisse lui serre le cœur et lui abîme l'estomac, sans parler de l'embrouillamini de pensées qui lui font perdre le fil de ses réflexions - de la composition de la potion Wiggenweld, elle passe au visage aussi peiné qu'agacé de son père par l'état dans lequel Will, Katie ou elle se mettaient pour chaque interrogation à l'école primaire, puis tente de se remémorer l'odeur et la couleur qu'est censée prendre la potion contre les furoncles, avant de songer avec une culpabilité qui lui écrase le cœur qu'elle n'a pas encore pris le temps d'écrire à son père et sa petite sœur.

Mais ses réflexions éclatent comme une bulle de savon au moment où elle bifurque dans le rayon des potions pour tomber nez-à-nez avec Stephen, plongé dans la lecture d'un livre qu'il tient maladroitement dans ses mains. Sa concentration brisée par l'arrivée en trombe de la fillette dans cette partie de la bibliothèque, il relève la tête, incertain. Quand ses yeux verts derrière ses lunettes un peu trop grandes croisent ceux d'Abigail, elle se raidit et s'arrête net avant de cligner des yeux comme un hibou pris de faute. Le regard du jeune garçon, quoique surpris et plus las qu'elle ne l'a jamais vu, lui rappelle trop sa bévue à Fleury et Bott et la honte lui chatouille encore trop profondément le ventre pour qu'elle accepte que sa présence n'a rien de menaçant.

Il ne se passe peut-être qu'une seconde avant que Stephen ne l'imite et se mette à papillonner des paupières trop rapidement pour que la surprise n'en soit pas la seule cause, et, dans un geste trahissant son hésitation, il remonte ses lunettes sur son nez.

— Je peux t'aider Abby ? demande-t-il d'une voix pourtant aussi calme que sereine.

— Je cherche un livre, bredouille-t-elle misérablement. Mais je vais attendre un peu que tu t'en ailles, j'aimerais… J'aimerais autant ne pas t'assommer, cette fois.

Les sourcils du jeune garçon se haussent de surprise avant que son visage ne s'illumine et se fende d'un sourire qui, au plus grand soulagement de la fillette mortifiée par son audace, n'a rien de moqueur. Au contraire, son regard se voile et, l'espace d'un instant, la lueur triste s'en échappe comme s'il se remémorait un souvenir particulièrement drôle.

— J'aimerais autant aussi, répond-il doucement. Lequel veux-tu ? Je peux te l'attraper s'il est trop haut, si tu veux.

Cette fois encore, si Abigail s'attend à percevoir du sarcasme ou la moindre taquinerie, sa voix en est dépourvue. Même son regard, qu'elle essaye de sonder le plus rapidement possible pour briser leur contact visuel et ainsi éviter de se liquéfier de honte, reste sérieux.

— Euh, panique la fillette en se rendant compte qu'elle n'en a aucune idée et qu'elle n'est finalement venue que pour se rassurer sans avoir aucun objectif particulier pour ce soir-là. N'importe lequel.

— C'est pour l'examen théorique des potions ? comprend Stephen en remontant une nouvelle fois ses lunettes d'un geste machinal.

— Oui, gargouille Abigail en se tordant les mains, le nez bas et les yeux fuyants.

— Ton manuel devrait suffire. Mais si jamais tu veux vraiment, ajoute-t-il en fronçant lentement les sourcils devant l'air nauséeux qu'affiche le visage dénué de toute couleur de la fillette, tu peux feuilleter celui-là.

Après avoir déposé les ouvrages qu'il a lui-même dérangés, il amorce quelques pas vers le fond du rayon. Ses doigts suivent ses yeux alors qu'il marmonne les noms des auteurs et, sans crier gare, il en attrape un petit à la couverture rouge et or et lui tend timidement.

— Tu ne devrais pas apprendre grand-chose de plus, mais ça reprend les bases et c'est bien illustré. On l'a utilisé avec Will et Charlie l'année dernière, explique-t-il encore, un sourire un peu nostalgique sur les lèvres.

La fillette acquiesce lentement, peu persuadée que Will ait vraiment consulté ce livre au vu de la note qu'il avait obtenue l'année précédente et la rapidité avec laquelle il avait avoué à son père que les potions ne l'intéressaient de toute façon pas et qu'il était trop maladroit pour ne pas se couper avec les différents ustensiles – ou ingrédients – donc qu'il se fichait pas mal d'avoir une bonne note ou non, et « préférait garder ses doigts plutôt que préparer des potions qui puent ». Ce que personne dans la maison n'avait réfuté.

Sans répondre, elle se contente de hocher la tête et de s'enquérir du titre : Guide illustré des Potions pour débutants ou cas désespérés.

— Merci, chuchote-t-elle en le serrant contre elle pour lui éviter de remarquer les cristaux de glace que ses mains douloureuses laissent courir sur le cuir relié.

— Je t'en prie. J'aime bien conseiller des livres, alors si jamais…, répond-il en reprenant ses livres et en amorçant un geste pour s'en aller.

Elle se décale aussitôt plus que nécessaire pour le laisser s'éloigner, et si une lueur étonnée scintille dans le regard de Stephen, elle s'efface bien vite en même temps qu'il murmure un remerciement.

— Et encore désolée de t'avoir assommé, chuchote Abigail, contrariée de ne pas parvenir à chasser l'événement de sa tête alors que le jeune garçon traverse des moments passablement plus graves et compliqués que le souvenir d'une bosse sur le front.

Peut-être son plissement de lèvres coupable le convainc-il de se retourner une dernière fois. Ses doigts tapotent son livre dans un geste plus mécanique que réfléchi, puis il lui adresse un autre sourire, plus amusé et un peu rêveur, alors que sa voix déjà basse se fait presque inaudible :

— Tu sais Abby, tu ne m'as pas vraiment assommé à Fleury et Bott. Et puis j'ai eu pire, avec Will.

Son sourire s'efface au profit d'un froncement de sourcils un peu paniqué :

— Mais jamais volontairement, hein, bredouille-t-il avant de secouer la tête comme regrettant d'en avoir trop dit.

Et, sans un autre regard, il disparait derrière le rayon, laissant Abigail seule avec son livre à demi gelé entre les mains.

Elle se trouve bien idiote, plantée là, avant de décider que de toute façon, elle ne peut pas rivaliser avec la gentillesse et l'enthousiasme de Will quand il s'agit de montrer son soutien aux gens qu'il apprécie. Elle se trouve même bien bête d'essayer de lui adresser la parole, maladroite comme elle est.

De frustration, elle soupire et essuie d'un revers de la main les traces de neige. Les flocons volètent et disparaissent avant de toucher le sol, et tant mieux, car au moment où la fillette relève les yeux, elle croise ceux d'Adélaïde, la tête penchée de surprise de la trouver à secouer son manuel au milieu d'un rayon.

— Ça va, Abby ? murmure-t-elle, les sourcils à demi-froncés.

— Oui.

Son marmonnement ne semble pourtant pas convaincre sa camarade mais c'est sans rebondir qu'elle hoche la tête, laissant la conversation faner.

Et chacune reste plantée là, indécise quant à leurs prochains mouvements. Leurs coups d'œil loin de se faire discrets en disent pourtant long sur leur désir de s'approcher, de retrouver leur complicité perdue dans l'incompréhension, de retrouver le lien qui les avait amenées à se retrouver partout sans se concerter en les liant dans leurs angoisses communes dans le nouveau monde de la magie.

Adélaïde plisse lentement les lèvres dans un salut maladroit et tourne lentement les talons, la tête basse.

— Et toi ? chuchote alors Abigail, désespérée de ne parvenir à lui faire comprendre toute son affection.

A la vitesse à laquelle sa camarade se retourne, elle sent son cœur rater un battement. Leurs regards se croisent et s'accrochent l'un à l'autre.

— Ça va, chuchote Adélaïde en serrant le livre qu'elle tient contre sa poitrine. Comment… Comment se sont passées tes vacances ?

— Compliquées, trouve à répondre Abigail après un instant de silence et qu'un élève de cinquième les eut dérangées pour chercher un livre et repartir.

— Oh.

— Et toi ?

— Ça a été. C'était bien de ne pas avoir la magie partout tout le temps. C'était reposant.

Abigail hoche la tête lentement, et espère que son regard sera suffisant pour qu'Adélaïde comprenne qu'elle comprend parfaitement ce qu'elle veut dire, même si de son côté, elle souhaiterait que la magie se taise complètement sans le pouvoir.

— Au fait je… Merci pour-

La phrase de la fillette se perd dans son geste vers son cou - elle retire de sous son col un petit pendentif en forme d'étoile filante dorée, les yeux perdu dans le vague, un sourire aux lèvres.

— J'ai reçu ton hibou juste avant la rentrée et je- j'aurais dû venir te remercier tout de suite, c'est un très joli cadeau.

— Oh, murmure Abigail d'une petite voix enrouée, tout en effleurant elle-même le bracelet de perles bleues. Tu sais, c'est grâce à ma petite sœur. C'est elle qui l'a repéré. De mon côté, je ne suis pas très douée pour les cadeaux, avoue-t-elle en repensant à l'esclandre de Katie quand elle avait émis l'idée de prendre un autre pendentif sous prétexte qu'elle avait « la même fibre fashion que papa », c'est à dire aucune.

Au petit rire que laisse échapper Adélaïde avant de plaquer sa main sur sa bouche avec horreur en vérifiant que Madame Pince n'est pas dans les parages, elles savent que leur lien est de retour, qu'il les entoure doucement de ses fils aussi doux et dorés que le pendentif autour du cou de la fillette.


Quand le lendemain midi, le sablier lâche son dernier grain de sable et que la cloche sonne la libération des élèves, Abigail soupire sans retenue. Elle relit en vitesse son parchemin, certaine d'avoir oublié la moitié des réponses dans sa précipitation, mais le regard de rapace du professeur Rogue la pétrifie tant qu'après deux heures trente à plancher sur son devoir, elle ne peut plus réfléchir correctement. Au teint pâle d'Adélaïde et aux yeux hagards de certains de ses camarades, elle comprend qu'elle n'est pas la seule à souhaiter se carapater au plus vite des cachots pour profiter enfin du week-end et de la fin des examens théoriques.

Après un déjeuner aussi rapide que silencieux, Ivy propose à Abigail de se promener pour s'installer quelque part et continuer l'apprentissage de la langue des signes qu'elles avaient dû laisser de côté pendant les examens. Mais autant qu'elle aimerait oublier la folie de la semaine, la tension, l'épuisement et le stress ont raison d'elle - la douleur ne se cantonne plus à ses muscles et rampe jusque ses articulations, rend sa respiration lourde. Ivy hoche seulement la tête avec un sourire plus doux que du coton quand elle lui avoue préférer aller dormir un peu. Elle signe lentement pour laisser le temps à son amie de comprendre ses mots mais Abigail ne parvient à percevoir que le mot bibliothèque.

Si elle s'écroule sur son lit, elle ne parvient pas à trouver le sommeil. Au moins sent-elle sa magie s'apaiser au rythme de son souffle ralenti par le silence du dortoir, ses camarades de première année ayant préféré se lover dans les fauteuils et plaids de la salle commune. Elle ferme les yeux, sans chercher à s'endormir cette fois, et tente désespérément de suivre les conseils prodigués par le professeur O'Cuinn - chercher sa magie, essayer d'entrer en résonance avec elle, de lui laisser la place de s'exprimer pour mieux lui demander de s'effacer.

A peine l'effleure-t-elle pourtant qu'une douleur plus aiguë encore lui écrase la main gauche et lui tort le poignet. Son cri se perd dans le silence du dortoir alors qu'elle se redresse comme une furie et que ses doigts s'enroulent autour de son poignet pour le masser, avant que son geste ne s'immobilise en plein mouvement - les veines de son avant-bras, d'habitude si pâles et discrètes sous la porcelaine de sa peau, serpentent d'un bleu si vif sous son épiderme couverte de cristaux glacés qu'elle s'attend presque à les voir s'en détacher.

Son cri d'effroi s'étouffe dans la main qu'elle parvient à plaquer contre sa bouche, et, tendue par la perte de son sang-froid, la respiration saccadée, elle se redresse et se recroqueville sur son lit, réfléchissant à toute vitesse.

Le phénomène n'est pas nouveau, se force-t-elle à se répéter comme une litanie, la même chose s'était produite pendant les vacances de Noël, chez sa grand-mère, et il n'avait fallu que quelques minutes pour que la couleur de ses veines reviennent à la normale. Cet après-midi, seule la douleur l'a surprise.

Une petite voix, au fond de ses pensées chaotiques, lui chuchote pourtant que la douleur et la couche de gel, justement, n'ont rien de normal, et qu'elle ne doit surtout pas prendre cette manifestation à la légère même si les deux commencent à s'effacer lentement – surtout pas maintenant qu'elle n'a plus qu'à craindre pour les canalisations de sa grand-mère mais pour les quatre filles avec lesquelles elle partage le dortoir.

Dans un élan de courage qu'elle troquerait pourtant volontiers avec un abandon de tout pour se coucher dans ses draps et ne plus jamais en ressortir, elle se lève, enfile ses chaussures et, en prenant bien soin de cacher ses mains dans ses manches heureusement trop longues, elle quitte le dortoir, bien décidée à confronter le professeur O'Cuinn qu'elle n'a même pas aperçu depuis la rentrée.

En descendant d'un pas lourd et en jetant un regard terrifié aux quelques élèves croisant sa route, elle se rend compte qu'elle lui en veut, malgré toutes les belles excuses qu'elle a pu lui trouver. Elle lui en veut de l'avoir abandonnée sans même un mot, d'avoir manqué à toutes ses promesses alors que sa magie se fait plus forte et douloureuse. Elle lui en veut de taire tant d'informations alors qu'elle sait qu'il les détient.

Personne ne répond quand elle toque à la porte du professeur de Défenses contre les forces du mal, et c'est d'une humeur massacrante qu'elle fait demi-tour avant qu'un minuscule espoir ne la fasse déglutir péniblement. Peut-être que le professeur McGonagall irait plaider en sa faveur à son collègue, si elle venait lui demander de l'aide.

Elle en est même certaine, et se détourne pour monter à son bureau.

La cour de métamorphose, qu'elle aurait pensé vide à cette heure de la journée et par le temps grisâtre, est pourtant pleine d'élèves. Elle aperçoit sa cousine avec des amies, un peu plus loin, mais n'ose pas aller la saluer et continue son chemin en baissant la tête pour ne croiser aucun regard. Son poing gauche est serré dans sa manche, et seule l'angoisse d'une nouvelle crise donne à ses jambes l'impulsion nécessaire pour continuer et s'éloigner.

Le bruit de chute et d'encrier brisé derrière elle ne l'alarme pas. Le grognement qui en résulte — un « Fais attention où tu vas ! » inutilement agressif —, en revanche, et plus particulièrement l'absence de réponse et d'effusions d'excuses face à ce constat, affolent son cœur. L'étonnement d'une telle réaction, mêlé à la montée d'adrénaline ne la figent qu'une seconde avant qu'ils ne la poussent à se retourner pour s'enquérir de la scène - et cette fois, l'épouvante fait manquer un battement à son cœur avant que la colère ne la remplace, une colère si fiévreuse qu'elle ne réfléchit même pas avant de s'avancer, et tant pis pour la tempête que sa magie fait vibrer dans sa poitrine.

A quelques mètres à peine, Ivy est penchée vers le sol, une main désespérément accrochée à son écharpe désordonnée, l'autre farfouillant le sol pour ranger son sac éparpillé à ses pieds. Ses cheveux blond cendré tombent sur son visage, suffisamment pour qu'elle n'ose relever les yeux, pas assez pour cacher la rougeur de ses joues et les larmes aux coins de ses paupières. Le garçon de Gryffondor qu'elle a visiblement bousculé ramasse les feuilles tachées d'encre tombées de son propre sac et, de très mauvaise humeur et avec une grimace, fait glisser du pied la plume qu'Ivy s'apprête à attraper. Dans un sursaut, elle se recule pour éviter la chaussure du garçon, et ses yeux suivent sa plume qui s'arrête plus loin.

— Hé !

Le Gryffondor se retourne, l'air un instant paniqué de se faire pincer à ennuyer une première année, mais la surprise puis un mépris teinté d'arrogance lui arrache un rictus amusé quand il aperçoit la minuscule fillette s'arrêter devant lui.

Un instant décontenancée d'avoir reconnu sa propre voix interpeller un garçon de trois têtes de plus qu'elle sans en avoir trop conscience, Abigail lance un coup d'œil à Ivy, toujours au sol et raide comme un balai, les gestes immobilisés par la terreur, puis gratifie le Gryffondor d'un regard qu'elle espère aussi menaçant que confiant.

— Tu es perdue ? hasarde-t-il d'un ton moqueur.

— Laisse-la tranquille, marmonne Abigail en sentant tout son courage s'évaporer devant le sourire moqueur du grand garçon.

— Hey, il se passe quoi ici ?

Si le garçon s'apprêtait à répliquer, l'éclat de voix d'Ellanaëlle, qu'Abigail aperçoit arriver vers eux d'un bon pas, son insigne de préfète scintillant à sa poitrine, le convainc de se taire et il lève les yeux au plafond en soupirant.

— La cavalerie est avancée, à ce que je vois, commente-t-il d'un air railleur lorsque la Serpentard s'arrête entre Ivy et lui.

— Ne sois pas plus idiot que tu l'es déjà, McMuffin, réplique-t-elle sèchement.

Sans attendre qu'elle lui fasse signe de s'éloigner, Abigail se détourne pour aider Ivy, dont les mains frottent frénétiquement les yeux pour en chasser les larmes, à terminer le ménage de ses affaires au sol.

— Tu sais combien de temps il m'a fallu pour finir ces foutus devoirs ? grogne-t-il en lui balançant les feuilles tachées sous le nez.

— Bon sang, McMuffin, tu es un sorcier, un sort de Disparition et le tour est joué ! soupire Ellanaëlle d'un air agacé en roulant des yeux dans ses orbites. Ça ne justifie certainement pas l'humiliation d'une première année.

— Comme tu y vas avec tes grands mots ! Je lui ai juste demandé de faire attention où elle allait.

— Et pousser sa plume avec ton pied, c'était quoi ? Ta façon à toi de l'aider ? Je vois que l'âge ne t'a pas appris à gagner en empathie ni en patience.

Nullement impressionné par le constat, il ne lui offre qu'un reniflement dédaigneux et hausse les épaules en rangeant ses feuilles à la va-vite, les froissant presque. Ellanaëlle, qui avait suivi son geste, lui adresse un rire sans joie :

— Tu y tiens visiblement beaucoup, à ces devoirs ! Suffisamment pour ne pas aider cette petite à ramasser ses affaires.

McMuffin lance un regard désintéressé aux deux fillettes et au sac désormais rangé qu'Ivy serre dans ses bras et hausse les épaules. Fulminante, Ellanaëlle serre les dents :

— Sache que contrairement à toi, McMuffin, je n'ai pas peur de laisser mon ego de côté et sois sûr que j'irai prévenir ta directrice de maison de ton comportement envers des première année. Le professeur McGonagall entendra parler de l'incident, et je sais qu'elle en prendra note.

Elle lance ensuite un regard plein de compassion vers Ivy, les yeux toujours vers le sol, et Abigail, dont les iris sont fixées sur sa cousine avec une admiration sans borne. Ellanaëlle doit le remarquer car ses joues se colorent une seconde avant que McMuffin émette une espèce de reniflement moqueur avant de déclarer en détachant chaque mot :

— Ça te va bien de lui lécher les bottes, et même peut-être une autre partie de son anatomie, mais ce serait ta copine qui serait bien déçue.

Si ses propos, dont il n'est pas peu fier comme le prouve son sourire qui fleurit sur son visage, déroutent Abigail tant ils lui semblent incohérents, le visage d'Ellanaëlle alterne brutalement entre une pâleur digne d'un fantôme et un rouge aubergine. Elle ouvre et referme la bouche plusieurs fois, mortifiée, mais une silhouette se glisse derrière elle, lui évitant de répondre - un grand garçon à la robe rouge et noire, son badge de préfet accroché lui aussi du côté droit de son vêtement, s'avance et s'arrête devant Ellanaëlle. Ses yeux gris, qu'Abigail trouve similaires à ceux de Stephen à défaut d'en partager la couleur, sont fatigués et inquiets mais lancent des éclairs.

— Un problème, O'Brien ? demande-t-il d'une voix si sèche qu'Abigail sent Ivy se raidir un peu plus à côté d'elle.

— Merci, Picadilly, répond Ellanaëlle, très digne malgré son embarras ostensible. McMuffin s'en allait.

Le dénommé, dont le visage s'était décomposé dès l'arrivée de son camarade de maison, marmonne quelques mots avant que Picadilly ne le coupe d'une voix suffisamment lente pour qu'Abigail ait tout autant envie de prendre ses jambes à son cou :

— Tant mieux.

Et, sans demander son reste, McMuffin tourne les talons et s'éloigne à grandes enjambées, laissant les fillettes et Ellanaëlle soupirer de soulagement. Aussitôt son camarade parti, Picadilly laisse tomber le masque de froideur de son visage, et ses yeux se remplissent d'une lassitude effrayante quand il se tourne vers Ellanäelle, dont les épaules se relâchent brutalement avec une fatigue immense, pour demander doucement :

— Tout va bien, Naëlle ?

— Ça ira, répond-elle, toutefois un peu trop sèchement.

— J'ai rendez-vous avec le professeur McGonagall tout à l'heure, je m'occupe de lui raconter l'incident, d'accord ? Est-ce que tout va bien ? ajoute-t-il en posant son regard sur les deux fillettes, après qu'Ellanäelle a hoché la tête avec reconnaissance. Je n'ai pas vu ce qu'il s'est passé mais je me doute qu'il a eu une réaction exagérée. Ce type est une brute de bêtises, je suis désolé qu'il ait trouvé intéressant de s'en prendre à vous.

— Je m'occupe d'elles, le prévient la Serpentard. C'est ma cousine, ajoute-t-elle lentement, avec un léger sourire vers Abigail, et le grand garçon la gratifie d'un hochement de tête. Merci.

— Pas de quoi. Et surtout, n'écoute pas cet imbécile.

Un pauvre sourire étire les lèvres d'Ellanaëlle, sans toutefois atteindre ses yeux. Elle hoche la tête une nouvelle fois et murmure :

— Merci, Lawrence. Repose-toi.

Il acquiesce d'un mouvement de tête d'un ironie évidente mais ne rebondit pas et s'éloigne lourdement. Après un soupir lourd de non-dits, l'air sombre, Ellanaëlle se tourne vers les fillettes, une petite grimace désolée sur les lèvres.

— C'est le frère du copain à lunettes de Will, explique-t-elle d'abord en pointant la silhouette de Lawrence avec son pouce par-dessus son épaule, et Abigail hoche la tête pour lui signifier qu'elle l'a bien compris sans ajouter qu'elle l'a déjà rencontré sur le quai du Poudlard Express en septembre(**). Il n'est pas méchant comme McMuffin, n'hésitez pas à lui demander des conseils ou des directions, ou à vous cacher derrière lui si vous êtes embêtées. Déjà parce qu'il dépassera toujours vos délateurs d'une tête et surtout, personne n'ose le contredire. Bon, en ce moment ça va pas fort car j'imagine que vous avez entendu pour son père…

— Will nous en avait parlé, répond prudemment Abigail alors qu'Ivy ose tout juste lever les yeux vers leur sauveuse.

Ellanaëlle mordille sa lèvre d'un air préoccupé, avant de claquer sa langue contre ses dents dans un mouvement impatient. Son regard féroce fait un instant penser à celui de sa mère, mais bien vite, il s'adoucit et sa main passe machinalement sur son nez.

— Quant à McMuffin, évitez-le comme la peste, mais je ne vous apprends rien, n'est-ce pas ? Est-ce que ça va ? ajoute-t-elle doucement en constatant qu'Ivy semble toujours sous le choc. Je peux vous amener à la Grande Salle ou à l'infirmerie, Madame Pomfresh a toujours du chocolat en rab' dans sa trousse à pharmacie, ça vous requinque en une minute top chrono.

Peu incline à se rendre chez l'infirmière qu'elle considère voir déjà suffisamment souvent pour des potions de sommeils Sans-Rêves quand ses douleurs se font trop aiguës, Abigail secoue la tête dans une négation qu'elle espère suffisamment polie pour ne pas vexer sa cousine. Le sourire qu'elle lui adresse est suffisamment teinté de reconnaissance pour la rassurer aussitôt - visiblement aucune d'elles ne souhaitaient faire un détour chez l'infirmière.

— Ça ira, sûres ? D'accord. T'as une petite mine quand même Abby. Prenez soin de vous, d'accord ? N'hésitez pas si besoin.

— Merci, Naëlle.

Abigail la laisse s'éloigner avant de se tourner vers Ivy pour chercher son regard qu'elle garde pourtant volontairement fuyant. Ses pommettes rougies par le froid – Abigail remarque seulement la traînée de fumée blanche lâchée à chacune de ses respirations – ou par la honte restent résolument baissées vers le sol.

Autour d'elles, les élèves ont repris leurs chemins et leurs discussions, mais l'anonymat – relatif, au vu des regards qu'on leur lance en biais ou, moins discrètement et carrément curieusement – retrouvé des fillettes n'a rien d'apaisant. Mal à l'aise devant tant de sollicitations par les jeux de regards des plus âgés, Abigail propose d'une petite voix :

— Je connais un endroit où personne ne va, si ça t'intéresse ?

Le couloir du sixième étage est austère et froid quand elles l'atteignent, mais il a au moins le mérite d'être vide. Abigail s'étonne même de la facilité avec laquelle Ivy l'y suit, elle qui manifeste souvent une certaine retenue pour les lieux à l'image du couloir et préfère les grands espaces comme le parc. La fillette lève timidement les yeux dans l'ouverture des pierres, tend une main intimidée pour toucher les murs, comme incertaine de leur existence si paisible dans le chaos quotidien du château.

Accompagnée seulement du bruit de ses talons claquant timidement sur le sol, Ivy finit par s'asseoir sur le banc de marbre sur lequel Abigail et Will ont si souvent parlé. Elle pose son sac à côté d'elle, suffisamment délicatement pour lui éviter une nouvelle chute. Alors seulement, elle s'autorise à lever la tête pour détailler le couloir aussi vide qu'assombri par les nuages d'un gris sale au dehors. Les fenêtres ne laissent passer qu'un mince filet de lumière qui vient s'étaler aux pieds croisés et ballotant d'Ivy, remonte jusqu'à son visage, illumine quelques pierres derrière elle et laisse voir la poussière qui danse dans l'air froid.

Son visage doré paraît bien pâle et reflète une telle lassitude qu'Abigail n'ose pas s'approcher. Elle préfère rester dans la semi-obscurité et laisser à Ivy l'intimité dont elle a besoin. La fillette essuie discrètement ses yeux avant de soupirer lentement. Une vilaine grimace déforme ses lèvres quand ses mains commencent à danser sans grande motivation :

Quand je l'ai vu, c'était trop tard, je n'ai pas pu l'éviter.

Elle n'ajoute rien, laisse retomber ses mains sur ses cuisses. Sa posture ne trompe pas Abigail - son dos trop droit, sa bouche pincée et le mouvement de balancier de ses pieds trahissent sa nervosité. Nul doute qu'elle ne souhaiterait que pouvoir déverser toute la colère de l'humiliation que lui a fait vivre le Gryffondor un peu plus tôt, et pourtant, elle reste immobile, aussi interdite que lui permet son petit corps. Ses yeux se chargent d'exprimer tous les mots que sa bouche refuse de cracher. Ils brillent et hurlent comme Abigail les a toujours vus briller et hurler, et dans la lumière grise du couloir, ils brûlent de déception – celle qui refuse à sa timidité de se montrer, mais qu'elle n'ose assumer complètement, de peur de se laisser dévorer.

— Tu as entendu ma cousine et le frère de Stephen. McMuffin est bête comme ses pieds.

L'expression arrache un froncement de sourcils à Ivy, puis, lentement, elle hausse les épaules en détournant le regard, qu'Abigail a l'impression de voir s'adoucir – ou du moins s'assombrir :

C'est le deuxième à être méchant avec moi en moins d'une heure, signe-t-elle suffisamment lentement pour permettre à Abigail de la comprendre.

— Comment ça ? s'insurge-t-elle, et son étonnement ou peut-être son ton scandalisé arrache à Ivy un rictus bien trop amer pour son visage.

J'ai quitté la bibliothèque parce que des garçons de Serdaigle se moquaient de moi. Ils se moquaient du fait que je ne parle pas et ils m'imitaient quand je signe. J'aimerais bien m'en moquer complètement, mais ils sont dans notre classe.

— Ils sont idiots, gronde Abigail entre ses dents, faute de choisir l'insulte la plus adéquate et colorée pour correspondre à l'indignation que les signes d'Ivy font monter dans sa gorge.

Peut-être, admet Ivy après un temps de réflexion, le front plissé par ses sourcils froncés. Ses mains continuent leur ballet, mais Abigail ne l'aperçoit que plus tard, concentrée par la colère que provoque la vision des garçons de sa salle commune se moquant de leur moyen de communication.

— Excuse-moi, je n'ai pas compris.

— Je disais que c'est injuste de se moquer de mon mutisme alors que je ne suis même pas muette.

L'écho de sa voix résonne contre les pierres dans le couloir vide – une voix rocailleuse, sifflante et trop grave pour appartenir à une petite fille de onze ans –, puis s'évanouit.

Après un instant de silence, Ivy déglutit et son regard quitte la dalle sur laquelle il s'était posé pour chercher celui d'Abigail.

Tu ne dis rien, signe-t-elle lentement.

Elle a beau essayer de garder un regard interdit, le constat l'attriste, Abigail le voit à ses mains serrées sur ses genoux. Pourtant, elle ne répond rien, parce qu'elle n'a rien à répondre, parce qu'elle ne sait pas quoi répondre. Aucun mot ne saurait traduire le bond de son cœur et la bulle dans sa poitrine, et elle-même est bien incapable de comprendre ce qui les motive.

Je t'ai fait peur, reprend Ivy plus doucement, constatant le trouble dans lequel est plongée son amie.

— Peur ? répète lentement Abigail sans cacher sa surprise. Pas du tout, de quoi voudrais-tu que j'aie peur ?

Le visage d'Ivy perd aussitôt les quelques marques de l'incertitude que lui avait inspirées l'idée. Son soupir est si lourd qu'il siffle aussi fort que sa voix, et, en tapotant la place libre à ses côtés, elle toussote :

— Viens dans la lumière. Laisse-moi voir tes yeux.

Abigail accepte sans se le faire répéter, prend place sur le banc et lui accorde son regard duquel elle essaye de dissimuler le trouble. Ce qu'Ivy y lit doit lui suffire, sinon lui plaire, car le sien s'illumine. En quelques secondes à peine, il cesse de hurler toute sa colère - à la place brillent l'espoir, la gratitude, et la détermination, si titanesques qu'Abigail sent son souffle se bloquer dans sa gorge.

Lorsque les lèvres d'Ivy s'étirent en un sourire encore timide, Abigail comprend d'où vient le battement manqué de son cœur - cette promesse silencieuse au fond des yeux noisette d'Ivy, dans la tendresse de son sourire, cette promesse qui criait depuis tout ce temps dans ses oreilles sans qu'elle l'entende tout à fait et qui les avait liées dès leur première rencontre, la frappe à ce moment-là comme un coup de poing.

Tu n'es pas seule.

Et si le savoir inconsciemment l'avait rassurée pendant les premiers mois à fouler le monde sorcier, qu'Ivy lui en donne la preuve, cet après-midi-là, lui donnait une signification bien plus profonde et vertigineuse.

— Ivy, bredouille-t-elle, la gorge sèche à l'idée de ne pas parvenir à lui faire comprendre à quel point elle lui retourne cette promesse.

La fillette l'arrête d'un geste, hoche la tête pour lui signifier qu'elle n'a pas terminé, et lentement, ses mains s'affairent à dérouler son écharpe pour dévoiler son cou.

L'écharpe laissait découvrir une grande trace rouge bordeaux qui s'étalait de manière irrégulière sur sa trachée, depuis le haut du cou jusqu'à disparaître sous le col de sa chemise. Si la blessure ne datait pas de la veille, elle donnait l'impression d'être à vif.

— C'est pour ça que tu étais absente avant les vacances mais que les professeurs McGonagall et Chourave n'avaient pas l'air inquiètes, comprend-elle après un instant de silence, faute de trouver autre chose à dire. Où étais-tu ? A l'hôpital ?

Le sourire d'Ivy, dans lequel elle voit un mélange d'attendrissement et de gêne, atteint ses yeux et se perd dans une petite grimace embarrassée alors qu'elle baisse la tête et se trémousse sur le banc. Ses jolies mains dorées se tordent sur ses cuisses et se perdent dans son écharpe quand elle se racle la gorge et sa voix se fait plus rauque encore lorsqu'elle reprend la parole :

— J'aurais voulu te le dire, je t'assure, mais… j'avais peur que tu ne me parles plus.

— Quelle drôle d'idée, commente lentement Abigail sans cacher sa confusion, et Ivy lui adresse un sourire coupable.

— Mais aujourd'hui, je n'ai plus peur, lui assure-t-elle.

Elle se tait alors que sa poitrine se soulève d'un soupir dans le silence du couloir. Abigail n'ose rien dire, de peur de trahir tout le trouble qui bat entre ses côtes et pousse sa magie jusque ses doigts.

— Tu sais le plus étrange ? chuchote encore Ivy en posant son regard noisette sur la fenêtre, et, constatant qu'Abigail l'écoute sans rebondir, elle sourit : le plus étrange, c'est que j'avais hâte d'oser t'en parler mais maintenant que je peux, je ne sais plus par où commencer.

— Par le début, je suppose ? On peut prendre le temps qu'il faudra, explicite-t-elle, et Ivy sourit doucement en hochant la tête. Ça te fait pas trop mal ?

La grimace qu'Ivy lui octroie vaut plus que n'importe quelle autre réponse, et pourtant, elle s'obstine et marmonne :

— Si, ça me brûle. Tout le temps. En général quand c'est trop affreux, une potion de Madame Pomfresh me suffit, mais en ce moment, ça n'est pas toujours assez pour que ça s'arrête.

Le ton dépité sur lequel l'aveu lui est délivré tout autant que la fatigue teintée de résignation résonnent dans les oreilles d'Abigail avant de couler dans sa gorge en laissant une traînée amère derrière lui. Son cœur trop rapide dans sa poitrine est aussi douloureux que sa magie qui cogne contre sa cage thoracique. Elle hésite, mais la petite Ivy, un sourire triste que ses yeux ne font pas mentir sur son visage crispé, son cou à vif et sa voix trop rauque lui souffle un courage qu'elle s'ignore posséder.

Après tout, les pierres étoufferont son secret comme elles avaient déjà absorbé ceux de leurs aîné-e-s.

— Moi aussi ça me fait mal tout le temps.

Sa voix a beau se faire plus bas que son souffle, Ivy tourne brutalement la tête pour la dévisager. Son sourire a disparu, et son visage assombri par le sérieux est plus intimidant que les regards des murs.

— Tu sais, je ne me suis jamais auto-proclamée Auror, mais je vois bien que quelque chose ne va pas.

— C'est-à-dire que…, commence Abigail, la gorge soudain trop sèche pour avouer qu'elle n'a pas compris le terme technique qu'a employé la fillette. C'est di-

Elle se tait brutalement. Ivy la dévore de ses yeux noisette avec curiosité, sans insister. Abigail se mord les joues, la honte lui envahissant la bouche - difficile ? Comme si Ivy n'avait pas usé tout son courage et même peut-être davantage pour lui accorder le droit d'effleurer sa bulle d'intimité et de l'y accueillir en lui avouant son secret.

C'était peut-être ça, finalement, qui la mettait si mal à l'aise - certainement pas le son de la voix de la fillette, mais cette force qu'il lui avait fallu et qui l'entourait comme un halo brut, quand elle-même faisait tout son possible pour enterrer ses propres préoccupations. Qui était-elle pour prétendre avoir droit aux aveux de la petite Poufsouffle, elle qui était si lâche qu'elle hésitait encore à lui montrer l'étendue de ce poids dans sa poitrine.

Mais il y a autre chose, veut-elle se convaincre. La seule – si tant était qu'elle soit si mince – crainte d'Ivy était certainement que s'ébruite son secret. Le sien, en revanche, pouvait la blesser gravement. Tant pis, hurle son cœur. Tu n'es pas seule. Tu n'es pas seule.

Moi aussi j'ai quelque chose à te dire. A te montrer.

Sans oser rencontrer le regard d'Ivy une nouvelle fois, elle remonte ses manches d'un geste, dévoile ses mains - elle les trouve désespérément pâles, et ses veines bleues, trop visibles à son goût, serpentent sous sa peau.

Elle hésite encore, s'étrangle à demi avec sa salive, puis pose ses mains paumes vers le ciel sur ses genoux et ferme les yeux - elle sait son geste inconscient, mais à cet instant, elle ne souhaite pas être témoin de la moindre manifestation de sa magie.

Elle n'a même pas besoin de la chercher pour l'autoriser à s'échapper de ses doigts que le soulagement qui accompagne chacun de ses lâcher-prise envahit sa poitrine. Une seconde, il est si violent qu'elle est tentée de laisser sa magie s'échapper complètement.

Le hoquet d'Ivy lui fait brutalement ouvrir les yeux et les doigts dans ses paumes se rétractent, emprisonnant le flux de sa magie. Les protestations sont immédiates dans ses poignets, remontent jusqu'à sa poitrine. Ses veines s'illuminent une seconde avant de s'effacer, arrachant à la fillette une grimace mécontente. Comme à chaque fois, elle ravale sa frustration et se force à se rappeler les catastrophes qu'elle a déjà déclenchées pour enterrer l'appel toujours plus pressant de sa magie à se libérer.

Au moins a-t-elle appris à reconnaître les exclamations d'horreur de celles de surprise – Ivy n'est pas blessée, elle le sait avant de poser ses yeux sur elle.

Les yeux et la bouche de la fillette sont grand ouverts devant le ballet de flocons qui volète autour d'elles et les traces gelées sous leurs pieds et dans leurs dos. Il n'y a aucune peur dans son regard quand Abigail ose enfin y plonger le sien, juste une espèce d'admiration envieuse.

— C'était toi ? souffle-t-elle, un petit sourire impatient sur les lèvres en tendant la main pour accueillir un flocon, son regard oscillant entre les mains blanches de son amie et les boules duveteuses autour d'elles. Le premier septembre, la neige dans la Grande Salle ? C'était toi ?

— J'imagine.

Elle ne réagit pas quand Ivy lâche un tout petit « wow » aussi sincère qu'innocent, mais elle sait qu'elle ne mérite pas l'admiration de son amie. Sa magie est trop douloureuse, trop instable, et sa maîtrise trop minime pour mériter les étoiles dans les yeux d'Ivy.

— C'est joli, persiste-t-elle néanmoins en jouant avec un flocon taquin qui s'écrase finalement sur son nez.

— Ça me rend dangereuse, tu sais.

La petite Poufsouffle cesse de se frotter le nez et regarde sa camarade, troublée. Elle ouvre la main pour qu'un autre flocon se love sur sa peau dorée et le dépose délicatement sur sa cuisse, alors que l'air abattu d'Abigail lui fait comprendre que la faculté de produire ce petit trésor qu'elle tient dans ses mains n'est pas tellement une chance, comme elle l'a cru l'espace d'un instant :

— Dangereuse comment ?

— Je pourrais te blesser. C'est déjà arrivé. Mon grand-père, explique-t-elle après une seconde de silence pendant laquelle Ivy la fixe intensément. Il voulait jouer, il m'a prise par la nuque pour me faire une surprise. Il n'a jamais pu utiliser sa main après.

Un poids gigantesque s'échappe de sa poitrine à cet aveu, si violemment qu'elle sent sa magie s'affoler dans son ventre, mais le soulagement, de courte durée, est aussitôt remplacé par un doute affreux, plus lourd encore - elle en a certainement trop dit, elle aura certainement effrayé son amie. Elle sent plus qu'elle ne voit Ivy baisser la tête vers le petit flocon sur sa cuisse et le faire passer entre ses doigts.

— Je comprendrais que tu ne veuilles plus m'approcher.

— Tu sais, Abby, je n'ai pas l'intention de te prendre par la nuque pour te faire une surprise, réplique sèchement Ivy, et une seconde, Abigail ne comprend pas que sa colère ne lui est pas destinée, trop concentrée par la joie que son prénom prononcé pour la première fois par la fillette lui procure. Et entre nous, ce n'est pas très malin comme surprise. Où as-tu appris à faire ça ? ajoute-t-elle avant qu'Abigail ait le temps de rajouter quoi que ce soit.

— Je n'ai pas appris. Je suis née comme ça. Le professeur O'Cuinn est censé m'apprendre mais depuis avant les vacances, tu sais, quand Will nous a dit pour le père de Stephen…, commence-t-elle et Ivy balaye l'information d'un hochement de tête, la priant d'un claquement de langue de continuer. Eh bien je n'ai pas pu le voir.

Un sifflement furieux lui fait finalement tourner la tête. Ivy regarde par terre, des flocons dans les cheveux. Ses iris sont durs, et, avec un rictus, elle marmonne :

— C'est une habitude ici de laisser les élèves se débrouiller seul-e-s.

L'amertume est telle dans sa voix qu'Abigail ne parvient pas à cacher sa surprise :

— Comment ça ?

— Tu sais, murmure Ivy encore plus bas, un rictus attristé sur les lèvres, c'est la première fois que j'ose parler devant quelqu'un depuis la rentrée de septembre. C'est dur pour lancer des sorts, comme tu peux l'imaginer. Le professeur McGonagall a bien essayé de me donner des conseils pour lancer des sorts chuchotés ou à demi-voix ou même informulés mais je ne suis pas assez douée. Les autres professeurs préfèrent essayer de m'encourager et me regarder comme si… comme si j'étais en sucre et ça m'énerve.

Sa grimace s'efface si vite pour se voir remplacée par un sourire rêveur qu'Abigail fronce les sourcils. Ivy ne remarque pas sa confusion et un petit rire rauque secoue son corps - dans un geste machinal, elle plaque ses mains contre ses lèvres et secoue la tête, déjà loin du couloir glacé :

— Tu aurais vu la tête de Daniel quand il l'a su…

Abigail comprend à sa main qu'elle secoue dans l'air en dérangeant les flocons que la réaction dudit Daniel n'avait certainement pas été de laisser éclater sa joie.

— Je ne sais pas qui est Daniel, remarque-t-elle seulement d'une petite voix, imaginant seulement son importance pour la petite Ivy, au vu des étoiles dans ses yeux et la douceur dans sa voix meurtrie et sifflante.

— C'est mon médicomage depuis que j'ai sept ans. Celui qui me soigne. Entre nous, celui d'avant était gentil, mais Daniel…

Elle accompagne son soupir d'un sourire rêveur et porte ses mains à son cœur avant de grimacer et, presque aussitôt, une quinte de toux secoue son corps.

— Viens, allons voir Madame Pomfresh, la presse Abigail, les sourcils froncés d'inquiétude.

Ivy acquiesce en silence et se lève, une main sur sa gorge. Ses yeux papillonnent et se remplissent de larmes.

— Tu sais Abby, murmure-t-elle en remettant son écharpe, la voix de plus en plus rauque et sifflante. Quand je t'ai vue le jour de la rentrée, j'ai tout de suite su que toi aussi tu avais quelque chose à cacher. Je ne me l'explique pas mais- je l'ai su.

Abigail hoche lentement la tête. Elle n'a pas besoin de lui avouer que c'est réciproque, elle sait au petit sourire tordu d'Ivy qu'elle le comprend. Elle murmure d'une voix presque suppliante :

— Avant que… Avant qu'on retourne là-bas, Abby ? Je- Tu ne diras rien à personne, hein ?

— Pas même à mon père ou mon frère.

Ivy semble sur le point de protester mais une nouvelle toux l'en empêche. Elle hoche finalement la tête et trouve la force de sourire et d'ajouter :

— Merci. Moi non plus je ne dirai rien. Abby ?

— Oui ?

— J'ai moins peur avec toi.

L'aveu, agrémenté d'un sourire timide, fait manquer un battement au cœur de la fillette. La petite bulle au fond de sa poitrine, qu'elle avait si souvent expérimentée lorsqu'elles ne comprenaient pas encore d'où venait leur lien invisible et déjà si solide, grossit si rapidement qu'elle se sent bien incapable de retenir un soupir de soulagement.

— Moi aussi, avoue-t-elle tout bas. Ivy ?

— Hm ?

— Tu continueras à m'apprendre la Langue des Signes quand même, dis ?

La surprise illumine le visage de la fillette avant qu'elle emmitoufle son cou dans son écharpe et acquiesce en silence, le regard plein de reconnaissance.

— Ivy ? murmure encore Abigail pour attirer son attention.

Son cœur manque d'exploser quand les yeux noisette de son amie se posent de nouveau sur elle.

Son regard brille plus fort que toutes les étoiles réunies lors des nuits sans lune, il hurle toute la force nouvelle dont est rempli son corps encore enfantin à la place de ses lèvres closes.

Il hurle autant sa vulnérabilité, mais Abigail n'a pas peur, ni l'intention de l'abandonner. Alors elle s'agrippe à ce regard, de toute sa volonté.

— Ivy, tu n'es pas seule.

Et à cet instant-là, la lumière dans les yeux d'Ivy lui fait oublier tous ses soucis. A cet instant-là, elle se sent la force de soulever des montagnes.


A quelques centaines de kilomètres de là, dans la petite ville de Stamford, Ian ferme la porte de la pâtisserie derrière lui et salue les derniers collègues qui, comme lui, ont été d'astreinte à la fermeture ce soir-là. Au moment de ranger la clé dans sa poche pour s'emparer de celle de sa voiture, il pousse un long soupir sans retenue et ferme les yeux le temps d'une seconde. Juste le temps d'apprécier la fin de la journée et détendre ses muscles tendus par la précipitation dans laquelle ils sont tous plongés quotidiennement.

La quiétude de la rue lui fait du bien, après une semaine de bruits, de stress et de frénésie, tellement qu'il ne se presse pas pour retrouver sa voiture et rentrer chez lui. Les premiers flocons se mettent à tomber alors qu'il amorce un pas vers sa Ford Anglia garée un peu plus loin. Malgré lui, il lève lentement la tête et sourit, content de prendre enfin le temps de penser aux visages de ses enfants. Il se demande ce que peuvent bien faire ses aînés, si loin en Ecosse pendant que lui se reçoit un flocon aussi doux qu'une caresse sur le nez – ils dînent, très certainement. Ils lui manquent si fort que son cœur se serre au souvenir de leurs sourires et de leurs voix. A cet instant, fatigué et découragé, il donnerait n'importe quoi pour les serrer dans ses bras. Un léger sourire étire ses lèvres quand il songe que, en temps normal, il donnerait tout autant n'importe quoi pour les sentir tout contre lui. Il espère seulement qu'ils savent, là où ils sont, qu'il pense à eux suffisamment fort pour les protéger comme il peut.

Puis, en ouvrant la portière d'un geste las, il soupire encore, se raccroche au sourire de Katie qu'il retrouvera très vite maintenant. Il se souvient en allumant le moteur que, même si elle garde son jeu de clés pour rentrer directement après l'école, elle préfère l'attendre chez Charlotte – leur petit rituel du vendredi soir, même si Ian sait que si elle en avait la possibilité, Katie irait chez son amie tous les soirs de la semaine. Un vent de honte l'accable alors qu'il s'engage dans la rue - un jour, se promet-il, il arrivera à se libérer suffisamment tôt pour attendre la fillette tous les soirs à la sortie de l'école.

Il se gare devant la maison de la mère de Charlotte quand le doute lui fait froncer les sourcils – il ne sait plus si la fillette est censée passer la semaine chez son père ou sa mère, cette semaine-là.

Un sourire tordu lui échappe lorsqu'il songe qu'au moins, Alison aura épargné aux parents des amis de ses enfants cette questions-là.

Les silhouettes qui se découpent depuis la fenêtre du salon ne lui laissent bientôt plus de doute – une petite main ouvre le rideau blanc et bientôt, Katie colle son nez à la fenêtre, ses mains en ronde autour de son visage pour protéger ses yeux de la lumière et s'habituer plus rapidement à l'obscurité de la rue. Son sourire éclatant quand elle reconnaît la voiture de son père chasse son épuisement aussi vite qu'il gonfle son cœur de bonheur.

A peine a-t-il sonné que la mère de Charlotte lui ouvre et l'accueille avec un grand sourire. Elle aussi paraît bien éreintée de sa semaine, mais c'est avec une joie sincère qu'elle lui propose un chocolat chaud.

— Bien que je pense que les tiens sont bien meilleurs que les miens, ajoute-t-elle aussitôt avec une petite grimace embarrassée.

— Malgré les apparences, je suis plutôt adepte du cacao en poudre trop sucré dans un peu de lait réchauffé, répond-il dans un sourire taquin qui la fait ricaner.

— Papa !

La seconde suivante, le visage de Katie s'écrase contre son ventre, le faisant vaciller et sourire tendrement. Les bras de la fillette entourent sa taille et, alors qu'il passe un main dans ses cheveux dans une caresse délicate pour ne pas désordonner la jolie tresse qu'elle arbore, puis, après avoir inspiré longuement l'odeur de son père et décidé que leur embrassade était suffisamment longue pour elle, elle se recule et se tourne vers Charlotte, dont la tête châtain dépasse de la porte menant au salon.

— Papa, est-ce que Charlotte peut venir demain après-midi ?

— Bonsoir à toi aussi, raille son père. Et oui, bien sûr. On pourra faire des scones si vous voulez pour le goûter.

Et, après des exclamations ravies, des embrassades déchirantes pour se promettre de se retrouver le lendemain, Ian et Katie quittent Charlotte et sa maman pour affronter le froid de janvier. Katie frissonne malgré son gros manteau et son bonnet enfoncé jusque ses yeux, et c'est avec bonheur qu'elle se laisse tomber dans le fauteuil du salon quand ils arrivent enfin au numéro 2.

Ian trouve Katie bien pensive quand, un peu plus tard, il vient l'embrasser pour lui demander d'éteindre sa lumière. Assise sur son lit, la tête entre ses bras, elle reste le nez collé à la fenêtre, les yeux levés vers le ciel. Il s'annonce avec trois petits coups à la porte, et c'est quand elle ne prend même pas la peine d'y répondre qu'il comprend que son petit cœur à elle est aussi lourd que le sien. Alors il entre dans la pièce et s'assied sur le lit à ses côtés, pour regarder les flocons tomber avec elle.

Dans un premier temps, elle prétend ne pas le remarquer, puis un froncement de sourcils mécontents assombrit son visage – le même que celui de Will quand quelque chose le contrarie, le même que celui d'Abigail quand elle ne comprend pas quelque chose.

— Ils me manquent aussi, tu sais, chuchote Ian tout doucement.

— Ils avaient promis d'écrire, réplique Katie avec une amertume qui le fait soupirer d'impuissance.

— Je sais. Je crois qu'ils ont été très occupés avec les examens.

Katie hausse les épaules avec un fatalisme que Ian trouve trop résigné pour lui ressembler. Il se rapproche, lentement, s'adosse au mur et garde son regard fixé sur son profil. Il ne voit pas sa bouche, cachée dans ses avant-bras, mais la devine crispée. Ses mâchoires tachées de rousseur bougent avec ses dents serrées. Au fond de ses yeux verts cernés par la fatigue, il ne peut lire qu'une colère alimentée par le manque, la même qui l'a accompagnée toute la semaine et lui a rendu toute patience ou frustration impossible.

— Je suis persuadé qu'ils pensent à nous même s'ils n'écrivent pas. La preuve, on pense à eux mais nous non plus n'avons pas eu le temps de leur écrire.

Une seconde, il espère que l'argument la fera céder. L'hésitation danse dans les iris verts de la fillette avant qu'ils ne se durcissent de nouveau.

— Mais nous, on n'a pas de hibou et la Poste ne va pas jusqu'à eux.

Un sourire plein de nostalgie étire lentement les lèvres de Ian. Il se doute que le « hum » qu'il offre en réponse à la fillette ne la satisfera pas, mais qu'aucune réponse – à part peut-être celle dans laquelle il émettrait l'idée de déscolariser ses aînés – ne satisfera Katie.

— Je sais qu'ils te manquent, ma chérie. Et je sais aussi à quel point c'est douloureux d'attendre quelque chose sans avoir la certitude que ça va arriver.

Katie inspire avant d'expirer longuement, préférant se taire plutôt que de laisser ses pensées s'échapper de ses lèvres. Une seconde plus tard et la colère avait quitté ses yeux et les traits de son visage, ne laissant qu'un mélange de déception et de fatigue. Elle quitte bientôt son observatoire pour faire face à son père. Lentement, il lui présente ses mains et ouvre légèrement les bras, et elle accueille la proposition silencieuse en se blottissant contre lui, la tête contre son cou, les mains accrochées à son t-shirt de pyjama. Ian la sent fermer les yeux et soupirer de soulagement quand ses bras s'enroulent autour de son petit corps d'enfant.

— J'aimerais être à Poudlard avec eux, tu sais papa ?

L'urgence enfantine avec laquelle elle lui avoue ce secret le fait sourire. Il prend le temps de déposer un baiser sur son front avant de répondre :

— Je sais, chérie. Tu sais quoi ? ajoute-t-il sur le ton de la confidence.

— Quoi ? souffle-t-elle en se prêtant au jeu.

— Moi aussi j'aimerais y être, chuchote-t-il au creux de son oreille, la faisant rire.

— Mais papa, t'es trop vieux maintenant.

— Aïe ! Touché.

Le rire de la fillette résonne dans son cou puis se calme alors qu'elle se redresse pour s'installer sous les couvertures. Il la regarde sans rien dire, sourit tranquillement lorsqu'elle tapote la place vide à ses côtés et s'allonge près d'elle pour regarder les étoiles phosphorescentes au plafond. Queen Cupcake sous le bras, les doigts caressant machinalement une de ses oreilles, Katie baille et pose sa tête sur l'épaule de Ian. Lentement, il passe son bras autour de ses épaules et lui raconte d'une voix très basse sa journée qu'elle commente en s'endormant.

Lorsque sa respiration se fait plus basse, il observe son visage apaisé par les songes en passant une main sur sa joue. Après un dernier baiser sur son front, il se lève et la laisse dormir tranquillement. C'est en fermant la porte qu'il soupire en songeant qu'il est, égoïstement, très heureux qu'elle ne soit pas à Poudlard, justement. Il sait qu'il n'osera pas lui avouer car il ne souhaite pas lui mettre ce poids sur les épaules, mais s'il trouve encore la force de se lever chaque matin, c'est grâce à elle.


* : Dans le chapitre 5 partie 3, Abby reçoit un bracelet de perles bleues pour Noël, cadeau d'Adélaïde.

** : je sais que c'était il y a longtemps (chapitre 2), mais Abby rencontre bel et bien Lawrence sur le quai du Poudlard Express, ça ne dure qu'une seconde mais c'est bien lui !


Merci d'avoir lu ce chapitre ! Je me répète mais s'il vous a plu (ou déplu), laisser un petit mot ne vous prendra que cinq minutes et illuminera mes journées hihi. Est-ce que vous aviez vu venir les révélations sur Ivy ? Stephen est-il pas le chaton le plus mignon du monde ? Est-ce que les petites scènes avec Katie et Papa Swann vous plaisent ? (de base, c'était juste un bonus mais allez, ils sont quand même trop cute pour qu'on les laisse de côté)

Est-ce que vous n'avez pas envie de courir lire La Course au Chien Sauvage De Sundae Vanille pour découvrir un peu mieux ce fameux Daniel dont Ivy parle ?

Le roman de Citrouille (Archibald Twytter, archéomage - les mystères de Paris) est en vente en ebook ! Trop fière de toi ma super citrouille !

Allez, je vous dis à dans un an et demi pour le prochain chapitre (je plaisante, enfin j'ESPERE), merci d'être encore au rendez-vous !

Prenez bien soin de vous (physiquement et mentalement, SVP)

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