Il était étrange de voir comment la vérité se faisait entendre... comment, en une simple seconde, elle pouvait se frayer un chemin jusque dans les consciences, déliter les sens et engendrer milles hurlements ; comment sa seule présence parvenait à changer le cours d'une existence... et parfois même à renverser le monde. Certaines se disaient à voix basses, entre deux murmures et à l'abri des regards. D'autres encore avec résignation, honte et désespoir… tandis que certaines d'entre elles étaient hurlées, scandées et revendiquées avec joie, les épaules de leur auteur alors délestée du plus lourds des poids !
Mais qu'importe la forme, les mots ou l'abnégation… une vérité naissait toujours d'un mensonge.
Qu'il soit petit, grand, conscient ou résultant d'une simple omission, le mensonge vivait dans le temps ; dans les non-dits, les regards fuyants, les esquives et les tremblements… Dans tout ce qui faisait l'homme et sa mauvaise conscience. Dans tout ce qu'exécrait la justice et le bon sens. Dans tout ce qui tuait l'honneur et la confiance. Oui… qu'importe la vérité, le mensonge ne mourrait jamais. Car le mensonge était la seule chose qui importait. Qui survivait. Qui blessait. Qui terrassait ! La seule et unique chose que la vérité n'apaisait jamais... Bien sûr, certains diront que le mensonge protège ; qu'il sert une noble cause, s'avère souvent nécessaire et endigue même des guerres ! Peut-être était-ce vrai. Peut-être le mensonge pouvait-il résulter d'un concours de circonstances tout aussi malheureux qu'implicitement espiègle… Mais pourquoi ? Pourquoi devrait-il servir les intérêts de qui que ce soit ? Pourquoi devrait-il être là, tapis dans l'ombre d'un sourire narquois… quand la vérité pouvait se crier à pleine voix ? Quand la vérité pouvait prendre sa juste place ? Quand la vérité pouvait simplement exister, sans doute ni apparat ? Hermione se le demanda. Pendant combien de temps ? Elle ne le sut pas… mais comprit au vent contre son échine qu'il était tard. Très tard… Non pas qu'une telle chose puisse se voir sous l'éclat insolent d'un soleil entre les arbres. Mais après deux semaines à vivre sur cette île, elle avait appris à reconnaître la subtilité de ces détails… Bien plus docile, le vent se faisait lent, léger et délicat ; les ombres de la forêt se faisaient plus sombres, humides et froides… tandis que les quelques oiseaux qui volaient naturellement au large, se mettaient subitement à couver leurs œufs sur le rivage. Oui, des détails... Pourtant, la jeune femme n'y jeta pas même un regard ; pas plus que son Maître, dont l'implacable silence résonna dans l'écho de leur nouveau désespoir…
« Ô toi île de mes rêves, pardonne ton Capitaine… »
Un désespoir cuisant, lourd et harassant…
« Mais je t'ai fait une promesse. »
Un désespoir dont la violence dépassait l'entendement…
« Et je jure devant toi, que moi… »
Un désespoir dont le regard, la voix et le visage d'enfant, les accablèrent du plus odieux des mensonges…
« Connor McGalighan, orphelin du monde et fils de naufrage, ne te trahirais pas… »
Celui de Connor… et de sa trahison.
Comment était-ce possible ? Comment avait-il pu leur mentir ? Leur cacher sa véritable histoire au sein de cette île ? Et son lien avec la disparition des navires ? Ils n'auraient su dire... et pour cause ! Ils s'étaient attendus à tout. A tout ! Mais pas à ça... certainement pas à ça ! Jamais à ça ! A tel point qu'aucun d'eux ne parvenait à y croire... Comment auraient-ils pu d'ailleurs ?! Connor… un pirate ? Pire encore ! Le Capitaine des pirates ?! Celui-là même qu'ils cherchaient depuis deux semaines entre forêts et rivage ? Qu'ils maudissaient avec hargne pour avoir à jamais scellé l'issue de leur naufrage ? Qu'ils priaient de corrompre et projetaient de tourmenter s'il refusait de rendre les armes ?! Seigneur… cela semblait illusoire. Que dire ! La plus mauvaise des blagues ! Pour preuve, il… il n'était qu'un enfant ! Un enfant bon sang ! Certes, il pouvait se montrer agaçant, mystérieux, bavard, intrusif et insupportablement bruyant… mais il ne pouvait pas avoir eu plusieurs dizaines d'hommes sous son commandement ! Vogué pendant des siècles sur les Océans ! Pillé, tué et saccagé des milliers de navires du Grand Versant ! Et avoir jeté une malédiction ! Une telle chose n'était pas seulement impossible mais… incohérente ! Horrifiante ! Accablante ! Une véritable aberration dont l'issue était dénuée du moindre sens !
Ah moins… qu'ils n'aient été aveuglé par un mensonge.
Ah moins… qu'ils ne se soient laissés tromper par les apparences.
Ah moins… que tout ce qu'ils avaient toujours cru inconcevable ne s'appliquait à l'Autre Versant.
Car la sphère ne mentait pas… pas plus que la magie de l'île, qui avait combattu avec hargne pour que son secret reste à jamais perdu entre les méandres de l'Histoire. Mais y croire ? Avoir foi en un tel mirage ? En avaient-ils seulement le courage ?! Comment savoir… ils parvenaient à peine à comprendre le sens de toutes ces images ! Que dire ! De cet infâme brouillard d'échos, de cris et de rage ! Et pourtant, Connor était bien présent ce jour-là… Connor était aux cotés de ce pirate. Et Connor était l'unique artisan de leur naufrage. Mélange de sons distordus et de déluges de flammes, il avait vu son regard s'assombrir de larmes, ses traits habituellement rieurs s'orner d'un air grave et son esprit s'agiter d'idées macabres à mesure qu'il implorait le pardon du rivage ; à mesure qu'il échafaudait un plan tout aussi fourbe qu'incontestablement infâme… à mesure qu'il s'apprêtait à prendre la décision qui lui couterait son âme.
Condamner son équipage à un sommeil éternel dans les cales de leurs navires.
Condamner ses hommes à la damnation éternelle alors qu'ils le suppliaient de leur accorder le droit d'être libre.
Condamner les naufragés de l'Autre Versant, à ne jamais plus pouvoir quitter le seuil de l'île…
Oui… ils ne pouvaient plus nier l'évidence. Ils ne pouvaient plus se bercer de doutes et d'illusions ! Connor n'était pas qu'un simple enfant. Il n'était pas candide, frêle ou innocent. Il n'était… il n'était que le reflet d'un mensonge. Une vérité toute aussi ahurissante que cinglante, dont la violence les prostra dans la plus douloureuse des consternations. Aussi, c'est le cœur lourd et les oreilles en sang que les deux sorciers s'entendirent gémirent entre deux jappements. Etendus au sol depuis de longues minutes, le corps jonchés d'éclat célestes et l'esprit vrillé par un millier d'acouphènes, aucun d'eux ne parvînt à surpasser la douleur de leur migraine, les élans de leurs nausées ou les tremblements de leurs chaires… Incapable de bouger, de parler ou de ne serait-ce que trouver le courage de se redresser, ils restèrent allongés dans l'écho de leurs souffles hachés, la figure grimaçante à mesure que les étincelles du pentagramme commençaient doucement à s'apaiser… qu'un nouveau silence se mettait à régner… et que les éclats de la sphère prophétique se mettait doucement à rouler sur le rocher. Que s'était-il passé ? Pourquoi le pentagramme avait-il commencé à s'effacer ? Pourquoi la magie s'était-elle mise à leur échapper ? Comment l'île avait-elle pu les surpasser ? Et par quel pouvoir la sphère s'était-elle brisée ? Ils auraient pu se le demander. Ils auraient pu se torturer de milles questions, s'étouffer entre deux hurlements et paniquer à la vue de leurs oreilles et nez en sang… mais à quoi bon ? A quoi bon chercher davantage de réponses quand celle qu'ils venaient de recevoir les accablaient déjà de la plus ineffable des trahisons ? Il n'y avait rien qu'ils puissent faire. Rien qu'ils puissent tenter de réparer ou comprendre ! Et se faisant, ne restait que le silence… un lourd, tragique et assourdissant silence, qui plus que n'importe quel hurlement, leur vrilla les tempes. Combien de temps cela dura ? Combien de temps restèrent-ils là, prostrés et sans voix ? Ils ne le surent pas. Jusqu'à ce qu'ils ne tressaillent sous l'écho d'une nouvelle voix… la seule désormais capable de les transir d'effroi.
- Vous n'auriez jamais dû voir ça…
Sursautant plus violemment qu'ils ne l'auraient cru possible, Hermione et Voldemort sentirent leurs corps se transir sous l'assaut d'une nouvelle adrénaline. Mélange de terreur et d'anxiété fébrile, elle raviva leurs sens jusqu'alors restés engourdis, parcouru leurs muscles meurtris et électrisa les contours de leurs esprits… Un élan tout aussi puissant qu'indescriptible, qui guidé par les milles nouvelles craintes qui les assaillis, effaça brusquement la douleur lancinante de leurs paralysies… et les fit se relever sous le regard perçant du véritable geôlier de l'île.
- Connor ?!
Horrifiée, Hermione vacilla dans sa nausée, le cœur branlant à mesure que le petit garçon se mettait à les détailler. Un sac de mangue à ses pieds, il les regarda se redresser dans un silence endeuillé, le visage marqué par des rides qu'ils n'avaient jusqu'alors jamais remarqué. Pourtant et contrairement à ce qu'on aurait pu penser, elles ne révélèrent pas son âge avancé, sa maturité ni même les centaines d'années qu'il avait vu défiler… mais bien l'incommensurable souffrance de son cœur éventré. Que dire ! Un cœur bafoué ! Horrifié ! Blessé ! Et torturé ! Un cœur tout aussi lourd que sanglant, dont chaque battement déversait haine, colère, peine et douleur dans son sang ! Et pour cause… son cœur était celui d'un homme dans un corps d'enfant.
- Vous n'auriez jamais dû voir ça ! S'écria-t-il en rage.
Brusquement effrayés par la violence de son cri, les Sorciers se reculèrent d'un pas, les mains tremblantes sous le feu ardent de son regard. Seigneur… il semblait si différent désormais ; si grand, si fort, si dangereux, si puissant… et pourtant, il n'était toujours qu'un petit garçon. Le même qu'ils avaient bercé, couvé, grondé et consolé entre deux chansons ; le même qui leur avait donné à manger, parlé, écouté et réconcilié avec bienveillance… Le même qu'ils, il y a quelques minutes encore, n'auraient jamais eu l'audace de soupçonner… et qui pourtant se tenait devant eux dans l'éclat d'une grimace enragée.
- L'île devait garder le secret… Dit-il sans respirer. L'île devait le protéger !
- Connor… souffla Voldemort.
- Vous l'avez trompé.
- Non, nous...
- Vous l'avez profané !
Une main sur sa baguette, le Mage Noir se grandit dans un réflexe, le corps galvanisé de magie malgré les quelques éclats de la sphère plantés dans sa chaire… une attitude toute aussi défensive qu'incontestablement indécise, dont l'absurdité aurait presque pu lui arracher un sourire. Et pour cause ! Ce n'était qu'un enfant. Qu'un enfant ! Mais en de tels circonstances et après avoir vu voler en éclat le mirage de son mensonge, Voldemort ne put plus se fier à son visage innocent ; à son regard bleu océan ou la candeur de ses traits de poupons... Pire encore ! Il n'en avait pas le droit. Car ce n'était plus seulement Connor qui lui faisait face… mais bien le Capitaine des pirates. Une vérité dont l'incohérence et l'aberration ébranlèrent sa conscience, avant que la saveur de son intolérable trahison ne lui retourne douloureusement le ventre… De colère ? De rage ? De tristesse ? Ou de déception ? Il n'aurait pu y répondre. Pourquoi ? Il ne voulut même pas le comprendre… mais sût à la hargne de ses tremblements et aux claquements de ses dents, qu'ils n'étaient tous deux qu'à un mot du plus sordide des affrontements.
- Comment avez-vous osé ?
- Et toi ? Comment oses-tu ?! S'entendit-il siffler entre ses lèvres.
- Vous m'avez trahi…
Trahi ? Alors même qu'il leur avait juré de les aider à quitter cette île ?! Non… ce n'était pas eux qui avaient failli. C'était lui… une ultime vérité qui s'entremêla à sa peine, pour ne laisser de lui qu'un effroyable torrent de haine.
- Tu nous as trahi ! Explosa-t-il. Depuis… depuis le début, tu… tu…
Manquant de s'étouffer dans ses propres mots, Voldemort sentit son souffle se couper à mesure qu'une nouvelle sueur froide se mit à ramper dans son dos. Incapable d'ordonner ses pensées, de respirer ou de ne serait-ce que regarder son Initiée, il vit ses mains trembler dans l'écho d'une rage insoupçonnée… d'une colère incontrôlée… mais également d'une tristesse que lui-même n'aurait pu nommer. Pourtant, il aurait dû y être habitué ; à la douleur, aux mensonges, aux tromperies, aux faux semblants et sourires hypocrites… mais venant de lui ? De ce petit qu'il avait lui-même lavé, coiffé et bordé ? Qu'il s'était évertué à tolérer, apprécier et traiter avec respect ? A qui il s'était confié ? Et avec qui il avait même joué ? Par tous les Dieux… jamais il n'aurait pu l'imaginer. Comment aurait-il pu d'ailleurs ? Il était si petit… si frêle et fragile ! Un véritable oisillon aux sourires candides qu'on aurait cru tombé du nid ! Un orphelin de la vie, contraint à dépérir seul sur une île maudite ! Une victime des plus grands supplices, acculée par un Destin trop cruel pour le libérer de sa grippe ! Du moins, c'est ce qu'il avait cru ; jusqu'à le masque de son innocence ne se fendille sous la rage de ses hurlements… que ses yeux perçants ne se parent d'un éclat foudroyant… et que la honte n'accompagne la gravité de son mensonge.
Oui… il le voyait désormais.
Ses craintes, suppositions, théories, extrapolations et tout ce qui l'avait hanté depuis leur rencontre… tout cela avait enfin un sens ! Un poids ! Une raison ! Plus encore, elles… elles prouvaient tout ce qu'il n'avait pas eu le courage de voir ! Tout ce qu'Hermione n'avait pas voulu entendre ! Et tout ce qu'eux deux avaient été incapable de comprendre…
« Tu remets ma parole en doute camarade ? »
La dureté de ses mots…
« J'suis content. Ça fait longtemps que j'avais pas fait à manger pour quelqu'un d'autre que moi… »
La sincérité de ses émotions…
« Connor, quel âge tu as ? »
« J'connais pas la date mais je sais que c'est pas longtemps avant que le Grand Domitien rende l'âme ! »
La confusion de ses repères temporels…
« A tous ceux qui ne sont plus là pour conter leurs histoires… qu'ils nous guident et nous veillent depuis l'au-delà et nous ouvrent leurs bras à notre trépas. »
La solennité de ses prières…
« Alors ils sont sur l'île ? »
« Oui… du moins selon la légende. Mais j'ai exploré toute l'île et j'en ai jamais trouvé un ! Alors allez-savoir où ils sont aujourd'hui… »
Et la soudaineté de son malaise…
Tout cela ne résultait pas de la solitude, d'habitude de langage ou de l'éducation de son équipage ! Non… loin de là… car il s'agissait en réalité des élans de fierté, d'orgueil et d'honneur de son âme de pirate.
- Tu n'as fait que nous mentir ! Explosa-t-il. Depuis le début, tu… tu nous empêchais de partir !
- Je vous protégeais !
- Nous protéger ?! Répéta-t-il enragé.
Outré, Voldemort se mordit le poing pour ne pas hurler. Par Salazar… il se fichait de lui. Il n'y avait pas d'autre explications possibles !
- Non… tu es le seul dont nous devrions nous protéger !
- Maître… souffla Hermione mal à l'aise.
- Je l'ai senti ! Siffla-t-il brusquement. Depuis le début, je savais que quelque chose ne tournait pas rond sur cette île ! Je savais que nous manquions quelque chose à propos de ces maudits navires ! Mais… mais venant… venant de toi…
Incapable de finir sa phrase, le Mage essuya son nez sanglant d'un revers de poignet, une traînée rougeâtre nappant alors sa peau éraflée. Seigneur… dans quel état était-il ? Sa magie se remettrait-elle de son interjection avec celle de l'île ? Et la sphère ? Que feraient-ils sans sa prophétie ?! Il ne trouva pas la force de se le demander… et encore moins devant le regard de ce petit effronté. Un regard dont la profondeur, la fierté et l'orgueil manquèrent presque de lui faire tourner de l'œil. Bon Dieu… comment avait-il pu être aussi aveugle ? Comment avait-il pu se laisser tromper par un simple jeu d'acteur ?! C'était une honte ! Un affront ! Une insulte à laquelle même ses ancêtres devaient se retourner dans leurs tombes ! Et pour cause ! Maintenant qu'il le voyait, sa fumisterie était évidente ! Criante même ! Un constat qui ne réussit qu'à galvaniser son ahurissement… et embraser son indignation.
- J'aurais dû le voir… dit-il amer.
- Maitre…
- J'aurais dû le voir !
Enragé, une gerbe d'étincelle jaillit de sa baguette, de nouveaux nuages grondèrent depuis le ciel et un silence oppressant résonna entre les pierres… des prémices dangereux, inquiétant et peu glorieux, qui grandirent lentement depuis son rictus acerbe. Bon sang, il devait se calmer. Il devait réfléchir ! Penser ! Respirer ! Mais l'horreur l'étouffait… la douleur le torturait… et sa honte l'étranglait. Pourquoi ? Oh, la réponse était aussi simple que cruelle ! Car Hermione avait vu se réaliser son plus grand rêve : celui de voir son Maître s'attacher à ce petit gringalet.
- J'ai fait ce que j'avais à faire… Répondit Connor gravement.
- Ne me parle pas de ta maudite promesse !
- Mais c'est vrai !
- Tu es l'artisan de notre calvaire ! S'écria-t-il.
Sursautant malgré elle, Hermione grimaça sous l'étau de sa migraine, une floppée de sanglots coincés entre ses lèvres… Au bord des larmes, elle peinait encore à les regarder sans s'écrouler sous le poids d'un nouveau désespoir, le cœur branlant devant tout ce qu'elle refusait de croire. Mais avait-elle encore le choix ? Qui plus est, après tout ça ?! Non… le déni ne la sauverait pas cette fois. Pas plus que les milles souvenirs de rires, joies et repas qui torturaient son âme…
- Ne te méprends pas camarade… Dit-il les dents serrées. Tu ne connais qu'une partie de l'Histoire.
- J'en sais bien assez !
- Non… tu ne sais rien.
Rien ? Rien ?! Alors même qu'ils l'aient vu ordonner à son subordonné de rassembler les hommes pour mieux les tromper ? Qu'il l'avait entendu pleurer sur son sort, le cœur lourd et le regard défait ? Tout ça parce qu'il refusait de libérer un équipage qui n'avait cessé de l'implorer ?! Non… non, il ne pouvait pas dire ça. Il ne pouvait se défendre comme ça ! Et certainement pas avec cette étincelle de défi dans le regard.
- Oh tu crois ?!
Enjambant leur rocher d'un seul coup de jambes, Voldemort s'avança baguette en avant, le regard fou et les joues brûlantes… Lancé dans son élan, il semblait sur le point de partir au front, son visage bariolé de poussière et de sang. Une image face à laquelle Hermione se sentit chavirer, mais que Connor regarda sans même sourciller.
- Maître ! S'écria-t-elle horrifiée.
- N'essaie pas de t'interposer. Claqua-t-il durement.
- Mais…
- Ne me menace pas camarade… Tonna Connor froidement. Tu pourrais le regretter.
Oh non…
- Connor ! S'étouffa Hermione.
La situation dégénérait… elle pouvait le voir à l'aura bouillonnante de son Maître, aux grondements de sa gorge et tremblements de sa baguette, ce n'était qu'une question de temps avant qu'il ne se cède aux cris de sa haine !
- Espèce de sal petit…
- Maître, je vous en prie ! Supplia-t-elle.
Le percutant de plein fouet, Hermione peina à le garder à sa hauteur, son frêle petit corps cherchant vainement à faire rempart entre lui et Connor ; mais elle le savait… rien ne pourrait rivaliser contre le poids de son horreur et la rage de son cœur.
- Ôte-toi de mon chemin !
- S'il vous plaît ! Calmez-vous !
Se calmer ? Alors qu'il venait d'essuyer la plus vicieuse des trahisons ? Qu'il s'était laissé tromper par un enfant ? Et que son âme elle-même l'assourdissait des plus infâmes hurlements ?! Non… il ne pouvait pas. C'était trop dur. Trop douloureux. Trop grave ! C'était… c'était trop tard ; car jamais encore il n'avait connu ça… et subi pareil coup bas.
- Il nous a trahi… gronda-t-il meurtri. Il nous a menti !
- Je sais ! Je sais mais…
- Laisse-moi passer Initiée !
Sursautant sous la brûlure de sa marque, Hermione tangua dans une grimace, son serpent hurlant à la mort devant les prémices d'un nouveau drame. Pourtant et malgré la colère de sa hargne, jamais la jeune femme ne bougea pas… Le bras en feu, elle se grandit contre lui, résista aux appels de sa magie et le repoussa jusqu'à ce que la douleur ne lui laisse échapper un cri. Mais elle le savait… quoi qu'elle fasse, elle ne pourrait jamais le retenir. Tout comme elle ne pourrait jamais apaiser la folie qui délitait son esprit.
- Non ! Je vous en prie ! Implora-t-elle.
- Il doit payer ! Scanda-t-il.
- Mais ce n'est qu'un…
- Ce n'est pas un enfant ! S'écria-t-il sans souffle. C'est un démon ! Un geôlier, sans foi ni moral ! Un capitaine sans honneur qui a maudit son propre équipage et œuvre chaque jour à nous garder en otage !
- Tu ne sais pas de quoi tu parles !
Terrassés par la violence de ses mots, les deux sorciers reculèrent sous l'étau d'une nouvelle vague de magie… une magie défensive, brute et maligne, dont la signature indélébile n'eut d'égale que celle de l'île.
- Tu ne sais rien ! Hurla-t-il plus fort.
Enragé à son tour, ils virent sa figure se tordre sous ses cris, ses poings se serrer de furie et ses cheveux blonds voler entre deux bourrasques frénétiques. Un état de colère comme ils n'en avait encore jamais vu chez lui, dont la violence et la spontanéité égalèrent presque celle d'un Voldemort désormais transcendé.
- Je sais que tu as condamné tes hommes ! Siffla-t-il. Je sais que tu nous as menti, que tu nous as caché la localisation des navires et que tu cherches à nous retenir prisonniers sur cette île !
- Je ne cherche rien ! S'exclama-t-il.
De nouveaux cris…
De nouvelles rafale de vent…
Et avec eux, la certitude que rien de bon ne ressortirait de pareils hurlements…
- Toute ma vie j'ai œuvré pour que l'île prospère ! Scanda-t-il. Toute ma vie, j'ai œuvré pour honorer une promesse ! Mes hommes ne l'ont pas respecté et en ont payé le prix, mais jamais je n'ai menti sur les navires ! Jamais je n'ai cherché à vous empêcher de partir !
- Tu mens encore !
- Maître !
- Non… je n'ai jamais rien voulu tout ça ! Se défendit-il. Jamais !
- Et tu espères que je vais te croire ? Après avoir vu ça ?!
Respirant douloureusement entre ses lèvres, Connor se frappa le front dans un élan de haine, le visage tordu de colère à mesure que de nouveaux nuages assombrissaient le ciel. Bon sang… il ne comprendrait jamais. Jamais ! Comment le pourrait-il d'ailleurs ? Il ne connaissait rien de son malheur…
- Tu n'as vu qu'un millième de plusieurs siècles ! Qu'un fragment de mon enfer !
- De ton enfer ?! S'étouffa-t-il ahurit.
Oui… son enfer. Le seul que les Dieux eux-mêmes fuyaient, que Satan redoutait et que le monde ne connaîtrait jamais…
Celui d'un enfant condamné à une éternité de servitude, d'infortune et de solitude.
D'un enfant tenu par le respect d'une promesse ô combien injuste.
Et d'un enfant n'ayant plus que pour seule compagne, son indescriptible et écrasante rancune…
- J'ai sacrifié ma vie, mon enfance et mes espoirs pour assurer la survie de mon équipage… souffla-t-il du bout des lèvres. Pour honorer notre île, notre mission et apporter un peu de joie dans nos misérables vies de pirates ! Et pourtant, ils… ils…
Ils l'avaient trahi. Ils l'avaient bafoué. Ils l'avaient humilié ! Et ce alors même qu'il leur avait tout donné…
- Ils projetaient de m'abandonner ! S'écria-t-il en furie. Moi ! Leur capitaine ! Ils… ils voulaient briser notre serment et me laisser seul dans l'Autre Versant !
Sonnés par la douleur de ses cris, les sorciers le regardèrent sans respirer, le souffle coupé par le désespoir qui le possédait. Un désespoir qu'aucun d'eux n'aurait soupçonné et qui les laissa muet à mesure qu'une nouvelle amertume se mit à l'étouffer.
- Tu ne sais pas ce que c'est de voir les personnes que tu aimes le plus au monde te regarder comme si tu n'étais rien de plus qu'un obstacle… Te transformer en un paria ! Rejeter leur moindre malheur sur toi ! Te juger, te critiquer, oublier tout ce que tu as sacrifié pour les sauver et comploter dans le seul but de te renverser !
Bouleversée, Hermione s'entendit haleter dans un mutisme pétrifié. Seigneur… ce regard. Ces mots. Cette peine. Elle les connaissait.
- Tu ne sais pas ce que c'est que de redoubler d'effort pour une bande d'ingrat ! De craindre pour ta vie à chaque pas ! De manger les restes pour être certain de ne croiser personne à l'heure des repas ! De devoir te cacher dans les cales pour éviter ton propre équipage ! Et de dormir avec des rats par crainte de te faire égorger dans le noir !
Plus encore, elle… elle les ressentait.
- Mais moi… moi j'ai dû endurer tout ça ! S'écria-t-il. Leurs reproches, leurs peines, douleurs, remarques, brimades, regards… aucun d'eux ne m'a épargné ! Aucun d'eux ne s'est demandé ce que moi je voulais !
Pour la simple et bonne raison, qu'elle les avait elle-même éprouvé…
- Je savais qu'ils finiraient par se retourner contre moi… je savais qu'ils tenteraient de me renverser en dépit de tout ce que j'avais fait pour notre gloire !
Incapable de respirer, la jeune femme oublia le pentagramme fumant, les éclats de la sphère, les bourrasques de vent et le tonnerre du ciel… oui, elle oublia tout ; à tel point qu'elle ne sentit même pas ses propres larmes rouler sur ses joues.
- Alors oui ! J'ai pris les devants ! Et j'ai imploré à l'île de ne jamais plus laisser personne quitter l'Autre Versant ! Mais ne crois pas une seule seconde que cette décision ne me torture pas à chaque instant…
Grand Dieu… il souffrait.
- Je vis seul depuis plus d'années que j'peux en compter ! Je vis seul sans personne pour m'aider, condamné à voir mon île et sa magie dépérir au fil des années ! Tel était le prix de mon souhait…
Plus qu'un constat, ils pouvaient le ressentir jusque dans leurs chaires !
- Et je continue de le payer… cracha-t-il amer. Chaque jour que Dieu fait, je continue de payer !
Oui. Sa souffrance était sans pareille, sa honte intemporelle et sa tristesse éternelle… des émotions infâmes, viles et cruelles qui n'avaient cessé de le torturer pendant des siècles ! Des douleurs, des déceptions et des deuils, qui acculé sous les larmes de son pauvre cœur, les plongèrent dans une nouvelle torpeur…
- Et pourtant, je… j'ai jamais voulu être capitaine ! J'ai jamais voulu porter le fardeau d'une telle promesse ! Et j'ai jamais voulu rester un enfant pendant des siècles !
Une éternité à devoir vivre dans un corps d'enfant…
Une éternité à devoir porter la responsabilité de l'Autre Versant…
Une éternité à devoir endurer le poids de son ultime décision…
- Mais j'ai pas eu le choix ! Personne… personne m'a jamais laissé le choix !
Oui… personne. Ni le Sorcier qui l'avait nommé Capitaine. Ni l'île qu'il s'était juré de garder prospère. Ni ses hommes qui s'apprêtaient à trahir leur promesse…
- Alors juge moi tant que tu veux camarade… ça m'est égale ! Cingla-t-il. Mais ne prétend pas me connaître quand tu ne vois que trente secondes de plusieurs siècles d'histoire !
Frappé par l'intensité de ses cris effrénés, Voldemort senti sa gorge se serrer, sa mâchoire se contracter et son souffle se couper… car jamais encore il n'avait vu un enfant autant agoniser. Oui… agoniser ; tel était le seul mot pouvant faire écho à la douleur qu'il vit rayonner dans son regard embrumé, dans ses tremblements de lèvres pincées et hoquets essoufflés. Tel était le seul mot que Connor incarnait… Aussi, c'est le cœur profondément troublé et l'âme renversé que le Mage Noir abaissât sa baguette, une Hermione en larme à ses côtés. Prostrés, aucun d'eux ne trouva le courage de parler, de rétorquer ou de ne serait-ce que remettre en doute sa sincérité… à tel point que même le Mage Noir sentit sa haine se dissiper. Mais il n'était pas assez sot pour le croire à l'aveugle… une évidence qui galvanisé par son orgueil, le fit se grandir dans l'éclat d'une nouvelle rancœur.
- Alors raconte-moi… souffla-t-il durement.
- Quoi ?!
- Si tu veux que je puisse à nouveau te croire… raconte-moi tout ce que je ne sais pas.
Oui… il était étrange de voir comment la vérité se faisait entendre. Comment, en une simple seconde, elle pouvait se frayer un chemin jusque dans les consciences, déliter les sens et engendrer milles hurlements ; comment sa seule présence parvenait à changer le cours d'une existence... et parfois même à renverser le monde.
Hey ! Le moment de la confrontation est enfin là ! Connor ne dément pas mais comme vous pouvez le voir, il semblerait que de davantage d'explication soient à prévoir... et elles ne sont pas minces, je peux vous l'assurez ! Car enfin nous allons aborder la véritable histoire de Connor et de son passé !
En tout cas j'espère que cette confrontation vous aura plu ! Gros chapitre la semaine prochaine avec davantage de révélations !
Merci encore pour vos messages et MILLE PARDON à tous les Guest à qui je ne peux pas répondre, mais je lis chacun de vos messages et vous n'y imaginez pas le bonheur que ça me procure ! Mercie encore ! A très vite !
