La pluie tombait sans discontinuer depuis plusieurs heures. Les deux amis auraient préféré passer leurs quelques jours de vacances bien mérités au soleil, mais ils en eurent pour leurs frais. Comble du malheur, les sources d'occupation n'étaient pas légion, en leur antre. Les coups d'œil désabusés vers la fenêtre ne comptaient pas.
Si Fantasio avait rapidement comblé son ennui en se tournant vers une activité nécessaire pour lui – la rédaction de son prochain article à paraitre –, Spirou n'avait pas une telle chance. Il alternait entre lectures de journaux, jeux avec Spip, séances caresses et don de noisettes, puis rangement des placards en désespoir de cause bien qu'il n'y eût pas grand-chose à déplacer. Après tout cela, et tandis que l'écureuil ronflait joyeusement sur son coussin, le jeune aventurier se trouvait dans une impasse. Hormis une observation appuyée des lieux et de ses amis, en particulier d'un Fantasio qui les ignorait, lui et son ennui, avec superbe, il n'avait plus rien. Son regard se portait surtout sur le blond, trop concentré sur sa tâche pour s'en rendre compte.
Il l'observa encore quelques instants à la dérobée avant de baisser la tête avec un soupir, tandis qu'une moue triste passait brièvement sur ses traits. S'il savait… En quête d'une distraction, il se leva pour se diriger vers la cuisine. Il gagna l'évier et se remplit un verre d'eau qu'il but d'une traite. Il le rinça ensuite d'un geste mécanique alors que ses pensées retournaient auprès de son compagnon. Même si leur vie ne le satisfaisait pas autant qu'il l'aurait voulu, c'était le meilleur compromis possible – vivre avec lui en colocation et passer l'essentiel de son temps avec lui. C'aurait pu être pire.
Lorsqu'il retourna dans le salon, Fantasio n'avait pas bougé d'un iota, comme si le temps s'était figé là, immuable. Les allées et venues de son meilleur ami ne l'avaient nullement troublé.
Spirou retourna sur le canapé, près de Spip qui s'agitait dans son sommeil. Il se frotta le visage, las, et reporta un instant son regard vers la fenêtre. Toujours aucun changement. Un autre soupir. Décidément, cette après-midi allait être très longue. Il s'affaissa contre le dossier molletonné et passa un bras par-dessus pour y poser sa tête. Il ferma les yeux. Peut-être qu'en dormant un peu, le temps passerait plus vite. Même s'il n'était pas réellement fatigué, et qu'il aurait potentiellement quelques soucis pour s'endormir le soir venu, il ne voyait pas d'autres solutions.
– Il faudrait qu'on aille faire des courses.
Spirou sursauta à la voix du reporter qui venait de s'élever, faible et distraite, mais qui retentit à ses oreilles dans le silence ambiant. Il se retourna vers lui, étonné. Tous deux le savaient déjà, la liste collée sur la porte du frigo était longue et les placards presque vides, et les dernières noisettes de Spip avaient été englouties par ce dernier tantôt. Cela ne changeait rien au climat qui ne s'y prêtait pas.
– La pluie a commencé à diminuer un peu, ajouta-t-il tout en continuant à griffonner sur sa feuille.
– Tu voudrais y aller maintenant ? demanda Spirou, le sourcil levé.
Le blond haussa les épaules avec négligence.
– Pas dans la minute qui suit, je finis mon article – je devrais l'avoir terminé d'ici quelques minutes. Mais il le faudra bien : il ne reste presque plus rien, et je ne tiens pas à remanger des pâtes aux sardines ce soir.
Spirou grimaça ; leur repas du midi n'avait pas été glorieux, puisqu'il ne restait déjà plus que des pâtes et des boites de sardines. Même plus de sauce, aucune viande ni légume, rien. Ah si, quelques pommes et une orange. Pas de quoi leur éviter les pâtes aux sardines. Des pâtes aux fruits, peut-être ? Ou des pommes aux sardines ?
Comme aucune de ces options ne le réjouissait, il abdiqua ; il préférait nettement affronter la pluie, même encore battante, plutôt que de remanger un plat aussi peu goûteux.
– Ok, tu as gagné, soupira-t-il.
Fantasio ne réagit pas, les yeux posés sur sa feuille annotée qu'il parcourait de son écriture brouillonne. Le rouquin admira les courbes qu'effectuait son poignet, sèches et rapides et qui traçaient des lignes peu élégantes. Troublé, il détourna les yeux. Ridicule.
Le cœur battant la chamade, il leva les yeux vers la fenêtre pour constater après quelques secondes d'observation que le reporter avait raison. La pluie commençait doucement à décroitre ; peut-être aurait-elle définitivement cessé avant qu'ils ne fussent rentrés.
– Tu préfères que j'aille faire les courses seul ? Si tu veux te concentrer sur ton article…
– Ce ne sera pas nécessaire, j'ai bientôt fini, souffla Fantasio sans porter le moindre regard à son compagnon. Tu n'as qu'à vérifier s'il y a tout sur la liste, si tu veux. Sauf si tu tiens à y aller seul.
– Pas vraiment, non.
Spirou se redressa. La tâche ne lui prendrait que quelques minutes, mais cela aurait le mérite de l'occuper. Fixer avec insistance son ami n'était pas une option convenable.
Ceci terminé, il revint au salon avec la liste en main, pour apercevoir Fantasio fermer son stylo et son carnet et se redresser.
– Une bonne chose de faite ! fit-il avec un bâillement, tout en étirant ses membres engourdis.
Sur ces mots, le reporter se rapprocha de lui pour récupérer la feuille. Au contact de ses doigts sur les siens, Spirou sentit son trouble s'accroitre malgré la brièveté du contact. Il se mordit les lèvres tandis que Fantasio relisait la liste en silence. Pourquoi devait-il considérer son meilleur ami en de tels termes ? Et son ami qui n'y voyait que du feu, innocent qu'il était ! Spirou avait l'impression de le trahir de la sorte, bien que ce ne fût pas volontaire.
Il n'était plus seulement ridicule, il était pitoyable.
– Spirou ! Nous devrions y aller.
Spirou sursauta et acquiesça à ces mots, heureux de cette distraction. Il était presque enthousiaste d'affronter la pluie, à présent. Peut-être le débarrasserait-elle de ces émotions obscures qu'il n'aurait jamais dû ressentir.
