Courir. Courir. Courir…
Courir pour fuir.
Courir pour ne jamais revenir.
Courir pour en finir.
Oui. Hermione courait. Ne prenant même pas la peine de respirer, ses pieds nus battaient la mesure de son apnée, mais rien n'aurait pu la convaincre de s'arrêter. Ni sa fatigue, ni ses pleurs, ni même les cris désespérés de Drago dans son dos. Non. Elle ne pouvait pas s'arrêter. Elle n'en avait pas le droit ! Ce qu'il s'était passé… ce qu'elle avait fait… Par Merlin mais qu'est-ce qui lui arrivait ?! Elle savait que le manque était en mesure d'engendrer des hallucinations et même des crises de psychose ! Mais ça ?! Ça allait au-delà de tout ce qu'elle avait connu. Au-delà même du concevable !
Elle s'était laissée aveugler par un mirage.
Elle s'était laissée dépasser par une hallucination !
Et par sa faute, Drago aurait pu…
Non ! Elle n'avait pas la force d'y penser. Elle n'avait pas la force d'imaginer ce qui serait arrivé si elle ne s'était pas « réveillée ». Elle devait juste courir. Courir vite, loin… très loin. Pour aller où ? Elle s'en fichait. Tout ce qu'elle savait, c'est qu'elle devait fuir. Partir. Partir pour sauver les restes de son honneur… partir pour se cacher ! Partir pour enfin trouver le courage de respirer !
- Hermione !
Drago la suivait. De près ou de loin, elle ne parvînt pas à le deviner ; mais cela suffit à la faire accélérer. Eraflant ses pieds sur les dalles irrégulières des allées, elle s'élançait à en perdre haleine, seulement guidée par la violence de son adrénaline. Oui… elle devait courir. Courir. Courir. Courir ! Car sinon, il la rattraperait... Et ça, elle ne pouvait l'envisager. Comment aurait-elle pu ?! Elle avait failli le tuer ! Le tuer ! Elle ne pouvait pas l'affronter… Aussi, c'est les joues rouges et la vue trouble qu'elle traversa les couloirs dans une course désespérée. Manquant de s'écrouler à chaque tournant, elle puisa dans tout ce que son corps avait encore à lui donner. Mais les murs se ressemblaient et son souffle s'épuisait. Elle devait se rendre à l'évidence. Elle ne pourrait pas fuir éternellement. Elle devait se cacher ! Mais aucune salle, aucun placard, aucun cachot ne suffirait à contenir la honte qui l'étouffait… à contenir l'horreur de ce qu'elle avait fait. Alors elle courut plus vite, plus loin et plus encore qu'elle ne l'aurait cru possible. Combien de temps cela dura ? Elle ne chercha pas à le savoir. Elle n'avait pas le temps de penser, de réfléchir ou de s'inquiéter ! Non… elle devait juste courir. Courir. Courir. Courir !
- Hermione ! Arrête !
S'engouffrant brusquement dans un escalier de service, la jeune femme s'empressa de gravir ses marches trois par trois ; d'abord trente, puis cinquante avant qu'elle ne perde le fil et doive s'accrocher aux murs pour ne pas faillir. Désorientée elle sentit sa tête tourner, ses genoux faiblir et sa nausée s'accentuer… mais elle devait continuer. Elle devait le semer ! Aussi, elle ignora la douleur lancinante de ses poumons et s'acharna dans sa lancée. Elle ne pouvait pas se permettre de s'arrêter. Ce n'était qu'une question de temps avant que son Maître ne soit averti et que tout le château ne se lance à sa poursuite ! Par Merlin, son Maître…. Il ne savait encore rien de sa crise de manque ; une évidence qui lui donna un vertige. Après tout ce qu'elle avait déjà fait, il ne pourrait qu'être d'avantage affligé par la stupidité de son Initiée ! Il serait frappé par la honte et le déshonneur ! Peut-être même songerait-il à la destituer ? Non ! Elle ne devait pas y penser ! Elle devait courir ! Courir ! Courir et gravir cet escalier qui ne semblait ne jamais en finir ! Et pourtant, cette simple pensée se mit à la hanter. Par tous les Dieux… que se passerait-il s'il la rejetait ? S'il la destituait ? Sans surprise, Bellatrix exulterait de joie, Yaxley festoierait pendant des semaines, les journalistes de la Gazette feraient les plus gros titres de leurs carrières et la Résistance lui donnerait la chasse. Mais avant tout, l'histoire se répéterait. Son éternelle malédiction s'accomplirait… et elle serait seule. Seule, reniée et abandonnée. Délaissée de tous, elle n'aurait d'autre choix que d'errer telle une paria, de mendier et de se cacher. Une vie qu'elle ne connaissait déjà que trop bien… une destinée à laquelle ne pourrait pas échapper. Car elle ne se faisait aucune illusion... elle n'aurait nulle part où aller. Sincèrement, qui voudrait l'aider ? Elle ? L'Initiée en disgrâce du Seigneur des Ténèbres ? La Meurtrière du siècle ? Elle n'aurait pas d'amis, de famille ou d'alliés vers qui se tourner. Elle perdrait tout ce qu'elle avait réussi à construire. La confiance et l'amour des Malfoy, son nom, sa réputation... Mais plus encore, elle le perdrait lui. Une pensée qui plus que toutes les autres, l'ébranla jusqu'au plus profond de son âme. Seigneur… elle le perdrait lui.
Lui, Voldemort.
Son ancien ennemi devenu bienfaiteur.
Son sauveur.
Son professeur.
Son Maître…
Essoufflée, Hermione se sentit suffoquer à mesure que ses pensées s'agitaient. Elle le perdrait lui. Elle le perdrait lui ! Jamais depuis qu'il avait fait d'elle son Initiée, elle ne s'était imaginée le perdre… même quand il se pétrifiait dans les catacombes elle ne l'avait pas envisagé une seule seconde ! Et pour cause ! Il était Voldemort ! Un être immortel, un véritable Dieu sur Terre ! Elle ne pouvait pas le perdre ! Pas comme ça ! Mais aujourd'hui… après tous les crimes, les folies et les erreurs qu'elle avait commises… Par Merlin, comment pouvait-elle encore espérer qu'il lui pardonne ? Elle avait vainement cru qu'accepter sa punition l'aiderait à remonter dans son estime mais elle avait eu tort ! Elle avait dépassé les bornes… et l'incident de ce soir en était preuve. Elle avait failli tuer Drago ! Et pourquoi ? Parce qu'elle était en manque ! Voilà ce qu'était l'Initiée que le monde Sorcier adulait ! Voilà ce qu'était l'Initiée que les créatures magiques redoutaient ! Une misérable junkie… une enfant bornée et incapable d'obéir ! Une orpheline, seulement guidée par l'orgueil et la bêtise. Elle ne méritait pas son Titre. Elle ne méritait pas les Malfoy. Et elle ne méritait pas son Maître…
« Voldemort… il n'est pas un simple Maître à tes yeux. »
Etourdie, la jeune femme déglutit entre deux souffles. Les mots de la Báthory aussi la hantaient. Telle une lame éraillée, ils incisaient ses pensées et corrompaient son esprit. Elle ne pouvait pas les écouter. Elle n'en avait pas le droit ! Ils n'étaient que mensonges et hallucinations ! Et pourtant… plus elle courait, plus la vivacité de ses paroles s'intensifiaient.
« Tu éprouves des sentiments à son égard, ne le nie pas ! »
Pas un simple Maître… des sentiments à son égard… Etait-ce possible ? Non ! Non ! C'était ridicule ! Ridicule !
« Tu l'aimes. »
Non ! Elle ne pouvait pas aimer Voldemort ! D'ailleurs, cette simple idée ne lui était jamais venu à l'esprit ! C'était elle ! C'était la Báthory ! Mais pourquoi lui dire ça ? Pourquoi insister ? Y avait-il vraiment quelque chose qu'elle niait ? Quelque chose qu'elle refusait de s'avouer ?
« Tu t'es effondrée quand il t'a quitté ! Tu t'es enfermée dans sa bibliothèque, t'es affamée et es même retombée dans tes travers passés ! Tu étais perdue sans lui, reconnais le ! »
Elle ne voulait pas le croire. Elle ne voulait pas l'écouter ! Mais ces derniers mots étaient vrais… à quoi bon le nier ?! Elle était perdue sans lui. Elle n'avait pas voulu le croire mais son comportement des derniers mois ne mentait pas. Elle avait souffert de son départ… plus que jamais auparavant, elle avait senti son esprit sombrer lentement dans une insupportable démence. Comme si tout son être s'était déconnecté de la réalité, elle s'était laissée submerger. Pire encore, elle s'était laissée porter par tout ce qu'elle exécrait ; la folie, la rancœur, le doute, la haine, la magie noire, la drogue… elle s'était laissée mourir à petit feu, son regard inlassablement tourné vers sa fenêtre et son absence de lettre. Oui… c'était ça. Elle s'était sentit mourir. Mais pourquoi ? Bon Dieu, pourquoi ?! Il était son Maître ! Pas son amant, son mari, ni même son ami ! Il n'était que son supérieur ! Un homme clairvoyant, auréolé de grandeur ; un homme froid, distant et calculateur… alors pourquoi ? Pourquoi redoutait-elle son jugement ? Ça n'avait pas le moindre sens ! Et pourtant malgré ses doutes et la toxicité de ses pensées, un début de réponse commença peu à peu à la hanter. Aussi et alors qu'elle gravissait une énième marche, l'imminence des conséquences de sa destitution la frappa. Elle avait cru perdre son Maître une fois… et encore, les raisons de son départ ne la concernaient même pas ! Mais le perdre pour de bon ? Pour toujours ? Perdre leur vie, leurs discussions, leurs recherches et leurs aventures ? Perdre leur quotidien et leur routine ? Perdre ses œillades et sourires… Par tous les Dieux, elle n'y survivrait pas. C'était tout bonnement inconcevable ! Pourquoi le voudrait-elle seulement ? Il était le seul à l'écouter, à l'aider et à l'élever vers les sommets ! Il était le seul à voir son génie et à comprendre son esprit ! Ils… ils étaient une équipe ! Un duo ! Un binôme ! Ils ne pouvaient pas se séparer… pas comme ça ! Pas après tous leurs efforts, leurs luttes et combats ! Personne n'avait jamais parié sur leur cohabitation ! Personne n'avait cru en leurs chances de s'entendre… même pas eux d'ailleurs ! Mais ils avaient dépassé tout cela. Ils avaient dépassé leurs préjugés et étaient même parvenus à s'apprécier ! Ils ne pouvaient pas se quitter ! C'était impossible ! Mais cette ère n'était de toute évidence pas destinée à durer… une évidence qu'elle avait longtemps ignorée, mais qui semblait la rattraper à chaque marche qu'elle grimpait.
Au bord de l'effondrement, Hermione enfonça brutalement la seule et unique porte qui se présenta à elle. Elle devait respirer. Elle devait se calmer ! Pourtant et contrairement à ce qu'elle avait imaginé, ce n'est pas une salle de classe qui s'offrit à elle… mais l'air tiède et rassurant du dehors. Au bout de souffle, elle inspira avec force malgré la douleur de ses poumons, mais ne réussit qu'à réveiller son esprit endoloris. Désorientée, elle s'accrocha au premier mur qu'elle trouva et lutta pour ne pas rendre la bile de son estomac. Par Merlin… elle agonisait. Incapable de reprendre son souffle, elle sentit sa fièvre augmenter, ses membres trembler et son cœur se contracter. Aussi et malgré le ciel d'encre qui la surplomba de toute sa magnificence, elle ne réalisa même pas qu'elle avait grimpé jusqu'en haut de la Tour d'Astronomie. Aveugle dans son mal, elle ne vit rien des colonnes, du point d'observation, ni même des lumières scintillantes de la ville la plus proche… non, elle ne vit que l'ombre de sa future déchéance et de son implacable ignorance. Elle s'était fourvoyée. Elle avait cru qu'il la garderait à jamais à ses côtés mais s'était trompée ! Il allait la destituer ! Il allait l'abandonner ! Coincé dans cette boucle morbide, son esprit ne cessa de ressasser tout ce que son imagination malade inventait. Sa destitution… La perte de son Maître… tout ceci se jouait telle une insupportable rengaine. Un scénario qui plus elle y pensait, plus la torturait. Par tous les Dieux, pourquoi cela lui faisait-il si mal ? Pourquoi cette simple idée lui donnait-elle l'impression de mourir sur place ? C'était ridicule ! Il était Voldemort ! Elle avait déjà été heureuse sans lui ! Et puis, rien ne l'empêcherait de reconstruire sa vie ; de prendre un nouveau départ, loin de Poudlard et peut-être même de la magie ? Oui ! Elle pouvait faire ça ! Revivre comme une simple moldue, habiter un petit cottage au bord de mer, faire de longue balade en plein soleil et attendre que la prophétie mette un terme à son existence. Elle serait heureuse. Elle serait en paix ! Et pourtant… aussi belle soit l'image qu'elle se faisait de cette vie, son cœur se fêlait à la seule idée de devoir le quitter. Pire encore, il s'éventrait dans sa cage thoracique, la laissant agoniser d'une hémorragie invisible. Peut-être la Résistance avait-elle raison finalement ? Peut-être était-elle véritablement tombée dans la folie ? Pendant un instant elle hésita à le croire… jusqu'à une nouvelle voix ne s'élève dans son dos. Une voix qu'elle entendit résonner comme l'ultime preuve qui lui manquait.
- Bah ça alors… t'as vraiment une sale tête.
Non… non, non, non, non ! Pas ça ! Pas encore !
- Oh Merlin…
- Raté. Mais j'apprécie la comparaison !
Lui…
Après tout ce qu'elle avait déjà enduré, il fallait qu'elle le voie lui. A croire que cet enfer n'en finirait jamais ! Pourtant et malgré l'horreur qui barra son visage, Hermione ne parvînt même pas à être surprise. Elle avait bien vu la Báthory s'assoir sur son lit alors qu'est-ce que Ron Weasley pouvait bien faire de pire ?
- Toi… souffla-t-elle du bout des lèvres.
- Et oui ! S'exclama-t-il. Faut croire que je te manquais.
- Oh la ferme…
- Hé ne prends pas ce ton avec moi ! S'offusqua-t-il. Je suis ton plus vieil ami, ne l'oublie pas !
Son plus vieil ami ? Oui c'était vrai… du moins, jusqu'à ce qu'il ne lui prouve son affection à grands coups de fouets.
- Non… non, tu n'es qu'une hallucination ! Dit-elle mal à l'aise.
- Et alors ?
Par tous les Saints, pourquoi ses démons disaient-ils tous ça ?! Ils n'étaient pas réels ! Pas réels ! Mais cela leur importait peu. Fiers et amusés, ils se réjouissaient d'avance à l'idée de la tourmenter. Une évidence qui lui arracha un sourire désabusé.
- Laisse-moi deviner ! Tonna-t-elle. Tu vas me faire une leçon de morale toi aussi.
- Tu sais que j'ai jamais été doué pour ça.
- Alors va-t'en !
- Et pourquoi je ferais ça ? Demanda-t-il dans un rictus. Je te déteste et tu ressembles à une folle échappée d'Azkaban… je ne suis peut-être pas réel mais ma journée prend un excellent tournant.
Mal à l'aise, Hermione essuya son front ruisselant de sueur et se mordit la lèvre. Bien sûr qu'il voulait rester… pourquoi en aurait-il été autrement ?! Elle perdait l'esprit et lui gloussait de rire.
- Non… non, non, non ! Explosa-t-elle à bout de nerf. Tu n'es qu'une hallucination ! Il faut que je me ressaisisse, il faut que je me ressaisisse !
- Le sang de Dragon ne te réussit vraiment pas…
- Et bien pour une fois, je suis d'accord avec toi.
Le souffle court, la jeune femme tenta de se concentrer. Elle ne pouvait pas replonger dans une nouvelle crise. Non, il fallait qu'elle l'ignore. Qu'elle oublie sa voix, sa présence, son regard et l'insupportable barbe qu'il s'était laissé pousser après la Bataille Finale. Oui, c'était ça ! Elle devait juste l'oublier ! Se concentrer sur les murs en pierre, les colonnes de marbre, le vent d'Est et les étoiles… mais même cela lui parût impossible. Bon sang, il semblait si proche, si réel, si tangible… si elle n'avait pas été convaincue par sa folie, elle aurait presque pu croire qu'il était là, avec elle sur ce toit. Identique à son souvenir, elle vit ses joues arborer son habituel rictus narquois. Des joues rondes, roses et couvertes de ses cheveux roux mi-longs dont les boucles se confondaient avec la naissance de sa barbe. Oui… lui aussi avait beaucoup changé depuis la guerre. Loin de l'enfant qui la faisait rire aux éclats, il s'était changé en un homme froid, distant et peu commode. Un changement de comportement dont elle avait été la première cible, mais qu'elle n'avait jamais trouvé le courage de lui reprocher après leur défaite. Et pour cause… il avait enterré deux frères. Fred qui avait été le premier à tomber au combat, suivit de George dont la mort restait encore à ce jour un sujet tabou pour leur famille – bien qu'elle n'ait jamais compris pourquoi ils avaient dissimulé son suicide. Et même s'il ne lui en avait jamais parlé, elle le savait ; leurs morts l'avaient changé. Lentement, son regard s'était éteint, sa joie de vivre s'était fanée et ses démons l'avaient possédé, faisant de lui l'homme qu'il était aujourd'hui… l'homme qui n'avait pas hésité à la torturer. Mais elle ne devait pas se laisser submerger ! Elle ne devait pas se laisser berner ! Il n'était qu'un leurre. Un mirage crée pour la torturer, un mensonge savamment tissé pour la tourmenter. Et même si elle en avait conscience, elle ne pouvait le nier ; cette cruelle farce marchait. Plus hérissé que jamais, son dos frissonna brutalement sous la douleur palpitante de ses cicatrices. Comme si elle était pétrifiée, c'est tout son corps qui réagit à sa proximité. Une réaction réflexe qui sans qu'elle ne se rende compte, la fit instinctivement reculer.
- J'aurais cru que ton premier sevrage suffirait à te faire décrocher. Faut croire que j'avais tort…
- Et quoi ? Tu veux que je m'aplatisse ? Que je… je fonde en larme ? Que j'implore ton pardon ? Tu es l'une des raisons qui m'a fait plonger la première fois ! S'exclama-t-elle.
- Tu comptes vraiment me mettre ça sur le dos ?!
- Sur le dos ? Répéta-t-elle sans y croire. Harry et toi étiez des épaves !
- Et alors ? Aucun de nous ne t'a demandé de boire du sang de Dragon ! Se défendit-il outré.
A ses mots, la jeune femme ne put s'empêcher d'esquiver un sourire désabusé.
- Tu n'es pas sérieux…
- Bien sûr que si ! Insista-t-il.
- Vous étiez au bord du suicide ! Explosa-t-elle.
- Tu exagères…
- Ah vraiment ?! Au cas où tu l'aurais oublié, Harry a tenté de se pendre après la mise en terre de Kingsley ! Il serait mort si je n'étais pas intervenue, quant à toi tu t'étais mis à boire ! Tous les jours tu disparaissais, et tous les jours Ginny et moi partions à ta recherche pour te trouver ivre mort dans les bois ! Tu te soulais, tu te battais et tu as même failli te jeter d'une falaise !
Grimaçant franchement à ce souvenir, Ron déglutit sans trouver quoi dire. Il était vrai que ces instants n'avaient pas été les plus glorieux de sa vie…
- Tous les jours, j'essayais de vous sauver. Continua-t-elle. Tous les jours, j'essayais de vous redonner un peu d'espoir mais rien ne marchait jamais ! Alors oui Ron, vous ne m'avez pas demandé de boire du sang de Dragon mais vous m'y avez poussé !
- Et qu'est-ce que ça t'a apporté ? Demanda-t-il durement.
A sa question, Hermione se mordit la langue. Le Sang de Dragon l'avait aidé à ne pas perdre pied, à garder assez d'énergie et de force pour les aider, à reprendre ses recherches et à oublier leur défaite… mais à quel prix ? Elle avait failli en mourir. Et comme si une fois n'avait pas suffi, elle avait replongé tête baissée dans ses travers passés. Presque deux ans et demi d'abstinence fichue en l'air à la première occasion… « Et qu'est-ce que ça t'a apporté ? » Rien. Si sa première prise l'avait aidé à maintenir ses amis en vie, la deuxième lui avait pris tout ce qu'elle lui restait. Certes, elle avait trouvé une sphère… mais son Maître la méprisait, sa famille adoptive en pâtissait, son corps se mourrait, son esprit divaguait et pour couronner le tout, elle se disputait avec ses hallucinations. Pitoyable…
- Je ne sais pas. Admit-elle du bout des lèvres.
- Je m'en doutais… tu n'as jamais su prendre de bonne décision après la Bataille.
- Comment oses-tu dire que…
- Oh mais admet-le ! Cette quête en Russie, ce livre, cette prophétie… où ça t'a mené, hein ?! Tu as sali ton nom, ton honneur, trahi tes amis, juré fidélité à un monstre, tout ça pour finir en pleine crise de manque et grimper en haut de la Tour d'Astronomie au beau milieu de la nuit ! Je sais que j'ai pas mal déconné dans ma vie, mais ça… ça fait peine à voir.
Peine à voir ? Elle lui faisait peine à voir ? A lui ?!
- Espèce de salopard… cracha-t-elle brusquement. C'est vous qui m'avez abandonné !
- Tu voulais te rendre à l'ennemi ! S'écria-t-il.
- Il fallait agir !
- A cause d'une prophétie ?! Merlin lui-même n'a pas pu l'empêcher, qu'est-ce qui te fait croire que tu as une chance d'y arriver ?!
- Je ne sais pas ! Hurla-t-elle. Je ne sais pas et honnêtement je m'en fiche ! Nous sommes des sorciers et ce fléau nous concerne tous ! Toi et Harry ne l'avaient peut-être pas compris mais ce n'est plus mon problème aujourd'hui !
- Tu fais pitié…
- Ah oui ?! Et bien dans ce cas va-t'en ! Pars et laisse-moi ! Je n'ai plus besoin de toi dans ma vie !
- Tu me l'as assez fait comprendre…
La rancœur de sa voix la fit frissonner. Bien sûr qu'il lui en voulait… il ne s'agissait pas de la prophétie, ni même de sa trahison ! Non sa colère avait toujours été plus personnelle. Plus profonde. Une colère dont elle était l'instigatrice et qui avait lentement prit racine dans son cœur meurtri. Un cœur qu'elle avait brisé alors qu'il était endeuillé... Un cœur qu'elle avait rejeté dans une grimace gênée… Un cœur qui ne lui avait jamais pardonné.
- Pars. Cingla-t-elle.
- La folle à la robe de chambre te l'a déjà dit... Soupira-t-il. Ça ne marche pas comme ça.
- Bon sang mais pourquoi ?! Hein ? Dis-moi ! Pourquoi tu es là ?! S'époumona-t-elle.
- Peut-être que tu es en manque de compagnie ? Sans jeu de mot, bien sûr.
- Je te hais. Claqua-t-elle durement. Pourquoi…. Pourquoi voudrais-je de ta compagnie ?!
- Peut-être que tu as trop peur d'affronter ceux que tu aimes et que tu préfères te défouler sur moi ?
- Oh pitié… ne joue pas les Psychomages de comptoir.
- Ou peut-être que ton esprit cherche à te dire quelque chose ? Dit-il subitement.
- Mon esprit délire ! S'agaça-t-elle.
- Mais il m'a fait apparaître. Alors peut-être… peut-être qu'il n'y a pas de raison. Peut-être que tu voulais simplement me voir.
A ses mots, un fou rire lui prit la gorge. Elle ? Vouloir le voir ? Lui ? Son ancien meilleur ami, accessoirement ex petit-ami, qui l'avait renié, entravé et fouetté avant de l'abandonner ? Elle n'avait jamais été réceptive à son humour par le passé mais dû admettre que cette blague était la plus drôle de toutes…
- Oui Ron… gloussa-t-elle désabusée. Bien sûr ! Ma vie s'écroule, mon Maître me déteste, mon esprit tombe en ruine mais de toutes les personnes capables de me réconforter, c'est toi que j'ai choisi !
- Ça pourrait être le cas… Souffla-t-il.
- Non… non Ron ça ne sera jamais le cas. Jamais !
La dureté de son ton le renfrogna brusquement, avant de barrer son visage d'une douloureuse grimace.
- Tu m'as déjà dit ça il y a trois ans…
- Et je recommencerais ! Je ne te veux, ni ne te voudrais jamais ! S'écria-t-elle. Et si j'avais encore des remords avant l'épisode de la Russie, je peux t'assurer que je n'en ai plus aujourd'hui !
- Tu es injuste Hermione !
- Injuste ?! Répéta-t-elle ahurie. Ron, tu… tu m'as torturé ! Torturé ! Je sais qu'à tes yeux il ne s'agissait que d'un moyen parmi tant d'autre de me « sauver » mais les faits sont là ! Toi et Harry m'avaient abandonné au beau milieu de la forêt ! Vous m'avez laissé seule, blessée et sans ressource ! Et tu trouves que je suis injuste ?! Non… non, c'est toi qui l'as été. C'est toi qui m'as jugé et condamné alors que j'essayais de vous sauver ! C'est toi qui t'aies éloigné ! C'est toi qui m'as blessé !
- Parce que tu m'avais blessé !
Sérieusement ? Il l'avait attaché à un pilori et osait justifier sa cruauté à cause d'un cœur brisé ? Elle savait qu'il n'avait jamais eu une grande adaptabilité émotionnelle, mais à ce point ?! Ça frôlait le ridicule.
- Par Merlin, c'était il y a trois ans !
- Peu importe le temps…
- On vivait une guerre Ron ! S'écria-t-elle. On enterrait nos amis, on fuyait, on se battait… tu crois vraiment que j'avais le temps, l'envie et l'énergie de nous donner une chance ?! Je regrette de t'avoir donné de l'espoir pendant la Bataille Finale, mais ce qui est fait est fait ! Je ne t'aime pas Ron. Je ne t'ai jamais aimé comme tu l'espérais et ça ne changera jamais !
Impassible devant elle, Hermione vit ses traits se durcirent et ses poings se serrer. Elle savait qu'il souffrait de son rejet. Elle savait qu'il ne s'en remettrait jamais… mais que Merlin lui en soit témoin, jamais elle ne regretterait sa décision. Elle avait trop souffert pour s'émouvoir devant sa douleur ; trop souffert pour ne serait-ce que plaindre ses pleures…
- Et toi ? Demanda-t-il brusquement.
- Quoi ?
- Comment tu vis ta peine de cœur ?
Décontenancée, la jeune femme ne comprit pas de quoi il parlait. Elle n'avait jamais eu de peines de cœur… à vrai dire, elle n'avait jamais eu de véritable histoire d'amour à pleurer. Du moins, c'est ce qu'elle croyait.
- Je… je ne comprends pas. Souffla-t-elle mal à l'aise.
- Oh je t'en prie… ne joue pas à ça avec moi. La rancœur, la colère, la honte… cette insupportable sensation d'étouffer, de ne jamais pouvoir reprendre son souffle, de ne jamais pouvoir respirer ! Je sais ce que c'est. Et toi aussi.
- Non, je…
- Ça commence toujours par l'incompréhension. Dit-il. On se pose des questions, on essaie de comprendre… mais on n'y arrive jamais. C'est là que la douleur arrive.
- Arrête… Haleta-t-elle.
- Vive, poignante et profonde, elle nous transperce le cœur et nous éventre. Ensuite, la rage commence à naître. On a l'impression de se noyer dedans, d'être englouti vivant jusqu'à ce que notre esprit ne sombre lentement à son tour. On commence à divaguer, à s'emporter, à chercher des signes là où il n'y en a pas, à se convaincre que la douleur va passer mais on a beau prier… ça n'arrive jamais. Et au final, il ne reste que ça. La douleur.
- Ron…
- Elle nous suit, nous ronge, nous aveugle ! Elle vide notre cœur et corromps notre âme ! S'écria-t-il.
- Ça suffit !
- Tu sais de quoi je parle. Tu le vis à l'instant même.
- Non !
- Ne me mens pas !
- Je… je…
Elle n'arrivait plus à respirer. Elle n'arrivait plus à penser. Ce qu'il disait… ce qu'il décrivait… non, ça ne se pouvait pas. Elle ne pouvait ressentir tout ça… C'était impossible !
- J'avais espéré ne jamais dire ça un jour mais… Voldemort m'aura vraiment tout pris.
- Non ! S'exclama-t-elle. Tu… tu délires !
- Tu crois ? Regarde toi ! Regarde ton état ! Tu ne le vois peut-être pas mais c'est là, ça crève les yeux !
- Non arrête !
- Aimer un monstre tel que lui… sérieusement, tu aurais pu faire mieux Hermione. Vraiment mieux.
- Non, tu… tu te trompes.
Presque amusé, Ron esquiva un sourire. Il la connaissait trop bien pour ne pas avoir envie d'éclater de rire.
- Essaie de le redire sans bégayer. Dit-il.
- Je… tu te… tu te trompes.
- Tu vois ! Ta bouche ne croit même pas à ton mensonge !
Non… elle ne devait pas se laisser manipuler une seconde fois. Elle ne devait pas le croire ! Ce n'était que des mensonges ! Des couleuvres que son cerveau inventait pour la déstabiliser ! Rien de plus ! Et pourtant plus elle y pensait, plus sa gorge s'asséchait. Pétrifiée dans sa confusion, elle sentit ses mains trembler et son pouls s'emballer. Bon sang mais que se passait-il ?! Elle ne pouvait pas hésiter sur un tel sujet ! C'était absurde ! Elle… elle ne pouvait pas aimer Voldemort !
- Tu te mens à toi-même.
- Non, je…
- Tu l'aimes.
L'aimer. Lui. Voldemort. Elle n'y croyait pas. Mais si elle devait imaginer une telle chose… si elle se risquait à y croire…
- Non ! S'écria-t-elle effrayée. Tu te trompes !
- Dans ce cas dis le ! Tonna-t-il violement.
Ebranlée devant sa soudaine proximité, Hermione se figea en sentant ses mains agripper son visage. Il la touchait… Ron la touchait. Non… elle divaguait ! Cette sensation n'était pas réelle. Il n'était pas réel ! Il n'était pas réel ! Mais il était si près, si présent, si violent… Par Merlin si elle ne se savait pas folle, elle aurait presque pu croire qu'il était vraiment là. Une idée qui plus que toutes les autres, la terrifia sur place.
- Dis le !
Il semblait possédé… Insensible à sa peur il s'accrochait à elle de sa poigne de fer, laissant le bleu de ses yeux la transpercer. Un regard dont l'intensité la déstabilisa d'avantage. Ce n'était pas normal. Sa proximité, son touché… ce n'était pas normal. Paniquée, elle sentit son ventre se nouer et tenta vainement de se dégager. Mais ses gestes s'affaissèrent sous l'ardeur de sa fièvre, la laissant à la merci de sa folie. Non. Il n'était pas là ! Il n'était pas là ! Mais jamais il ne recula.
- Regarde-moi dans les yeux Hermione. Tonna-t-il. Regarde-moi et dis-moi que tu ne l'aimes pas.
Elle pouvait le faire. Elle pouvait le faire ! Après tout ce n'était pas comme si elle allait mentir. Elle n'aimait pas Voldemort. Elle n'aimait pas Voldemort ! Et pourtant, elle ne trouva pas la force de le dire. Tétanisées, ses lèvres restèrent scellées malgré sa bonne volonté. Une réaction purement physique, qui face à son attente oppressante commença à la faire frémir. Elle n'arrivait pas à le dire. Elle avait beau tenter de s'en convaincre, son corps refusait de lui obéir.
- Dis le !
- Je… je…
Pourquoi n'arrivait-elle pas à le dire ? Pourquoi n'arrivait-elle pas le dire ?! C'était pourtant si simple !
Elle n'aimait pas Voldemort.
Elle n'aimait pas Voldemort.
Elle n'aimait pas Voldemort.
- Hermione ?!
Mais elle eut beau se le répéter, ses lèvres restèrent pétrifiées. Horrifiée devant son impuissance, elle se sentit haleter et ne parvînt plus à le regarder. Par tous les Dieux… Elle perdait pied. Son regard, sa présence, ses mots… toute cette mascarade qui ne semblait jamais en finir… Elle ne pouvait le supporter. Et pourtant son esprit restait malgré tout obsédé par son mutisme insensé. Peut-être était-ce un symptôme de sa crise de manque ? Peut-être que sa folie l'empêchait de parler ?
- Hermione !
Mais ça n'avait aucun sens !
- Bon sang Granger réveille-toi !
Pourquoi n'arrivait-elle pas à le dire ? Ça n'avait rien de compliqué. A moins… à moins que Ron ait raison ? Etait-ce possible ? Se pouvait-il qu'inconsciemment, une toute petite partie d'elle éprouve ce genre de… de sentiment ? Cette simple idée lui parût absurde. Et pourtant, elle resta ancrée dans ses pensées. Tel un virus elle se répandit dans son esprit et dévora sa conscience, avide et pressée de faire de cette hérésie une réalité. Mais était-ce vraiment une hérésie ? Etait-ce vraiment insensé de croire qu'elle pouvait l'aimer ? Après tout elle lui avait juré fidélité… bien sûr il ne s'agissait que d'un serment protocolaire, mais elle avait été sincère. Et elle l'était encore. Pour preuve, elle avait saigné un vampire à mort pour lui sauver la vie ! Certes, c'était son devoir d'Initiée… mais peut-être était-ce plus que ça ?
Elle avait désespérément prié pour qu'il lui revienne. Elle avait désespérément prié pour qu'il la sauve. Et il l'avait fait… même quand il aurait pu la renier pour son insubordination, il ne l'avait jamais abandonné ! Il avait délaissé son conseil de guerre en Croatie pour aller la chercher en Turquie. Il l'avait soigné avec tendresse et veillé avec attention. Il l'avait habillé, lavé et nourri ; rien ne l'y avait forcé mais il avait fait toutes ces choses ! Il avait choisi de prendre soin d'elle ! Et dans ces instants… dans ces brefs moments où ils semblaient coupés du monde… oui. Elle avait ressenti quelque chose ; et le ressentait encore. Etait-ce de l'affection ? De l'amour ? Elle l'ignorait mais ne pouvait plus le nier. C'était fort. Plus fort que tout ce qu'elle connaissait… et effrayant.
Mais ça existait.
Ce sentiment, cette vague étrange, cette émotion à l'incommensurable puissance existait dans son cœur !
Elle existait pour lui...
- Je… je crois que… je ressens quelque chose. Bafouilla-t-elle soudainement.
- Quoi ?!
- Je ne sais pas ce que c'est. Je… j'essaie mais je n'arrive pas à… à comprendre ce que c'est.
- Hermione… s'il te plaît ouvre les yeux.
Ouvrir les yeux ? Pourquoi ? Il n'y avait rien à voir...
- Hermione, ouvre les yeux !
Pourquoi autant insister ? Et pourquoi… pourquoi ce ton lui semblait familier ? Ce n'était pas la voix de Ron… D'ailleurs, où était-il ? Etait-il parti ? Sa crise était-elle finie ? Elle n'en fut pas certaine. Et pour cause… après tout ce qu'il venait de se passer, comment pouvait-elle encore se fier à ses sens ? Ou seulement se faire confiance ? Pour preuve, elle sentait encore des mains agripper son visage ! A moins que ce ne soit qu'un mirage ? Elle ne savait plus. Comment aurait-elle pu ?! Elle divaguait et hallucinait depuis plus d'heures qu'elle ne pouvait en compter ! Et malgré ses prières, ça ne semblait jamais s'arrêter. Peut-être que cette voix n'était rien d'autre que cela ? Une nouvelle hallucination ? Un nouveau mensonge ? Et pourtant… elle résonnait dans ses oreilles. Tel un gong, un écho, un cri sorti tout droit des ténèbres, elle l'appelait avec férocité. Ou était-ce de la peur ?
- Hermione…
Oui. De la peur. Mais pourquoi cette voix aurait-elle peur ? Ce n'était pas comme si elle était à nouveau capable d'invoquer un Feudeymon ! Elle n'avait même plus de baguette pour se défendre !
- S'il te plaît…
Elle voulait l'écouter. Sans qu'elle ne comprenne pourquoi, elle voulait écouter cette voix ! Mais elle aussi avait peur… peur d'être confrontée à un nouvel ennemi, peur de se perdre dans sa folie, peur de ne plus savoir démêler le vrai du faux. Oui. Elle avait peur de tout cela. Pire encore, elle était terrifiée. Mais qu'est-ce qu'elle risquait ? Elle était déjà folle de toute façon, une hallucination de plus ou de moins n'y changerait rien ! Aussi, c'est après de longues secondes d'apnée que la jeune femme s'efforça de respirer. Elle pouvait le faire. Elle pouvait le faire ! Et elle le fit…
Pourtant elle ne comprit pas ce qu'elle vit.
C'était un homme. Un homme grand et fort. Nez contre nez, elle ne distingua de lui que deux pupilles dans l'obscurité. Une obscurité qui semblait avoir grandi dans l'espoir de les engloutir. Etait-elle toujours en haut de la Tour d'Astronomie ? Faisait-il toujours nuit ? Probablement, mais elle ne trouva pas le force de regarder autour d'elle pour s'en assurer. Non, elle ne parvînt qu'à le fixer. Lui. Et ses yeux… par tous les Dieux, ils semblaient faits de feu. Deux billes obsidiennes incandescentes, brûlantes, rougeoyantes ! Deux billes qui la détaillaient avec impatience. Jamais elle n'avait vu un tel regard par le passé… et pourtant, elle le connaissait. Combien de fois s'était-elle surprise à le contempler ? Combien de fois l'avait-elle observé à la dérobée avant de se détourner d'un air gêné ? Elle n'avait pas compté, mais ne pouvait pas se tromper.
- Hermione ?
Cette voix… c'était la sienne.
Cette présence… c'était la sienne.
Ce regard… c'était le sien.
Ceux de son Maître.
Il était là. Là, avec elle en haut de la Tour d'Astronomie. Agrippées à son visage, elle sentit ses mains trembler d'inquiétude contre ses joues. Un contact fort, puissant et exigeant… mais un toucher doux, tendre et rassurant. Etourdie, Hermione se laissa aller à la chaleur de ses paumes ; mais même si sa vue aurait dû l'éveiller, la choquer ou ne serait-ce que la déstabiliser, elle ne parvînt qu'à pleurer. Bien sûr… son supplice ne pouvait être complet sans lui ; sans l'ultime vision du plus grand échec de sa vie.
- Hermione… souffla-t-il. C'est moi.
Entrecoupé par ses sanglots, la jeune femme sentit son souffle haleter et sa figure grimacer. Non. Non, ça ne l'était pas. Et ça ne le serait jamais… Pour la simple et bonne raison, que son Maître n'était pas là.
- C'est… c'est cruel. Dit-elle entre ses lèvres.
- Quoi donc ?! Demanda-t-il inquiet.
- Tu n'es pas réel.
Cette fois, Voldemort ne réussit pas à cacher son trouble.
- Pas réel ? Répéta-t-il.
- Non… mon Maître ne sait pas où je suis. Il… il ne sait même pas ce qui m'arrive.
Ebranlé devant l'incohérence de ses mots, le Mage déglutit sans savoir quoi dire. Il avait espéré se tromper, mais ne pouvait plus le nier. Drago avait dit vrai. Sa chère Initiée, son impétueuse élève, sa téméraire Déesse Rouge, la femme qui l'avait sauvé d'une éternité d'agonie… hallucinait. Quand le jeune Malfoy avait accouru dans son bureau, débraillé, couvert de suie et hurlant à son sujet, il n'y avait pas cru. Et pour cause ! C'était ridicule ! Sa protégée, sujette à une crise manque ? Prête à réduire le château en cendre ? Non… ça n'avait aucun sens. Mais l'évidence de sa bêtise l'avait frappé. Hermione était une sorcière puissante et bornée, mais également une âme brisée. Elle avait déjà sombré dans l'addiction du Sang de Dragon. Elle avait déjà survécu à un sevrage. Mais un second ? Les statistiques ne jouaient pas en sa faveur. Aussi, il ne put s'empêcher de serrer les dents et de jeter un bref regard à sa marque en sang. Son serpent hurlait à la mort dans un sifflement d'agonie. Un hurlement nouveau et distinctif, qui ne put que le faire frémir. Oui… sans lui, elle n'aurait pas passé la nuit.
- Seigneur… souffla-t-il ahurit.
Elle ne voyait rien. N'entendait rien. Ne comprenait rien ! Une évidence… mais aussi, une ultime sentence. Il avait toujours méprisé cet état charnier ; cette confusion malsaine et irréelle qui perturbe l'esprit et engendre la folie. Mais il ne s'agissait pas de n'importe quel sorcier ! Il s'agissait d'elle… Et maintenant qu'il était face à elle… qu'il voyait son désespoir et qu'il entendait sa peine… Par Merlin, c'est à peine s'il trouva le courage de la regarder en face. Qu'il avait été sot. Jamais il n'aurait dû l'enfermer… jamais il n'aurait dû l'isoler ! Et maintenant, elle divaguait. A cause de sa suffisance et de sa rancœur, son Initiée sombrait !
- Hermione… je suis là. Dit-il plus fort. Je suis là !
- Non… non…
- Si Hermione, il faut que tu me croies !
- Non ! S'écria-t-elle à bout de souffle. Tu… tu n'es pas réel !
- Je…
- Erzébet et Ron m'ont prévenu ! Ils savaient ce qu'il se passait ! Ils… ils ont toujours su !
- Erzébet ?! S'étouffa-t-il. Tu… tu as vu la Báthory ? Et Weasley ?! Mais…
- Arrête de jouer avec moi. Tu… tu es comme eux ! Tu n'es qu'un mirage ! Il faut que s'arrête, il faut que s'arrête…
Elle ne pouvait pas traverser cette épreuve une nouvelle fois. Pas comme ça… pas avec lui. Aussi, c'est à bout de souffle qu'elle tenta de se débattre. Il fallait qu'elle se réveille, qu'elle se détache de sa poigne ! Mais il n'était pas décidé à la lâcher... Tels deux étaux d'acier, ses mains l'enserrèrent avec force avant de subitement s'accrocher à sa taille et de la plaquer contre son torse. Un contact qui suffit à la faire exploser en larmes. Quelle cruelle farce. Quelle honte. Quelle horreur ! Son esprit était-il donc si dérangé que cela ? Lui faire voir son Maître, comme l'ultime trésor qu'elle ne pourrait jamais avoir ? Comme la seule et unique personne qui ne serait jamais là ? C'était odieux. Infâme. Insupportable !
- Hermione calme toi !
Non. Non, elle ne le pouvait pas. Il fallait qu'elle mette un terme à cette mascarade ! Mais ses sanglots l'étouffaient et sa vue se brouillait…
- Lâche moi ! S'écria-t-elle. Lâche moi !
- Hermione, c'est un ordre ! Tonna-t-il.
- Il n'y a plus d'ordre ! Hurla-t-elle en pleure. Mon… Mon Maître va me destituer. Il… il va m'abandonner !
- Quoi ?! Non voyons, jamais !
- Tu mens ! Il… il me déteste. Je ne suis pas digne de lui. Je ne suis pas digne d'être son Initiée !
La détester ?! Comment pouvait-elle dire cela ? Comment pouvait-elle seulement le croire ?! Il n'avait jamais envisagé la renier ! C'était… c'était impossible ! Certes, ces dernières semaines avaient été mouvementées et son comportement en Turquie l'avait profondément choqué, mais de là à croire qu'il était prêt à l'abandonner ? Après tout ce qu'il avait fait pour la garder à ses côtés ?! C'était absurde ! Une pensée parasite et vide de sens, due aux effets de la fièvre et de sa crise de manque ! Et pourtant, elle pleurait. Pire encore elle se débattait entre ses bras, convaincue qu'il n'était même pas là. Une vérité qu'il put lire dans son regard et qui plus que ses mots, le blessa.
- Hermione, arrête !
- Non !
- Ton Maître ne t'abandonnera pas. Dit-il avec force. Je te le jure, il ne t'abandonnera pas !
- C'est faux. Il va le faire… et il aura raison. Haleta-t-elle.
- Mais enfin, c'est ridicule !
- Non ! Je… je ne suis qu'une épave. Mes démons me hantent et me manipulent, je… je ne sais même plus qui croire ! Je… je délire. Et maintenant je te vois.
- Parce que je suis là ! S'écria-t-il ahuri. Regarde-moi ! Je suis là !
Mais rien n'aurait pu la convaincre de ce qu'il disait. Ni ses mots, ni son regard, ni ses mains sur son visage… malgré ses efforts elle restait aveugle et perdue dans le noir...
- Si seulement c'était vrai… mais je sais que c'est faux. Déglutit-elle. C'est un test.
- Un test ?
- C'est Ron. Dit-elle à mi-voix. C'est lui, pas vrai ? Il veut… il veut me mettre à l'épreuve.
- Quoi ?! Non ! Weasley n'est pas là !
- Il l'était. Il… il me teste. Il veut… il veut que je le dise. Il veut que le je dise !
- Mais enfin de quoi tu parles ?! Que tu dises quoi ? Demanda-t-il.
Mais même face à un autre mirage, elle n'y arrivait pas. Elle ne pouvait pas dire qu'elle ne l'aimait pas ! C'était plus fort qu'elle… plus fort que tout.
- Je ne peux pas. Souffla-t-elle. Je… je n'y arrive pas.
- Hermione… s'il te plaît, calme toi.
- Non, je…
Elle sombrait. Il pouvait le lire dans son regard, sa conscience lui échappait. Mais qu'elle hallucine de Ronald Weasley… ça c'était grave. Aussi, une profonde inquiétude marqua soudainement son visage. Il savait qu'elle ne cèderait pas ; qu'elle lui resterait loyale et n'écouterait pas les fabulations d'une hallucination... mais pourquoi lui ? Pourquoi un Weasley ? En temps normal, il ne se serait pas inquiété d'un tel présage ; mais Hermione était confuse, sensible et vulnérable… et son passif avec la Résistance était encore trop palpable. Oui. Il pouvait le sentir à la fébrilité de son regard, quelque chose s'était passé sur ce toit. Quelque chose de fort, puissant et déstabilisant ! Quelque chose qu'il ne comprenait pas… Mais quoi ? Bon Dieu, qu'est-ce que Ron avait-il pu lui dire ?! De le trahir ? De se rallier à leur cause ?! Non… Il ne pouvait pas perdre son Initiée à cause des ordres confus d'un ennemi imaginaire ! C'était… inconcevable ! Mais tout était imaginable. Une incertitude qui l'horrifia d'avantage.
- Hermione écoute moi… quoi que Ron t'ait dit, il t'a menti. Dit-il brusquement. C'est un ennemi, Hermione. Un ennemi ! Tu ne dois pas croire ce qu'il te dit, tu m'entends ! Tu ne dois pas le croire !
Ne pas le croire ? Si seulement elle pouvait…
Mais ses mots la hantaient et l'évidence la frappait.
Elle ne pouvait plus le nier.
- Non… souffla-t-elle à bout de force. Il a raison.
- Hermione !
- Ce n'est pas grave. Dit-elle doucement. Je… je croyais que je devenais folle, que… que mon comportement n'avait aucun sens mais j'avais tort. Ça a un sens. Je ne voulais tout simplement pas le voir.
- Qu'est-ce qu'il t'a dit ?! S'écria-t-il horrifié. De me trahir ? De partir les retrouver ?!
Grand Dieu, non… et quand bien même il l'aurait fait, elle aurait explosé de rire. Mais là n'était pas la question. Il avait raison. Ron avait raison ! Elle… éprouvait des sentiments.
- Non… souffla-t-elle du bout des lèvres. Je… je ne veux pas partir. Je ne veux pas quitter mon Maître.
- Alors quoi ? Que t'a-t-il dit ?! Insista-t-il.
- A quoi bon ? Demanda-t-elle du bout des lèvres. Tu n'es même pas réel.
- Bon sang Granger, je…
- Ce n'est pas grave. Répéta-t-elle. Plus rien n'est grave.
Surpris de la voir soudainement s'adoucir, le Mage frissonna en sentant ses mains encadrer son propre visage. Pâles et tremblantes, elles caressèrent lentement ses joues dans l'écho irrégulier de son souffle. Un toucher léger, tendre et délicat, qui le laissa pantois devant l'intensité de son regard. Elle le reconnaissait. Elle le voyait ; mais s'acharnait à croire en son absence… Une ambivalence qui ne put qu'attiser sa confusion dans le tremblement communs de leurs cœurs battants. Par Merlin, elle semblait si frêle entre ses bras. Si fragile, si… vulnérable. Comment diable pourrait-il l'abandonner ? Comment pourrait-il seulement un jour y penser ?! Elle était son Initiée. Son élève. Sa protégée ! Plus encore, elle incarnait l'essence même de son règne… Le pouvoir. La gloire. La détermination. La transcendance des classes. Elle avait surpassé toutes ses attentes ! Tous ses espoirs ! Et même si elle dépassait les bornes et défiait son autorité, rien au monde ne pourrait jamais le convaincre de s'en séparer. Elle était trop précieuse. Trop rare ! Aussi, c'est presque soulagé qu'il la vît esquiver un sourire fatigué. Elle avait fini de se battre. Elle avait fini de hurler, pleurer ou divaguer… Et lui avait fini de douter.
- Hermione…
Elle ne voulait plus parler. Elle ne voulait plus redouter une autre hallucination et s'effondrer devant ses démons. Non, elle voulait juste le regarder. Lui. Son Maître. Certes, il n'était pas là mais son mirage l'était ; et bien que cela n'ait pas le moindre sens, cela suffit à l'apaiser. Par tous les Dieux… elle avait tant combattu, tant lutter, tant nier ce qui ce soir lui crevait les yeux… et même si ça ne devait pas durer, elle ne voulait pas le gâcher. Elle ne voulait pas perdre ce qu'elle venait tout juste de réaliser : la vérité. Cette même vérité que Ron et la Báthory lui avaient hurlé. Cette même vérité qu'elle n'avait pas voulu croire ! Et peut-être n'y croyait-elle pas encore ? Mais à cet instant précis et dans ses bras… rien ne lui avait jamais parût plus évident.
- Je… je ne veux pas te quitter. Souffla-t-elle. Je ne veux pas quitter mon Maître.
- Lui non plus, Hermione. Lui non plus…
- Que croies-tu qu'il se passera ? Demanda-t-elle. Quand il me trouvera ? Quand il saura ce que j'ai fait ce soir ?
Elle avait peur de sa réaction… elle avait peur de son jugement. Une crainte on ne peut plus compréhensible, qui le fit grimacer malgré lui.
- Il te sermonnera. Déglutit-t-il.
- Et me destituera ?
- Non Hermione… jamais il ne fera une telle chose. Assura-t-il.
- Pourquoi ? Demanda-t-elle.
- Parce que tu es son Initiée, que tu l'as sauvé et… qu'il s'inquiète pour toi.
Etait-ce vrai ? Se pouvait-il que Voldemort s'inquiète pour elle ? Elle l'espéra… de tout son cœur et de toute son âme ; mais ne parvînt pas à le croire.
- Si seulement c'était vrai…
- Et si ça l'était ? Se risqua-t-il à demander.
- Non… déglutit-elle. Je ne compte pas à ce point. Et puis… je lui ai désobéi. Je l'ai déçu.
- Tu te trompes.
- Je…
- Hermione, tu comptes pour lui ! Insista-t-il avec force. Plus que tu ne l'imagines…
Ainsi son cauchemar se transformait en rêve ? Elle dans les bras de son Maître… lover sous les étoiles… à l'écouter lui confesser tout ce qu'elle priait d'entendre ? Non… un tel cadeau serait trop beau.
- Peut-être. Admit-t-elle pensive.
- Pourquoi persistes-tu à croire le contraire ? Demanda-t-il surpris.
- Parce qu'il est Voldemort. Et… que je ne suis que son Initiée.
- Et alors ?
Mal à l'aise, Hermione sentit ses joues rosirent et se mordit la lèvre. Sa gêne était absurde, mais son regard était si profond… si percutant. Elle aurait tout donné pour si noyer et ne jamais s'en relever. Tout donné pour qu'il soit vraiment là, à ses côtés…
- Et alors… dit-elle. Il ne verra jamais rien de plus en moi. A ses yeux, je resterais à jamais son Initiée…
- Que veux-tu dire ?!
- Que les choses changent. Les gens changent et les sentiments aussi… mais je ne pense pas que cette règle s'applique à lui. Déclara-t-elle du bout des lèvres. Il est immortel, intemporel et incorruptible. Il est… ce qui se rapproche le plus d'un Dieu. Et les Dieux ne peuvent pas… aimer les mortels.
- Aimer ?
- Aimer… Répéta-t-elle.
- Hermione, qu'est-ce que…
- Ce n'est pas grave. Continua-t-elle sans le regarder. Plus rien… plus rien n'est grave.
Elle le pensait. A cet instant précis plus rien ne comptait… et pour cause ; elle avait appris sa leçon. Elle avait compris ce que son subconscient cherchait désespérément à lui faire entendre. Et elle n'allait pas l'oublier. Aussi, c'est plus épuisée que jamais qu'elle laissa sa tête reposer contre la poitrine de son Maître et inspira avec force les effluves de son cou. Par Merlin, son odeur était si envoutante… et la chaleur de ses bras si réconfortante. Elle aurait voulu figer cet instant, arrêter le temps et ne jamais plus vivre ailleurs que dans ses bras. Mais c'était impossible. Bientôt, les contours de son mirage s'évaporeraient devant elle, la laissant seule et groggy dans l'obscurité de la nuit. Ne lui restait donc que ces quelques secondes de rêverie… des secondes de bonheur et d'allégresse. Des secondes divines bien qu'irréelles… Mais des secondes qu'elle n'aurait échangé contre rien au monde.
Oui, ce soir marquait un tournant dans sa vie. Un tournant qu'elle n'aurait jamais imaginé mais qu'elle ne chercha plus à nier…
Elle éprouvait des sentiments pour Voldemort.
Et quoi que le Destin lui réserve demain, cette vérité la suivrait au petit matin. Plus impénétrable et inébranlable que le plus puissant des sortilèges, elle ramperait dans son ombre tel le fardeau qu'elle devrait porter. Mais elle s'en fichait. Peu lui importait de taire cette nouvelle évidence, de mentir ou de souffrir en silence. Elle le ferait sans se plaindre. Elle le ferait pour lui… A croire que ça devait être ça la véritable folie.
Aimer sans détour.
Aimer sans demander de retour.
Aimer sans attendre d'amour…
Bonjour à tous et bonne année ;) J'espère que ces premiers chapitres de 2022 vous plairont, à commencer par celui-ci qui n'est pas des moindres ;) Hermione qui hallucine, qui vrille et qui... fait certaines découvertes sur elle-même. Qu'en avez-vous pensé ? J'ai hâte d'avoir vos avis !
