- Excuse-moi… je ne voulais pas te réveiller. Souffla-t-elle en entrant dans sa chambre.
Allongée dans son lit, c'est une Luna ensommeillée qu'Hermione vit se redresser de moitié. Emmitouflée dans sa couverture et vêtue de l'une de ses propres chemises de nuit, la jeune femme étouffa un bâillement fatigué avant que ses cheveux ne s'ébouriffent sur sa tête au rythme du balbutiement de ses paupières. Une image que la Granger n'aurait jamais eu l'audace d'imaginer et qui pourtant lui arracha un sourire dans l'ombre de son Lumos tamisé. Oui… la vie était indéniablement pleine de surprise. Pour preuve ! Elle offrirait le gîte et le couvert à celle qui avait tenté de percer leur défense le matin même ! Seigneur… à croire que ce monde n'avait plus le moindre sens.
- Je ne dormais pas. Dit-elle d'une petite voix.
- Ah oui ?
- Non… j'essayais de rêver.
Amusée, Hermione rit en la voyant s'étirer et la détailla un court instant. Quelle ironie… il y a quelques mois encore c'était elle qui était à sa place, confuse et désorientée dans un lit aux proportions démesurées. Aussi, elle ne fut presque pas surprise de la voir recroquevillée sur un coin d'oreiller, la tête inlassablement tournée vers sa fenêtre qu'elle ne cessait de contempler. Elle-même avait mis des semaines avant de s'habituer au nouveau confort de sa vie ; aux draps propres, au matelas, aux édredons et autres cousins pleins de coton... Un confort qu'elle était aujourd'hui heureuse de partager avec une ancienne amie.
- Tu as meilleure mine. Lui dit-elle en s'asseyant à ses côtés.
Plusieurs heures s'étaient écoulées depuis leur marché… des heures interminables, éreintantes et profondément désagréables, qu'elle avait passé à écouter un Maître qui n'avait presque jamais daigné lui jeter le moindre regard. Des heures de plans douteux et stratégies endiablées… des heures à tordre les coutures de sa robe les dents serrées… mais des heures dont Narcissa avait usé pour exhausser son souhait. Surprise devant la requête de sa fille, la Malfoy avait longuement hésité. Après tout, pourquoi voudrait-elle aider l'une des résistances qui avait tenté de les attaquer ? Une Lovegood qui plus est ! Son ascendance ne changeait rien à ce qu'elle était ! Une traître à son sang ! Une honte pour leur rang ! Elle ne méritait rien de leur clémence ; au contraire, elle devait être dans un cachot, à payer le prix de son infâme allégeance ! A ramper ! Et implorer pour que sa vie s'achève aussi rapidement que leur attaque avait été déjouée ! Mais Hermione avait insisté… jusqu'à ce qu'elle accepte de la rencontrer. Surprise face à elle, Luna n'avait pas osé bouger. Prostrée telle une enfant sur son coin de lit, elle avait regardé Narcissa la détailler de son regard d'acier… un regard dur, froid et aiguisé qui très vite, s'était inévitablement attendrit devant la jeunesse de ses traits. Profondément troublée, Narcissa s'était horrifiée devant la laideur de ses plaies. Recouvertes des pieds à la tête, il n'existait pas un centimètre de peau qui ne soit pas sali de terre, brûlé, blessé ou ensanglanté… un constat effarant, qui n'avait été qu'un commencement. Malnutri et horriblement affaibli par sa vie de campement, Luna leur avait avoué ne jamais fait soigner la plupart de ses blessures passées. De la simple entorse aux plaies infectées de Sorts Noirs, elle n'avait jamais bénéficié que de soins rudimentaires à la qualité dérisoire, la laissant alors boitiller avec peine dans leur boudoir. S'en était suivi l'effroi de sa pâleur, l'horreur de ses cicatrices, la dangerosité de sa maigreur et la douleur de son sourire… Frêle et désorientée, la Malfoy avait même dû la rattraper à la volée tandis que la faim et la fatigue la faisait tanguer. Aussi et bien qu'elle peine à la tolérer sa présence, Narcissa n'avait pu se résoudre à ignorer la détresse de cette pauvre enfant. Une évidence devant laquelle Hermione avait soupiré de soulagement, avant de l'embrasser tendrement et de partir accomplir son devoir de renseignement. Elle connaissait sa mère et ses opinons. Elle savait qu'elle doutait de leur marché et s'inquiétait du retour en force de la Résistance… mais elle savait aussi que son cœur ne pouvait rester de marbre face à un regard innocent.
- Narcissa Malfoy a été gentille. Lui dit-elle. Elle m'a même nourri.
- Oui, elle… elle sait prendre soin de ceux qui ont en besoin. Dit-elle.
Bien qu'extrêmement pâle, c'est une Luna lavée et reposée qu'Hermione vit s'approcher. Plus apaisée, ses plaies autrefois sanglantes avaient été pansées, ne laissant alors que de fines cicatrices orner sa peau de lait. Parfumée de rose et de lavande, ses cheveux boueux et indisciplinés avaient laissé place à une imposante cascade d'ondulations nacrées. Et comme si le bon Dieu l'avait lui-même couvé, les creux de ses joues et de son estomac s'étaient comblés. Un soin et une nouvelle santé que la jeune femme détailla dans un sourire rassuré...
- Elle a fait du bon travail… Souffla-t-elle.
- Je suis d'accord. Mais j'avoue que ça m'a surprise… La dernière fois que je l'ai croisé, je croyais qu'elle allait me torturer.
Le manoir Malfoy… Oui. Elle s'en souvenait. Un épisode de leur vie tout aussi tragique pour chacune d'elle, qui les hantaient encore d'une violence presque cruelle.
- Je sais… j'ai eu les mêmes craintes au début. Mais j'ai appris à la connaître et… c'est une belle personne.
- Je suis heureuse pour toi dans ce cas. Lui dit-elle.
Touchée, Hermione lui prit la main dans un sourire fatigué. Elle aussi était heureuse pour elle… car malgré leurs conflits et tensions inavoués, son Maître avait finalement accepté d'officialiser leur marché. Certes, il ignorait tout des véritables modalités de ce dernier – en particulier l'échange de souvenirs qu'elles avaient opérés. Mais peu lui importait. Le plan de la Résistance était déjoué, le sang de Seamus tâchait leurs pavés et Luna était en sécurité. Désormais et jusqu'à les Dieux décident d'y remédier, plus rien ne pouvait leur arriver.
- Le Maître m'a demandé de te remercier. Souffla-t-elle. Ta coopération nous a beaucoup aidé...
- J'imagine que c'est une bonne chose pour vous.
Et une mauvaise pour les autres…
- Luna, tu n'as pas à culpabiliser. Dit-elle avec assurance. Même si tu avais refusé, il t'aurait soutiré ces informations contre ta volonté. Tu n'aurais pas pu les sauver.
- Vous… vous allez donc les tuer ?
Sa question aurait pu sembler bête, mais ne l'était pas... Aussi, Hermione déglutit devant la franchise de son regard et soupira. Oui. Ils allaient les tuer ; tous jusqu'aux derniers, la Résistance paierait l'affront qu'ils avaient osés proférer. Tel était la promesse qu'elle et son Maître avait juré d'honorer… Mais pas ce soir. Non, ce soir l'heure était à la clémence et au repos. ; car bientôt, la guerre s'éveillerait pour battre leurs tambours dans ses dos. Fière et impatiente de napper leurs terres de sang, elle déferlerait sur eux dans un dédale de cris et de combats cinglant. Ainsi, mieux valait laisser passer la nuit… et prier pour que le matin les oublie.
- Seulement s'ils attaquent. Souffla-t-elle. Mais ce n'est pas à l'ordre du jour.
- Vraiment ?
- Oui… Pour le moment, le Maître et moi avons d'autres préoccupations.
- Tu parles de la prophétie ?
Contenant un frisson, Hermione la regarda la détailler avec attention. Seigneur… qu'il était étrange de parler du fléau à quelqu'un d'autre qu'à son Maître ; étrange de dire à voix haute ce qui avait fait l'objet de tant de secrets… mais elles avaient fait un marché. Ainsi, même son savoir sur la prophétie n'avait pu y échapper. Un détail qui loin d'en être un, ne parvint qu'à la faire grimacer.
- Oui. Souffla-t-elle. Nous… nous sommes dans une impasse, mais ce n'est que partie remise.
Un étrange silence suivit ses mots. « Partie remise ». Contrairement à ce qu'elle espérait, ce n'était pas une promesse… mais un souhait. Une prière. Un rêve. Oui, Hermione rêvait d'en finir avec ces prophéties, ces énigmes et ces conflits. Elle rêvait de pouvoir enfin se tourner vers l'avenir. Mais un tel cadeau avait un prix… un prix qu'elle vit scintiller dans le regard de Luna et qui la fit frémir.
- Je sais que tu as beaucoup de questions. Lui dit-elle.
- C'est vrai. Mais tu n'es pas obligée de m'apporter de réponses… J'ai vu tout ce qu'il y avait à voir.
- Non Luna ; voir n'est pas comprendre. Grimaça-t-elle. Et il faut que tu comprennes. Il… il faut que tu comprennes pourquoi j'ai fait toutes ces choses.
Intriguée, Luna la regarda se délester de ses talons avant de s'installer sur son lit et de relever solennellement le menton. Face à face, elles se détaillèrent un court instant, conscientes de la teneur de leur prochaine discussion. Mais bien qu'Hermione aurait souhaité l'éviter, elle ne chercha pas à se défiler. Non, il fallait qu'elles en parlent. Il fallait qu'elle lui explique quel genre de feu habitait son âme. Et pour cause… voir des souvenirs en pagaille signifiait peu de choses. Mais les raconter… les expliquer à voix haute… tel était le véritable fardeau.
- Je suis prête à répondre à toutes tes questions. Dit-elle alors gravement. Qu'elles portent sur la Résistance, le Maître, la prophétie ou encore mon génocide, je ferais preuve d'une absolue transparence.
- Je sais déjà tout ce que j'ai besoin de savoir.
- Non Luna, je… je refuse de laisser ce que tu as vu te suffire. Je refuse de laisser tout cela en suspens.
Touchée, la Lovegood esquissa un sourire gêné. Une telle attention était appréciable, mais en valait-elle la peine ? Valait-elle de ranimer les morts qu'elles avaient enterré ? De remuer tout ce qui les hantait ? Elle n'en était pas certaine. Pourtant, elle le savait… ses questions se comptaient par centaines.
- Tu es sûr de vouloir en parler ? Demanda-t-elle du bout des lèvres.
- Oui, il le faut. Et dans la mesure où je serais incapable de dormir ou de rêver, je ne pense pas avoir mieux à faire.
Sa réponse la fit étrangement rire. Qu'il était amusant de les imaginer dormir... Elles. Des survivantes de guerre. Des prisonnières du monde. Des âmes errantes. Il y a bien longtemps que Morphée les avait abandonnés. Ne leur restait que les cris de leurs pensées pour les bercer. Des hurlements assourdissant tantôt chantés, sifflés, scandés ou étouffés, qui n'avaient que pour mission de les garder éveiller… et de les faire frissonner une fois la nuit tombée. Oui, telle était leur croix à porter. La privation de la plus simple de toute leur liberté : leur sommeil… et l'essence même de leur lucidité. Aussi, Luna ne se leurra pas. Bien que les Dieux les aient faites gardiennes d'un savoir trop grand pour le commun des mortels, leurs jugements derniers resteraient les mêmes…
- Je suis prête. Dit Hermione. Pose tes questions.
- Je… j'avoue que je ne sais pas par quoi commencer. Tout ceci est tellement… troublant. Je n'aurais jamais imaginé que les Dieux cherchent à nous exterminer. Et encore moins qu'Harry et Ron les y aideraient en t'abandonnant dans cette forêt…
- Ils n'ont jamais voulu me croire.
- Je sais… souffla-t-elle. Et je suis désolée pour tout ce qu'ils t'ont fait subir. Je crois que… qu'ils se sont perdus.
- Ce n'est pas grave. Dit-elle. Ils sont dans le déni… ils ne veulent pas abandonner tout ce pourquoi ils se battent depuis des années. Et bien que ce soit affreusement lâche de leur part, je… je n'arrive plus à leur en vouloir.
- Vraiment ? Demanda-t-elle surprise.
- Oui, je… je les déteste pour ce qu'ils m'ont fait. Grimaça-t-elle. Pour avoir lâchement piétiné l'amitié, la confiance et l'amour que nous partagions depuis des années. Mais pour le reste, je… je me dis simplement qu'ils sont faibles. Et on ne peut rien attendre de la part de faibles.
- C'est noble de ta part… Dit-elle du bout des lèvres. Mais j'avoue que je ne sais pas si j'aurais eu la force de survivre à tout ce que tu as enduré ces dernières années. Toute cette douleur, cette… tristesse… j'ai peine à l'imaginer pour moi-même.
Oui. Elle aussi peinait à y croire parfois… comme si sa vie, n'était que l'injuste fabulation d'un immense cauchemar. Mais même si c'était le cas, Hermione ne se leurrait pas; de tout ceux qu'elle méritait pour ses crimes passés, ce purgatoire n'était que le premier.
- Je ne sais pas quelle question te poser. Lui dit-elle soudainement. Tes souvenirs sont… brouillons dans ma tête. Il y en a tellement que je n'arrive pas à comprendre…
Ce n'était pas surprenant. La Légimencie était un art obscur et redouté ; l'un de ceux que les sorciers craignent davantage que la mort quand ils sont capturés. Et pour cause… C'était une violation même de l'esprit. Une corruption de l'âme. Une aliénation de la conscience. L'apanage même de la magie noire ! La subir de son plein gré était certes moins douloureux, mais le prix à payer était tout aussi coûteux…
- Il… n'y en a qu'une seule que j'aimerais te poser ce soir.
- Je t'écoute.
Incertaine, Luna la fixa de ses grands yeux bleus. Elle avait appris beaucoup de choses aujourd'hui… des choses qu'elle n'aurait jamais eu l'audace d'imaginer et dont la seule pensée la laissait profondément troublée. Pourtant un seul souvenir éveillait véritablement son attention. Le seul qui vaille qu'elle pose une question.
- J'ai senti quelque chose… pendant la légimencie. Dit-elle du bout des lèvres.
- Que veux-tu dire ?
- Je sais que tu ne m'as pas menti ; que j'ai vu tout ce qu'il y avait dans ton esprit. Cependant, il y a un passage… un passage que je n'ai pas réussi à clairement voir. Comme si… tu avais dissimulé certains détails.
Oh non…
- Et… duquel s'agit-il ? Demanda-t-elle sans la regarder.
Elle connaissait déjà la réponse. Pourtant et à cet instant, Hermione aurait tout donné pour se tromper.
- La Báthory.
Oh Seigneur…
- Tu ne m'as pas montré comment tu l'as tué. Continua-t-elle gênée. Ce qui est assez surprenant dans la mesure où… eh bien… tu ne m'as pas caché ce qu'elle t'a fait.
Les dents serrées, Hermione ne trouva pas la force de respirer. Bien sûr… parmi tout ce qu'elle avait vu aujourd'hui, il fallait que Luna ne s'intéresse qu'à un seul souvenir… ou plus précisément, au seul qu'elle avait vainement tenté de fuir. Mal à l'aise, la jeune femme se pinça les lèvres et déglutit avec peine. Elle avait juré de faire preuve d'une absolue transparence. Elle avait juré de répondre à chacune de ses questions ! Mais l'infâmie… la douleur… et l'effroi que cette seule tâche impliquait, paraît déjà ses joues d'une honte qu'aucun mot n'aurait su apaiser. Aussi, c'est dans le spasme d'une sueur froide qu'elle se risqua à la regarder ; un regard simple et peu exigent, mais dont la simple demande lui retournait le ventre de la plus effroyable des nausées.
- Je… heu…
- Ne te méprend pas. Ajouta-t-elle brusquement. Je ne te demande pas de me raconter comment tu l'as tué ; je me demande juste pourquoi tu as cherché à me le cacher.
Une question raisonnable et compréhensible… en particulier une fois mise en perspective. Elle ne lui avait rien caché de son génocide, de ses crimes, de ses excès de folies, de la prophétie, de leur voyage en Turquie, de sa dépendance au sang de Dragon ou encore du romantisme de ses sentiments. Elle lui avait même montré la torture de Seamsus et son éventrement ! Alors lui cacher la mort de la Báthory ? D'une vampire qu'elle avait juré de tuer dès l'instant où son regard lubrique l'avait reluqué ? Dès l'instant où ses mains avaient parcouru son corps, avides et impatientes de la profaner ? Cela manquait de logique ! Et pourtant… Hermione ne pouvait le nier. Malgré tout ce qu'elle avait enduré, subi et supporté au cours de sa vie, ce souvenir était bien le seul qu'elle souhaitait à jamais oublier. Le seul dont la seule idée, lui donnait envie de hurler…
- J'avais espéré que tu n'y fasses pas attention… avoua-t-elle du bout des lèvres.
- Je m'en doute. Mais je te l'ai dit… tu n'es pas obligé de me répondre.
Non. Il le fallait. Plus encore ! Elle le lui devait ! Et pour cause… aujourd'hui, Luna lui avait confié l'intégralité de sa vie. De son premier souvenir d'enfance à la mort tragique de son père, elle lui avait tout donné sans jamais faillir ! Sans jamais se plaindre et tenter de mentir ! Avant de commettre l'ultime sacrifice… et de renier tous les plus grands principes qu'elle avait toujours tenu pour acquis. Et rien pour que ça, Hermione n'avait pas le droit de la fuir... Elles avaient fait marché. Une alliance. Un pacte ! Et bien qu'elle ait tenté de repousser l'échéance, l'heure de la vérité avait sonné ce soir… Aussi, c'est la gorge serrée qu'Hermione rejeta la tête en arrière et murmura une dernière prière. Elle s'apprêtait à rompre le serment qu'elle s'était imposée ; à dire à voix haute ce que ces cauchemars les plus sombres n'avaient cessé de lui hurler… et à embraser sa plus cruelle culpabilité.
- Personne… personne ne sait ce que je m'apprête à te révéler. Pas même… pas même Voldemort.
Etonnée devant une telle entrée en matière, Luna haussa un sourcil avant de se saisir de son oreiller. Comme si elle redoutait la suite de son récit, elle le serra contre son ventre sans jamais la quitter des yeux. Un geste qu'Hermione ne put que comprendre, mais dont la spontanéité la fit grimacer. Elle s'attendait au pire… et pourtant rien ne pouvait la préparer à ce qu'elle s'apprêtait à lui dire.
- Comme tu le sais, nous… nous étions éreintés. Souffla-t-elle. Le Maître venait tout juste de reprendre connaissance et nous craignions qu'un autre monstre ne puisse se démurer alors… nous avons décidé de partir.
- Mais la Báthory était encore en vie.
- Oui, elle l'était. Acquiesça-t-elle. La… la magie des lianes l'avait protégé de l'avalanche de rochers. Mais nous ne pouvions pas nous permettre de la traîner derrière nous alors… le Maître m'a autorisé à la tuer.
A ses mots, Hermione se revit devant le corps tremblant de sa Némésis. Encore en état de choc après l'avoir vu vider Aloff de son sang, la Báthory s'était tue pendant de longues minutes… un silence lourd, pesant et consterné, qu'Hermione avait écouté d'une oreille charmée. Un silence qui elle savait, serait le dernier de celle qu'elle avait juré de faire hurler.
- Le Maître tenait à peine debout, alors… je lui ai recommandé de se reposer quelques instants avant que nous prenions la route. Il a accepté.
Non… il avait cédé. Cédé à ses supplications. Cédé à ses pleurs. Cédé face à son visage ensanglanté. Oui… il avait cédé face à son Initiée.
- Une heure. Il… il m'a accordé une heure pour la tuer. Souffla-t-elle d'une voix blanche.
Une heure… une éternité.
- Il s'est retiré de l'autre côté d'un mur à moitié écroulé pour me laisser un peu d'intimité. Il… il savait ce que je m'apprêtais à faire mais… mais il n'a pas tenté de m'arrêter.
Bien moins sûr d'elle face à la teneur de son discours, Luna resserra son oreiller contre elle et frémit en silence. Elle ignorait quel châtiment Hermione lui avait infligé, pourtant elle put le lire à son regard : quelle qu'ait été sa vengeance, cette dernière alimenterait ses prochains cauchemars…
- Je savais que je n'avais pas beaucoup de temps. Continua-t-elle. Mais je savais aussi que… je voulais la faire souffrir. Je voulais voir la peur et la douleur s'infiltrer lentement dans son regard. Je voulais l'entendre implorer ma pitié. Je voulais…
Sa voix se coupa un bref instant sous la force de ses halètements. Ou de ses sanglots latents ? Hermione ne le sut pas mais se fit violence pour ne pas céder à la tentation de ses propres hurlements. Le cœur battant, elle sentit une fièvre lui prendre le front et déglutit devant le flot d'images qui se jouait déjà dans son esprit. Des images gravées au fer blanc dans sa mémoire, qui firent couler une larme silencieuse sur ses joues trop pâles…
- Tu l'as torturé… n'est-ce pas ? Lui demanda Luna.
- Oui. Souffla-t-elle. Mais pas… pas avec des doloris. Cela aurait été trop facile.
Et trop peu douloureux…
- Tu sais, je… j'ai eu de la chance dans mon malheur. Lui dit-elle brusquement. Samuel m'a sauvé avant qu'elle n'ait le temps de… de me violer. Mais ce qu'elle m'a fait ressentir… la peur et le désespoir qu'elle m'a fait endurer… je n'ai jamais rien connu de pire.
Embrumé de nouvelles larmes, Hermione sentit son cœur se contracter face à tout ce qu'elle s'efforçait d'oublier. La sensation de sa peau sur la sienne, de sa robe de chambre en soie verte, de sa langue sur ses plaies, de ses mains sur son corps… des sensations fugaces et volatiles qui ne voulaient pour la plupart rien dire, et qui pourtant la hantaient presque plus que la lubricité de son sourire. Oui… ce qu'elle avait vécu n'était pas une simple torture. Elle le savait. C'était plus profond que ça ; plus grave, plus intime. C'était un véritable traumatisme. Semblable à un boulet accroché à sa cheville, elle traînait l'horreur de ce souvenir dans l'ombre de ses talons, s'efforçant chaque jour de ne pas trébucher sur cette chaîne dont elle ne pourrait jamais se défaire. Une chaîne qu'elle pouvait sentir entailler sa chaire au moindre pas, mais dont la douleur restait muette. Oui. C'était ça. Une douleur constante, permanente, vicieuse et cruelle qu'on s'efforce d'oublier au fil de la journée… mais qui ne s'éteint jamais. Et quand on pense s'en être débarrassé ; quand on pense l'avoir suffisamment ignoré et qu'on espère enfin s'en libérer… l'enfer ne fait en réalité que commencer. Car c'était précisément l'espoir d'oublier qui rend le traumatisme plus cruel que jamais… Il ne peut pas s'oublier. Tel une seconde peau, il suit, il marche, il parle et vit jusqu'à ce sa victime trépasse ; mais jamais il ne s'efface... On ne peut qu'apprendre à vivre avec. Apprendre à traîner ce boulet et à vivre malgré la douleur de sa chaîne. Apprendre à endurer les hurlements constants d'un esprit piégé dans son propre enfer...
- Je ne me suis jamais faîte d'illusions. Souffla-t-elle brusquement. Je veux dire… nous le savons… les femmes sont les proies de ce monde. Elles l'ont toujours été. C'est… un fardeau que nous devons toutes porter. Et bien que notre société ait évoluée, nous serons toujours vues par certains comme de simples jouets… des morceaux de viandes tout juste bon à être dévorés ! Des objets de plaisir… condamnés à assouvir leurs vices.
A ses mots, Luna baissa le regard. Elle disait vrai… aussi triste que cette vérité puisse être, beaucoup d'hommes ne voyaient encore que des proies en elle ; des opportunités de plaisir et de chaires fraîches.
- J'ai été torturée par mes meilleurs amis. J'ai été abandonnée, trahie, humiliée, salie et pourtant… j'avais réussi à y échapper. Continua-t-elle en fixant le vide. Jusqu'à ce que je rencontre Erzébet Báthory, j'avais… j'avais réussi à échapper à ce genre de sévices. Mais quand elle s'est approchée de moi et… et qu'elle a commencé à me toucher, j'ai… j'ai senti une part de moi se briser. Et alors que j'avais survécu à la guerre, à la famine et à la torture, moi Hermione Granger j'ai… j'ai souhaité mourir. Malgré tout ce que j'avais traversé, cette femme n'a eu besoin que de quelques minutes pour me donner envie de mourir !
Et se faisant, Hermione l'avait compris… elle n'était pas aussi insubmersible qu'elle le pensait. Elle n'était pas aussi robuste et intouchable qu'elle l'espérait. Elle… elle n'était qu'une femme. Une femme comme il y en existe des millions d'autres. Une femme avec ses faiblesses, ses espoirs et ses rêves. Une femme qui en quelques instants, s'était noyée dans la plus mortelle des détresses.
- Je ne pouvais pas le supporter. Siffla-t-elle entre ses dents. Je ne pouvais pas accepter l'idée que ce monstre ait réussi à me briser… je n'avais donc qu'une seule chose à faire…
- Hermione…
- Je lui ai lancé un sortilège. Dit-elle brusquement.
- Le… lequel ? S'inquiéta-t-elle brusquement.
Le seul capable de la venger, elle et toutes les autres femmes que ce monstre avait un jour touché…
- Je ne l'avais encore jamais utilisé mais… j'en avais entendu parler. Selon de vieux livres de magie noir, il… il était utilisé par la première génération de sorciers Vikings. Ils s'en servaient pour punir les traîtres, les prisonniers de guerre ou encore ceux qui ne respectaient pas le code d'honneur.
Peu rassurée, Luna sentit un frisson la secouer. Les Premiers Sorciers Vikings… Par Rowena, cela faisait froid dans le dos. Et pour cause ! Ce peuple n'était pas connu pour sa clémence… ni pour quoi que ce soit de véritablement plaisant à entendre. Aussi, la jeune femme hésita à l'interrompre. Elle n'était pas certaine de vouloir apprendre les détails de ce châtiment… mais Hermione ne la regardait plus. Le regard perdu dans le vide, son menton tremblait à mesure qu'elle se mordait la langue pour ne pas faillir. Mais c'était si dur… si dur de se souvenir.
- Je savais quels genres d'effets il aurait sur elle... souffla-t-elle du bout des lèvres. Mais ça ne m'a pas arrêté. Je voulais qu'elle souffre. Alors… je le lui lancé. Je lui ai lancé le Reversum Vidalis.
- Je ne comprends pas... Souffla Luna.
Et pourtant c'était si simple…
- La loi du Talion. Murmura-t-elle sans respirer. Ce sortilège est inspiré de la loi du Talion.
La seule loi qui régissait véritablement le monde…
- Une fois lancé, le sortilège infiltre l'esprit de la personne visée et… déforme ses souvenirs avant de l'y piéger. Et c'est ce que j'ai fait… en un sortilège, j'ai modifié des siècles de souvenirs de boucheries, de viols et de tortures afin… afin que ce soit elle qui les endure. Je l'ai piégé dans son propre esprit. Je lui ai fait endurer sa propre cruauté. Ainsi toute la douleur, la peur et le vice dont elle raffolait sont devenus sa prison. Elle n'était plus l'agresseur, mais l'agressée. Elle n'était plus la tueuse, la violeuse ou le bourreau, mais la victime…
C'était dit.
C'était avoué.
C'était lancé.
Face à Luna et en ce jour précis, Hermione admettait son plus grand crime. Celui d'avoir cédé à la haine, à la vengeance, à la cruauté… et à tout ce qu'elle s'était toujours jurée d'exterminer. Car ce n'était pas cette torture dont elle avait le plus honte. Non, cela aurait été trop beau. Trop simple. Trop facile ! Non… ce dont elle avait honte, était précisément de ne pas en avoir honte. Elle avait aimé torturer la Báthory. Elle s'était délectée de ses cris. Et elle avait souri. Alors que cette femme hurlait à l'agonie, le regard perdu dans le vide, condamné à endurer toutes les infamies qu'elle avait un jour commises… elle, Hermione Granger, avait souri. Et là était à ses yeux son plus grand crime.
- Ainsi elle… elle a subi ce qu'elle a fait subir à toutes ses victimes. Comprit Luna à voix basse.
- Oui… mais il n'y a pas que ça. Dit-elle du bout des lèvres. Je lui lancé un autre sortilège afin de biaiser sa perception du temps. Pour moi, une heure s'est écoulée mais pour elle…
Sa voix se brisa un court instant. Le dernier avant son ultime confusion.
- Je savais qu'elle avait plusieurs siècles de souvenirs à revivre, alors j'ai modifié l'incantation pour qu'elle perçoive chaque seconde comme l'équivalence d'une année…
- Par Rowena…
Un ressenti d'une année par seconde. Par tous les Dieux… ce ratio était terrifiant. Impuissante, la Dame Sanglante avait donc enduré l'équivalent de 60 ans de torture en une minute… soir presque 3600 ans une heure. Un calcule que la jeune femme peina à imaginer et qui la laissa hébétée devant l'Initiée.
- J'ai été un monstre de cruauté. Avoua-t-elle sans respirer. Et de la même manière que j'ai aimé éventrer Seamus, j'ai aimé torturer la Báthory. Et… je déteste ça. Je déteste aimer me venger. Je déteste aimer tuer. Je… je déteste la personne que je suis en train de devenir.
Troublée, Luna ne dit rien pendant de longues secondes. Pourtant et à sa grande surprise, elle avait cessé de trembler. Comme si l'un des derniers voiles s'était levé, elle avait désormais un savoir complet… Une absolue connaissance ; une totale et incapable transparence. Et c'est bien cette sensation qui lui coupa le souffle un court instant… Il était étrange de tout connaître d'un individu ; de l'avoir vu grandir, pleurer, rire, tomber, échouer, se relever, persévérer… pour le voir finalement devant soi, le cœur éventré de culpabilité. Aussi, c'est sans hésiter que la Lovegood s'empressa de l'enlacer. Confuse, Hermione la sentit l'entourer de ses petits bras bandés avant que se résonne entre elles la douceur bienveillante de son oreiller. Une étreinte forte et sincère, dénuée de tout jugement… et empreinte d'une étonnante reconnaissance. Car oui, ce soir et malgré l'horreur de son dernier aveu, Luna ne la rejetait pas d'un air horrifié… non. Elle la remerciait.
- Tu… tu ne méprises pas ? Souffla-t-elle à son oreille sans y croire.
Amusée, Luna se redressa pour la regarder. Qu'elle s'inquiète de son opinion après ce qu'elles avaient traversé était touchant, mais aussi symptomatique d'une vérité plus profonde.
- J'ai rencontré beaucoup de monstres au cours de ma vie. Lui dit-elle. Certains bien moins sympathiques que d'autres… mais aucun d'eux ne m'a jamais laissé entrer dans leur tête. Aucun d'eux n'a jamais tenté de me sauver la vie. Et aucun d'eux ne s'est jamais inquiété de savoir si je les méprisais.
- Je…
- Tu n'es pas un monstre Hermione. Continua-t-elle. Tu ne l'as jamais été. Et pour ce qui est de la Báthory, je ne dis pas que sa mort n'est pas effrayante et profondément… dérangeante, mais je ne crois pas me tromper en affirmant que tu as rendu un grand service à l'humanité.
- Mais ce que j'ai fait est innommable…
- Non. Dit-elle simplement. Tu as vengé les milliers d'hommes, de femmes et d'enfants qu'elle a torturé au cours de ces dernières centaines d'années. Ce n'est pas innommable, c'est… équitable.
Bouche bée, Hermione ne sut que lui répondre. Elle le pensait sincèrement. Elle pouvait le lire dans le bleu de ses yeux larmoyant, elle ne la voyait pas comme un monstre. Et cette évidence – que dire, cette bénédiction – suffit à éclairer son monde. Emue, elle sentit une nouvelle larme rouler sur sa joue mais ne chercha pas à l'effacer. Non, celle-ci n'était pas une larme de honte ou de culpabilité… celle-ci était sa première larme de bonheur depuis une éternité.
- Merci. Souffla-t-elle du bout des lèvres.
- Tu n'as pas à me remercier. Ma mère m'a toujours dit qu'un câlin était le seul véritable remède contre les chagrins.
Amusée, la jeune femme esquissa un sourire. C'était vrai… parfois la plus simple des attentions était la plus efficace.
- Elle avait raison.
Epuisée par tant d'émotions, Hermione respira à grands coups et secoua la tête pendant de longues secondes. Seigneur… cette journée était à marquer d'une pierre blanche ! Gonflés et profondément cernés, elle sentit ses yeux piquer à mesure que ses paupières balbutiaient sous le sel de ses pleures étouffées. Battante dans ses tempes, l'étau de sa migraine la fit grimacer, symptôme criant de la fatigue qui ne tarderait pas à l'assiéger. Pourtant et alors qu'elle pensait que leur nuit s'arrêterait là, la jeune femme se figea devant le nouveau froncement de sourcils de Luna. Etrangement mal à l'aise, elle la vit se saisir de son oreiller et se mordre la lèvre d'un air inquiet. Comme si une nouvelle incertitude la taraudait, son regard se tourna vers sa fenêtre… mais contrairement au ciel, la nuit elle, restait muette.
- Est-ce qu'il y a… autre chose ? Demanda-t-elle.
Incertaine, la Lovegood se mordit la langue. Elle ne voulait pas dire d'ânerie ; ni même la lancer sur une fausse piste. Mais quelque chose d'autre la troublait. Quelque chose qu'elle n'aurait jamais cru deviner et qui pourtant résonnait avec force dans ses pensées.
- J'ai beaucoup réfléchi à tout… tout ce que tu m'as montré. Et il y a un vers de prophéties que je n'arrive pas à me sortir de l'esprit.
- Lequel ? S'inquiéta-t-elle.
- Celui du cœur de la Reine-Mère. « Quant à la dernière, elle fut volée et perdue au gré des vents et de l'Océan… condamnée à reposer entre les mains des bannis et sillonneurs de fonds. »
Ah… ce vers-là… le seul qu'elle et son Maître ne comprenaient pas.
- Oui… ces vers sont de véritables énigmes. Grimaça-t-elle. Mais ne t'inquiète pas pour ça… nous les percerons à jours tôt ou tard.
- Justement. Dit-elle. Je… je crois le comprendre.
Sonnée devant la simplicité d'une annonce aussi brutale, Hermione la regarda sans même comprendre le sens de sa phrase.
- Que dis-tu ? Souffla-t-elle sans y croire.
- Je comprends ce vers. Répéta-t-elle. Et… je crois même savoir où se trouve la dernière prophétie.
Hello tout le monde ! J'espère que vous allez bien et que vous gardez la santé !
Bon, aujourd'hui il n'y aura qu'un seul chapitre - et il n'y en aura qu'un seul la semaine prochaine aussi. Je suis désolée, mais je publie plus vite que je n'écris et je ne veux surtout pas bâcler cette histoire. Ne vous en faîte pas, le prochain chapitre sera beaucccouuuppp plus long XD
En tout cas, n'hésitez pas à me donner vos avis sur celui-ci ;) Il lève voile sur l'un des derniers mystères de la Quête Vampirique et ce n'est pas pour rien, car le début d'une toute nouvelle quête se prépare... et croyez moi elle ne va pas être de tout repos ;) Des idées ? Pronostics ?
Sur ce je vous dis à la semaine prochaine avec la fin du suspens ;)
