Heya !
Un grand merci à Sundae Vanille, Feufollet, annelisemalleron et maevakanane pour leurs reviews sur le dernier chapitre.
Je ne peux vous conseiller assez d'aller faire un tour sur les profils de Sundae Vanille et de Feufollet, leurs écrits valent vraiment le détour.
Merci à Docteur Citrouille également, car une fois n'est pas coutume comme on dit.
Petits rappels à toutes fins utiles afin de vous éviter la relecture complète :
- Lors de sa répartition, Abigail a eu une discussion avec le Choixpeau qui lui a dit qu'elle désirait contrôler l'incontrôlable (chapitre 2)
- Quelques jours avant d'être assassiné, le père de Stephen et de Lawrence Picadilly est passé à Poudlard et a débarqué pendant qu'Abigail essayait de contrôler sa magie avec l'aide du professeur O'Cuinn. Abigail a avoué à Will qu'elle avait peur qu'il en parle à Stephen et Lawrence (chapitre 4)
- M. Picadilly a eu un entretien avec le professeur O'Cuinn où il lui a avoué qu'il 'n'en a plus pour très longtemps' (chapitre 4)
- Une discussion entre Dumbledore et O'Cuinn apprend que M. Picadilly a laissé une relique à O'Cuinn du nom d'Obsidienne, mais on ne sait pas ce que c'est exactement (chapitre 5, 3ème partie)
- Dumbledore envoie régulièrement des lettres à une sorcière qui enflamme plus ou moins tout ce qu'elle touche (et qui ne répond jamais) (chapitres 5, 3ème partie / chapitre 7, 2ème partie).
- Lors de leur passage à Fleury et Bott, Abby a malencontreusement assommé Stephen avec un livre, sans savoir qui il était, et s'est enfuie (chapitre 1). Elle en a parlé à Will qui l'a rassurée (chapitre 6).
Chapitre 8 —
Que brûle l'espoir
Avec l'arrivée du printemps se greffe une folie douce dans les couloirs de Poudlard.
Depuis le retour d'Ivy, Abigail se sent entraînée dans un tourbillon qu'elle n'est pas certaine de savoir mieux gérer que l'attente des derniers mois. Elle se sent emportée par un courant contre lequel elle ne peut lutter. Au milieu de cette tempête, sa seule consolation est de savoir qu'elle n'est pas seule : Ivy bataille à ses côtés.
Le temps ne les attend pas, ne leur laisse aucun repos et certainement pas de répit.
Leurs moments de libertés se limitent aux rattrapages d'Ivy, aux devoirs, aux quelques recherches infructueuses sur les magies disparues et les nombreuses légendes de Merlin qu'elles tentent lorsque la lassitude ne leur appuie pas de tout son poids sur les épaules. Leurs promesses les tiennent à flot.
Personne ne résiste à l'euphorie que le retour des beaux jours amène. Les professeurs eux-mêmes s'autorisent à souffler de soulagement à l'idée de gagner quelques minutes de lumière chaque jour. Les matchs de Quidditch reprennent, à l'hystérie générale : même Abigail n'y échappe pas, préférant tenir compagnie à Ivy plutôt que de la savoir seule dans les gradins meurtriers d'élèves déchaînés.
La veille du match opposant Poufsouffle à Gryffondor, les discussions ne tournent qu'autour de la pluie : le ciel n'avait rien trouvé de mieux que de se charger de nuages aussi noirs que menaçants après plusieurs semaines de soleil. Les plus pessimistes affirment que le match sera repoussé, alors que les plus optimistes – dont Will et Charlie font évidemment partie, à la table des Gryffondor – préfèrent clamer que les nuages se lèveraient le lendemain matin. Will ajoute d'ailleurs qu'il est scandaleux que, depuis tout ce temps, les sorciers n'aient pas encore inventé un sort permettant de changer la météo – ce à quoi le professeur McGonagall réplique en passant derrière lui à ce même instant :
— Eh bien M. Swann, personne ne vous empêche de consacrer votre temps libre à une telle découverte.
Will baisse aussitôt le nez dans son assiette, les joues pivoines, provoquant l'hilarité de Charlie et arrachant un sourire à Stephen.
Le matin du match, même si les nuages sont toujours présents et étouffent le bleu du ciel pour le rendre gris clair, la brume s'est levée.
Abigail se réveille épuisée et pétrie d'inquiétude. Ses mains, constamment douloureuses depuis plusieurs jours, sont prises de spasmes mais elle ne le remarque même plus, pas plus que l'élancement dans sa poitrine. Tout ce qu'elle remarque en repoussant ses cheveux emmêlés derrière ses oreilles d'une main et sa couette de l'autre, c'est la marque blanche de gel qui se craquelle, dérangée par ses mouvements après une nuit de calme.
Les voix des filles de première année de Serdaigle sont loin d'être affolées, derrière ses baldaquins, alors, dans des gestes que l'habitude rend plus assurés, elle rassemble les cristaux de glace dans ses mains. Au contact de ses doigts, ils se fondent dans sa peau et disparaissent, lui laissant une sensation amère – autant de soulagement que de colère.
Les filles sont déjà pratiquement prêtes à descendre à la Grande Salle pour le petit-déjeuner. Pearl tresse les cheveux bruns de Mackenzie, Autumn enfile ses chaussettes et Adélaïde borde ses couvertures comme chaque matin. Rien ne laisserait penser que quelque chose cloche, mais Abigail remarque bien les pulls épais de Pearl et Adélaïde, la double paire de chaussettes d'Autumn et le bout du nez rougi de Mackenzie.
Autumn lève les yeux la première et, sans remarquer le trouble d'Abigail, lui adresse son joli sourire rêveur en découvrant son allure débraillée.
— Tu ressembles à un petit hibou tombé du nid, remarque-t-elle de sa petite voix douce, avant de farfouiller dans sa table de chevet pour en sortir une brosse.
— Merci, murmure Abigail sans toutefois amorcer un geste pour la prendre, si bien qu'Autumn la dépose sur le bout de son lit.
Elle ressemble bien à un hibou tombé du nid, songe-t-elle lorsque le miroir de la salle de bains lui renvoie l'image de ses cheveux emmêlés. La brosse d'Autumn se couvre de glace à son contact, et l'eau du robinet tombe avec un bruit mou de neige fondue dans le lavabo lorsqu'elle se lave le visage.
D'un coup, elle aurait bien envie de se recoucher et de disparaître sous sa couette.
Elle sort pourtant de la salle de bains pour trouver le dortoir pratiquement vide. Seule Adélaïde y est encore, le visage baissé vers ses chaussures qu'elle s'occupe de lacer - son attention attiré par le mouvement de la porte, elle relève les yeux et adresse son sourire doux à Abigail, auquel la fillette répond d'un plissement maladroit de lèvres. Les deux fillettes retournent à leurs occupations dans le silence, jusqu'à ce qu'Adélaïde demande d'une petite voix :
— Tu vas voir le match ?
— Oui. J'ai promis à Ivy, se sent-elle ensuite obligée d'expliquer.
Elle se rend aussitôt compte que cette justification, censée apaiser la culpabilité d'avoir refusé les invitations des filles de Serdaigle les mois précédents, ne rend ses refus que plus désintéressés et impolis. Elle n'a pas le temps de se mordre la langue qu'Adélaïde hoche la tête et remarque :
— Ça n'a pas l'air de vraiment te faire plaisir.
— C'est-à-dire que ça ne m'intéresse pas beaucoup, admet Abigail en haussant les épaules.
— Moi non plus, tu sais.
L'aveu est chuchoté sur le ton de la conspiration, et au vu de la pâleur d'Adélaïde aussitôt après l'avoir laissé s'échapper de ses lèvres, Abigail s'imagine qu'elle aimerait le ravaler et le garder scellé.
Le regard de connivence qu'elles se lancent, plein de compréhension et de courage mutuel, résonne bien plus dans le silence que tous les mots qu'elles auraient pu s'échanger, et c'est ensemble qu'elles quittent le dortoir.
La surprise les cloue sur place, lorsqu'elles descendent à la salle commune et y trouvent une foule agglutinée devant le panneau d'affichage. L'ambiance qui règne dans la pièce est électrique, presque étouffante, Abigail remarque les sourcils froncés, les exclamations déçues ou les soupirs gonflés de colère, et le préfet de septième année au milieu de la cohue, s'égosillant pour ramener le calme.
Pas du tout ce à quoi elles s'attendaient.
Adélaïde aperçoit Mackenzie un peu plus loin, fait signe à Abigail de la suivre. Elles se faufilent vers la fenêtre contre laquelle les filles de première année sont rassemblées. Leurs visages sombres confirment aux fillettes que quelque chose de grave s'est produit - quand bien même une annulation de match au dernier moment serait finalement, aux yeux d'Abigail, bien plus salutaire que dramatique.
La pensée qu'Adélaïde partage certainement son avis lui donnerait presque envie de sourire, si l'expression de Mackenzie n'était pas aussi lugubre, celle de Pearl si préoccupée et celle d'Autumn si blafarde.
— Le match a été annulé, leur annonce inutilement Mackenzie, les lèvres aussi pincées que le professeur McGonagall devant son dernier sort raté.
— Pourquoi ? Il s'est passé quoi ?
— Il y a du grabuge à Pré-au-Lard alors ils veulent pas nous laisser sortir.
— Du grabuge ? s'étouffe Autumn – ses yeux brillants et sa voix tremblante ne laissent aucun doute sur la vive émotion qui lui secoue le corps tout entier. Ils ont dit une attaque, ça n'a rien à voir avec du grabuge.
— Le préfet a dit que le professeur Flitwick allait revenir avec 'toutes les informations nécessaires', il faut juste attendre un peu.
Les fillettes restent dans leur coin en attendant leur professeur et ses explications. Les visages crispés ne se défroncent pas. Dans l'air lourd de la salle commune, Abigail ne peut empêcher le pressentiment que les ennuis viennent seulement de commencer lui envahir la tête et la poitrine, puis ses pensées s'envolent vers Will et Ivy – elle espère que la nouvelle ne les aura pas trop déçus.
Dans la salle commune des Gryffondors règne un chaos comme Will n'en a jamais encore vu.
Les voix gonflent, se superposent, si bien que les mots se perdent dans l'impatience générale. Il a beau essayer d'attraper quelques bribes de conversation ici et là, le grondement mécontent des élèves lui échappe complètement, le laissant hébété dans le coin qu'il occupe avec Charlie et Stephen en attendant l'arrivée du professeur McGonagall. Il jurerait qu'un petit animal plein de poils lui a filé entre les jambes. Même les tableaux semblent désorientés, filent d'un cadre à un autre et échangent parfois des messes-basses ou des informations incomplètes et penaudes aux élèves qui d'ordinaire ne daignent même pas leur adresser un regard.
Il tente de replacer les événements de la matinée de telle sorte qu'ils puissent s'imbriquer de manière logique, il s'avoue rapidement vaincu – il n'y comprend décidément rien du tout. Il se souvient s'être levé, la poitrine remplie d'une impatience motivée par le bonheur, il se revoit réveiller ses copains, il se rappelle rire de voir Stephen enfiler ses lunettes à l'envers et aider Charlie à chercher sa deuxième chaussette tout en espérant à voix haute que leur équipe gagnerait le match de la journée. Un matin somme toute des plus banal.
C'est ensuite que plus rien n'a de sens.
La salle commune bondée, le panneau d'affichage disposé bien en évidence devant la porte pour éviter aux élèves de sortir de la tour, l'angoisse de se trouver enfermé entre quatre murs, les visages déçus et les incitations au calme de certains élèves désabusés par la tournure que prenait l'annulation d'un match de Quidditch – même si Will sent bien qu'il s'agit de plus que ça, sans parvenir à mettre les mots sur la vilaine sensation imprimée dans sa poitrine.
Alors que la boule de poils lui frôle à nouveau la cheville et qu'avec une grimace, il sautille d'un pied à l'autre pour éviter ce qu'il n'identifie certainement pas comme un chat mais comme une créature qu'il n'a jamais rencontrée, il grimace. Non, décidément, il n'y comprend rien.
Ce qu'il comprend, en revanche, c'est que la situation est définitivement et irrémédiablement désespérée au moment où Stephen commence à montrer des signes d'impatience. Même Charlie, dont la nervosité ne se manifeste d'ordinaire pas aussi ostensiblement, s'agite en grommelant.
Il s'apprête à dire quelque chose, n'importe quoi pourvu que ses mots brisent le silence étouffant et l'angoisse de ne pouvoir sortir pour comprendre ce qu'il se passe, quand un garçon d'une année supérieure passe derrière Stephen et lui assène un malheureux coup de coude en plein arrière de la tête, laissant s'échapper ses lunettes qui s'écrasent à leurs pieds. Son exclamation de douleur et de surprise ôte toute envie à Will de faire le moindre commentaire sur leur situation et, d'un seul geste, Charlie et lui se baissent pour ramasser les précieuses lunettes avant que quelqu'un ne les écrase malencontreusement.
L'air sombre, Stephen se masse l'arrière de la tête et remercie du bout des lèvres Charlie lorsque celui-ci lui rend ses lunettes.
— Ça va ? demande Will d'une petite voix préoccupée.
— Ça va, grommelle Stephen dans une grimace.
Puis, la faute à l'attente trop longue dans l'atmosphère trop lourde de la salle commune, l'inquiétude de Will se mue en rire, qu'il essaye d'étrangler avant qu'il ne puisse passer ses lèvres, mais le sourire tordu qu'il adresse à son ami ne parvient qu'à accentuer le froncement de ses sourcils. Alors il se met à rire tout à fait, ignorant le regard perplexe de Charlie.
— S'il y a quelque chose de si drôle, on aimerait bien en profiter, ironise-t-il en haussant un sourcil.
— Rien, ça me rappelle quand Abby a cru qu'elle avait assommé Stephen.
— Au moins, elle s'était excusée, elle, marmonne l'intéressé alors que Charlie fixe Will sans comprendre, les sourcils froncés par la réflexion.
— C'est quoi cette histoire ? s'insurge-t-il finalement, son regard passant de l'un à l'autre.
Will s'apprête à lui raconter quand il est interrompu par l'arrivée aussi rapide qu'imposante de Lawrence derrière Charlie. Son souffle se perd dans sa gorge quand le cinquième année pose son regard gris perçant sur le petit groupe, puis sur son frère, une main toujours posée sur son crâne encore douloureux. L'hésitation remplace la détermination sur ses traits, et c'est en fronçant les sourcils qu'il demande :
— Qu'est-ce qui t'arrive ?
— Rien, soupire l'intéressé en laissant retomber sa main près de son corps avec lassitude.
— Ah. Ok. Tu es libre pour que je te parle ?
— Aux dernières nouvelles, on n'a nulle part d'autre où aller ni rien d'autre à faire de mieux qu'attendre, donc j'imagine que oui.
— Tant mieux. Je préfère que tu entendes ces infos de moi plutôt que de qui que ce soit d'autre.
Son ton trop solennel alarme aussitôt les trois garçons qui se rapprochent lentement, intrigués par son air conspirateur et ses yeux brillants. Will, qui n'avait jamais vu Lawrence autrement que souriant, lui trouve un air quelque peu effrayant, depuis ses lèvres pincées à la lueur de colère mal contenue dans ses iris.
Lawrence s'apprête à reprendre quand il s'arrête brusquement et son regard incertain s'arrête sur Charlie et Will. Aussitôt, comme pris de faute, ils amorcent un geste de recul mais leur aîné se désintéresse d'eux et avise son frère avec une espèce de demi-sourire indulgent :
— J'imagine qu'ils peuvent rester, tu leur raconteras tout de toute façon ?
— Oui, tranche Stephen sans une once d'hésitation.
— Bah, c'est pas comme s'ils n'allaient pas être mis au courant par l'édition de la Gazette d'aujourd'hui de toute façon.
Will et Charlie se lancent un regard dubitatif, et Stephen remonte ses lunettes d'un geste impatient.
— Que veux-tu dire par là ?
Mais son frère se contente de lui adresser un sourire amer.
— Tu verras. Ça m'étonnerait que la Gazette laisse passer un tel scoop.
Il termine sa pause - trop théâtrale au goût de Will et visiblement à celui de Stephen dont les lèvres se plissent avec une inquiétude qui ne lui ressemble pas et déstabilise ses amis - en promenant son regard sur la salle commune, puis, décidant que les autres élèves ne les écoutent pas, il reprend :
— Je sais ce qu'il s'est passé pour qu'on nous demande de ne pas sortir de la salle commune.
— Que se passe-t-il ? ne peut s'empêcher de demander Charlie, et Will hoche la tête, montrant au passage qu'il approuve la question et n'attend que la réponse.
De son côté, Stephen ne se laisse pas impressionner par l'assurance de son frère et hausse un sourcil méfiant en ripostant aussitôt :
— Comment ?
— Disons que j'ai mes sources, répond-il d'un ton sans réplique, esquivant de ce fait la grimace peu convaincue de son petit frère. Ils refusent de nous laisser sortir car il y a eu une attaque à Pré-au-Lard ce matin.
— Une attaque ? s'étrangle Charlie.
— A Pré-au-Lard ? répète Will, horrifié. Mais c'est tout près !
Lawrence hoche la tête avec gravité. L'impassibilité avec laquelle Stephen reçoit son annonce rassure Will sans qu'il ne comprenne pourquoi, et même Charlie ne rajoute rien. Comprenant que son frère n'ajoutera rien et ne semble pas comprendre l'importance de cette information, Lawrence soupire discrètement :
— Il y a eu un mort.
Cette fois-ci, le visage de Stephen se tort dans une demi-grimace. Charlie ouvre de grands yeux affolés et Will sent son corps se crisper d'horreur.
— Qu'est-ce qu'il s'est passé ? souffle-t-il, pendu aux lèvres du grand garçon.
— Une goule est entrée par effraction chez à un habitant de Pré-au-Lard ce matin à l'aube et l'a attaqué. Il est mort, et si la goule a été aperçue par plusieurs personnes, elle n'a pas encore été retrouvée. C'est pour ça qu'on est obligés de rester enfermés.
Le silence abasourdi qui accueille ses derniers mots est pourtant perdu dans le vacarme de la salle commune. Un violent frisson remonte le long de la colonne vertébrale de Will alors que Charlie troque son expression de terreur pour une incrédulité presque comique – incrédulité partagée par Stephen qui hoche la tête d'un air circonspect.
— Tu es sûr de toi ?
— Bien sûr que je suis sûr de moi, répond sèchement Lawrence, piqué au vif.
— Ça me parait un peu… excessif.
— C'est étonnant, tout de même, renchérit Charlie d'une voix incertaine. Les goules ne sont pas très intelligentes mais elles ne sont généralement pas agressives. J'en ai une dans mon grenier, ajoute-t-il, et l'information, si elle est censée rassurer Will, l'horrifie encore un peu plus. Elle râle de temps en temps, mais elle ne se risque pas à en sortir.
— Peut-être qu'il faut simplement attendre que le professeur McGonagall revienne pour tout nous expliquer, tranche Stephen.
— Je me suis fait la même réflexion, reprend alors Lawrence sans s'inquiéter d'ignorer la dernière intervention de son frère. Ça m'a paru louche, c'est vrai que ça n'a aucun sens puisque les goules ne s'attaquent pas généralement aux humains. Par contre, il n'est pas impossible qu'elle n'ait pas été seule, ou qu'elle ait été ensorcelée et poussée à attaquer ce sorcier-là en particulier. Je ne sais pas. Tout ce que je sais, c'est qu'elle a tué un homme, a été aperçue mais pas retrouvée et les professeurs refuseront de nous laisser sortir avant qu'on ne la retrouve, pour notre sécurité, termine-t-il avec un sourire cynique adressé au vide en mettant l'emphase sur le dernier mot.
Un long silence suit ses explications. Will a du mal à respirer, sa tête refuse d'imprimer toutes ces informations et ce qu'elles impliquent. Il ne sait pas s'il a envie de vomir, de rire ou de pleurer, ou les trois. Tout ce qu'il sait, c'est qu'il aimerait qu'Abby n'ait pas été répartie à Serdaigle et que son père se matérialise dans la salle commune pour se perdre dans ses bras.
— Les goules s'attaquent aux moldus ? ne peut-il s'empêcher de demander, dans ce qui ressemble davantage à un gargouillis que sa voix.
— Aux moldus ? répète Lawrence, surpris par la question. Je ne crois pas que ce soit déjà arrivé.
— Tu penses à ta famille ? comprend Charlie d'une voix douce, et Will acquiesce, pas certain d'être rassuré par le mouvement de tête de Stephen.
— Mon père et ma sœur ne pourront pas se défendre, insiste le jeune garçon, le cœur serré d'angoisse.
— Ne t'inquiète pas, ils ne craignent rien. La victime était choisie.
Cette fois, Stephen fronce les sourcils d'impatience et lâche un soupir agacé avant de confronter son frère :
— Allons bon, et comment sais-tu ça ?
— Parce que c'est Gordon McCasket qui s'est fait assassiner.
Si Charlie plisse les yeux d'un air perdu devant cette information pourtant capitale comme le laisse entendre Lawrence, Stephen pâlit si brutalement que Will s'apprête à lui agripper la manche pour lui éviter la chute.
— On est censé savoir qui c'est, ce Gordon McCasket ? interroge Charlie d'un ton détaché.
— Vous deux, certainement pas, non. C'était un ami de notre père. Ils ont très souvent travaillé ensemble.
Stephen refuse d'un geste de main l'aide que lui propose Will et recompose tant qu'il le peut son visage toujours trop pâle. D'une main tremblante, il remonte inutilement ses lunettes sur son nez, dans un geste censé le calmer.
— Qu'est-ce que ça veut dire ? demande Will, effrayé par la fébrilité de son ami et par ce qu'il croit comprendre sans en être certain.
— Ce n'est pas la première personne à avoir travaillé avec notre père à se faire agresser ou qui est mystérieusement retrouvé décédé depuis sa mort, lui apprend Lawrence d'une voix dure. C'est comme si quelqu'un remontait les dernières fréquentations de papa, mais pourquoi, je ne sais pas.
— Qu'est-ce qu'il a trouvé ? Lors de sa dernière fouille, est-ce que tu sais ce qu'il a ramené ?
La voix de Stephen est basse et pleine de chagrin. Les épaules de Lawrence s'affaissent à la question, et lentement, il pose une main sur le bras de son frère.
— Non. Mais je pense aussi que ça a un rapport avec sa dernière fouille, et que quelqu'un est très intéressé par ce qu'il a pu y trouver.
— O'Cuinn !
L'exclamation de Will les fait tous les trois sursauter. Le jeune garçon rougit et bafouille, s'insultant discrètement de n'avoir pas pu se taire.
— Qu'est-ce que tu racontes ? demande Lawrence en haussant un sourcil interrogateur. Qu'est-ce que le professeur O'Cuinn a à voir là-dedans ?
— Ma sœur. Elle m'a dit que votre père est venu voir le professeur O'Cuinn en plein pendant- peu importe, bafouille-t-il en balayant l'explication d'un geste de la main. Le jour de mon anniversaire, ajoute-t-il en les voyant toujours confus. Quand il est venu à Poudlard.
Il se mord les joues alors les yeux de Stephen se chargent de larmes alors que ceux de Lawrence se voilent. Il n'avait pas envisagé que le souvenir de leur père foulant le sol de Poudlard seulement quelques mois auparavant puisse être si douloureux.
— Il est allé voir O'Cuinn, tu dis ? s'assure Lawrence, et quelque chose dans sa voix a changé, ne dit rien qui vaille au jeune garçon.
— Oui, bredouille-t-il sans quitter des yeux son ami, dont le teint se transforme en gris pâle.
— Tu le savais ? insiste le jeune homme d'un air presque accusateur en se tournant brusquement vers Stephen.
— Non. Il m'a dit qu'il était là pour le travail, j'ai juste pensé qu'il venait voir le professeur Dumbledore, comme c'est déjà arrivé.
— Moi aussi. Tu es certain que ta sœur l'a vu entrer dans le bureau du professeur O'Cuinn ?
— Oui, elle passait par là au même moment, ment Will en espérant que ça serait suffisant pour qu'ils ne s'y intéressent pas plus. Si la personne qui en a après tous ces gens qui connaissaient votre père remontent ses connaissances et ses dernières fréquentations, alors peut-être qu'O'Cuinn est le prochain sur sa liste ?
Une lueur brille au fond des iris de Lawrence à ses mots. Will déglutit péniblement, effrayé et épuisé. Stephen remonte encore une fois ses lunettes sur son nez, passe une main fatiguée sur l'arrière de son crâne, certainement déçu que son seul souci ne soit plus seulement de se faire à demi assommer par des élèves plus âgés, et Charlie grimace.
— Quoi qu'il en soit, tranche Stephen d'une voix lasse, maintenant, il faut attendre le professeur McGonagall et voir ce qu'elle nous dit.
— Ouais. Faisons ça, approuve Lawrence d'une voix toutefois trop distante pour vraiment l'écouter.
— Mais si c'est le cas, alors il va falloir prévenir le professeur Dumbledore, s'affole Charlie. Et le professeur McGonagall, et le professeur O'Cuinn.
— Laissez-moi faire, coupe Lawrence. On m'écoutera davantage, ajoute-t-il en désignant le blason de préfet cousu sur sa poitrine.
Si Charlie et Will hochent la tête, soulagés que la responsabilité ne leur tombe pas dessus, Stephen attrape le bras de son frère. Le regard gris du jeune homme, trop lointain pour qu'il ne soit pas en train de réfléchir intensément, se pose sur son petit frère pour l'interroger des yeux d'un air exagérément exaspéré.
— Lawrence, s'il te plait. Papa me manque aussi, mais ne fais rien que tu pourrais regretter.
L'expression de Lawrence s'adoucit aussitôt, et en posant sa main sur celle de son frère, il secoue la tête :
— Ne t'inquiète pas. Je veux juste comprendre, c'est tout.
Alors, rassuré, Stephen le lâche doucement et après une dernière tape pleine d'une tendresse maladroite, Lawrence s'éloigne.
Alors que Charlie s'enquiert de l'état de Stephen, toujours aussi pâle, Will essaye de se rassurer, un peu honteux, en se disant que son père à lui n'avait jamais que serré la main de M. Picadilly sur le quai du Poudlard Express, et que ce contact ne suffirait certainement pas à la personne, goule ou non, de venir chercher des ennuis à Stamford.
Aux alentours de dix-huit heures, les professeurs autorisent enfin les élèves à sortir de leurs salles communes, leur annonçant que l'assaillant de Pré-au-Lard avait été retrouvé et mis hors état de nuire par la police magique. Désormais certains de la sécurité des élèves, ils avaient décidé avec l'accord de Dumbledore de les laisser sortir, avec néanmoins l'interdiction formelle de se promener dans le parc et autre part que dans la Grande Salle et la bibliothèque.
L'heure du dîner ayant sonné et avec elle la promesse de retrouver les camarades et amis des autres maisons, les élèves se pressent vers la Grande Salle pour avaler autre chose que les sandwiches mis à leur disposition dans les salles communes ce jour-là.
Abigail suit les filles de première année de Serdaigle, quand bien même elle ne les écoute pas débriefer la journée qu'elles viennent de passer. Elle songe à Ivy - elle n'a qu'une hâte, la retrouver et se plonger dans son sourire et ses yeux brillants.
Elle se demande si le professeur Chourave a expliqué aux Poufsouffle, à l'instar du professeur Flitwick, qu'une goule anormalement agressive se promenait autour de Poudlard et menaçait la tranquillité des lieux. Elle se demande si, comme Adélaïde, Ivy a étouffé un hoquet d'horreur, si comme Autumn, elle s'est mise à pleurer en silence, ou bien si comme Mackenzie et Pearl, elle s'est fendue d'un rictus irrité sans toutefois s'étonner.
En croisant un groupe de Gryffondor, elle pense à Will, et cette fois, est persuadée que lui, si content de parler des aspects merveilleux de la magie à Katie, s'est pris en pleine figure la réalisation que le monde magique possède plus de dangers qu'il ne l'aurait cru – et voulu.
Le soulagement qui s'échappe de sa poitrine en un long soupir, lorsqu'elle aperçoit les cheveux blonds d'Ivy et ses petites mains accrochées à son foulard autour de son cou, lui fait prendre conscience de la tension dans laquelle elle s'était réfugiée. Ses mains lui font mal, la douleur se fraye un chemin le long de ses bras, et même son ventre est trop tordu pour qu'elle ignore encore comme il la gêne, maintenant qu'elle s'en rend compte.
Les yeux de la petite Poufsouffle s'illuminent quand son regard croise celui d'Abigail, perdu dans la foule. Elle tapote l'épaule de Bony et lui fait signe de la suivre. Un instant plus tard, ils s'assoient sur les bancs de Serdaigle, salués avec étonnement mais des sourires sincères par les fillettes – cette attention soudaine fait rougir Ivy et elle plonge le nez dans son assiette vide en remontant d'un geste mécanique son joli foulard.
Si, malgré leur habitude de partager les cours, le repas commence dans un silence incertain, l'angoisse commune perce le nuage de timidité et c'est Bony qui se lance :
— Comment c'était à Serdaigle, ce matin ?
S'ensuit alors une discussion à l'instar de toutes celles autour de la table des Serdaigle – les seuls mots que peut entendre Abigail ont un rapport avec leur quarantaine et l'attaque de Pré-au-Lard. Seule l'apparition du courrier, que l'impossibilité de distribuer au petit-déjeuner avait retardée, semble calmer les discussions et leur laisse une seconde de répit.
Jamais Poudlard n'avait reçu autant d'exemplaires de la Gazette que ce midi-là. Même Pearl en reçoit un de ses parents avec une lettre scandalisée. La fillette se lève d'un air important et étale son exemplaire sur la table, sans s'inquiéter de renverser l'assiette de petits pois de Mackenzie sur ses genoux ou d'éloigner les saucisses au moment où Autumn cherche à se servir, et pointe la Une avec une grimace : « Meurtre sauvage à Pré-au-Lard dans la nuit de vendredi à samedi : vengeance préméditée ou malchance ? ».
— Le professeur Flitwick a dit qu'il y avait eu une attaque, pas un meurtre, commente-t-elle d'une voix blanche.
— Ouvre à la page 2, la presse Mackenzie, elle-même un peu plus pâle sous ses cheveux châtains.
A la table, tout le monde retient son souffle lorsque Pearl déplie la Gazette et la lisse d'une main fébrile. Même Ivy, pourtant peu désireuse de se faire remarquer, se penche pour apercevoir les photos et les articles.
Alors que les petits élèves lisent dans un silence religieux, quelques exclamations étouffés par la surprise retentissent dans la salle. Un verre tombe en cliquetant sur le sol, les messes basses vont bon train. Autumn garde ses mains liées contre son cœur, les lèvres plissées, le teint pâle, en murmurant comme une litanie « les pauvres, oh, les pauvres » et Adélaïde se rassied, raide comme un piquet. Bony secoue la tête et Ivy porte une main à ses lèvres.
Abigail parcourt les titres puis les articles en laissant ses yeux s'arrêter sur les photos mouvantes d'hommes plus apprêtés et importants les uns que les autres, incapable de ravaler la sensation amère au fond de sa gorge en lisant leurs interviews conjecturant la raison de l'attaque. C'est sur la photo d'une femme endeuillée au regard acéré de colère que ses yeux reviennent pourtant, tant il apparaissait qu'elle avait été photographiée sans son consentement. Les lettres capitales qui l'accompagnent lui donnent la nausée – Disparition tragique d'un géant de l'archéomagie : et si la dernière trouvaille d'Archibald Picadilly avait conduit à plus d'un accident ? La famille refuse de témoigner.
— Écoutez ça, s'exclame soudainement Mackenzie, « La victime, l'ancien archéomage Gordon McCasket avait longuement travaillé en étroite collaboration avec Archibald Picadilly (décédé en décembre dernier), l'épaulant sur divers travaux et fouilles. A la retraite depuis moins d'une dizaine d'année, il vivait tranquillement dans une petite maison à Pré-au-Lard. 'On ne peut rien conclure pour l'instant, mais il est possible que l'instigateur du crime ait pensé à un lien entre les deux hommes et qu'en cherchant à obtenir des réponses, il y ait eu un dérapage.'. Un dérapage ?! On parle d'un meurtre, quand même, pas de quelqu'un qui glisse sur le parquet.
— Des réponses sur quoi de toute manière ? marmonne Bony en fronçant les sourcils. Ce n'est pas très clair.
— Si, écoute ! « On sait que la dernière fouille de l'archéomage avait été fructueuse, même si aucun communiqué quant à ses résultats n'avait été rendu public. L'Auror en chef sur cette affaire, Perceval Sickleworth, n'a pas pu répondre aux questions que nos journalistes ont posées concernant une quelconque trouvaille que des revendeurs se priseraient. » Ça ne m'a pas l'air d'être une raison valable pour tuer tout ce qui bouge, mais soit.
— Ce n'est en tout cas pas une raison pour afficher la photo de sa femme comme ça, remarque Autumn, écœurée. Non mais écoutez ça ! ajoute-t-elle, sa voix partant dans les aigus. « Mrs Picadilly – photo ci-dessus – a refusé de répondre aux questions des Aurors, assurant que son défunt mari ne l'avait mise dans aucune confidence, et a demandé aux journalistes de laisser sa famille faire son deuil en paix, refusant par la même occasion de faire avancer l'enquête. Malgré le silence autour de l'affaire, une source a indiqué à la Gazette que les deux aînés Picadilly sont partis pour Poudlard en septembre dernier. Il est alors de bon ton de se demander si l'attaquant ne s'attaquera bientôt pas à la source en leur rendant une visite, ce qui laisse une dernière question en suspens : nos enfants sont-ils bien en sécurité à Poudlard ? Le crime de ce matin se trouvant à quelques kilomètres à peine de l'école, il est tout à fait légitime de voir un rapprochement du tueur sans visage. »
Elle reprend son souffle après toute cette tirade lue à toute vitesse.
— C'est scandaleux ! couine-t-elle, les joues cramoisies. Comme si le professeur Dumbledore allait laisser faire ça !
— Et puis ils n'y sont pour rien dans cette histoire, grimace Bony. Je n'aimerais pas qu'on me cite dans le journal comme ça.
Les fillettes acquiescent à mi-voix. Dans l'indignation générale, Ivy cherche le regard d'Abigail mais elle n'écoute plus. Les voix, les corps levés et trop proches les uns des autres, le choc des couverts contre les assiettes et les tables, tout lui donne mal à la tête et envie de fuir. Elle se tourne vers la table des Gryffondor dans l'espoir de voir Will, qu'elle aperçoit bientôt quitter son banc en compagnie de Charlie et Stephen puis se diriger vers les portes de la Grande Salle en lançant des œillades meurtrières aux élèves qui chuchotent sur leur passage. Juste avant de disparaître, elle le voit poser une main sur l'épaule de Stephen et se pencher vers lui.
Le cœur gros, elle jette un dernier coup d'œil à la photo de Mrs Picadilly et la laisse la fusiller de ses yeux gris, dépassée par la tristesse qui se mélange aux picotements dans sa poitrine.
Sa magie cogne et râle dans son ventre, mais c'est vers Adélaïde que se porte son attention, lorsque la fillette se penche vers son oreille :
— Tu imaginais que ça puisse être aussi dangereux, la magie ?
Son chuchotement ressemble davantage à une supplication, résonne de la peur que seule une trop soudaine réalisation entraine après la brisure de l'illusion.
Les mains et les épaules d'Abigail pèsent une tonne quand elle répond en recroquevillant ses doigts, la voix lourde d'une résignation qui l'effraie elle-même :
— Je crois que oui.
Le week-end se termine sans que les passions sur les attaques ne s'apaisent. Le dimanche, Abigail remarque que Will et Charlie se relayent pour chercher des biscuits et des gâteaux à la Grande Salle avant de repartir aussitôt leur butin collecté.
La semaine s'annonce ordinaire, les professeurs ne partageant pas l'engouement des médias pour les histoires sordides. La quantité de devoirs qu'ils donnent aux élèves de toutes années confondues – en particulier le professeur Rogue, observe Abigail avec amertume – atteint des sommets encore jamais atteints. Peut-être cherchent-ils à les distraire et ainsi à les détourner de la presse, et ce stratagème, quoique largement décrié, s'avère fonctionner plus vite que prévu ou même espéré. Bientôt, par manque évident de réponses et d'articles intéressants parus dans la Gazette ou tout autre journal autorisé à Poudlard, les élèves cessent de se chuchoter les dernières nouvelles et même Lawrence et Stephen retrouvent un semblant de quiétude, après plusieurs jours à se voir assaillis de regards et murmures.
Malgré la charge de travail assommante et la vitesse avec laquelle les journées passent, Ivy et Abigail parviennent à se retrouver à la bibliothèque et à profiter de la présence silencieuse de l'autre. Souvent, elles sont rejointes par Adélaïde qui, depuis l'attaque de Pré-au-Lard, ressent le besoin de soulager son angoisse en partageant un peu de temps avec la seule autre née-moldue qu'elle connaisse suffisamment. Ivy l'accueille toujours avec un sourire sincère, même si les fillettes cessent toute recherche concernant une magie similaire à celle d'Abigail lorsqu'Adélaïde vient s'installer.
Parfois, au lieu de s'abrutir dans des lectures dont elles ne comprennent pas un traitre mot, elles s'installent à la table de Charlie, Will et Stephen et les regardent jouer aux échecs. Will, toujours en retard dans ses rédactions, laisse souvent sa place à sa petite sœur, mais les pièces n'apprécient pas vraiment sa voix trop froide et refusent régulièrement de l'écouter, obligeant Charlie ou Stephen à les reprendre à l'ordre, faisant doucement pouffer Ivy dans son écharpe.
oOo
Il pleut depuis ce qui leur semble à tous une éternité – seulement trois jours, en vérité. Les nuages n'ont pas quitté le ciel depuis qu'ils s'y sont installés, dévorant les tours et les montagnes.
Abigail a laissé Bony, Adélaïde et Ivy à la table qu'ils occupent pour errer dans les rayons de la bibliothèque. La compagnie des livres lui est plus douce que le grattement des plumes et les balancements nerveux de jambes, et ses amis l'ont accepté depuis déjà longtemps – quand bien même il avait fallu à Ivy un hochement de tête pour la convaincre que tout allait bien.
Elle caresse des yeux les tranches élimées – parfois si vieilles que les titres s'y sont effacés –, à défaut d'oser laisser ses doigts s'en charger. Ces derniers temps, elle ne parvient pas à leur faire confiance, pas quand la moitié de ce qu'elle touche se couvre de gel.
Ses yeux s'arrêtent sur un ouvrage épais – cinq petites étoiles, gravées dans la reliure sombre, s'illuminent tranquillement, l'incitent à lever la main pour s'en emparer. La fillette n'en fait rien, habituée aux murmures tantôt capricieux, tantôt tentateurs des livres. Une autre fois, promet-elle sans bruit. Aussitôt que son regard les quitte, les étoiles cessent de briller.
Alors qu'elle sort du rayon dédié à l'astronomie pour se diriger vers celui de la métamorphose, elle aperçoit Stephen, un peu plus loin, les sacs de Will et Charlie posés sur les chaises comme s'il en était le gardien. La tête à demi penchée, il lit – ou fait semblant de lire. Même de là où elle se tient, Abigail remarque l'immobilité de ses iris voilés et le chagrin qui y danse.
Depuis le week-end précédent, elle le voit s'enfoncer et s'enfermer dans un silence assombri par la mélancolie à une vitesse affolante, et ce malgré les tentatives de Charlie et Will de lui faire rien qu'esquisser un sourire.
Les paupières du jeune garçon papillonnent soudainement et ses épaules tressautent dans un frisson. En ajustant sa robe aux couleurs de Gryffondor et en frictionnant ses bras, il prend conscience du regard de la fillette et lève les yeux pour croiser les siens - Abigail se détourne précipitamment et disparait dans le rayon, trop rapidement pour répondre à son timide signe de main.
Quand, après une hésitation de quelques interminables minutes, elle sort de sa cachette, les yeux du jeune garçon sont de nouveau baissés. Tout en retenant la petite voix qui lui intime de faire demi-tour et de le fuir, elle se glisse vers la table et s'y arrête, ignorant comment s'annoncer sans le gêner dans ses pensées. Finalement il s'emmitoufle un peu plus dans sa cape, relève la tête et sursaute violemment. Le bruit sourd de sa jambe contre la table arrache une grimace horrifiée à la fillette :
— Oh non, je suis désolée, je ne voulais pas te faire peur !
— Ça ne fait rien, la rassure-t-il tout en massant son genou douloureux d'une main.
Ses lèvres sont pâles et serrées, mais sa voix suffisamment maîtrisée pour rester calme. D'un geste, il remonte ses lunettes de travers et ses yeux verts s'attardent sur la fillette avant qu'il n'esquisse une légère grimace penaude :
— Ce n'est pas ta faute, je ne t'ai pas entendue arriver. Je peux t'aider ? Will devrait être dans le coin, ajoute-t-il avec hésitation, et Abigail est bien persuadée qu'il n'a aucune idée d'où se trouve son frère.
— Je me demandais si tu étais occupé, et si tu voulais faire une partie d'échecs.
— Oh.
La confusion le fait cligner des yeux. Embarrassée, elle croit comprendre qu'il refusera lorsqu'il lance un regard incertain à son livre, mais c'est finalement sans hésiter qu'il le referme et le pousse sur le côté pour plonger la main dans son sac.
— Je ne veux pas te déranger, murmure-t-elle en jetant un coup d'œil à l'ouvrage abandonné et en s'asseyant prudemment en face de lui.
Pourtant, en installant le plateau, son visage a perdu toute trace de sa triste lassitude, quand bien même Abigail ne saurait dire si l'agitation soudaine dans ses yeux provient d'une réelle allégresse ou de la seule distraction du jeu.
— Non, non. Avec plaisir.
Et cette fois, en avisant la lueur au fond de son regard fatigué et l'ébauche de sourire sur ses lèvres, elle le croit.
Cette fois encore, les pièces ne l'écoutent pas, ou pas suffisamment pour que la partie tourne à son avantage. Will et Charlie reviennent d'un côté de la bibliothèque les bras chargés de livres mais les ouvrages se trouvent aussitôt délaissés sur le côté, alors que les deux garçons suivent la partie en commentant l'insolence des pièces.
La partie se termine lamentablement pour la fillette, mais elle s'en moque et hausse seulement les épaules quand Stephen lui promet une revanche plus tard – il bafouille qu'il a rendez-vous avec le professeur McGonagall et n'a pas le temps de faire une deuxième partie aussitôt.
Avant qu'il ne tourne les talons, l'échiquier rangé dans son sac, Abigail croit entendre un remerciement, mais, incertaine, elle ne répond rien. Charlie soupire quand, enfin, leur ami ne peut pas les entendre, et Will a l'air si triste qu'Abigail n'ose pas leur demander s'ils vont bien. Après leur avoir fait promettre qu'ils mangeraient avec Ivy et elle ce soir-là, Abigail s'en retourne vers la table où ses camarades l'y attendent.
Ivy surgit si soudainement de derrière un rayon qu'elle sursaute et laisse s'échapper une trainée de poudre blanche à ses pieds.
— Je suis désolée, signe Ivy avec une grimace penaude.
— Ça ne fait rien, grince Abigail en essayant de faire disparaitre la trace du sol, mais rien n'y fait.
Elles s'éloignent avec hâte, et, entre le rayon sur les animaux fantastiques et celui des potions, Ivy ne peut s'empêcher de remarquer :
— J'ai cru que tu étais partie sans dire au revoir.
— Oh, non, je ne ferais pas ça. Je jouais aux échecs avec Stephen.
Le visage d'Ivy s'assombrit aussitôt de peine. Une petite grimace déforme ses lèvres et, lentement, un peu hésitante, elle signe :
— Comment va-t-il ?
— Je ne sais pas. Je sais juste qu'il a l'air moins triste quand il joue.
Elle sent le regard d'Ivy peser sur elle un long moment avant qu'elle ne hoche la tête avec un sourire qu'elle ne comprend pas, un sourire qui n'atteint pas ses yeux brillants de chagrin.
— Et toi Abby, es-tu moins triste quand tu joues ? signe-t-elle lentement.
L'incongruité de la question la fige sur place, le nez devant Retrouvez votre beauté extérieure et intérieure grâce à l'art subtil des potions – niveau intermédiaire.
— Je crois que oui, s'entend-elle répondre dans un souffle.
Le sourire d'Ivy s'élargit, atteint ses yeux toujours préoccupés mais cette fois plus lumineux.
— Alors c'est bien.
Les jours suivants, tout s'accélère.
La pluie continue de tomber, inlassable, imperturbable, les plongeant tous dans une morosité contagieuse.
L'humidité déclenche des quintes de toux terribles à Ivy, l'obligeant à se rendre à l'infirmerie plus souvent qu'elle ne l'aimerait et à y dormir plusieurs nuits de suite.
Abigail l'y rejoint dès que possible. Ces moments de quiétude volés à la folie du château lui font du bien, mais elle se voit souvent chassée par Madame Pomfresh, qui considère qu'elle a mieux à faire et autre part où aller malgré les protestations de la fillette.
— Elle a un peu raison, approuve Ivy un midi que sa respiration est si rauque qu'elle se voit forcée de rester alitée toute la journée. Ce n'est pas possible de travailler correctement sur les lits, c'est tout râpeux.
— Tu y arrives bien, toi, proteste Abigail, blessée de comprendre que son amie la congédie d'une façon détournée.
— Je déteste dire ça mais tu te trompes.
En disant ces mots, elle lui adresse un petit sourire malheureux. Un frisson de honte remonte la colonne vertébrale d'Abigail, car elle sait qu'elle n'aurait pas dû oublier que même si Ivy ne se plaint pas, même si Ivy sourit toujours, Ivy souffre. Elle sait que la peur ronge la fillette, celle de ne pas se voir avancer lorsque les autres se mettent à courir, de se voir échouer à cause d'une chaîne qui la maintient au sol lorsque les autres s'étonnent qu'elle ne réussisse pas à s'élever avec eux.
Car si Ivy excelle en potions, faisant pâlir d'envie ses camarades et s'attirant moins les foudres du professeur Rogue, elle n'a toujours pas réussi à lancer le moindre sort et ses performances en théorie ne s'égalent pas toutes. Elle n'en parle pas, mais Abigail voit bien comme elle est tentée de baisser les bras, quand elles sont seules dans l'obscurité de la bibliothèque.
— Je suis désolée, chuchote-t-elle en se tordant les mains.
— La seule chose pour laquelle j'accepte que tu sois désolée, c'est si tu oublies de me faire passer en douce un dessert de la Grande Salle, réplique Ivy en haussant un sourcil mutin.
En quittant l'infirmerie, malheureuse comme les pierres qui enferment les lits aux couvertures décidément trop râpeuses, Abigail décide, en jetant un dernier coup d'œil à Ivy qui l'observe partir depuis son petit coin, que si les professeurs ne parviennent pas à l'aider, ce sera à elle de trouver une solution.
oOo
Cet après-midi-là, alors qu'Abigail est seule à la bibliothèque après un cours de potions magistralement catastrophique – privée de l'aide inestimable d'Ivy, elle avait failli faire exploser son chaudron et Rogue avait reçu une substance verdâtre sur ses cheveux –, Charlie apparait dans son champ de vision en souriant gaiement.
— Salut ! Je savais bien que je te trouverais ici. Ça te dit une partie d'échecs ?
— Will et Stephen ne sont pas avec toi ? s'étonne seulement la fillette en se redressant de la table où elle s'était affalée.
— Will est coincé avec le professeur Flitwick pour finir un devoir et Stephen avait rendez-vous avec le professeur McGonagall, répond-il en haussant les épaules. Et moi, je n'ai pas mais alors pas du tout envie de travailler cet après-midi. Alors ? Une petite partie ?
— Pourquoi pas, accepte-t-elle en imaginant Will dépité sur sa feuille à essayer d'écrire correctement dans la salle de classe.
Cette fois, les pièces acceptent d'écouter la fillette sans réfuter ses directives, et finalement, elle est reconnaissante que Charlie l'ait dérangée pour lui proposer le jeu. Elle apprécie de se concentrer sur autre chose que les souvenirs du visage furieux du professeur Rogue.
C'est au moment où elle demande à sa reine avec une politesse qu'elle-même trouve exagérée de se déplacer pour prendre le cavalier de Charlie qu'un bruit sourd – une pile de livres tombant au sol – les fait tous les deux sursauter si fort que la fillette s'agrippe au bord de la table. Sa magie, n'attendant qu'un moment d'inattention de sa part, en profite pour s'échapper et s'étale sur l'échiquier à une vitesse affolante – la glace emprisonne les doigts de la fillette, les pièces et court jusqu'aux pions de Charlie. Abasourdi, le jeune garçon amorce un mouvement de recul – mais les zébrures gelées s'arrêtent juste devant lui – avant de lever des yeux ronds vers Abigail.
La surprise, d'abord, cloue la fillette sur place, puis l'horreur lui fait l'effet d'une gifle. Sa vision ne se résume plus qu'à Charlie et la table devant elle. La panique se réveille d'un seul coup, serpente dans son corps à la vitesse d'un boulet de canon. Après avoir privé ses membres de leurs forces, elle remonte au creux de sa gorge, s'y love et ronronne - elle ronronne si fort qu'Abigail n'entend plus que son bourdonnement. Les voix autour d'elle se transforment en bruits étouffés, même le sermon que réserve Madame Pince au pauvre élève en faute pour le raffut d'un peu plus tôt. La lumière lui donne la nausée, et elle a mal, si mal et si peur qu'elle veut disparaitre, et à cet instant, elle déteste son corps qui lui refuse la fuite, qui décide de lui-même qu'il ne peut plus bouger, elle veut s'arracher les mains et hurler toute sa détresse.
— Abby est-ce que tout va bien ?
Charlie bredouille, pâle comme un linge, mais elle ne l'entend pas, voit à peine ses lèvres bouger. Elle sent les larmes s'amonceler dans ses yeux, floutant davantage sa vision.
— Ne dis rien aux autres, trouve-t-elle la force de bafouiller sans savoir comment. S'il te plait, ne dis rien aux autres.
Avant qu'il ait pu protester, elle s'enfuit de la bibliothèque avec la ferme intention de ne plus jamais le croiser de sa vie.
Elle ne sait pas où aller. L'idée de retourner à son dortoir, de répondre à l'énigme du heurtoir et passer devant ses camarades lui semble insurmontable. Celle d'aller se réfugier à l'infirmerie lui semble tout aussi impensable, elle refuse que Madame Pomfresh la prenne en pitié et lui fasse ingérer encore une énième potion sans rêves pour calmer la douleur qui la fait trembler de la tête aux pieds – et surtout, elle refuse d'inquiéter Ivy.
Au détour d'un escalier, elle sait brusquement où elle doit se rendre.
oOo
Sans se douter de la chute des livres qui venait de sonner le branle-bas de combat dans la bibliothèque, adossé au mur près de la porte de la salle de Défense contre les Forces du Mal, Lawrence attend patiemment que la cloche sonne et libère les élèves pour un week-end bien mérité.
Visiblement, le professeur O'Cuinn avait décidé d'être magnanime ce jour-là car la porte s'ouvre quelques minutes avant la fin officielle du cours. Aussitôt les premières silhouettes sorties, Lawrence s'engouffre dans la salle de classe avec la ferme intention de ne pas laisser son professeur s'éclipser, cette fois.
Il a vu juste – le professeur O'Cuinn a déjà rangé ses affaires et s'apprête à monter s'enfermer dans son bureau.
— Professeur ? appelle-t-il d'une voix forte, faisant sursauter deux filles de troisième année qui passent devant lui.
Il voit l'interpellé hésiter, puis baisser les armes et se tourner vers lui. Son visage reflète tant d'impuissance et de fatigue que Lawrence sent un frisson glacé dans sa nuque, mais, trop décidé à obtenir quelques réponses, il s'avance et s'arrête devant lui. Les amorces de conversations qu'il avait répétées ces derniers jours lui échappent aussitôt que le professeur pose ses yeux d'orage sur lui – de si près, ses iris sont méconnaissables, fourbus de lassitude, et même son sourire qu'il trouvait si aimable en début d'année lui fait froid dans le dos.
— Je vais finir par croire que vous m'évitez, professeur.
— Ah.
Il secoue tristement la tête en attrapant un paquet de parchemins au hasard sur son bureau et soupire.
— Il n'y a pas que vous que j'évite, mon garçon, rassurez-vous. Que puis-je fais pour vous aider ? demande-t-il très poliment, quoique le jeune homme entend toute son impatience et sa défiance derrière le masque de son sourire.
— J'aurais voulu vous parler de mon père.
L'expression du professeur passe si vite de la méfiance à la surprise puis au chagrin que la gorge du jeune homme se serre. S'il avait eu quelques doutes quant aux informations données par l'ami de Stephen, désormais, ils étaient balayés.
— Je me doute que les derniers jours n'ont pas été faciles, mais je ne suis pas certain d'être le mieux placé pour vous répondre, s'obstine pourtant le professeur.
— Professeur, je sais que c'est vous qu'il est venu voir en novembre dernier.
Il regrette presque ses paroles quand le visage d'O'Cuinn se ferme et que ses mains se crispent sur ses copies. Lawrence le voit jeter un coup d'œil aux derniers élèves qui quittent sa salle de classe avant de s'approcher d'un pas. Cette fois, toute trace de chagrin a quitté ses traits, remplacée par la colère.
— Vous jouez à un jeu dangereux, mon garçon.
— Je ne joue à rien du tout, professeur, proteste Lawrence sans se démonter, quand bien même il se sent tel un première année pris en faute dans un couloir après le couvre-feu. Je suis inquiet pour ma mère et ma sœur, pour mon frère et pour mon propre deuil. Je veux juste parler de mon père avec quelqu'un qui l'a bien connu.
Son cœur bat douloureusement contre sa gorge alors qu'il maintient le regard du professeur avec la désagréable impression qu'il le sonde pour déceler un mensonge. Finalement, sans se départir de son expression pincée, le professeur O'Cuinn ferme la porte d'un coup de baguette et lui fait signe de le suivre.
Le bureau sent la poussière, l'encre et autre chose, une odeur âcre que le jeune homme ne parvient pas à déterminer. Tout n'est que désordre, les boîtes en bois s'empilent, les instruments menacent de s'effondrer sur les étagères, même quelques cages vides pendouillent piteusement aux murs. En entrant, Lawrence se demande si la sensation de lourdeur qui lui tombe sur les épaules et lui écrase la poitrine n'est due qu'à une mauvaise aération ou s'il n'est finalement pas prêt à entendre ce que le professeur O'Cuinn a à lui dire sur son père.
Le professeur pose la pile de parchemins dans un coin du bureau déjà désordonné, et croise le drôle de regard que lui adresse Lawrence avant de se détourner, les pommettes rouges de l'avoir fixé avec une telle impolitesse. Avec un sourire tenant davantage du rictus que du sourire, il lui désigne un siège qui traine dans un coin :
— Asseyez-vous, Lawrence. Pardonnez-moi pour le désordre, j'ai été trop occupé pour penser à ranger, ces derniers mois. Voulez-vous un peu de thé ?
— Pourquoi pas, murmure le jeune homme sans oser refuser.
Dans la pièce exiguë, il ne comprend pas pourquoi mais le professeur lui fait peur. Un coup de baguette plus tard et un service à thé apparait sur la table. Bientôt, ils se font face, leurs tasses remplies de thé fumant. L'odeur de la menthe s'ajoute à celles déjà présentes dans la pièce, et si le professeur ne semble pas s'en incommoder, Lawrence sent sa tête s'alourdir.
— Parlons de votre père, si cela peut vous aider à dormir plus aisément. De quoi voulez-vous parler, précisément ?
— Peu importe. Juste de lui.
Les doigts du professeur tapotent un instant sur son bureau. Il reste silencieux un instant pendant lequel Lawrence est pourtant persuadé d'entendre des chuchotements dans un coin de la pièce. Puis, en se redressant sur son siège, O'Cuinn soupire :
— Il était archéomage, un des meilleurs.
Ces quelques mots suffisent pourtant pour que le jeune homme sente ses entrailles se glacer et son sang-froid manquer de se briser. Ses mains tremblent sous la table, il les serre davantage l'une contre l'autre pour ne rien laisser paraître de son trouble.
— Pas tellement le genre de type qu'on pouvait trouver facilement dans son bureau, d'ailleurs, continue O'Cuinn comme si le souvenir était particulièrement amusant. Je ne pourrais vous dire combien de fois j'ai voulu lui parler et on m'annonçait qu'il était parti sans rien dire ou parce qu'il détestait rester assis à remplir de la paperasse. Je pense que vous savez comme il aimait découvrir des choses, et tant pis si elles étaient dangereuses, tant qu'il les découvrait.
— Et cette fois, ce qu'il a découvert était trop dangereux pour lui, n'est-ce pas ?
Le rictus du professeur se fige sur son visage et son regard transperce le jeune homme.
— Pour votre propre bien, Lawrence, je pense qu'il ne m'est pas nécessaire de répondre à cette question.
— Mais vous, vous savez pourquoi on l'a assassiné, n'est-ce pas ?
— Lawrence, je-
— Professeur, essayez de comprendre, insiste le jeune homme en sachant qu'il exagère et que son professeur n'est pas né de la dernière pluie, qu'il aura lui aussi eu des expériences douloureuses dans son passé et qu'il comprend certainement mieux que ce qu'il aimerait croire.
Ce même professeur qui le fixe de ses yeux brumeux sans répondre ni amorcer le moindre geste pour répondre. Tout ce que Lawrence lit sur son visage fermé, c'est toujours cette impatience mal dissimulée. Les murmures dans la pièce grossissent, mais le professeur ne s'en préoccupe pas, et Lawrence, s'il s'en inquiète, n'ose pas demander d'où ils proviennent.
— On ne nous a rien dit. On nous a refusé toutes les réponses aux questions qu'on a pu poser. Si vous savez quelque chose, s'il vous plait… Il a découvert quelque chose et s'est rendu compte que cette fois c'était trop dangereux pour lui, n'est-ce pas ? C'est pour ça qu'il est venu vous voir ? Vous étiez son ami, et il vous a confi-
— Ça suffit.
Les lèvres du professeur ne forment plus qu'une fine ligne et ses sourcils épais sont si froncés qu'ils se touchent presque. Lawrence se tait, le coeur battant. L'odeur âcre de la pièce lui fait mal à la tête et lui donne presque la nausée.
— Je refuse de répondre à ce genre de question, Lawrence, et je le répète, dans votre seul intérêt. Vous vous mettez bêtement en danger et cela, je le refuse. Je ne sais pas ce qui vous a mis dans la tête que votre père est venu me voir en novembre dernier. Il y a une raison pour laquelle il ne vous parlait pas de toutes ses recherches.
— C'est pour ça que d'autres archéomages se font attaquer ? Parce que la personne qui en a après sa découverte ne sait pas que c'est vous qui l'avez ? Est-ce qu'on doit s'attendre à ce que l'école soit attaquée, si on apprend un jour que c'est vous qui gardez-
Il sait qu'il est allé trop loin – le professeur se lève brusquement, renversant la moitié de son thé sur la table, les yeux brillants de colère. Il ouvre la bouche et Lawrence refuse de baisser les yeux pour recevoir le sermon, mais il n'arrive pas. A sa place, trois coups hésitants sont tapés à la porte de la salle de classe et résonnent dans le bureau.
— Je suis occupé, ils repasseront, grommelle le professeur.
Mais à peine termine-t-il sa phrase que trois autres coups, plus secs et plus pressés, résonnent de nouveau.
Maugréant à n'en plus finir, O'Cuinn contourne la table et son ton est tranchant quand il sort de la pièce :
— Attendez-moi ici, la conversation ne s'arrête pas là.
Une fois seul dans le bureau, Lawrence se lève et essaye de calmer les battements frénétiques de son cœur. Il comprend qu'il avait vu juste, ou du moins les réactions du professeur lui donnent cette impression, mais il ne comprend pas pourquoi on les a laissés, lui et sa famille, dans le noir, pourquoi on leur refuse la vérité.
Les chuchotements dans le coin de la pièce le rendent plus nerveux qu'il ne veut bien l'admettre. Ses yeux ne cessent de rencontrer un coffret de bois mal poli rangé à la va-vite sous une cage à hibou vide et sur une malle aux serrures défoncées.
A bien l'observer, il se rend compte qu'aucune trace de poussière n'orne ce coffret-là, et la constatation, somme toute innocente, ne l'est plus dans tout le bazar poussiéreux qu'est le reste du bureau. Ce coffret-là est plus souvent manipulé que les autres.
Or, c'est de lui que proviennent les voix et, Lawrence le sent, tous les tourments qui se sont abattus sur sa famille.
Il sait qu'il ne devrait pas, mais le besoin de savoir a raison de lui : il hésite à peine avant de faire un pas puis un deuxième vers le coffret. L'odeur âcre est celle du soufre, se rend-il compte en s'approchant encore.
Le cœur battant à ses oreilles, il tend une main vers le coffret.
Il le touche presque quand un picotement dans ses doigts remonte à son bras, l'engourdissant presque tout entier. Dans un sursaut, il recule, le bras en feu, la peur au ventre. Les murmures se sont arrêtés.
Sa respiration haletante n'est tout à coup plus que le seul son de la pièce.
Ses doigts lui répondent de nouveau. Il masse son bras en se rasseyant lentement, pressé de quitter cet endroit, quand ses cheveux se dressent sur sa nuque.
Les murmures reprennent. Cette fois directement dans ses oreilles. Cette fois, c'est son prénom qu'il entend, très distinctement.
Il n'a pas le temps de hurler que la porte s'ouvre et le professeur O'Cuinn entre, l'air trop préoccupé pour remarquer le trouble du jeune homme.
— Mon garçon, je suis désolé, je dois aller voir le professeur Dumbledore de toute urgence, mais voilà ce que je peux vous dire : pour votre bien et celui de votre famille, n'essayez pas de chercher la vérité. Autant que je veux croire en la bonté de l'homme, il peut se montrer parfois cruel et cupide. Votre père a eu le malheur de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment et de trouver les mauvaises choses. Vous êtes en sécurité à Poudlard. Ne cherchez pas à en savoir plus, je vous en prie.
Incapable de parler, Lawrence hoche à peine la tête et s'enfuit de la pièce sans un regard en arrière.
oOo
Cette fois encore, la porte qu'il ouvre avec grand fracas sans s'annoncer déstabilise Fumseck sur son perchoir mais n'extrait pas Dumbledore de sa concentration légendaire. Pas un froncement de sourcil, pas un tressaillement ne trahit son visage, et malgré les piaillements mécontents du vieil oiseau en fin de vie à ses côtés, il ne quitte pas des yeux le parchemin qu'il lit tranquillement.
Agacé et mécontent de l'être, le nouveau venu ne se prive pas de refermer la porte dans un vacarme tout aussi assourdissant et s'effondre dans un fauteuil près de la bibliothèque personnelle du directeur, pour taper nerveusement le sol du pied.
Alors seulement, Dumbledore quitte son parchemin du regard et le dévisage, une lueur espiègle dans ses yeux bleus.
— Sais-tu, Alistair, que plus tu viens me voir, plus tu soignes tes entrées ? remarque-t-il en plongeant sa plume dans une belle encre bleu nuit. Celle-ci était grandiose.
— Albus, j'ai besoin de bonnes nouvelles, se contente de répondre le professeur O'Cuinn, pas amusé du tout.
— Ceci étant dit, ajoute Dumbledore sans rebondir sur l'air fourbu du vieux sorcier ni sur le ton maussade qu'il avait choisi en guise de salut, j'aimerais que tu évites de casser mon mobilier.
O'Cuinn lui adresse un rictus amer mais Dumbledore ne le remarque pas. D'un pas léger, il se dirige vers la fenêtre où un petit hibou frappe au carreau. Après une petite caresse sur ses plumes et une friandise glissée dans son bec, le volatile s'éloigne, lesté de sa missive.
Perdu dans sa mauvaise humeur, O'Cuinn ne remarque pas les yeux de Dumbledore s'illuminer, ni la hâte avec laquelle il ouvre son courrier, pas même qu'il ne songe à se vexer que le directeur prenne grand soin à lui tourner le dos.
— En vérité, Albus, j'aurais vraiment besoin d'une bonne nouvelle. Le jeune Lawrence Picadilly est venu me trouver, désemparé par toutes les horreurs écrites par la Gazette de ces derniers jours. Je ne sais comment mais il se doute que je suis lié de près ou de loin dans toute cette affaire.
A ces mots, il soupire, passe une main lasse sur son visage et s'enfonce davantage dans le fauteuil, la mine boudeuse. Ses traits sont bien sombres mais Dumbledore lui tourne toujours le dos.
— Et en pleine discussion avec lui, devine qui vient toquer à ma porte ? La petite Swann. Tu aurais vu son regard, Albus, elle…
Il se tait, se lève soudain comme si rester assis mettait ses membres tendus à trop grande épreuve. En arpentant la pièce de long en large, il se tapote le front et soupire plusieurs fois, si fort que certains tableaux tendent l'oreille :
— Elle était dans un tel état de détresse, Albus, elle m'a demandé si je refusais de la voir car elle, et je la cite, 'cherche à contrôler l'incontrôlable, comme l'avait prévenue le Choixpeau'.
— Ah ? murmure lentement Dumbledore.
Quelque chose dans sa voix, quelque chose de trop décalé pour s'y trouver dans ce contexte, fige O'Cuinn sur place. Trop impatienté pour se persuader qu'il a mal entendu, il gronde :
— Est-ce du triomphe que j'entends dans ta voix ?
— Et que lui as-tu répondu ? reprend tranquillement Dumbledore.
D'un geste lent, il lui fait face. Son sourire est tel qu'il fait briller ses yeux. O'Cuinn s'en étouffe presque de rage, mais celle-ci disparaît avec autant de rapidité que la stupeur la remplace - le parchemin que tient Dumbledore entre ses doigts est à demi brûlé sur ses extrémités. Il peut voir un petit trou en plein milieu et plusieurs taches, comme si l'interlocuteur avait jeté la lettre au feu et finalement décidé de la sauver des flammes.
— Comment… C'est… C'est… ?
— Je t'en prie, dit doucement Dumbledore en lui tendant le parchemin qu'il attrape et fixe comme s'il n'en croyait pas ses yeux.
Ma très chère et tendre amie, peut-il d'abord lire de la calligraphie parfaite de Dumbledore. De nombreuses semaines ont passé sans nouvelles de toi, je reviens donc vers toi pour la même affaire urgente qu'il y a plusieurs mois. Je me souviens maintenant que les relations épistolaires t'ont toujours lassée. Tu me pardonneras d'avoir mis tant de temps m'en rappeler. Je te propose donc de nous retrouver à la Tête du Sanglier le samedi 5 avril à midi pour se parler autour d'un Whisky-pur-feu. Je sais comme tu affectionnais ce pub autrefois. Je t'y attendrai avec une écharpe rose et un chapeau melon, pour que tu puisses me reconnaître – il faut dire que beaucoup d'années ont passé depuis notre dernière rencontre.
Nous avons beaucoup à nous dire.
Avec mon amitié sincère,
Albus Dumbledore
D'abord, le professeur O'Cuinn fixe les deux dernières lignes, rageusement raturées au charbon, puis son regard se pose sur les deux lettres grossièrement dessinées près de la date et l'heure du rendez-vous.
OK.
Au soulagement se mêle l'appréhension dans le regard d'O'Cuinn quand il rend la lettre à Dumbledore qui, lui, semble absolument ravi.
— Rien ne nous assure qu'elle acceptera de rencontrer Miss Swann, grimace O'Cuinn. Et quand bien même, peut-être qu'elle la fera fuir aussitôt.
— En effet, rien ne nous assure qu'elles coopéreront.
Mais il fait preuve d'une telle rêverie qu'O'Cuinn, s'il ne le connaissait pas aussi bien, pourrait penser qu'il n'a rien écouté. Il soupire, mais cette fois, c'est l'espoir qui le motive.
— Dans tous les cas, j'espère, Albus, que tu es prêt à la revoir. Car je ne pense pas que Poudlard le soit.
Merci de votre lecture !
Merci aussi aux personnes qui prennent le temps de faire un retour, même un petit.
Je n'ai qu'une hâte, c'est que c'est mystérieuse sorcière de feu arrive à Poudlard (au prochain chapitre, youpi !).
Je ne promets rien quant à la suite de la publication, tout dépendra eh bien, de la vie.
En attendant, au plaisir de lire vos retours, et d'y répondre, prenez bien soin de vous.
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