Quand Hermione entendit les premières voix résonner par de-là le rivage, c'est la main tremblante et la nausée au bord des lèvres qu'elle resserra son emprise sur le bras du Mage. Acculée dans la maigre obscurité de son ombre, elle avançait tête baissée, les épaules basses et les poings serrés, sa baguette crépitant frénétiquement au rythme de leur ascension forcée… une ascension longue, pesante et étrangement accablante, dont le silence ne lui inspira rien de moins que celui d'une rangée de condamnés. Et pour cause…
Aucun d'eux ne voulait savoir ce qui était apparu sur la plage.
Aucun d'eux ne voulait affronter les revenants invoqués par l'orage !
Et aucun d'eux ne voulait rencontrer les tous premiers pirates de l'Histoire…
Non pas qu'ils soient à blâmer… quand Connor lui avait parlé de son équipage, de quarante-deux hommes autrefois guidés par l'honneur, le dévouement à leur tâche et le plus noble des courages, elle n'avait jusqu'alors jamais envisagé leur faire face ; pas plus que Voldemort d'ailleurs ! Mais maintenant là qu'ils étaient là… à compter chacun des pas qui les rapprochaient de leur maudit rivage... et qu'ils percevaient chacune de leurs exclamations entre deux cris d'outrage… aucun d'eux ne parvenaient à imaginer ce qu'ils s'apprêtaient à voir. Devaient-ils s'attendre à des rustres ? Des soulards ? Des ignares ? Des sots tout juste bons à rouler des barriques dans une calle, et à s'endormir entre deux portées de rats ? Ou à une bande de frêles carcasses, qui tel Connor, n'avait pas assez de chaire sur le os pour apaiser la fringale d'un charognard ? Ils l'avaient imaginé… à vrai dire, ils l'avaient même souhaité, désireux de se rassurer à travers les mirages d'un attroupement de benêts incapable d'aligner deux pas après cinq cent ans de sommeil forcé ! Mais il aurait été naïf, arrogant et incroyablement stupide de croire qu'un tel équipage aurait pu survivre à plus de mille cinq-cents ans de pillages historiques... Pire encore, il aurait été horriblement dangereux de se conforter dans le fantasme de prédictions aussi pernicieuses ! Viles ! Et orgueilleuses ! Car ils ne savaient rien d'eux… et se faisant, ils se devaient de les voir comme des ennemis dont l'imprévisibilité n'avait d'égale que celle des Dieux.
- Ils ne vous connaissent pas, alors ne les provoquez pas… Leur avait soufflé Connor à demi voix.
Aussi, c'est dans cette optique que les deux sorciers s'étaient vus inspirés de nouvelles théories.
- Ne leur parlez pas. Ne les regardez pas.
Des théories, qui moins bien sécurisantes que les précédentes, ne manquaient pas de leur hanter l'esprit…
- En fait, ne bougez même pas !
Celles de sauvages… de guerriers millénaires ayant combattus pour des Empereurs, des Princes et des Rois ! De gladiateurs en disgrâces, aux cous de taureaux et colliers de crânes ! De fils illégitimes de Mars, souillés par le sceau de leurs naissances bâtardes ! De maudits des Parques, privés de Graal, d'Ambroisie ou de gloire, condamnés à ne vivre que de sang et de combat ! De soldats aux glaives noires d'entrailles, dont la cruauté n'avait d'égale que leur soif de naufrages ! De barbares vêtus de cris et de larmes, prêts à tout pour venger l'honneur de leur existence profane ! D'êtres à l'avidité si bestiale, à la haine si viscérale et la Destinée si létale, que leurs cœurs sans âmes ne battaient plus que pour assouvir la plus nocive des rages…
- Et surtout… n'intervenez pas. Avait-il déclaré blafard.
N'intervenez pas… A ces mots, les deux sorciers avaient senti leurs souffles se couper d'effroi. Ils avaient imaginé le pire. Le plus détestable. Le plus horrible ! Mais si cela ne suffisait pas ? Si ces hommes étaient ce qu'il existait de plus exécrable ? De plus ignoble ? De plus redoutable ? Après tout, ils ne savaient rien de ce qu'étaient de réels pirates ! Ils ne savaient rien de leurs forces, de leurs faiblesses, carrures ou états d'âme ! Et se faisant, ils pouvaient être à l'aube d'un nouveau cauchemar… Faire face à une bande de démons décharnés par le temps et la cruauté de leurs pillages ! A des monstres à la peau pendante, aux poches pleines de sable et mentons pleins de bave ! A des corps seulement animés par la force du vice et de l'effroyable, dont l'haleine n'avait d'égale que leur odeur putride de cadavre ! Ou à des êtres si atroces, si sordides et haïssables, que Belzébuth lui-même ne pouvait que s'étouffer d'horreur devant la laideur, la bassesse et le malsain de leurs grimaces ! Que dire ! A des fils de l'infâme ! Des apôtres de l'ignominie et du méprisable ! L'incarnation même de l'abominable, le tout condensé dans les corps souillés d'anciens ladres ! Oui… ils pouvaient être tout cela. Mais était-ce déraisonnable ? Avaient-ils tort d'y croire ? Et d'imaginer les enfants de Satan sur ce rivage ? Ils ne savaient pas… un ultime détail qui bien qu'ils tentent de garder la tête froide, ne parvenait qu'à les pétrifier d'effroi.
- C'est compris ?
Compris ? Compris ?! Par tous les Diables… ils allaient mourir ! Voilà ce qu'Hermione avait compris ! Voilà ce qu'il oubliait de leur dire ! Voilà ce qui les empêcherait d'atteindre ses maudits navires ! La mort par les rejetons du chaos et de la plus abjecte des vésanie…
- C'est compris ?! Avait-il répété plus fort. Personne n'intervient !
Ne pas intervenir.
Ne pas intervenir.
Ne pas intervenir… qu'est-ce que cela voulait dire ? Ils n'auraient sûr dire ; mais n'eurent besoin d'aucun dessin pour imaginer le pire.
- Et je parle pour toi Tom !
- Ne compte pas sur moi pour te regarder te faire lapider par ton équipage… avait grondé le Mage.
- Tu ne comprends pas camarade… Ils vous verraient comme une menace !
Par Morgane…
- Ils penseraient que vous désirez prendre leur place… que j'éduque de nouveaux naufragés à devenir pirates et que je chercher à former un nouvel équipage !
Oui… en un sens, cela semblait logique ; en particulier de la part d'une quarantaine d'hommes aux réflexes archaïques, dont l'étroitesse d'esprit n'avait d'égale que leurs mœurs antiques ! Mais seigneur… il y avait tant de règles à suivre.
- Alors restez en retrait.
Tant de coutumes.
- Ne parlez que si vous êtes interrogés.
Tant de choses à retenir.
- Ne les laissez jamais deviner que vous êtes sorciers !
Tant d'incertitudes…
- Et ne faites aucune référence aux cinq cent ans qui se sont écoulées !
Et tant… tant de risques.
Non pas uniquement pour Connor, son statut ou son avenir ! Pas même pour les navires ou leurs chances de quitter cette île ! Mais pour tout ce qui risquait d'advenir si Voldemort ne parvenait pas à se tenir. Car Hermione ne se leurrait pas… jamais par Salazar, son Maître ne s'agenouillerait devant un pirate. Jamais il ne détournerait le regard ! Jamais il ne baisserait les armes ! Et jamais ô grand jamais, il ne ferait profile-bas... Une évidence pour le moins fatale, dont la jeune femme connaissait déjà le dénouement macabre.
- Oh et… une dernière chose. Avait-il dit livide.
- Laquelle ?
La plus terrible.
- Ne… ne les laissez jamais penser que vous n'êtes pas être marié.
A ces mots, un lourd silence avait résonné entre eux, mélange d'incompréhensions et de non-dits douteux. Pourquoi ? La réponse était facile… une réponse que la jeune femme peina à concevoir dans l'écho de sa candeur naïve, mais qui alors même que Connor laissait échapper un soupir, la fit brusquement blêmir. Bien sûr, elle savait qu'elle devait rester docile… ne pas faire de vague et se faire petite. Mais jamais elle n'aurait imaginé devoir se plier à une règle aussi… risible. Déplacée. Intime. Connotée ! Et même futile ! Pourtant et bien qu'elle ignore encore quel mot serait le plus à même de définir l'étrange malaise qui l'avait saisi face à l'enfant et l'exigence de ses pupilles, son Maître lui, n'avait réussi qu'à se figer dans un hoquet inaudible ; qu'à se redresser sous l'élan de son adrénaline et regarder autour de lui dans l'éclat d'un regard irascible… avant de soudainement couvrir sa taille d'une poigne possessive et de laisser un étrange grondement jaillir de sa poitrine. Pourquoi ? Une fois encore, elle ne l'avait pas immédiatement compris. Tout comme elle n'avait pas saisi l'ampleur de la consigne que leur avait donné le petit… du moins, jusqu'à qu'elle ne sente un mauvais présentiment lui agiter l'esprit.
- Qu… que veux-tu dire ? S'était-elle enquit.
Mal à l'aise, Connor n'avait rien dit, conscient que sa logique réduirait le silence de Voldemort à une flopée de cris ; mais il ne pouvait pas leur mentir… et encore moins quand l'enjeu de leur réussite n'était rien de moins que leur survie.
- C'est… c'est juste que…
- Que quoi ?! Avait grondé le Mage.
Qu'il n'avait pas la moindre idée des réactions de son équipage… en particulier après cinq cent ans passés dans une calle.
- Te trompes pas ! Ils ont jamais été méchants avec les Dames… mais ce sont des hommes, et…
- Et ?!
- Et toi mieux que personne sait qu'Hermione est une femme ! Pire que ça même, c'est une… une belle femme !
Oh Seigneur…
- Alors à moins que tu ne veuilles les voir tenter de te la marchander comme du bétail, garde la près de toi…
Oh Seigneur !
- Tu te moque de moi… avait lancé le mage d'un ton macabre.
- Pff… j'aimerais bien ! Mais j'te l'ai dit… avec eux j'suis jamais sûr de rien.
Formidable ! Non content de devoir affronter une bande pirate plus vieux que Jules César, il leur faudrait veiller à ce qu'aucun d'eux ne cherche à l'acheter comme une vulgaire volaille ! Bien sûr ! Pourquoi quoi ?! Après tout, qu'est-que qui pourrait tourner mal ?!
- Tu as conscience que j'émasculerais le premier qui osera la regarder ?
- Je sais ! S'était-il écrié. Et c'est justement pour ça que je vous demande de rester en retrait !
Rester en retrait… au risque de se voir défier.
Rester en retrait… au risque de se voir massacrer.
Rester en retrait… au risque de se voir marchander.
Grand Dieu… ils allaient vraiment y passer.
Aussi, c'est sur cette belle pensée que la jeune femme se sentit frissonner, ses pieds s'enfonçant de moitié dans un sable désormais tremblant de pas effrénés. Accompagné d'échos distordus et de voix enrouées, ils la laissèrent lentement se décomposer, le cœur branlant à mesure que la main de son Maître s'accrochait à elle avec fermeté. Une main qu'elle n'aurait lâché pour rien au monde à l'approche de cette horde de truands, et qui, plus ils avançaient, plus galvanisait les cris de son serpent.
- Y a pas moyen de le faire taire celui-là ? Avait demandé Connor devant ses froissements d'écailles.
- C'est une marque d'allégeance !
- Ouai bah elle est bruyante !
- Connor…
- D'accord, d'accord… mais il vaudrait mieux pour vous qu'elle morde personne !
Amusée, la jeune femme esquissa un sourire au souvenir de sa réplique, son serpent rampant frénétiquement dans le creux de sa poitrine… Bien sûr, elle savait que cette seule preuve de magie constituait un risque ; mais qu'aurait-elle pu dire ? Elle était indélébile ! Infaillible ! Incorruptible ! Et oui… un tantinet intempestive. Mais réussir à la faire taire ? Alors même qu'elle s'accrochait désespérément à son Maître et qu'une nouvelle terreur infiltrait chaque fibre de son être ?! Par Lucifer… autant demander à Narcissa d'abandonner ses corsets ! Le résultat en serait tout aussi funeste…
- Vous êtes prêts ?
Sursautant brusquement, Hermione sentit son souffle se couper à la sortie de ses pensées. Oh non… les cris rapprochaient. Les voix se distinguaient. Les échos s'éclaircissaient. Et la plage rapetissait ! Combien de mètres leurs restaient-ils ? Une quarantaine ? Une vingtaine ? Moins ?! Qu'importe… cela ne serait jamais assez selon elle. Et pour cause ! Il n'était qu'à une dune de la rencontre du siècle…
- Seulement si tu l'es.
Se mordant la langue dans un dernier frisson, Connor regarda Voldemort lever le menton, les joues rouges et le cœur battant. Pourtant et bien qu'ils ne soient qu'à quelque pas de ses anciens compagnons, le petit garçon ne parvînt pas à répondre à sa question… était-il prêt ? L'était-il vraiment ?! Il l'espérait… mais ne le saurait jamais en se cachant derrière ses appréhensions.
- Vous… vous êtes pas obligé de venir vous savez. Souffla-t-il la gorge serrée.
Ne manquant pas la fébrilité de son ton, Hermione fit volteface dans un frisson. Une réaction toute aussi violente que spontanée, qui traduit à elle seule tout ce qu'ils étaient désormais prêts à endurer…
- Hors de question de te laisser ! Cingla-t-elle sans hésiter.
- Mais…
- Tu as notre réponse. Renchérit froidement le Sorcier.
Oui… il l'avait ; mais ne pouvait nier l'effroi qui le tétanisait. Que dire ! Qui l'asphyxiait ! Car penser qu'il n'était pas terrifié était une erreur… il l'était plus que jamais.
- Ne reste plus qu'à nous donner la tienne… Capitaine.
Respirant à grand souffle face la chaleur d'une nouvelle fièvre, Connor frémit soudainement sous l'étau de son regard de braise. Un regard qui ne tarda pas à incendier son être, avant de ne soudainement lui arracher un frisson muet.
Capitaine…
Jamais encore il ne l'avait appelé ainsi. Jamais encore il ne l'avait regardé avec un tel sourire. Et jamais encore il n'avait senti sa magie battre pour lui... Pourtant, les étincelles de ses poings n'auraient su mentir ; pas plus que la vigueur de son adrénaline, le frémissement de ses pupilles et le souffle avide de sa poitrine ! Oui… il n'y avait aucun doute... Tom était prêt à en découdre ; prêt à marcher la tête haute et la rage au pouls ! Prêt à l'aider à mettre ses hommes genoux ! Mais plus important encore… il était prêt à le suivre jusqu'au bout. Une marque de confiance allié à un puissant respect, qui alors même qu'il désespérait, gonfla son cœur d'un émoi qu'il avait jusqu'alors oublié… un émoi dont la seule vue manqua de lui faire chavirer.
Celui d'un capitaine soutenu et aimé.
Celui d'un Capitaine confiant et respecté.
Celui d'un Capitaine qui ne serait jamais abandonné…
Avait-il tort d'y croire ? De se fier à cette étincelle dans son regard ? De se laisser gagner par de nouveaux espoirs ? Et de s'attribuer la ferveur d'une telle foi ? Il ne savait pas… mais ne se trompait pas. Il ne marchait pas seul sur cette plage. Il n'affronterait pas seul son équipage. Et ne serait pas seulement vu comme un enfant ce soir… non. Il serait un Capitaine… accompagné d'un Mage Noir. Un ultime détail qui bien qu'il lui réchauffa l'âme, ne manqua pas de lui arracher une grimace.
- Si les choses venaient à mal tourner… Lui souffla-t-il d'une voix enrouée. Si mes hommes se rebellent ou cherchent à vous attaquer… prend Hermione avec toi et saute dans le premier navire que vous verrez.
- Quoi ?!
- Mets-le à flot à l'aide de ta magie, jette une offrande de sel à Marise et suis l'Etoile du Sorcier jusqu'à ce qu'elle t'éblouisse…
Oh non…
- Vous quitterez l'Autre Versant et déboucherez en plein Océan Atlantique…
Oh non !
- Connor… balbutia le Mage.
- Ainsi vous serrez libre… et pourrez rejoindre votre pays.
Ahurit, Voldemort se sentit brusquement blêmir, un Hermione désormais mortifiée accrochée à lui. Seigneur… leur pays ?! Mais… mais il ne pouvait pas leur dire ça ! Pas comme ça ! Et certainement pas avant de rencontrer son équipage ! Et pourtant, jamais il ne vit trembler son regard…
- Ne dis pas ça… Gronda-t-il avec hargne.
- Il le faut !
- Non !
- Tom Tonna-t-il.
Au bord d'un nouveau malaise, le Mage Noir se mordit la langue face à sa nouvelle détresse. La seule qu'il n'avait pas anticipé, et dont la douleur suffit à le faire suffoquer…
- Quoi qu'il m'arrive, il faut que vous sachiez comment quitter cette île… Reprit-il.
Quitter cette île…
- Il faut que vous puissiez partir !
Partir…
- C'est le seul moyen d'assurer votre survie.
Leur survie… Oui. Et pourtant, cette fuite ne l'incluait pas lui.
- Et toi ? Lança-t-il fébrile.
Presque surpris par la spontanéité de sa question, un étrange silence saisit le petit garçon. Troublé, confus et hésitant, il ne dit rien pendant de longues secondes, ses grands cils battant frénétiquement à mesure que le torturait de nouvelles interrogations ; le genre qu'il n'avait pas l'habitude de se poser… qu'il n'avait jamais envisagé… et qu'il préférait même éviter ! Mais le genre qui pendant un bref instant, laissa une soudaine amertume posséder ses traits. Mélange de doute et de rancœur, elle le défigura dans l'éclat d'une étonnante pâleur, révélant alors toute la douleur qui habitait son cœur… pourquoi ? Le Mage ne fut pas certain d'en saisir la teneur, mais ne put que frissonner quand il se redressa de toute sa hauteur.
- Ne vous occupez pas de moi. Trancha-t-il sans respirer.
- Connor…
- Croyez-moi… vaut mieux pas.
- Mais…
Ne leur accordant pas même un regard, Hermione se ravisa, leur cœur sanglant devant la soudaine obscurité de son visage. Aussi, ils le comprirent ; le Connor qu'il connaissait n'était plus là…
- Restez quinze pas derrière moi. Dit-il une dernière fois.
Ne restait qu'un Capitaine…
- On part à l'abordage.
Ne restait qu'un Pirate.
