6. Ne pas douter.
Levi se leva aux aurores, d'une humeur massacrante. Déjà, il avait la gueule de bois. Ensuite, ses fringues puaient la vieille charogne, au point que la première envie qu'il ressentit était de dégobiller tout ce qui se trouvait dans son estomac, bile incluse. Il sortit rageusement de la tente, et, avisant le gamin qui s'était endormi à côté de ce qu'il restait du feu de camp, il eut un vif souvenir de ce qu'il avait fait la veille. Putain.
Il prit ses lames et son équipement aussi silencieusement que possible, et partit dans la foret en trainant des pieds. Arrivé au pied d'un sapin, il déclencha le gaz et prit de l'élan pour fendre l'air et venir planter ses lames à une vitesse fulgurante dans l'écorce d'un pauvre mélèze qui se trouvait malencontreusement sur son chemin. Il continua avec la même vitesse à strier les arbres de ses lames, les déchiquetant et leur coupants les branches comme s'il s'agissait d'une armée de titans. Au bout d'un certain temps à se déchaîner de la sorte, il s'arrêta sur la terre ferme et contempla ce qu'il restait d'un massif d'arbustes complètement ravagé par sa colère.
Il tourna sur lui même et lança sa lame dans un petit buisson qui se retrouva coupé en deux, avant que l'objet du crime n'aille se figer dans un rocher, vingt mètres plus loin. Les oiseaux s'étaient envolés depuis un bon moment, et seule la respiration erratique de l'homme brisait le calme du début du jour. Il commença à marcher en long et en large en se massant le crâne, essayant de réfléchir aux événements de la veille. Non mais bordel qu'est ce que t'as fait pauvre con. Se réprimanda t-il. T'as failli sauter un gamin, un subordonné, et un titan pour couronner le tout. Continua t-il en donnant un grand coup de pied dans une motte de terre.
Putain, mais comme si j'avais que ça à foutre! Sa deuxième lame partit à son tour empaler un arbre avec violence, qui craqua sous le coup.
Rivaille continua de marcher rageusement, donnant des coups de poings et de pieds à tout ce qui entrait dans son champ de vision, et se grattant vivement les côtes, sur lesquelles commençaient à apparaître des rougeurs et de légères entailles. Il finit par s'assoir sur une souche, les mains en prière devant son nez, pour se calmer. Au bout de longues minutes à réguler sa respiration, il se mit à se rassurer. Bon. C'était qu'une fois, sous l'influence de l'alcool et c'est tout. Ce crétin va obéir à mes ordres sans se poser de questions et tout ira bien.
Claquant les mains sur ses genoux, il se leva le plus dignement possible, la tête lui tournant encore un peu. Lorsqu'il revient au campement, Eren avait déjà rangé le bordel de la nuit et préparait le petit déjeuner. Bon.
Rivaille fit comme s'il n'avait pas entendu le petit 'bonjour' timide et fila vers l'étang pour nettoyer son uniforme, et lui même par la même occasion. C'est donc nu comme un ver qu'il pénétra dans l'eau glacée, portant ses vêtement puants le plus loin possible de son corps pour ensuite les savonner comme un dément dans l'eau.
Pendant ce temps là Eren faisait tous les efforts du monde pour ne pas regarder la scène, mais rougissait jusqu'aux oreilles en imaginant son supérieur se baignant nu. Il resta dos à la provenance des sons d'éclaboussures, craignant pour sa vie si jamais le caporal le prenait à le reluquer.
La petite pointe au coeur s'était faite encore sentir ce matin, lorsqu'il avait entendu son caporal se lever en grognant et détaler très vite dans la forêt sans le réveiller. Le jeune homme n'avait presque pas fermé l'oeil de la nuit, tentant par tous les moyens de comprendre ce qu'il s'était passé. La boule dans sa gorge s'était faite de plus en plus conséquente lorsqu'il avait entendu les grognements endormis de son supérieur. « Plus jamais ça... » était une des expressions qui avait failli faire jaillir des larmes.
Il ne savait pas pourquoi ces trois petits mots lui nouaient autant le ventre. Pourtant, il ne se serait jamais attendu à ce qu'il s'était passé la veille. Il n'aurait jamais pensé qu'il puisse autant aimer être aussi proche de quelqu'un, physiquement et intimement, et qui plus est, d'un homme. Il n'avait jamais eu une pensé sexuelle envers d'autres hommes. Maintenant qu'il y réfléchissait les femmes non plus. Il soupira. Comment l'aurait-il pu? Il était devenu orphelin à 10 ans, puis membre du corps de l'armée chargée de décimer les titans jusqu'à leur mort, pour finalement se rendre compte à 14 ans qu'il en était un. Il n'avait jamais eu le loisir de penser à ses attirances ou même d'en avoir. Il ne pensait même pas vivre assez longtemps pour avoir la chance de fonder une famille…
A 17 ans, il n'avait eu envie de personne, ni touché intimement aucune de ses connaissances avant hier soir. Et vu la brulure qui lui parcouru l'échine lorsqu'il se remémora les sensations de la veille, il du se rendre à l'évidence qu'il avait très envie que Rivaille le touche à nouveau comme ça. Il se tritura le cerveau longuement pour essayer de comprendre ce qui ne tournait pas rond chez lui.
Il entendit vaguement Rivaille passer à côté de lui sans dire un mot pour récupérer un uniforme propre pendant que l'autre séchait au soleil. Pourquoi son supérieur semblait-il presque lui en vouloir? Pourtant il ne se rappelait pas avoir fait quoi que ce soit pour initier ce rapprochement, à part son comportement empoté sous sa forme titanesque… Les paroles froides et sans appel de Levi lui revinrent brusquement à l'esprit. Oublie ce qu'il vient de se passer. Facile…
Ils ne s'adressèrent ni la parole ni un regard de toute la journée, Rivaille s'étant éclipsé après le petit déjeuner comme si il avait le diable aux trousses. Eren avait senti une légère colère monter en lui, et s'était alors dit que pour s'occuper et penser à autre chose, il passerait un peu de temps avec les moutons. Il marcha jusqu'à l'endroit de la prairie où les bêtes semblaient s'être concentrées, et se mit à en caresser certaines, toujours perdu dans ses divagations.
Il fut surpris de sentir une onde de peur traverser le troupeaux, les bestiaux commençant à bouger anarchiquement, se cognant les uns aux autres en criant. Il comprit très vite ce qu'il les avait fait réagir de la sorte en se retrouvant à quelques mètres d'un immense grizzli, qui venait d'attraper un des moutons pour briser sa nuque en deux dans sa mâchoire.
Eren sentit son coeur s'accélérer à cause de l'adrénaline, et sa vision se brouilla. Il resta pourtant immobile, se disant que c'était la meilleure chose à faire devant une bête aussi énorme et menaçante. Il se courba même, essayant de faire comprendre à l'ours qu'il n'était pas une menace, tout en gardant les yeux rivés sur lui, sa main glissant millimètre par millimètre vers ses lames. Le grizzli le regarda et lui grogna dessus, faisant se courber un peu plus Eren, qui commençait à se demander s'il n'allait pas se transformer pour l'affronter.
Il entendit soudainement des pas précipités au loin, et vit Rivaille courir vers lui, lames dégainées. Tout à sa contemplation, il ne remarqua pas que l'animal s'était mis à charger. Il n'eut le temps que d'entendre le grognement sourd de la bête avant de sentir le goût du sang dans sa bouche. L'ours l'avait saisi au niveau du ventre avec ses crocs, et commençait à le secouer de gauche a droite en serrant de plus en plus fort pour le disloquer. Eren se dit que bon dieu, ça faisait un mal de chien, avant de planter ses doigts dans les yeux du mammifère, pour le faire lâcher prise. Cela eut l'effet escompté puisque l'immense mâchoire le lâcha et il s'écrasa au sol. Pourtant, Eren ne put goûter à la liberté bien longtemps puisque l'ours essaya de lui arracher la tête en plantant ses énormes dents dans son crâne. Sa tête lui tourna et il se dit que c'était quand même ridicule pour un titan de mourir dévoré par un ours, avant de sombrer dans l'inconscience.
Lorsqu'il se réveilla, il cru que ses yeux étaient entrain de s'éjecter de leur orbite tant il avait mal au crâne. Il sentit un tissu froid sur son front, et l'odeur métallique du sang. Il y avait une autre odeur aussi, bien plus agréable, musquée. Il ouvrit les yeux en grimaçant mais ne put rien voir, tout était noir, malgré les clignements de paupières de plus en plus paniqués qu'il produisait. Il entendit des pas vers lui et tendit les bras dans l'air pour se protéger. Deux mains rêches et chaudes lui encerclèrent les poignets, et il entendit enfin une voix connue :
« Shh. Détends toi. T'es pas passé loin de la fin morveux… »
La voix lui semblait presque douce, et le calma sur le champ. Il laissa retomber ses mains et articula difficilement, sa langue étant devenue cotonneuse :
« Qu'est ce qui s'est passé? »
« Tu t'es fait croquer par une saleté d'ours des cavernes. » Répondit la voix de Levi. « On aura de la viande ce soir, ça devrait t'aider à guérir plus vite. »
Eren avala sa salive difficilement, essayant tant bien que mal de mettre toutes les pièces du puzzle qu'était devenu son cerveau dans le bon ordre.
« Tu m'as sauvé? » demanda t-il, inconscient qu'il venait de passer au tutoiement de son supérieur.
Une reniflement lui répondit, avant qu'un autre linge, plus frais que le premier, ne prenne place sur son front en sang.
« Merci. » Dit-il simplement.
Sa guérison prit bien trois bonnes heures, et Rivaille resta à coté de lui tout ce temps pour lui donner de l'eau et essayer de le faire manger. Une fois qu'il eut partiellement recouvré la vue, Eren vit qu'il était couvert de sang (certainement le sien et celui de l'ours qu'il avait dépecé).
« Vous ne voulez pas vous laver ? Ça doit être désagréable. » osa t-il demander.
« Je reste là. Je verrais ça plus tard. »
Même s'il était touché par ce geste, Eren ne put s'empêcher de répliquer :
« Ça ne vous a pas dérangé de ne pas rester avec moi depuis hier soir. »
Rivaille se dit que pour un subordonné presque impotent et couvert de son propre sang et à qui il venait de sauver le derche, il avait un sacré culot. Il eut une vive envie de lui écraser son poing sur le nez, mais devant le regard trouble et perdu du gamin, il se ravisa et laissa couler sans lui répondre.
Le gamin s'était totalement remis avant la tombée de la nuit, grâce au kilo de viande que lui avait fait manger le caporal. Son corps avait presque cessé de produire de la vapeur, et il voyait presque aussi clairement que le matin même. Ils arrivèrent même à avoir une discussion normale, Rivaille lui racontant exactement ce qu'il avait vu et comment il avait fait pour se débarrasser de la bête et qu'elle lâche la tête du jeune homme.
Eren vit le regard de son vis à vis s'assombrir pendant qu'il racontait la partie où il essayait de le ranimer, buvant une grosse gorgée d'eau de vie entre chaque phrase. Il en fut étonné. Lui ne savait pas exactement ce qu'il aurait ressentit à la place de Levi, mais fut rapidement persuadé qu'il se serait transformé, et qu'il n'aurait pas été assez tendre avec la bête pour qu'ils puissent en tirer quelques tranches de steak. Il rigola même quand son supérieur le sermonna de ne pas s'être changé en titan, et lui dit qu'à cause de sa nullité, il avait du abandonner la traque d'une biche dans la forêt.
La chaleur de l'alcool se propageant dans son corps encore un peu émoussé, Eren avait les yeux qui commençaient à se fermer par intermittence, en regardant les flammes hypnotisantes.
« Il est temps de dormir imbécile, je reste là monter la garde. » Prononça Rivaille dans le noir.
Eren se leva tant bien que mal, et frissonna violemment quand il ne fut plus enveloppé par la chaleur bienfaitrice du feu.
« C… Caporal… Il fait encore plus froid que toutes les autres nuits…Vous n'avez plus besoin de monter la garde je pense, et il y a assez de place pour nous deux dans cette tente. » Osa proposer le jeune homme.
Levi écarquilla les yeux l'espace d'une seconde, avant qu'ils ne retrouvent leur neutralité habituelle, et qu'il fasse un vague geste de la main :
« Ne t'en fais pas pour moi morveux, il faut que je surveille si il n'y a pas la fiancé de ton pote qui va venir se pointer cette nuit pour gober quelques moutons. »
Eren fronça les sourcils, trouvant cette idée absurde si l'on réfléchissait à la période de l'année et au style de vie des ours, très solitaires et couvrant un territoire énorme, tout ça faisant que c'était tout bonnement impossible de tomber sur un autre spécimen. Mais devant le regard froid et sevère de son supérieur, il haussa les épaules et abandonna. S'il voulait avoir froid, c'était son choix après tout.
Soupirant de bien être dès qu'il entra en contact avec les fourrures bien chaudes, il se dit que Rivaille ne savait pas à côté de quoi il passait, avant de s'endormir presque immédiatement. Il se réveilla quelques heures plus tard, alors qu'il faisait encore nuit noire, secoué par l'angoisse du cauchemar qu'il avait eu. Il eut des flash de celui-ci, le corps sans vie de Levi, tressautant dans la gueule d'un animal à moitié humain, et qui avait les yeux verts… Il secoua la tête en essayant de se calmer, lorsqu'il entendit un bruit provenant de l'extérieur.
Il entrouvrit les pans de la tente et sentit ses sourcils geler instantanément à cause de la température polaire qui régnait à l'extérieur. Il tenta de discerner quelque chose dans la nuit noire, mais n'entendait que ce bruit étrange. Il tendit l'oreille et réalisa que c'était un claquement de dents.
« Caporal ! » Chuchota t-il dans le vide abyssal qui régnait autour de lui. « Vous allez tomber en hypothermie, venez vite ! »
Un grognement à la fois agacé et tremblotant fut la seule réponse à laquelle il eut droit.
Hésitant à retourner dormir au chaud, mais sentant l'angoisse de son cauchemar le reprendre à l'idée de fermer les yeux tout seul, dans cette tente, il prit une grande inspiration et sortit dehors.
Je n'ai jamais eu aussi froid de toute ma vie pensa t-il en progressant à tâtons dans le noir. Il buta sur un corps recroquevillé et secoué de spasmes.
« Caporal. » Murmura t-il, sentant le soulagement le gagner en touchant son épaule et en sentant qu'il respirait, la brume de son mauvais rêve ne l'ayant pas quitté depuis qu'il s'était réveillé.
Ledit caporal, transi de froid, se retourna vivement et attrapa cette source de chaleur pour l'amener plus contre lui. Si chaud, se dit-il, tremblant comme une feuille.
« Levez vous, on va dormir au chaud. » Continua le jeune homme, essayant de le redresser.
« Au chaud… » Murmura la voix grave grelottante en titubant pour se lever, s'appuyant sur son comparse.
« Oui, au chaud Caporal, on y va. » Répondit sur le même ton un Eren soulagé.
Quand ils furent enfin entrés dans la tente, Levi s'écroula sur les fourrures en soupirant de bien être.
« Quelle tête de mule quand même » chuchota Eren avant de sombrer dans un sommeil apaisé, un léger sourire aux lèvres.
