Heya
Un grand merci à annelisemalleron, Feufollet, Ballerine91 et Sundae Vanille (oui oui je dis merci en avance car tu le mérites) pour leurs retours sur le dernier chapitre.
Merci à Docteur Citrouille pour ses retours et ses conseils avisés !
Une fois n'est pas coutume, je vous conseille fortement de faire un tour sur les profils et les histoires de Aliete, Sundae Vanille et de Feufollet. Leurs écrits sont tout simplement formidables. En plus ce sont des personnes vraiment très chouettes. Ça fait du bien, un peu, des personnes chouettes.
Je remercie d'ailleurs Sundae Vanille de me prêter ses si merveilleux personnages Daniel Horton et Clide Chambers.
Eh non, vous ne rêvez pas, un nouveau chapitre seulement (je m'autorise ce ''seulement'' et quiconque s'en plaint n'aura qu'à faire la queue au bureau des réclamations) quelques mois après la publication du chapitre 8. Quelle espèce de magie is this, vous vous demandez certainement, ben, pour être honnête, aucune idée. Ne vous y habituez pas trop, cela dit. Enfin. En espérant que ça continuera.
Sur ces bonnes paroles, bonne lecture, on se retrouve tout en bas !
Petits rappels à toutes fins utiles :
— Abby a offert une petite broche en forme de noisette et de lierre à Ivy pour Noel. (chapitre 7 partie 1)
— Ivy a offert un pendentif d'ambre à Abigail. (chapitre 5 partie 3)
— Ivy est enfermée à l'infirmerie à cause du mauvais temps qui joue sur sa gorge. (chapitre 8)
— Charlie a été témoin du petit souci de magie d'Abby pendant un jeu d'échecs. (chapitre 8)
— Ellanaëlle s'est interposée quand Ivy s'est cognée à McMuffin, Gryffondor de 5ème année, et que celui-ci l'a humiliée. McMuffin a alors sous-entendu qu'Ellanaëlle a une petite-amie (chapitre 7 partie 1).
— La sorcière qui brûle tout sur son passage (ou presque), à laquelle Dumbledore écrit tous les jours sans obtenir de réponse depuis septembre, a répondu 'ok' à Albus quand il lui a proposé de se voir le 5 avril à la Tête du Sanglier (chapitre 8).
Chapitre 9 — Louisa Mercury
Les premiers jours d'avril s'installent et amènent avec eux la promesse de jours meilleurs.
Désormais libres de circuler comme bon leur semble et ayant complètement oublié les événements des semaines précédentes, les élèves ne se privent pas du parc et se prélassent au soleil. Abigail suit parfois les filles de Serdaigle dans leurs promenades, en attendant de pouvoir les faire avec Ivy, toujours retenue à l'infirmerie. Elle aime se promener aux premières heures du printemps, lorsque le vert des feuilles est encore tendre et se perd dans le bleu du ciel. Sa magie a beau protester et préférer la froideur de l'hiver, elle ne peut s'empêcher de s'émerveiller des premières fleurs – souvent, elle s'installe sous un arbre et écoute les soupirs des branches et les murmures de l'herbe.
Ivy sort enfin de l'infirmerie avec la ferme intention de rattraper tous les moments ratés de la semaine précédente. A sa grande surprise, Abigail refuse de passer du temps avec son frère, Charlie et Stephen comme elles en avaient l'habitude, mais, au vu des cernes de plus en plus sombres qui creusent les joues de la petite Serdaigle et à son air malade, Ivy comprend qu'elle a d'autres préoccupations.
Elles s'isolent de plus en plus, parfois dans une salle vide du deuxième étage, parfois dans le parc, pour éviter la frénésie de la Grande Salle et les oreilles indiscrètes de la bibliothèque – Ivy a la sensation que même les livres les écoutent. Elles consacrent la plupart de ce temps à l'entrainement en sortilèges. Ivy trouve plus simple de s'y atteler quand le seul regard qui pèse sur elle est celui de son amie. Quant à Abigail, elle en profite tout simplement pour laisser sa magie s'échapper au moins de temps en temps, dans le seul but de lui éviter tout débordement dans des endroits bondés d'élèves - Ivy remarque bien que les livres qu'elles empruntent finissent tous congelés lorsqu'ils passent entre les mains d'Abigail.
— Je sais, chuchote-t-elle un après-midi qu'elles sont assises dans le parc au milieu des pâquerettes et qu'Ivy fixe tristement un livre aux pages glacées. Il n'y a que ma baguette qui ne gèle pas quand je la touche.
— C'est embêtant, signe Ivy avec une petite moue. Tu en as parlé aux professeurs ?
— Oui, au professeur Flitwick, avant-hier. Il m'a dit qu'il allait en parler au professeur Dumbledore. En attendant, il a ensorcelé des gants pour qu'ils soient toujours chauds mais je les ai usés en une nuit.
Ivy grimace quand elle sort de sa poche une paire de gants en laine, grignotés par la glace, puis signe avec douceur :
— Tu arrives à dormir, au moins ?
Elle remarque aussitôt la tension dans la mâchoire d'Abigail, comprend que la réponse sera au mieux mitigée, sinon négative. Ce qu'elle ignore, c'est la terreur dans laquelle l'idée de dormir plonge Abigail, de se laisser aller à l'inconscience et de laisser sa magie prendre le dessus. Elle ne sait pas qu'Abigail s'oblige à rester éveillée de peur de trouver le dortoir et ses habitantes gelées en se réveillant, ne s'endort que lorsque son corps épuise ses dernières réserves – elle s'était endormie sous la douche, ce matin-là –, et qu'elle n'en peut plus de rester constamment sur le qui-vive.
— Il faut faire quelque chose, tu ne peux pas rester comme ça.
— Mais quoi ? soupire Abigail, et quelques flocons s'échappent de sa bouche dans un nuage glacé. Je suis allée voir O'Cuinn la semaine dernière, il m'a répondu qu'il me redirait quand il serait moins occupé.
A l'intensité de la fureur qui se met à briller dans le regard d'Ivy et la crispation de sa mâchoire, Abigail s'attend presque à ce qu'elle se mette à fumer des oreilles, mais elle se contente de signer quelque chose qu'elle ne comprend pas – du moins pas littéralement, même si elle est sûre qu'il s'agit d'une insulte, et pas de celles qu'il est communément accepté de répéter.
— Ça va passer. Ça passe toujours.
Au sourcil qu'Ivy hausse à demi avant de reprendre son air froncé, elle sent qu'elle n'en est pas convaincue – ou du moins toujours en colère contre l'abandon des professeurs. Elle-même n'est pas persuadée par ses propres mots, mais depuis le retour d'Ivy de Sainte-Mangouste, elle se laisse au moins le luxe d'espérer.
— Peux-tu me promettre au moins quelque chose ?
— Quoi ?
— Ne me fuis pas. Ne me tourne pas le dos comme tu le fais avec Will et Charlie et Stephen. Laisse-moi être avec toi sur ce coup-là comme je te laisse être avec moi quand je suis coincée à l'infirmerie.
Rien sur son expression féroce ne laisse voir une once d'hésitation, puis, d'un seul coup, elle baisse les armes et ses épaules s'affaissent. Ses mains jouent avec sa baguette, alors qu'elle attend une réponse. Qu'elle puisse croire une telle chose, après toutes leurs promesses et la sensation de force qui ne la quitte pas depuis qu'elles ont accepté que leurs secrets n'en soient plus, serre la gorge d'Abigail. Sans un bruit, elle se rapproche :
— Je ferai de mon mieux.
Un pauvre sourire tordu éclaire faiblement le visage d'Ivy.
— Je te crois. C'est que je ne sais pas si j'y arriverai, ici, sans toi.
Elle désigne sa baguette, sa fine écharpe qu'elle a laissé trainer près d'elle pour profiter de la chaleur somme toute relative du soleil mais tout de même agréable, puis son cou meurtri.
— Je pense la même chose, mais tu le dis mieux que moi, avoue Abigail dans une petite grimace penaude.
Ivy ne rebondit pas mais son sourire s'élargit légèrement. Elle voit qu'Abigail hésite, hoche doucement la tête dans une interrogation silencieuse. Alors Abigail soupire sans bruit. Dans un murmure dont seuls le vent et Ivy sont témoins, elle raconte l'épisode catastrophique de son jeu d'échecs avec Charlie, la semaine précédente. Elle raconte les yeux exorbités du jeune garçon, les zébrures sur la table, son impuissance face à ce déferlement de magie qu'elle n'avait pas pu retenir.
Si l'horreur s'étale sur le visage d'Ivy, arrachant un frisson de panique à Abigail – celle-là même qu'elle tente d'étouffer depuis l'incident –, elle se reprend bien vite. Son regard et son visage sont toujours graves et sérieux mais aussi plus doux. Elle joue quelques instants avec une touffe d'herbe à ses pieds, plongée dans ses pensées, avant de signer :
— Il a dit quelque chose quand c'est arrivé ?
— Je ne sais pas, je suis partie.
Ivy se mordille les lèvres, les sourcils à demi froncés. Elle a beau essayer de garder un visage confiant, la nervosité de ses gestes la trahit — il est évident que la nouvelle la bouleverse.
— Peut-être qu'il ne dira rien aux autres ? hasarde-t-elle finalement. Ce n'est pas son style, si ?
— Je ne sais pas. Je pense que j'en aurais entendu parler. Will me l'aurait dit, explicite-t-elle devant l'air perplexe de son amie.
Celle-ci ne répond pas mais Abigail voit bien qu'elle est toujours préoccupée – elle arrache une pâquerette, puis une deuxième, et se met à les tresser en une petite couronne.
— Qu'est-ce qui ne va pas ?
Ivy soupire sans retenue et laisse tomber son masque en même temps qu'elle hausse les épaules. Abigail la trouve bien sombre, presque autant que les fois où elle a l'air de porter le poids du monde et qu'elle aurait envie de tout jeter par terre. En secouant la tête et par la même occasion ses jolies boucles blond cendré, elle essaye de se reprendre, se redresse pour que son dos soit suffisamment droit.
— J'ai l'impression que maintenant que ça t'est arrivé, ça va m'arriver aussi. Tu sais, maman et papa m'ont toujours dit de ne pas avoir honte de mon cou ou de ma voix. Ils m'ont aussi dit avant de partir pour Poudlard qu'un jour ou l'autre, les autres sauraient et verraient mon secret, que je le veuille ou non, qu'il faut que je m'y prépare, et que ça sera certainement moins pénible quand tout le monde saura.
Le rictus amer qu'elle adresse à sa couronne de pâquerette résonne douloureusement dans la poitrine d'Abigail. Elle se souvient qu'elle aussi s'est déjà fait cette réflexion, mais elle lui semble si loin désormais qu'elle se mélange avec la réalité comme un rêve désagréable. Si elle se souvient que quelques mois plus tôt, elle s'était persuadée que se préparer à ce que tout le monde découvre un jour sa magie était pour le mieux, aujourd'hui, elle n'est plus sûre de le penser.
— Ça m'a toujours énervée qu'ils me disent ça, continue Ivy. Mais avec ce qui vient de se passer pour toi, je suis en train de me dire qu'ils ont peut-être raison. Mais ça m'énerve qu'ils aient raison et je ne veux pas y penser.
Sa colère fond lorsqu'elle avise Abigail – la fillette jette à ses mains un regard lugubre.
— Je pense qu'ils ont raison, marmonne-t-elle.
Ivy se rapproche tout doucement et attrape son écharpe qui traine par terre. Ses doigts cherchent la petite broche qu'elle a reçue pour Noël et la fait jouer entre ses doigts. Elle cherche le regard d'Abigail, perdu sur les brins d'herbe gelés sous ses pieds, arrache une troisième pâquerette pour continuer son ouvrage.
— Je me demande, commence-t-elle, et les gestes brutaux de ses mains attirent l'attention de son amie. Je me demande ce que ça changera quand tout le monde saura. Je me demande si je pourrai leur dire qu'ils avaient tort.
— Qu'est-ce qu'en pense Daniel ? demande doucement Abigail.
Ces derniers temps, elle a bien remarqué que la mention de son médicomage calme la colère d'Ivy – cette fois-ci ne fait pas exception : les sourcils de la fillette se détendent instantanément, et sa mine boudeuse est remplacée par une petite grimace penaude.
— Lui au moins il dit les choses moins brutalement, et il se soucie de comment je réagis à ce qu'il me dit. Tu sais, ça aurait été moi à ta place, je n'aurais pas quitté mon lit du reste de l'année.
Abigail s'assombrit sans oser lui avouer qu'elle y a sincèrement songé, mais préfère se taire.
— Mais on va y arriver, hein ? Toutes les deux, je sais qu'on va y arriver.
L'espoir brisé dans ses yeux puis dans le soupir silencieux qui la secoue n'aide pas Abigail à y croire, mais, courageusement, alors qu'Ivy termine sa couronne de fleurs, elle acquiesce :
— Oui. Prends ta baguette, on réessaye.
Le sourcil qu'elle hausse en réponse au salut militaire que lui adresse Ivy fait pouffer la petite Poufsouffle.
Vendredi arrive sans qu'Abigail ne croise Charlie. L'après-midi, alors que les filles de Serdaigle profitent du parc et qu'Ivy et Bony ont cours de métamorphose, elle se rend à la bibliothèque pour rendre un livre sur les cercles de pierres à l'âge celtique et emprunter un livre sur les sortilèges informulés. Fatiguée de sa trop courte nuit, elle s'installe à une table pour se reposer quelques minutes avant de repartir vers la salle commune de Serdaigle.
C'est au moment où elle pique du nez qu'on tire la chaise voisine à la sienne – elle se réveille en sursaut, couvrant par la même occasion la première de couverture de cristaux de glace. En relevant la tête, paniquée, elle tombe nez-à-nez avec le visage assombri par la mauvaise luminosité de Will.
Ses lèvres plissées et ses sourcils froncés alarment Abigail mais s'il s'en aperçoit, il n'en montre rien et garde son regard clair posé sur elle avec une insistance qu'elle ne comprend pas.
Sans savoir pourquoi, Abigail sent la honte lui serrer le ventre. Elle chasse le gel d'un geste de la main, les yeux baissés, mais Will ne commente pas l'état déplorable de la couverture et se contente de sortir une grosse part de gâteau enveloppé dans une serviette en papier de sa poche, pour la poser sur la table.
— Will ! On va se faire gronder ! couine Abigail en essayant de ramasser les quelques miettes qui s'évadent de la serviette en papier.
— Je n'ai pas vu Madame Pince en arriv-
Comme pour démentir ses propos, une paire de bottines claque dans un rayon non loin. Soudainement très pâle, Will s'empresse de ranger la friandise dans sa poche et ils se lèvent avec hâte pour s'enfuir comme des voleurs lorsque Madame Pince passe devant eux avec ses yeux de rapace.
Will ne s'autorise à souffler que lorsqu'ils sont suffisamment loin de la bibliothèque et glousse :
— C'était moins une. Donne-moi ça, ajoute-t-il en tendant la main.
Il attrape le livre tout gondolé, le tapote avec sa baguette en marmonnant une formule – les pages reprennent aussitôt une belle forme lisse, laissant Abigail bouche bée. Pour un peu, elle en pleurerait de gratitude – celles qui lui montent aux yeux ne sont certainement pas uniquement dues à la fatigue, songe-t-elle en essayant de les chasser discrètement.
— Comment…, bafouille-t-elle.
— Charlie me l'a appris car je ne sais pas comment mais je froisse absolument toutes mes chemises. C'est papa qui va être content quand je pourrai enfin faire de la magie à la maison. Lui qui se plaint toujours que repasser l'ennuie.
Son ton est léger mais son visage toujours grave. Ses yeux reflètent trop de lourdeur pour qu'Abigail ne s'y trompe. Doucement, il sort de nouveau le gâteau de sa poche et lui tend avec un « tiens » chuchoté si tendrement que, même si la faim l'a abandonnée depuis plusieurs jours, elle mangerait dix gâteaux si seulement ils lui étaient donnés par son frère.
Elle se rend compte, au milieu des couloirs, comme elle a été bête de l'éviter, comme elle voudrait se perdre dans ses bras et lui demander de bien vouloir la pardonner. Au lieu de ça, elle ravale son sanglot et croque dans le gâteau.
— Un tour dans le parc, ça te dit ? propose-t-il et elle hoche la tête aussitôt.
Les oiseaux chantent et le soleil brille agréablement quand ils sortent du château.
— Je ne t'ai pas vue à la Grande Salle de toute la semaine, Abby.
— Je n'y étais peut-être juste pas quand tu y étais, essaye-t-elle de mentir, mais la grimace de Will lui apprend qu'il ne s'y méprend pas.
— C'est vrai, admet-il quand même, mais je te connais un peu, Abby. Je sais que tes affaires ne sont pas les miennes, mais je m'inquiète.
Ils passent plusieurs groupes d'élèves et s'approchent du lac – là, Will dépose son sac, sa cape et son gilet, remonte ses manches et se met en quête d'un caillou plat. Abigail le regarde faire sans oser s'approcher trop près de l'eau. Il lui adresse un sourire content lorsqu'il met enfin la main sur ce qu'il cherche, avant de l'envoyer ricocher sur la surface plane de l'eau.
Abigail voudrait commenter, comme le font Katie et leur père pendant leurs promenades au lac de Stamford, mais tout le poids du monde pèse sur sa gorge, alors elle se tait, l'observe, un peu éblouie par le soleil qui se reflète sur l'eau et étourdie par le bruit des vaguelettes contre la rive.
— J'ai essayé d'apprendre à Charlie et Stephen, mais ils sont… euh, ils n'y arrivent pas très bien.
Il frotte ses mains humides d'avoir ramassé un deuxième caillou près de l'eau et prépare son deuxième jet. Cette fois, la pierre ricoche trois fois et se perd dans le lac.
— Charlie m'a vue, avoue alors Abigail en avalant péniblement une miette. Je n'ai pas pu me contrôler et… il a vu.
— Ah, marmonne Will en ramassant une pierre pour la tendre à la fillette et l'inviter à jouer elle aussi. Il m'en a touché un ou deux mots, oui.
Le bruit mouillé du caillou contre l'eau résonne contre le vent et dérange le chant d'un rouge-gorge au-dessus d'eux. Abigail ferme les paupières sans vraiment s'en rendre compte, juste le temps d'assimiler l'information, juste le temps de rassembler ses idées, les rouvre pour voir Will essuyer ses mains humides sur sa chemise puis se pencher pour expertiser une nouvelle pierre mais la juger inadéquate.
Elle ne comprend pas comment il peut rester si calme, ni comment la Terre peut continuer de tourner, le vent de souffler et les oiseaux de chanter alors que, elle, a l'impression que ces quelques mots lui ont troué le cœur et crevé l'estomac. La pierre entre ses mains n'est plus qu'un agglomérat de glace, elle ne serait même pas étonnée si Madame Pomfresh lui annonçait que ses poumons s'étaient transformés en cette même pierre.
— Qu'est-ce que tu lui as dit ? parvient-elle à murmurer.
— La vérité, en oubliant de raconter deux, trois trucs, répond-il avant de jeter son caillou trop fort. J'ai aussi précisé qu'il avait plutôt intérêt à garder ça pour lui car je crois que tu n'as pas besoin de ça en plus de tout le reste.
Elle hoche la tête, reconnaissante, même s'il n'a pas l'air de guetter une réaction de sa part. Il se tourne finalement vers elle et lui sourit de nouveau. La tranquillité qui émane de son maintien et son visage parvient quelque peu à apaiser la fillette, et d'une voix très douce, il avoue :
— Tu sais, Charlie et Stephen savent que maman n'est plus là depuis longtemps, qu'on a une famille hyper flippante et qu'on a régulièrement des soucis d'argent. Je ne pense pas qu'un détail de plus ou de moins change grand-chose. Enfin, un détail, tu vois ce que je veux dire.
— Stephen sait aussi ? s'étrangle la fillette en sentant ses entrailles se changer en pierre à leur tour.
Elle ne peut s'empêcher de repenser à la discussion qu'Ivy et elle ont eu la veille, et pense avec colère qu'elle pourra dire à son amie qu'en effet, que tout le monde soit au courant n'allège absolument pas le poids de son angoisse.
— Oh, non, s'empresse de la rassurer Will. Il n'était pas là quand Charlie m'en a parlé. Tu sais, Charlie sait ce que c'est de garder des secrets et de ne pas vouloir que tout le monde sache les siens, il a cinq frères et une sœur, ajoute-t-il comme si l'argument était absolument imparable.
Abigail déglutit et hoche la tête. Un gros soupir s'échappe de sa poitrine.
— Je savais que ça arriverait un jour, dit-elle d'une petite voix malheureuse. Je pensais juste… j'espérais juste que j'aurais eu plus de temps, que j'aurais choisi comment ça se serait passé.
Will laisse les cailloux de la rive et se tourne vers elle, tout penaud.
— Pour l'instant, ce n'est que Charlie, je dirais que tu as un peu de chance dans ton malheur.
— Je suppose que tu as raison.
Le jeune garçon lui adresse un sourire doux, un sourire qui lui rappelle la maison et qui, petit à petit, raccommode son cœur et allège le poids sur ses épaules. Il vient s'asseoir près d'elle et, un instant, ils écoutent les oiseaux, le vent, les rires des autres élèves.
— Ça n'a pas l'air de t'affoler qu'il sache en tout cas.
— Oh, non, répond-il tranquillement en arrachant un brin d'herbe pour jouer avec. Tu n'as pas honte de dire que ton frère met un temps fou à lacer ses chaussures ou doit rester avec les professeurs une demi-heure de plus pour qu'ils puissent relire ses devoirs, si ?
— Pas du tout.
— Moi c'est pareil avec ta magie. Elle est là, tu ne serais pas Abbynette sans elle, c'est comme ça.
Elle ne répond rien, pas certaine d'être tout à fait d'accord avec sa comparaison, mais préfère l'accepter tout de même. Elle sent que ses mots font couler l'espoir dans son cœur, et cet espoir-là, elle fera tout pour le garder.
— Et toi, Will ?
— Moi ?
— Comment tu vas ?
— Ah, lâche-t-il d'un air détaché.
Cette fois, son sourire est amer. Il hausse les épaules en hochant la tête.
— Ça va.
Elle cherche son regard, mais il préfère fixer l'horizon. Après avoir de nouveau affiché son sourire de petit lutin facétieux, il se tourne vers elle et susurre :
— Pressée d'être demain ?
— Oh, non, gémit la fillette en grimaçant. Pas du tout. Je n'ai même pas prévenu Ivy.
— Comment ?! s'offusque Will en portant une main à son cœur. Tu n'as même pas prévenu Ivy que c'est ton anniversaire demain ?
— Elle va me détester si elle l'apprend.
— Très bien, j'ai compris, je vais annuler la chorale que j'ai prévue pour toi, comme ça elle n'en saura rien.
— Quoi ?!
Will éclate de rire, manque de tomber en arrière.
— Je plaisante, Abby. Je n'avais pas prévu de chorale et je suis sûr qu'Ivy ne t'en voudra pas. Tu auras une journée tranquille, peut-être une lettre de papa et Kat. Je ne vais pas te mentir, ajoute-t-il sur le ton de la confidence en se penchant aussi légèrement qu'inutilement vers elle, ils me manquent beaucoup.
— A moi aussi, soupire Abigail. Merci de m'avoir apporté une part de gâteau, au fait.
— Oh, ça ne fait rien.
— Je n'aurais pas dû t'ignorer. Si, c'est vrai, ajoute-t-elle lorsqu'il balaye sa remarque d'un geste de main. C'est juste que j'avais peur.
— Et maintenant ? demande Will très doucement.
Elle n'en sait trop rien. Les bruits autour d'eux et l'idée même de retourner au château et de continuer l'année ne lui semblent plus aussi insupportables qu'ils lui étaient un peu plus tôt. Comme à chaque fois qu'ils se croisent, elle s'étonne de ce talent que Will a d'alléger les cœurs d'un simple sourire.
— C'est un peu mieux, admet-elle et elle voudrait que le sourire que Will lui adresse ne quitte jamais son visage. Mais tu sais, je ne sais pas quoi faire de ma magie. Elle cogne, elle veut sortir, elle me fait mal. Le Choixpeau m'a dit à la rentrée que je cherche à contrôler l'incontrôlable, et je commence à penser qu'il avait peut-être raison.
Elle désigne ses mains avec colère. Elle s'en est rendu compte ce matin-là – ce n'est plus que de la peur et de la colère qui rongent son ventre. Elle s'en veut de la montrer à Will alors qu'il n'a pas à la subir, mais elle se rend aussi compte qu'elle n'en peut plus.
— Charlie et Stephen m'ont dit que c'est Godric Gryffondor qui a ensorcelé le Choixpeau, répond Will prudemment. Peut-être qu'il n'a plus tout à fait toute sa tête. Ça fait quand même mille ans et des brouettes qu'il voit passer des centaines d'élèves.
Il ne peut s'empêcher de sourire avec amusement quand elle fronce des sourcils perplexes.
— Tu crois ?
— Pas vraiment, admet-il en haussant les épaules avant de rire. Par contre, ce que je pense savoir, c'est que connaître son avenir, c'est pas toujours bien.
— D'où tu tiens ça ? Du professeur McGonagall ?
Will s'étouffe de rire et secoue la tête, un demi-sourire espiègle sur les lèvres.
— De Picsou et les Rapetous. L'histoire de la tortue.
La réponse la surprend tellement qu'elle ne sait pas comment réagir. Will ne semble pas très fier de ses références, mais rit tout de même :
— Tu sais, quand ils baissent les bras et attendant la police parce que la tortue qui prédit l'avenir leur dit qu'ils n'ont aucune chance de réussir leur braquage*.
— Je m'en souviens, sourit Abigail avec un souvenir ému pour leur collection de BDs. Merci, Will. Je m'en souviendrai.
— Merci à toi aussi. Ça fait du bien de ne plus penser aux devoirs, et de penser à la maison.
— Il t'a dit quoi, toi ? Le Choixpeau ? s'enquiert Abigail avec une curiosité qui fait sourire son frère.
— Hum, les bêtises habituelles, j'imagine ? Il n'a pas hésité longtemps, il a parlé de courage et d'altruisme, mais j'ai pas trouvé la définition quand je suis allé chercher dans un dictionnaire donc je ne sais pas trop quoi en penser. Ça te dit de faire des ricochets ? J'ai pas très envie de rentrer tout de suite.
Elle acquiesce de la tête et il se lève, ravi. Elle aussi se sent rassénérée. Elle laisse Will choisir les meilleures pierres pour elle – elle n'a pas tellement envie de jouer mais peu importe, tant que ce moment de répit dure le plus longtemps possible.
Le lendemain, lorsque le professeur Dumbledore quitte le château en fin de matinée, le ciel a revêtu un habit grisâtre et terne. Nullement gêné, il salut élèves et professeurs sur son chemin. C'est la démarche guillerette qu'il passe le pont séparant Poudlard et Pré-au-Lard.
Dumbledore n'a pas menti : un chapeau melon orne sa tête à la place de ses habituels chapeaux pointus et une écharpe rose vif ceint son cou, cachant à demi son large sourire. En s'arrêtant devant la porte de l'auberge, salie par le temps, le vent et la pluie, il ne peut s'empêcher de sourire plus largement encore.
Après avoir salué, en levant son chapeau, un sorcier qui passait par là – celui-ci, stupéfait de reconnaître Albus Dumbledore dans cet accoutrement, le fixe tellement longtemps qu'il se mange un lampadaire en pleine tête avant de reprendre sa route –, Dumbledore pousse la porte et retire complètement son couvre-chef avec un sourire tranquille.
L'intérieur de la Tête du Sanglier n'a pas changé depuis sa dernière visite. Son frère, derrière le comptoir, lui indique seulement d'un signe du menton l'escalier sombre menant à l'étage, non sans détailler sa tenue de la tête aux pieds. Albus remarque qu'il secoue légèrement la tête, désapprouvant sans aucun doute le côté extravagant de ses accessoires. Il le remercie d'un signe de tête et s'aventure dans le couloir sombre. Chacun de ses pas résonne d'une victoire largement méritée.
Une porte entrouverte, un peu plus loin sur le palier, lui indique la pièce où se trouve la demoiselle qu'il s'apprête à rejoindre, et c'est le cœur léger qu'il s'y dirige.
A peine a-t-il attrapé la poignée et poussé légèrement le battant pour entrer dans la pièce qu'une boule de feu, sortie de nulle part, est projetée sur lui tel un boulet de canon. Une seconde plus tard, Dumbledore baisse sa baguette alors que la boule incandescente s'est transformée en bel oiseau rouge et or. Celui-ci s'enfuit aussitôt jusqu'au rez-de-chaussée en piaillant.
Sans se départir de son sourire tranquille, Dumbledore ferme la porte derrière lui et se tourne vers le fauteuil qui trône au milieu de la pièce. Une femme à la tenue plus extravagante encore que la sienne y est avachie. Son visage porte à peine les traces de l'âge sous sa chevelure auburn sauvagement décoiffée. Ses yeux ambrés brillent d'une malice presque enfantine et ses lèvres entre lesquelles pendouille une cigarette sont tordues en un sourire narquois. Ses pieds sont nonchalamment croisés et posés sur le bureau rongé par les mites, et sur ses genoux paresse un chat noir.
— Albus, quelle surprise, commente-t-elle d'une voix rauque, ses lèvres s'élargissant un peu plus.
oOo
Il est midi passé quand Abigail se lève. Elle se lave en vitesse, prend soin d'enfiler son pull préféré – autant s'habiller le plus confortablement possible pour attaquer cette journée, encore plus si elle doit survivre à un anniversaire de plus, décide-t-elle –, et s'apprête à sortir du dortoir lorsque ses yeux se posent sur un petit morceau de parchemin collé à la porte :
Abby, nous sommes sorties nous promener x
L'écriture d'Adélaïde est incertaine, comme si elle avait écrit à la va-vite. Abigail attrape le petit mot et le glisse dans la poche arrière de son pantalon avant d'enclencher la poignée du coude. Hors de question d'utiliser ses mains aujourd'hui si elle n'en a pas besoin.
Une mer de nuages gris l'accueille lorsqu'elle arrive à la Grande Salle après un parcours du combattant – les couloirs étant anormalement animés ce jour-là –, quand bien même son regard ne s'attarde pas sur le plafond – Ivy et Bony sont attablés à la table des Poufsouffle, occupés à se servir. En tirant sur ses manches pour cacher ses mains, Abigail s'en approche et s'installe près d'Ivy. La fillette lui adresse un sourire éclatant et se décale pour lui laisser davantage de place.
Malgré le ciel chargé au-dessus d'eux, ils déjeunent avec insouciance, contents de se passer les plats – Abigail chipe la dernière part de tarte aux tomates, Bony engloutit à lui tout seul la quasi-totalité du hachis parmentier, et Ivy se bagarre les pâtes aux champignons avec Clide Chambers, un Poufsouffle de leur année. Après une bataille acharnée, Ivy attrape finalement le bol et Clide repart avec les haricots verts, non sans lui lancer un regard boudeur.
Ivy et Bony discutent de tout et de rien – mais surtout de Quidditch – et Abigail sert de traductrice lorsque Bony ne comprend pas le ballet de ses mains. Ils ne font aucun sous-entendu sur son anniversaire, et, au moment où les plats salés quittent les tables, Abigail se permet de souffler de soulagement à l'idée qu'ils ne soupçonneront rien et oublieront cette journée comme si elle n'en avait été qu'une parmi tant d'autres.
Sa désillusion n'en est que plus grande lorsque trois énormes gâteaux et deux immenses tartes apparaissent devant eux, au lieu des habituelles mousses et autres fruits. Pire – les autres tables ne semblent pas avoir été invitées à ce festin et les élèves lèvent des yeux envieux vers eux. Abigail se tourne vers la table des Gryffondor où sont attablés Will, Charlie et Stephen, visiblement plongés dans un débat houleux, mais son frère lui tourne le dos et l'envie de lui jeter un coup d'œil discret ne semble pas le chatouiller. Aussi perplexe que méfiante, Abigail vérifie que les gâteaux ne portent aucune trace de bougies ou de messages du type 'joyeux anniversaire, nos vœux les plus sincères !' comme s'amuse toujours à faire son père.
En lançant un regard perdu à ses amis, elle se rend compte que, si Bony regarde les pâtisseries bouche bée, le visage d'Ivy brille d'un sourire malin, un sourire qu'Abigail déjà vu sur le visage de Katie lorsqu'elle se sait coupable d'une bêtise trop bégnine pour être réprimandable.
La fillette pouffe dans ses mains quand Abigail lui adresse un regard éberlué.
— Ma surprise ne te plait pas ?
— Comment- Je ne comprends pas. Comment-
— C'est Will qui me l'a dit. Ne fais pas cette tête-là, il me l'a dit il y a des mois, juste après les vacances de Noël. Il voulait vraiment te faire une super surprise mais hier soir il est venu me voir et il a dit qu'il préférait tout arrêter. Comme il en était hors de question, je suis allée voir les elfes à la cuisine et je leur ai demandé de préparer des gâteaux pour toi quand même.
Elle se lève, toujours souriante d'une oreille à l'autre, attrape une pelle à tarte apparue de nulle part, et désigne les gâteaux dans l'attente qu'Abigail lui montre lequel lui plairait le plus pour commencer son goûter d'anniversaire.
— Au fait, mon anniversaire c'est le 21 juin, ajoute-t-elle avec un clin d'œil.
Trop émue pour manger, et abasourdie de savoir que Will et Ivy sont suffisamment proches pour comploter ensemble derrière son dos, Abigail joue avec sa fourchette.
Elle garde son regard sur Ivy, Ivy si malicieuse, Ivy si lumineuse.
Si son frère est sa bouée, Ivy est sa lumière, son sourire est son phare.
L'appréhension de la journée s'envole dans les nuages gris du plafond. Cette émotion-là n'a pas sa place ici, là où tout est si brillant que la fillette se sent plus légère qu'un flocon de neige, là où elle se sent si bien, entourée du halo de joie d'Ivy, là où elle sent qu'elle peut sourire.
Après une première bouchée de gâteau à la crème de framboises, elle se lève subitement, coupe une part de tarte aux pommes, une de gâteau marbré et une de fondant à la poire, dépose les trois gâteaux dans une grande assiette et, après avoir rassuré Ivy et Bony – elle reviendra aussitôt qu'elle aura porté tout ça à la table des Gryffondor –, elle s'éloigne à petits pas, en essayant d'ignorer les regards des autres élèves.
C'est Charlie qui l'aperçoit en premier. Les mots fanent sur ses lèvres et c'est bouche bée qu'il avise les gâteaux, laissant de côté toute hésitation de la voir s'approcher de lui après une semaine d'évitement. Alerté, Will se retourne, et lui aussi ouvre de grands yeux à la fois étonnés et presque inquiets.
— Ce n'est pas moi, je t'ai promis-, commence-t-il.
— Je sais, Ivy m'a dit.
Elle dépose les assiettes sur la table et hausse lentement les épaules.
— Je me suis dit que vous pouviez partager aussi. Après tout c'est mon anniversaire.
— C'est vrai, approuve doucement Will. Bon anniversaire, Abby, ajoute-t-il, aussitôt suivis par Charlie et Stephen. Merci.
— Non, merci à toi, chuchote-t-elle.
— Tiens, j'ai reçu ça ce matin. Eh, bats les pattes, je prends la tarte aux pommes !
Alors que Charlie lève les mains en signe d'excuses et que Stephen en profite pour chiper le gâteau à la poire, Will sort de sa poche un petit paquet auquel est accroché une petite carte. Abigail sent son cœur gonfler jusqu'à obstruer sa gorge en reconnaissant l'écriture de Katie sur l'enveloppe.
— Je sais déjà ce que c'est, va donc, lui intime Will en repoussant la fourchette sournoise que Charlie essaye de passer au-dessus de sa part de tarte. Ah, et Abby, tu as de la crème sur la joue.
Trop heureuse de serrer le petit paquet contre sa poitrine, Abigail repart vers la table des Poufsouffle – non sans essuyer sa joue – et est accueillie par le regard curieux d'Ivy et de Bony. Ils en sont déjà à leur deuxième part de tarte aux noix, et ne se privent pas d'une troisième, alors qu'Abigail lit la petite carte venue tout droit de Stamford.
Bon anniversaire à notre Abbynette préférée. Katie me rabâche depuis un mois qu'il nous faut trouver le meilleur cadeau possible, et je peux te dire que je me suis fait enguirlander plus d'une fois car mes goûts ne s'améliorent pas avec le temps, comme elle dit. Je t'embrasse ma chérie. Tu nous manques (et Will aussi). Papa. ABBY ! Bon anniversaire. Papa raconte n'importe quoi, et puis il est bien content que je l'aide à chercher des cadeaux ! Ne l'écoute pas et bon anniversaire ! Kat
— Qu'est-ce qu'il y a d'écrit ? demande Ivy, les yeux plein de curiosité.
— Des banalités, murmure Abigail sans parvenir à détourner les yeux de l'encre sur le papier.
Mais des banalités qui font du bien. Elle sait déjà où elle gardera ces mots pour les relire dès que l'envie ou le besoin se fera ressentir. Tout en veillant à ce que ce petit bonheur tracé ne soit taché ni de crème ni de sucre, elle le pose sur le côté, accepte même qu'Ivy le lise, et ouvre le petit paquet. Elle reconnait le papier cadeau – une « horreur » comme l'appelle Katie, d'un vert délavé sur lequel sont dessinées des branches de houx, le même que celui qu'ils utilisent pour tous les autres anniversaires ou Noël, mais leur père leur a répété toute leur enfance qu'à quoi bon acheter un papier cadeau hors de prix si c'est pour le déchirer aussitôt. Alors ils gardent le même papier cadeau, et c'est très bien ainsi.
Dans la boîte repose une petite montre étonnante, aux contours brillant d'étoiles mouvantes – une montre sorcière. Abigail en tombe instantanément amoureuse. Elle ne dit rien quand Bony et Ivy se penchent, mais son silence n'est motivé que par la fascination, celle qui fait perdre les mots tant ils ne rendent pas justice à la beauté des émotions que l'on ressent – car si elle le pouvait, elle montrerait cette montre à tous les élèves du château, même à ses professeurs – à l'exception du professeur Rogue et peut-être de Madame Pince, qui trouverait qu'elle est certainement trop bruyante pour sa précieuse librairie.
Abigail laisse ses doigts effleurer l'objet, tout éblouie – elle n'a jamais vu de montre aussi belle. Les particules de poussière dorée qui se faufilent entre les aiguilles s'enfuient à son contact et se replacent malicieusement quand elle retire sa main, dansant entre des mécanismes sorciers qu'elle n'avait encore jamais vus. Les huit planètes tournent au gré des secondes autour d'un point lumineux d'où sortent les aiguilles. Un peu de glace s'y accroche mais, loin de gêner le mécanisme, elle le suit et joue avec.
Sa cousine Ellanaëlle passe derrière elle pour lui souhaiter un bon anniversaire et salue Ivy avec un doux sourire, mais Abigail ne se rend compte de rien, préfère imaginer son père et Katie se disputer comme ils ont l'habitude en choisissant cette merveille, et préfère oublier qu'elle a dû coûter un bras. Peut-être même que Katie avait sauté de joie en apprenant qu'ils ne mangeraient que des pâtes au beurre pendant quelques semaines.
oOo
L'oiseau de feu déclenche un cataclysme en bas. Ils entendent des cris de stupeur, puis de colère, des verres brisés. Quand enfin tout est calme, Dumbledore se tourne vers la sorcière avec un immense sourire.
— Ma chère, très chère Louisa, fredonne-t-il d'une voix émue. J'aimerais autant éviter toute immolation pendant notre entrevue, si tu es d'accord.
La sorcière ne répond rien, plisse les yeux et allume sa cigarette sans bouger d'un pouce. Ses yeux suivent Dumbledore – il passe un long doigt sur le dos d'un fauteuil noir de poussière et décide tout de même de s'y installer, se délestant de son écharpe et de son chapeau qu'il pose sur le bureau.
— Je te remercie tout de même de ton accueil des plus chaleureux, plaisante-t-il gaiement. Ça me fait chaud au cœur.
Il s'assied à peine que le voilà de nouveau debout à chasser la fumée qui s'échappe du fond de son fauteuil d'un geste de la main. La sorcière, de son côté, ne cille toujours pas, sauf pour recracher la fumée de sa cigarette sans un bruit.
— Je tiens également à mon séant, ajoute Dumbledore en adressant à la sorcière un regard particulièrement amusé.
— Au moins quelque chose qui n'aura pas changé chez toi, remarque-t-elle en haussant un sourcil.
— Sans vouloir te contredire, Louisa, il me semble que la plus grande majorité des êtres humains apprécient que leur postérieur ne prenne pas feu lorsqu'ils tentent de s'assoir.
Elle lui adresse un haussement d'épaules désintéressé et tire de nouveau sur sa cigarette avant que le professeur Dumbledore ne s'assoit de nouveau sur son fauteuil désormais noir de cendres.
Louisa l'observe longuement, et lui ne semble pas ressentir le besoin de relancer la conversation. Seul les craquements du bois et les ronronnements paisibles du chat toujours lové sur les genoux de sa maîtresse, la tête en l'air pour accueillir ses gratouilles au niveau du cou et les yeux paresseusement fermés, emplissent la pièce.
Finalement, après une éternité à darder ses yeux sur lui, Louisa s'enquiert :
— Alors Albus, quoi de neuf depuis la dernière fois ?
— Oh, rien de bien passionnant, j'en ai peur. Voldemort a été défait il y a peu par le petit Harry Potter.
— J'ai cru comprendre, commente Louisa sans se départir de son sourire.
— Oui, évidemment. J'imagine que ce n'est pas parce que tu prétends être décédée que tu ne lis pas les journaux. Quoi d'autre… J'ai la chance d'avoir obtenu une nouvelle cicatrice, au-dessus du genou gauche.
— Ah, intéressant. Elle représente quoi, cette fois ? Le Pays de Galle ?
— Pas tout à fait, mais tu y es presque. Il s'agit du plan du métro Londonien**.
Un sourire appréciateur étire les lèvres de Louisa, elle hoche la tête avec un respect aussi amusé que dubitatif. De son côté, Dumbledore continue de sourire, les yeux brillants de gaieté.
— Pratique.
— Et toi-même ? J'imagine que te cacher aux tréfonds de la Terre ne t'a pas empêché de vivre une existence palpitante.
— Trois fois rien. Une brûlure sur la côte droite, les horaires des Portoloins jusqu'à l'Espagne depuis Stockholm.
— Oh, impressionnant, très impressionnant. Mais je ne peux m'empêcher de penser que tu n'as pas accepté de me voir aujourd'hui pour la seule raison de rattraper le temps perdu, ni par simple curiosité.
Louisa prend le temps de souffler sa fumée, un sourire tordu sur les lèvres. Elle hoche la tête et une méchante lueur éclaire ses yeux d'ambre, alors que celle dans le regard de Dumbledore s'est faite plus sérieuse.
— Il y a beaucoup de choses que tu n'as jamais pu t'empêcher de penser ou de faire, remarque-t-elle seulement.
— Je sais qu'accepter cette entrevue t'a coûté et te coûte encore-
— Tu ne sais rien du tout, Albus.
Le ton est froid, cassant. Le sourire sur les lèvres de la sorcière a disparu. Dumbledore garde le sien. Ses longs doigts se rejoignent et il s'assied plus confortablement dans son fauteuil, en attendant que la tempête se calme. Le chat sur les genoux ouvre de grands yeux bleu clair et un miaulement de reproche sort de sa gueule entrouverte lorsque les doigts de la sorcière passent sur son dos.
D'un geste agile, il se redresse et quitte son petit nid douillet pour tomber sur le parquet sans un bruit. Après s'être longuement étiré et ébroué, il s'assied et se contorsionne pour lécher son dos avec ardeur. Une fois satisfait, il s'allonge de tout son long sur le parquet, sa queue battant l'air par intermittence.
— Ce que je sais, Louisa, c'est que si je ne suis pas encore carbonisé dans un coin, c'est que je n'ai pas assouvi toute ta curiosité.
Elle ne répond pas, hausse simplement les épaules d'un air désintéressé, allume une deuxième cigarette du bout des doigts, rejette sa tête en arrière et fixe le plafond, perdue dans ses pensées. Le chat, à ses pieds, s'est redressé et garde ses grands yeux clairs sur la robe de Dumbledore, qu'il s'amuse à faire bouger de son pied – le félin se fige, ses pupilles dilatées, et saute sur le tissu pour l'attraper entre ses quatre pattes et repartir plus loin, la queue à demi hérissée par le jeu.
— En voilà un drôle de compagnon, commente Dumbledore avec un sourire attendri. Je ne me souvenais plus que tu appréciais tant les animaux.
— Je les trouve moins horripilants que les êtres humains, si tu veux tout savoir.
— J'ai moi-même un phénix des plus attachant, mais je me permets de demander, ma chère Louisa : puis-je ramener la discussion vers le sujet qui m'amène en dehors de mon école aujourd'hui ?
— Tu peux essayer.
— Très bien, c'est plus qu'il ne m'en faut, chantonne-t-il alors gaiement.
— Sauf si tu tiens à tes sourcils et à cette barbe que tu sembles entretenir avec beaucoup de rigueur.
Dumbledore sourit tranquillement et hoche la tête, non sans passer une main dans ladite barbe en riant doucement. Le chat mordille ses bottes, à présent, mais son regard pétillant reste planté sur son interlocutrice.
— Tu n'oserais pas.
— C'est bien mal me connaître. Quant à pourquoi tu es ici et pourquoi je m'inflige une sortie de ma retraite bien méritée pour venir partager un whisky Pur-Feu que tu ne m'as même pas encore proposé, je le sais, Albus, et permets-moi de te dire que ce n'est pas grâce à tes lettres larmoyantes.
— Mes lettres adressées à une vieille amie et pleines de bons sentiments, rectifie Dumbledore, et son sourire s'élargit alors que Louisa roule des yeux agacés. Certainement pas larmoyantes.
— « J'ai besoin de toi d'urgence à Poudlard, toi seule peut m'aider », singe Louisa. Pitié, Albussette, j'ai cru mourir d'ennui en les lisant.
— Tu excuseras l'ambiguïté de mes messages, je ne voulais pas t'en dire plus au cas où elles auraient été malencontreusement perdues ou interceptées.
Elle hausse les épaules à nouveau, joue avec sa cigarette. Sa main libre tapote le bras de son fauteuil, d'un geste que Dumbledore connait suffisamment pour le savoir nerveux. Alors que le chat se désintéresse de lui et va chasser une araignée jusque sur le mur, Albus se penche lentement.
— Tu as raison, je ne sais pas grand-chose de toi depuis que j'ai cru t'avoir perdue. Je ne saurais même plus dire quand c'était, il y a quoi, cinquante ou soixante ans ? Si je sais quelque chose, Louisa, c'est que tu n'es pas du genre à te déplacer quelque part si tu n'as pas le sentiment qu'il te faut absolument accomplir quelque chose. Je sais qu'un événement t'a poussée à venir jusqu'ici, mais lequel, je l'ignore. Tu dis savoir ce que tu fais là, j'en conviens donc que tu sais qu'en ce moment-même, une élève de Poudlard arpente les couloirs et essaye de vivre sa vie d'adolescente avec une magie suffisamment similaire à la tienne pour que tu puisses comprendre la peur et la détresse dans laquelle elle se trouve.
Seuls les bruits de lutte du chat plus loin dans la pièce répondent aux derniers mots de Dumbledore. Louisa a cessé de tapoter sur le fauteuil ou de jouer avec sa cigarette. Sa poitrine se soulève plusieurs fois en soupirs à peine dissimulés.
Puis, sans un mot, elle se redresse et s'assied correctement, débarrasse le bureau de ses pieds et se penche vers Albus. Ses yeux d'ambre le transpercent avant qu'elle ne marmonne :
— C'est une histoire qui mérite la bouteille de Whisky Pur-Feu que tu m'as promise, Albus.
oOo
— Ta maman n'a pas écrit sur ta carte d'anniversaire.
La remarque est un constat pur et simple, si bien qu'Abigail ne comprend pas immédiatement qu'elle cache une question.
Les fillettes se sont installées sous un saule-pleureur, près du lac. La météo en ayant dissuadé plus d'un, la bibliothèque ou les salles communes sont prises d'assaut et les deux amies ont préféré braver le vent plutôt que de rester enfermées dans le château. Elles y sont restées un long moment, à apprécier le silence et à lire les derniers ouvrages sur Merlin pour l'une et les sortilèges informulés pour l'autre, mais Ivy a décidé que c'en était assez, et que sa question, ruminée depuis trop longtemps, ne peut plus rester sans réponse.
Ivy la fixe, d'un regard qui attend une réponse qu'elle ne comprendra pas, et sait elle-même qu'elle ne pourra pas comprendre, tant la possibilité de grandir sans figure maternelle – aussi envahissante et pénible puisse-t-elle s'avérer – lui parait sinon improbable, impossible.
— Non, acquiesce Abigail, la gorge serrée.
— Comment ça se fait ?
Abigail hésite. Elle ne voit aucune curiosité déplacée dans le regard d'Ivy, juste de l'incompréhension, celle qu'elle-même ressent pour tant d'autres choses, alors elle ne lui en veut pas. Penser à sa mère – et par extension à l'état dans lequel le sujet met sa famille proche –, à sa potentielle implication dans la terreur que la magie lui avait inspirée lui fait toujours mal, mais les mots viennent plus facilement qu'elle ne l'aurait pensé. Tout est plus facile, avec Ivy.
— Je n'ai pas de maman, elle est partie quand Katie est née. Papa dit qu'elle n'a pas supporté l'idée que la magie existe et qu'elle est partie à cause de ça.
La réponse se fait attendre, si tant est qu'Abigail attend une réponse. Elle se doute qu'Ivy connaissait la raison pour laquelle seuls son père et sa sœur lui ont écrit pour son anniversaire, mais entendre sa théorie validée la déboussole suffisamment pour qu'elle prenne conscience de tout ce que manquer de mère implique, du moins pour elle.
— Je suis désolée, signe-t-elle finalement. Je ne savais pas que ça pouvait arriver que ça soit trop dur à accepter pour certaines personnes.
Abigail préfère le silence à tous les mots teintés de regrets que les souvenirs font remonter. Elle préfère laisser le bruit du vent balayer certains aveux que la culpabilité refuse d'exprimer. Elle aimerait oublier tous les souvenirs de sa tante lui susurrant avec tout son venin que si elle n'avait pas gelé son chien jusqu'aux os, si son père avait accepté qu'elle se fasse soigner plus tôt, tout aurait été différent. Tout est peut-être plus facile avec Ivy, mais ça, cette douleur, ça n'appartient encore qu'à elle.
— Ce n'est pas grave. Je ne me souviens pas d'elle, de toute façon.
Loin de rassurer Ivy, l'idée de n'avoir aucun souvenir de sa mère semble l'épouvanter un peu plus. Abigail ignore si elle se rejoue son enfance sans sa propre maman, de laquelle elle parle toujours avec tendresse – parfois tachée d'amertume lorsque les souvenirs de ses hospitalisations prennent le dessus.
— Merci pour la surprise, ce midi, préfère-t-elle ensuite dire, soulagée que la conversation dévie un peu, et Ivy quitte son expression hagarde pour sourire. D'habitude, je n'aime pas trop mon anniversaire, mais c'était bien.
— Oh, comment ça se fait ?
— Je ne sais pas. Je n'aime pas trop être au centre de l'attent-.
Elle s'arrête net, coupée dans son élan par une angoisse si soudaine et si sourde que son estomac se tort. Sa magie s'affole dans sa poitrine, lui coupe le souffle. Si elle en déduit aussitôt qu'elles sont en danger, l'avertissement n'est pas suffisamment clair pour qu'elle comprenne d'où il frappera.
— Ça va ? s'alarme Ivy en se levant de la roche sur laquelle elle s'était assise.
Abigail veut répondre que non, que quelque chose cloche, quand elle aperçoit une nuée d'oiseaux quitter précipitamment la forêt dans un ballet d'ailes noires désordonnées.
Ivy sursaute en entendant leurs croassements mécontents, se retourne et pâlit d'un seul coup.
— On devrait rentrer, chuchote Abigail en serrant la mâchoire et les poings, pour éviter à sa magie de s'échapper.
Ivy approuve d'un signe de tête. La marée d'oiseaux se calme presque aussi rapidement qu'elle a déchiré le ciel, redonnant au paysage sa torpeur initiale — mais un frisson qui n'a rien à voir avec l'air frais parcourt le dos d'Abigail. Le silence est brutalement tombé autour d'elles, immobilisant les alentours — même le vent ne souffle plus dans les feuilles.
— Viens. Vite, la presse Ivy. On ne sait jamais ce qu'il y a dans la forêt interdite, ajoute-t-elle en quittant leur petit abri si vite qu'Abigail ne comprend pas la fin de sa phrase.
La peur au ventre, elle lui emboîte le pas, quand un grand cri horriblement inhumain déchire le ciel — si Ivy se met presque à courir, Abigail se retourne brusquement pour apercevoir d'autres oiseaux, beaucoup plus grands, sortir de la forêt… avant de comprendre qu'il s'agit en fait de grandes bêtes noires et ailées.
La main d'Ivy se referme avec fermeté sur le bras d'Abigail et la tire vers l'avant. Trop effrayée pour la réprimander, elle se contente d'accélérer le pas. C'est à ce moment-là que les créatures sortent de l'ombre — au nombre de trois, de grandes tailles, elles arborent deux immenses ailes d'un marron sale. D'un coup, elles se mettent à crier puis s'envolent, glissant près du sol à une vitesse déconcertante.
Prises par l'énergie du désespoir, les deux fillettes accélèrent le pas. Comble de leur malheur, la pente vers le lac, si facile à descendre, les ralentit dans leur montée. La respiration d'Ivy, déjà entrecoupée par la terreur, se fait plus rauque. Elle trébuche sur ses propres pieds, son visage devient rapidement rouge d'effort, alors qu'elles courent aussi vite que leurs petites jambes leur permettent.
Abigail jette un coup d'œil aux créatures derrière elles – celles-ci se rapprochent trop vite et ne tarderaient pas à les rattraper. Elle peut déjà apercevoir leurs mains aux doigts pointus et griffus.
Soudain, elle aperçoit les créatures bifurquer sur la droite, et s'éloigner hors de leur portée. Ivy semble le remarquer également, mais préfère ne pas ralentir sa course, une main sur sa gorge. Elle fait signe à Abigail qu'elles doivent continuer, et continue de trottiner aussi vite que possible.
Elles atteignent enfin le château, à bout de souffle, ne s'arrêtent pas pour autant. La panique rend leurs pensées confuses, mais elles savent qu'elles doivent trouver un professeur le plus vite possible. La sensation de sécurité les fait ralentir lorsqu'elles longent les serres de botanique. Au silence qui s'en échappe, elles comprennent que le professeur Chourave n'y est pas.
Un rire clair provenant d'une petite alcôve les arrête net. Le soulagement tombe dans l'estomac d'Abigail comme une pierre.
— Naëlle ! s'écrie-t-elle, la voix rauque de chercher son souffle.
Le rire s'étrangle aussitôt, et, de derrière un pan de mur, le visage d'Ellanaëlle apparait. Ses yeux écarquillés d'horreur sur son visage pâli par la surprise effraie Abigail – elle se retourne, prête à voir une créature derrière elle, mais seule Ivy la suit.
— Mais qu'est-ce que vous faites là ? les sermonne Ellanaëlle en apparaissant tout à fait, cette fois. C'est bon, c'est ma cousine, ajoute-t-elle à une personne que les fillettes ne peuvent pas voir.
Elles remarquent bien ses joues rosies et qu'elle lisse son chemisier, tout comme elles peuvent cette fois voir une jeune fille à l'écharpe bleue et bronze sortir de sa cachette, mais le choc de leur course les rend muettes.
— Viens, Naëlle, on se casse, lui intime la deuxième fille, le visage fermé, sans les regarder.
— Qu'est-ce qui vous arrive ? Qu'est-ce qu'il se passe, par Merlin ? s'agace Ellanaëlle en avisant leur air catastrophé. Vous-
Mais ses mots se perdent dans sa gorge alors que ses yeux s'écarquillent de terreur.
oOo
Louisa passe son doigt sur son verre de Whisky Pur-Feu, son poing libre enfoncé dans sa joue. Albus a préféré commander un sirop au citron, dans lequel il n'a pas résisté à faire apparaître un petit parasol aux couleurs de l'été. Le vent frappe doucement les vitres. Le chat, fatigué de courir après les trop nombreuses araignées et les quelques cafards ayant élu domicile dans la chambre, s'est lové sur les genoux de Louisa, la tête entre les pattes et le menton vers le plafond. Ses ronronnements résonnent dans la pièce.
— J'ai fait la paix avec ma magie il y a des années, Albus.
— Je sais.
— J'aurais préféré que ton besoin urgent soit pour autre chose, comme ça j'aurais pu choisir de l'ignorer tout à fait.
— Je sais.
Elle se plonge de nouveau dans le silence, et cette fois caresse distraitement la fourrure de son chat qui ronronne de plus belle. Albus sirote sa boisson avec un sourire heureux, joue avec le parasol. Louisa lui refuse tout contact visuel, le regard perdu sur les fenêtres sales.
— Comment elle s'appelle, la gamine ?
— Abigail.
La sorcière le répète dans un souffle, plisse les yeux, et reprend une gorgée d'alcool. Son froncement soudain de sourcils assombrit son visage.
— Elle m'a appelée.
Dumbledore ne rebondit pas aussitôt, si bien qu'elle reporte son attention sur lui et lui adresse un regard incertain. En le voyant occupé à observer le chat sur ses genoux, elle se permet une grimace de dédain.
— Albusette, tu m'écoutes ?
— Bien sûr, ma Loulou. Tu disais que Miss Swann t'a appelée. Puis-je te demander comment ?
— Non. Parle-moi d'elle. Swann tu dis ? Ce nom ne me dit rien.
— Son dernier ancêtre sorcier remonte à des siècles, sous un nom différent. Nos arrière-grands-parents n'étaient pas encore nés.
— Une née-moldue ? Intéressant.
— Sa tante a fait ses études à Poudlard il y a une vingtaine d'années, rectifie Dumbledore en souriant doucement. La famille était familière avec la magie.
— Quel âge a-t-elle ?
— Si ma mémoire ne me joue pas de tours, elle fête ses douze ans aujourd'hui.
Une lueur complice s'allume dans son regard alors qu'il glousse doucement :
— Je mets un point d'honneur à connaître l'anniversaire de chacun de mes élèves, vois-tu.
— Je vois, ment Louisa sans donner l'impression de l'écouter vraiment. Quel est son élément ?
— Sa magie se manifeste sous forme de glace.
Un pli se forme sur le front de Louisa, alors qu'elle plisse les yeux, puis pose son index sur son menton pour réfléchir.
— Son élément est donc l'eau, car tu n'auras pas oublié, Albus, que la glace se forme à partir d'eau, assène-t-elle avec un méchant sourire cynique. Est-ce qu'elle se manifeste en eau liquide, parfois ?
— Pas à ma connaissance. Je me suis fait la même réflexion. C'est étrange, n'est-ce pas ? Son élément devrait être l'eau mais il ne s'est jamais manifesté comme tel. La princesse Romanova n'a jamais évoqué cette possibilité ?
Le nom, prononcé avec douceur, arrache un frisson pourtant vite contrôlé à Louisa. Son visage crispé contraste avec la tristesse qui fait briller ses yeux, lorsque sa voix basse réplique sèchement :
— Ne parle pas d'Olga avec tant de désinvolture, Albus. Non, jamais. Je n'ai pas de réponse à ce mystère-là. Ce n'est qu'un mystère parmi tant d'autres, de toute manière.
— J'en déduis que tu acceptes de la rencontrer ?
— Depuis quand sais-tu que c'est une élémentaliste ? Tu dis que la tante est une sorcière, j'imagine qu'elle a dû te prévenir assez tôt, ou au moins que les parents de la gamine l'ont fait assez tôt ?
Dumbledore secoue la tête. Le chat sur les genoux de Louisa bouge pour trouver une position plus confortable et ronronne.
— Malheureusement, je ne l'ai appris qu'il y a un peu plus de dix-huit mois. Lorsque le professeur Brûlopot a rencontré le frère aîné de Miss Swann pour lui expliquer son entrée à l'école, leur père l'a alerté sur des événements qu'il jugeait étonnants, même provenant d'une petite sorcière. Le professeur Brûlopot m'a tout de suite informé et tu imagines bien que j'ai reconnu là les premiers signes d'une jeune élémentaliste. Je suis allé vérifier par moi-même, bien entendu, et ma théorie s'est avérée. Quant à sa tante, je ne connais pas les détails les plus croustillants de la vie familiale des Swann, mais il semblerait que les relations ne soient pas toutes au beau fixe. Ou du moins, elle ne m'a jamais envoyé de hibou pour me prévenir avant que le professeur Brûlopot ne soit alerté.
— Qu'avez-vous fait pour l'aider à survivre tout ce temps sans une vraie personne compétente ?
— Parles-tu de toi ?
— Evidemment.
Un petit rire content secoue Dumbledore. Il prend le temps d'avaler quelques gorgées de sirop au citron, sous le regard mi-agacé de Louisa.
— C'est une drôle d'histoire. Savais-tu que ce cher Alistair est professeur à Poudlard ?
Un éclair de confusion passe dans le regard de Louisa. Les yeux plissés, elle répète ce nom dans son souffle, gratouillant le cou du chat un peu trop fort – le félin tente de lui mordiller les doigts mais elle lui tapote le museau et il cesse aussitôt en se léchant les babines. Soudain, elle se tait, ouvre de grands yeux étonnés avant que son visage ne se ferme en une expression méfiante, et elle pointe un index vers Dumbledore.
— Alistair ? O'Cuinn ? Il est pas mort, lui ? Tiens, j'aurais juré qu'il aurait réussi à se faire zigouiller bien plus tôt. Ne me dis pas que c'est lui que tu as choisi pour aider la gamine ?
— Je ne voyais pas bien qui d'autre que lui pourrait lui donner quelques premières pistes.
— C'est-à-dire que ce n'était pas le couteau le plus affûté du tiroir, hum ? Lui a-t-il parlé de moi ? Et toi, au fait ? Lui as-tu parlé de moi ?
La méfiance et la surprise ont laissé la place à une expression féroce, pleine de défi. Elle se redresse dans son fauteuil. Dumbledore lève lentement les mains en même temps qu'il hausse légèrement les épaules.
— Comment l'aurions-nous fait, ma Loulou ?
— Hum, mumure-t-elle en se frottant distraitement le menton, un sourire de pur triomphe sur les lèvres. Ça signifie que mon sortilège fonctionne encore. A force de vivre seule ou avec des chats, j'en oublie comme j'étais douée.
— En effet, ma Loulou, en effet… Malheureusement des affaires importantes ont empêché Alistair de lui apporter son aide ces derniers mois, et sa magie semble grandir plus vite que nous ne l'avions prévu. Il est donc fortuné que tu aies reçu cet appel, quel qu'il ait été, et que tu sois devant moi aujourd'hui.
— Je n'ai pas dit que j'allais la rencontrer, Albusette. Ne vends pas la peau de l'hippogriffe avant de l'avoir tué.
— Le fait que tu sois là aujourd'hui me prouve pourtant le contraire.
— Ce n'est pas tant le fait de la voir elle qui me dérange, Albus. Mais il va falloir parler organisation un petit peu. Déjà qu'il va falloir me coltiner ses parents inquiets et certainement un grand frère protecteur, Albus, ça me fatigue déjà.
— Oh, tu verras, son père est absolument charmant. Ses scones sont divins.
Louisa hausse un sourcil et soupire.
— Et je refuse de croiser des adolescents boutonneux dans les couloirs de Poudlard.
— Nous pourrons t'arranger une chambre ici, et tu pourras venir au château quand il te sera nécessaire de voir Miss Swann. Ce ne sont pas les salles vides qui manquent, là-bas, ajoute-t-il avec un clin d'œil.
— Oui, enfin je me souviens de la salle supposément vide pendant notre troisième année qui n'était finalement pas si vide que ça. Je ne comprends toujours pas d'où sont sortis ces crabes de feu.
— Oh ! Tu t'en souviens, chuchote Dumbledore, les yeux brillants d'émotion.
A la grimace de Louisa, le souvenir ne l'enchante pas, mais elle hoche tout de même la tête en haussant les épaules.
— C'est pas comme s'ils m'avaient pris pour la reine mère ou je ne sais quoi, grommelle-t-elle. Tu savais que j'en avais retrouvé un dans mon lit un soir après ce fiasco ?
— Je l'ignorais.
— Une horreur.
Elle soupire, secoue la tête pour chasser les images qui lui collent à la rétine, et se sert un autre verre de Whisky avant de marmonner :
— Je ne vais pas laisser cette gamine seule encore plus longtemps. Tu n'attends personne ce soir, Albus ?
— Oh, aurais-tu l'audace de m'inviter à dîner ? roucoule Dumbledore. Je crois que Madame Rosmerta a décidé de s'essayer aux hamburgers. J'aimerais beaucoup les tester.
— Non, imbécile, soupire Louisa en roulant des yeux exaspérés. Je vais aller me planquer dans ton bureau, tu vas aller la chercher, on va discuter toutes les deux et ensuite je reviendrai me planquer ici avant que tout ne m'agace de trop et que je fiche le feu à tes sourcils et tes rideaux.
— Faisons comme ça. Dis-moi, avant que je ne parte…
Louisa avale son verre et attrape une nouvelle cigarette de sa poche, tout en l'interrogeant du regard. Il sourit toujours, désigne la tenue de la sorcière.
— Pourras-tu me prêter le Tricot Magazine dans lequel tu as trouvé le patron de ton pull ? Je crois que Minerva a jeté toute ma collection au feu, dans un mauvais jour.
La requête arrache un soupir impatient à Louisa – elle hausse les épaules et chasse gentiment son chat pour se lever et se dégourdir un peu les jambes. Le chat, quant à lui, s'étire de tout son long et vient se frotter contre les pieds de Dumbledore en roucoulant.
— Si tu veux. Il doit trainer chez moi.
— Au fait, reçois-tu toujours ce magazine auquel nous étions abonnés au temps de notre scolarité ? Comment s'appelait-il, déjà ? Crochet Facile ? Je n'en ai pas reçu depuis des lustres.
— Albus, celui-là a fait faillite en 1912. Mets-toi un peu à la page, par Morgane.
— Oh, quel dommage.
Il se lève, époussette sa robe doucement. Louisa teste le matelas à demi défoncé déposé sur un sommier rongé par les termites, décide qu'elle y sera parfaitement installée et, après s'y être allongée pour fumer tranquillement et après avoir chassé un cafard, apostrophe Dumbledore prêt à quitter la pièce.
— Maintenant déguerpis. Même si quelque chose me dit que je devrais venir avec toi dès maintenant, je serai dans ton bureau après l'heure du dîner pour éviter tous les adolescents de Poudlard. Et tâche d'être habillé. Je ne veux plus jamais te revoir dans un pyjama de grand-mère.
— C'était il y a quatre-vingt-quatorze ans, Loulou.
— Et j'en frissonne encore.
oOo
Personne ne les avaient entendues surgir derrière elles.
Abigail n'a que le temps de comprendre que les créatures ont glissé dans son dos qu'une main aux longs doigts velus l'attrape brutalement par la nuque et un bras puissant enserre sa taille pour la soulever du sol.
Tout s'enchaine ensuite – presque trop vite.
Autour d'elle, tout devient flou. Il n'y a plus rien. Seule la douleur sourde des griffes dans sa chair lui rappelle qu'elle existe. La main serrée autour de son cou l'étouffe – la main, la surprise, les souvenirs que son corps n'a pas réussi à oublier et lui rappelle avec violence malgré tous ses efforts pour les enterrer au fond de son insconscience – tout ça à la fois.
Des cris retentissent – peut-être les siens. La peur est telle qu'elle ne saurait pas reconnaître sa propre voix. Peut-être Ellanaëlle, peut-être… Peut-être Ivy.
Son cœur déjà prêt à s'arracher de sa poitrine s'enflamme de colère – elle sent plus qu'elle ne commande à ses jambes de battre l'air avec force. Rien n'y fait. Le sol est trop loin de ses pieds pour qu'elle puisse le toucher. Sa magie cogne si fort contre ses côtes, ses bras, ses mains, que les larmes perlent aux coins de ses yeux. Le désespoir la pousse à agir : ses doigts s'agrippent à la main et au bras qui la tiennent prisonnière. Elle serre. Enfonce ses ongles. De toutes ses forces. De toute sa colère. De toute sa panique.
Un cri horrible de douleur retentit dans son oreille gauche. L'instant d'après, elle roule sur le sol, essaye de reprendre son souffle. Aveuglée par la terreur, elle se relève difficilement, sans comprendre que les craquements de l'herbe blanche sous ses mains et ses genoux ne sont pas dus à ses os brisés mais à une épaisse couche de gel. Derrière elle, son assaillant hurle toujours, gesticule dans tous les sens.
— Ivy, Ivy ! crie-t-elle en se tournant dans tous les sens pour essayer d'apercevoir son amie. Ivy où-
Sa phrase se perd dans sa gorge – la créature, furieuse, lui assène un puissant coup de griffes en plein front. La fillette tombe au sol, complètement désorientée. Dans la confusion, elle se redresse sur les coudes, suffisamment pour réaliser le cauchemar dans lequel elle se trouve.
Les serres de la créature – une harpie, se rend-elle compte, son gigantesque corps d'oiseau se terminant par une tête de femme, les plumes se mélangeant à la peau au niveau du cou et des mains aux ongles anormalement acérés et longs – labourent la terre alors qu'elle bat furieusement des ailes. Le visage froncé par la haine et la douleur, la harpie ne cesse de crier. C'est à ce moment qu'Abigail comprend qu'elle essaye de se débarrasser de la glace que ses doigts ont imprimée sur ses poignets.
La surprise se voit bien vite remplacée par l'affolement – le givre ne se contente pas de rester en empreintes dans les plumes de la créature. Elle le voit ramper sur la créature comme un poison avide de sa chair, emprisonner ses membres à une vitesse alarmante. Privée de ses bras, la harpie hurle encore davantage. Ses yeux fous se posent sur la fillette toujours à demi-allongée au sol : ce qu'elle y lit manque de lui faire perdre le peu de sang-froid qu'il lui reste – un mélange de haine, de détresse et de douleur.
Elle voudrait hurler mais son corps ne répond plus. Ses mains lui font aussi mal que sa poitrine, dans laquelle sa magie cogne, exulte de pouvoir s'échapper. Le gel atteint le dos de la harpie – elle bat furieusement, désespérément des ailes, essaye de lever ses bras pour asséner un dernier coup mais ils ne répondent plus.
Un dernier cri passe sa bouche, et, l'instant d'après, les trois harpies se sont enfuies vers la forêt. Abigail aperçoit la sienne voler avec difficultés, et bientôt, tout redevient silencieux – à l'exception des battements sourds de son cœur.
Derrière elle, elle entend un sanglot.
— Ivy ? appelle-t-elle faiblement.
Elle tente de se retourner, sans y parvenir. Son corps est lourd et sa tête tourne. Elle a subitement l'impression que son front s'est ouvert en deux.
— Ivy ?
D'autres cris retentissent. Des cris affolés. Des voix appellent son prénom, celui d'Ellanaëlle, celui d'Ivy, et un quatrième qu'elle ne connait pas. Elle a mal, si mal, au front, à la poitrine, aux bras, aux mains, au cœur, partout.
Ses épaules lâchent. La glace craque quand sa tête percute le sol. Le ciel est trop lumineux. Les voix trop fortes. Sa respiration trop sifflante. La douleur trop perçante. Tout est trop. Trop.
— Ivy. Où est Ivy-
Elle veut crier, se relever, vérifier qu'Ivy n'a rien, qu'Ellanaëlle n'a rien, que tout ça n'est qu'un cauchemar.
— Miss Swann ! Vous allez bien ? lui demande soudain une voix paniquée, et elle voit le visage bouleversé du professeur McGonagall se pencher vers elle.
— Ivy-, parvient seulement à articuler la fillette.
— Elle va bien, on s'occupe d'elle, elle va bien.
Derrière le professeur McGonagall, le professeur Brûlopot hurle ce qui ressemble à un « Retournez dans le château TOUT DE SUITE ! », et elle distingue une voix rugir « C'EST MA PETITE SOEUR ! » au milieu du tumulte.
— Miss Swann, nous allons vous emmener à l'infirmerie, continue le professeur McGonagall, la voix drôlement secouée. N'essayez pas de vous lever.
— Professeur-
Elle veut insister, demander si elle peut voir Ivy, mais sa tête tourne beaucoup trop. Elle a mal. Tellement mal.
— Non, non, ne vous fatiguez pas, vous nous raconterez tout plus tard.
— Ivy- Naëlle-
— -sont emmenées à l'instant où je vous parle à l'infirmerie. Elles sont sous le choc, mais elles n'ont rien.
— Des harpies, professeur-
Mais avant d'avoir pu terminer sa phrase, alors que Will se fait rabrouer par le professeur Brûlopot avec peu de diplomatie, elle s'évanouit.
Merci d'avoir lu jusqu'au bout !
J'espère que ce chapitre vous a plu, moi j'ai adoré l'écrire. Je ne vous cache pas que Loulou est mon personnage préféré et que je suis absolument ra-vie qu'elle fasse enfin son entrée.
* cette histoire de tortue qui prédit l'avenir existe vraiment, c'était ma préférée dans les Picsou Géant que ma maman (la meilleure) nous achetait quand mes frères et moi étions petits.
** Je n'invente rien, Dumbledore parle de cette cicatrice au professeur McGonagall dans le tome 1 chapitre 1 de Harry Potter. Une des meilleures blagues, soyons honnêtes.
Encore une fois, vos retours sont ma seule source de revenus/motivation.
Comme je le disais là-haut, ne vous habituez pas à une publication si rapide à chaque fois, tout dépendra encore une fois de la VIE.
Cela dit, au prochain chapitre, on devrait retrouver le deuxième meilleur personnage a.k.a Ian, l'amour de ma vie.
Prenez bien soin de vous.
Apple
