7. Ne pas parler.
Ce fut un chant d'oiseau qui réveilla Rivaille en sursaut. Je suis où? Se demanda t-il, encore dans les vapes. Il avisa l'endroit dans lequel il se trouvait, essayant d'habituer ses yeux à l'obscurité qui régnait toujours. Lorsqu'il comprit qu'il se trouvait dans la tente et qu'il se demandait comment diable était-il arrivé là, il sentit quelque chose bouger contre lui. Il tourna la tête vers la source de ce mouvement agaçant, pour se retrouver nez à nez avec le morveux qui avait apparemment entrepris de se frotter à lui de façon tout à fait inconvenante.
Eren semblait toujours entrain de dormir, la bouche entrouverte et luisante dans la pénombre, le souffle haché et le bassin roulant contre sa hanche. Ni une ni deux, et sentant avec panique son propre corps commencer à réagir, Rivaille repoussa durement le jeune homme, le réveillant par la même occasion. Il se redressa, la tête lui tournant, et amorça un mouvement pour sortir des couvertures, lorsqu'une main chaude lui agrippa l'épaule avec force.
Levi se tourna violemment dans l'optique de péter le bras au cinglé qui avait osé le toucher, mais tomba sur des yeux à demi ouverts et rendus presque noirs par l'excitation. Il se figea et stoppa ses mouvements, hypnotisé par le visage du jeune homme. Ce dernier leva l'autre main pour attraper le col de sa chemise et le tirer vers lui. NON ! Rivaille repoussa une nouvelle fois le garçon en plaquant ses deux mains sur son torse, l'action produisant un claquement sourd.
Les yeux d'Eren s'ouvrirent totalement, et il cligna des yeux plusieurs fois, sans pour autant desserrer sa prise sur le corps de son supérieur. Il gémit de frustration en plongeant ses orbes vertes brillantes dans celles, orageuses, de Rivaille. Leurs têtes se murent comme des aimants, celle du cadet se rapprochant à mesure que celle du plus âgé s'éloignait. Finalement, dans une dernière tentative, Eren lâcha l'épaule de Levi pour venir enserrer sa nuque, caressant du pouce la peau juste en dessous de son oreille. La respiration de Levi s'accéléra, et il agrippa violemment la tête du plus jeune entre ses deux mains, le faisant gémir sourdement. La voix de Rivaille gronda dans sa gorge et il écrasa ses lèvres contre celles d'Eren.
Le baiser n'avait rien de tendre, il n'était qu'envie et frustration, alors que leurs corps se pressaient l'un contre l'autre avec urgence. Eren avait l'impression que sa peau était entrain de brûler au contact du corps de Levi. Ce dernier lui dévorait la bouche, alternant les morsures et les caresses de la langue, et le jeune homme ne pouvait retenir ses soupirs de plaisir. Rivaille lui tira ses cheveux en bataille, le forçant à basculer la tête en arrière pour mordre violemment son cou, le faisant frissonner jusqu'au bas de son dos. Le plus jeune passa les mains sous la chemise de son supérieur pour caresser ses côtes, le grondement grave qui s'échappa de la gorge de l'autre homme le faisant vibrer des pieds à la tête. La cuisse fine de Rivaille passa entre les siennes, et il poussa un gémissement plaintif lorsque leurs sexes se pressèrent l'un contre l'autre. C'était trop bon.
Eren ne pouvait plus contrôler les battements de son coeur, et ses gestes se firent de plus en plus anarchiques. Il voulait que la peau fraîche de Levi soit nue contre la sienne, il voulait embrasser chaque partie de son corps, il voulait se fondre en lui et que jamais ce plaisir lancinant ne prenne fin. Il leva les bras quand son caporal lui retira son tricot, et ancra son regard dans celui, orageux et désireux qui l'observait. Levi fronça les sourcils comme si quelque chose le dérangeait, ce qui créa un frisson de panique dans le corps d'Eren, mais il sembla se ressaisir et plongea le visage dans le creux entre l'épaule et le cou du jeune homme, qui soupira en sentant les mains froides du plus âgé descendre sur sa taille, pour venir attraper ses hanches et les attirer à lui pour augmenter la friction de leurs membres douloureusement tendus.
Le jeune homme s'empressa d'enlever la chemise de son caporal, et ne put s'empêcher de lâcher un gémissement d'envie lorsqu'il vit le torse nu au dessus de lui. Il était si fin, et en même temps si anguleux et solide qu' Eren se mit à le caresser avec vénération. Il remarqua alors les légères marques de dents qui striaient son plexus, et fut horrifié de se rendre compte que c'était lui qui avait fait ça. Sentant son trouble, le plus âgé lui passa le dos de ses doigts sur la joue, en un geste presque tendre, qui fit monter les larmes aux yeux d'Eren. Ce dernier caressa du bout des doigts les marques bleutées, et sentit la chair de poule se former sur le ventre de son caporal qui avait fermé les yeux, les sourcils froncés. Le jeune homme étira alors son cou, et dessina du bout de la langue un trajet imaginaire entre le plexus et la pomme d'Adam de Rivaille, qui émit un son profond et grave, entre le soupir et le gémissement, en ruant ses hanches contre celles d'Eren. Ce dernier se cambra contre le corps tendu qui se tenait au dessus de lui, la tête rejetée en arrière, cherchant de l'air.
Levi s'empressa de déboutonner la braguette du plus jeune, n'en pouvant plus de frustration, et quand il sentit des mains tremblantes faire de même avec la sienne, il se demanda avec appréhension comment il allait faire pour ne pas céder à la pulsion de le prendre là, tout de suite, contre le sol. Il ferma les yeux avec force pour se ressaisir, mais les rouvrit violemment quand il sentit la main d'Eren passer dans l'entrebâillement de son pantalon, et se refermer sur son membre. Il se mordit la joue pour ne pas gémir. Stupide gamin se dit-il en le débarrassant de son pantalon sans que le morveux ne lâche sa prise, le torturant par de lents va et vient. Le garçon le toisait de ses yeux rendus brumeux par l'excitation, complètement nu, et Levi cru qu'il allait devenir fou. Il se débarrassa à la hâte de son dernier vêtement et vint presser son corps sur celui du plus jeune, avant d'attraper leur deux sexes dans une main et de les branler l'un contre l'autre. Eren eut un petit couinement et referma ses doigts dans les cheveux de Rivaille pour l'attirer contre lui et l'embrasser en gémissant. Levi augmenta la cadence de son poignet, sentant qu'il allait bientôt venir, trop excité par les sons que faisaient Eren, soupirant et geignant dans sa bouche. Il attira la langue du plus jeune entre ses lèvres et se mit à la sucer très lentement. Eren se tendit brusquement contre lui, le corps secoué par l'orgasme qui le dévastait, poussant un long cri obscène faisant basculer Rivaille, qui se répandit dans sa main en un feulement rauque, le front posé contre celui du garçon.
Ils restèrent l'un sur l'autre, laissant peu à peu se dissiper les brumes de leur jouissance, leurs respirations erratiques se calmant petit à petit, jusqu'à ce qu'ils s'endorment, sans dire un mot.
C'est une poignée d'heures plus tard, quand le soleil commençait déjà a taper sévèrement sur la toile de tente, qu' Eren se réveilla. Il bailla à s'en décrocher la mâchoire, et regarda à côté de lui. Personne. Un picotement lui remonta dans la gorge quand il se rhabilla pour sortir de la tente, à reculons.
Levi avait revêtit son uniforme sombre, son équipement tridimensionnel et sa cape, et préparait sa monture, attachant sa sacoche sur une des boucles de la selle. Eren eut une montée de panique en se disant que Rivaille était entrain de se préparer a partir loin de lui, et s'avança rapidement vers lui pour lui attraper l'épaule.
Le caporal se déroba vivement des doigts de son subordonné, et posa des yeux froids sur lui, ennuyés et vides. Le jeune titan sentit les larmes lui brûler les yeux et détourna très vite le regard, pour ne pas que son supérieur ne les remarque. Rivaille soupira d'une voix lasse qui poussa Eren à redresser la tête vers lui. Son regard avait l'air sensiblement plus doux, et il semblait… gêné? Se dit Eren, quelque peu ahuri. Il eut très peur quand son supérieur prit une longue inspiration avant d'annoncer d'une voix morne:
« Je vais explorer l'autre face de la montagne, toi tu reste là pour garder les moutons d'accord? »
S'il était d'accord? C'était bien la première fois qu'il entendait Rivaille lui demander ça. D'ailleurs, il n'avait pas l'air d'aller bien, ses mains serraient les brides à s'en faire pâlir les jointures et son regard se fixait partout autour d'eux, comme un animal apeuré. Il n'eut pas le temps de répondre que le plus âgé s'était déjà hissé sur son cheval, comme s'il avait réalisé que son subordonné n'avait pas son mot à dire quand au déroulement de sa journée.
« Je serais de retour ce soir. » ajouta Levi avant de partir au galop sans un regard en arrière.
Même si cette dernière phrase le rassura grandement, Eren sentit ses jambes trembler et menacer de céder sous son poids. Il tituba jusqu'au tronc renversé vers lequel Rivaille, encore quelques heures plus tôt, dormait, et s'affala contre celui-ci pour se calmer. Voilà qu'il recommençait. C'était si douloureux de passer d'un état de plaisir tel qu'il en avait jamais connu à la réalité froide qui le cinglait dès le soleil levé. Comme s'il y avait un Levi de nuit qui changeait du tout au tout dès que le jour pointait le bout de son nez. Ou l'inverse.
Pouvait-il supporter ça à maintes et maintes reprises? De toute façon, ce n'était pas comme si il avait le choix, Levi était son supérieur direct, et il n'était possible pour aucun des deux de quitter le bataillon. Mais voulait-il que ça s'arrête? Non, vraiment pas. D'ailleurs, c'était plus la perspective que cette nuit soit la dernière de ce genre qui le terrifiait. A peine s'était -il fait cette réflexion qu'il sut qu'il ferait tout pour que cela se reproduise à nouveau, et au diable la tristesse qu'il ressentirait certainement au réveil.
Lorsqu'il partit en contrebas combler sa solitude en passant un peu de temps avec les moutons, il eut un désagréable élan de stress en se rappelant sa mésaventure avec l'ours. Il secoua la tête pour chasser le traumatisme, et un autre souvenir prit la place du premier. Eren se remémora tout d'un coup le récit que Rivaille avait fait de son sauvetage, en particulier le moment où il déblatérait de l'état dans lequel il avait trouvé le jeune homme, en ponctuant tous les détails d'une grimace et d'une longue rincée d'alcool. Le jeune homme sentit une bouffée d'espoir prendre place entre ses poumons en réalisant que son caporal s'était inquiété pour lui, et avait passé le plus clair de sa journée à s'occuper de lui.
Il ne me déteste pas. Se dit alors le jeune titan, un léger sourire prenant place sur son visage pour la première fois de la journée. Il eut la vive sensation d'un tourbillon d'oiseaux au creux de son ventre lorsqu'il se remémora les yeux de Levi au dessus de lui, brillants d'une lueur affamée. Le doux vertige disparu pourtant immédiatement quand une autre vision prit le dessus, celle de son caporal les sourcils froncés en le regardant.
A quoi pensait-il à ce moment là ?
A la nuit tombée, Eren était entrain de préparer le dîner 'haricots blancs -ours brun' lorsqu'il entendit enfin le claquement des sabots de la monture de son caporal. Cela faisait bientôt six heures qu'il passait en revue dans sa tête les mots qu'il avait envie de lui dire ce soir. Rivaille descendit de son cheval et marcha lentement vers le feu de camp qui crépitait doucement.
Le jeune soldat retint sa respiration, attendant que le plus vieux brise le silence. Il garda les yeux fixés sur le foyer, prenant grand soin à ce que les aliments ne carbonisent pas sur le bord du plat en fonte. Les minutes passèrent sans que le moindre son ne provienne du soldat qu'il sentait pourtant debout à quelques mètres de lui, tant et si bien qu'Eren leva finalement les yeux vers son supérieur.
Rivaille le regardait. Il n'y avait pas vraiment d'émotion qui se dégageait particulièrement de son regard sombre, mais Eren en eut tout de même le souffle coupé. Les deux iris pâles semblaient le transpercer de part en part, comme si elles appartenaient à un rapace se préparant à fondre sur sa proie. Pourtant, il y avait aussi dans ses yeux une fixité morne, presque mélancolique qui glaça le sang du garçon. Quoi que Levi puisse penser à ce moment précis, ça avait l'air compliqué et difficile.
Eren déglutit et commença à ouvrir la bouche pour amorcer un échange, mais la referma dans un claquement sec sitôt qu'il se rendit compte qu'il ne savait absolument pas par où commencer, ni ce que son caporal avait besoin d'entendre. Il sortit le plat du feu et le posa à sa gauche, le dîner pouvait attendre.
Finalement, le caporal ferma durement les paupières quelques secondes avant de les rouvrir, et de s'assoir sans un mot juste à côté d'Eren. La proximité soudaine avec son caporal rendit le jeune homme encore plus fébrile, et il se mit à triturer nerveusement les plis de son pantalon d'uniforme.
« Arrête ça gamin. » Claqua la voix grave dans le silence.
Eren leva instantanément les yeux vers Rivaille en rougissant. La tonalité profonde lui avait comme ouvert une trappe sous ses jambes, et il sentait ses veines palpiter dans son crâne. Il essaya une nouvelle fois de discerner ce que cachaient les orages des yeux blasés qui le toisaient, sans y parvenir.
« Et arrête ça aussi. » Ordonna une nouvelle fois Rivaille, avant de prendre une grande inspiration.
« Je ne sais pas faire ça », poursuivit-il en visant ses jambes et celles d'Eren avec son menton.
Le jeune titan pensa instantanément que c'était le moment rêvé pour déboucher la demie-bouteille d'eau de vie qui restait de la veille et d'en avaler une grosse gorgée, grimaçant au passage. Rivaille renifla et tendit la main pour faire de même. Ça allait être dur.
« Il faut qu'on arrête. » Prononça Rivaille au bout de quelques minutes.
Voilà. Il n'y avait presque plus rien à ajouter après ça. C'était clair, précis, évident.
« Pourquoi? » Demanda tout de même le garçon en observant les ombres brunes-orangées passer sur le visage de Levi.
Ce dernier eut un rictus et se passa la main dans les cheveux.
« Parce que c'est une sacrée idée de merde. » Dit-il, une moue amère déformant sa bouche.
« Je m'en fous. » Répondit Eren du tac-au-tac
Levi fronça les sourcil. Stupide gamin insolent.
« Caporal… Est ce que ça a à voir avec le fait que je suis… Enfin que je ne sois pas une femme? » Osa enfin demander le jeune homme.
« C'est vrai que ça aussi c'est la cerise sur le tas de merde. » Articula Rivaille d'une voix amère.
Eren resta silencieux quelques minutes. Il avait réfléchit à plein de réponses différentes toute la journée.
« Ça ne me suffit pas comme raison. » Dit-il finalement d'un ton effronté à son supérieur.
Ce dernier pivota lentement la tête vers le jeune homme, dardant sur lui un regard courroucé, avant d'articuler, d'une voix bien trop calme pour être honnête :
« Tu veux bien répéter ? »
Le jeune titan haussa les épaules, et continua au culot :
« Je fais partie du bataillon d'exploration. Je suis à demi un monstre et il est très probable que je meure d'ici deux ou trois mois. Je me moque de ce que les gens peuvent penser, ce n'est pas eux qui décideront pour moi. Je pensais que ça serait pareil pour vous. » Termina t-il, se préparant à la tempête, voire aux coups.
« Mais tu veux quoi bordel? » Explosa le caporal, perdant son calme. « Qu'est ce que t'espères? Qu'on vive cachés en se tripotant de temps en temps entre deux titans? Ou encore mieux, qu'on parte tous les deux dans les montagnes, qu'on construise un joli chalet pour élever des chiards? Je vois pas ce que t'attend de moi, et j'en ai rien à foutre ! » Il reprit une gorgée d'eau de vie, tentant de calmer son emportement. « Tu ne comprends pas… Tu n'as aucune idée de ce que c'est… » Termina t-il d'une voix sourde.
« Alors expliquez moi. » Contra le jeune titan d'une voix rendue tremblante par le monologue furibond qu'il venait de se prendre dans la figure.
« Y a rien à expliquer morveux, c'est ça. » Répondit Rivaille en faisant un geste évasif qui englobait tout ce qui se trouvait autour d'eux, en ramenant la bouteille à ses lèvres.
« S'il… S'il te plaît, raconte moi. » redemanda Eren calmement, réalisant soudainement que ce n'était pas l'homosexualité qui tourmentait le caporal à ce point. Il y avait autre chose.
Rivaille se tut un moment, regardant le ciel avant de replonger le goulot dans sa bouche en fermant les yeux. Il eût l'air tourmenté un petit instant. Eren déglutit, ne sachant que dire devant l'expression de son caporal, qui leva la main gauche pour se masser l'arrête du nez en soupirant longuement.
« J'ai eu des amis proches. Deux. C'était avant que je ne m'engage dans le bataillon. On essayait d'être une famille pas trop dégueulasse dans la ville souterraine. »
Eren buvait les paroles de Levi. Il avait la sensation que ce moment était particulier, et se sentit extraordinairement chanceux d'entendre le caporal parler de sa vie d'avant. Il essaya donc de se faire le plus discret possible et ne pressa aucunement l'homme assis à côté de lui.
« Si nous sommes parvenus à sortir de ce merdier, c'était en ayant la riche idée d'intégrer le bataillon d'exploration. » Il serra fortement les dents. « On voulait être libres tu vois? Et ils étaient tous les deux si excités de pouvoir sortir du souterrain, et plus encore, des murs. »
Le jeune homme de dix-sept ans frissonna. Oui, il voyait très bien l'envie qui les avait habités. Il se remémorait parfaitement de l'enjouement qu'il avait ressentit lors de sa première mission, tenté de peur évidemment, mais plein d'espoir en regardant le ciel au dessus des murs et ses camarades à ses côtés. Sa gorge se serra. S'il n'avait pas reçu son pouvoir, il serait mort ce jour là, comme beaucoup de ses amis, gobé comme un oeuf de caille par les monstres.
« Il pleuvait à torrent le jour de notre première mission à l'extérieur. On voyait pas à plus d'un mètre. On pouvait même pas voir le ciel quand ils sont arrivés. » Rivaille fit une pause, inclinant légèrement la tête, laissant ses cheveux noirs tomber sur ses yeux.
« Une boucherie. J'étais un des seuls à m'en être sorti, avec monosourcil. Le bataillon, avec tous ses grands discours, ses espoirs, ses rêves, n'était plus qu'un charnier de jambes arrachées et de têtes décapitées aux yeux épouvantés et vides. »
Eren avala difficilement sa salive, les yeux se remplissant de larmes. Il ne pouvait imaginer ce que l'homme en face de lui avait vécu. Il ne pourrait supporter de voir le visage sûr et puissant de Mikasa et le doux regard d'Armin réduits à l'état d'enveloppes à moitié dévorées. Il en deviendrait fou. Il leva son visage vers celui de son interlocuteur, qui s'était à demi allongé sur le tronc, les yeux levés vers le ciel.
« Comment s'appelaient -ils? » Demanda la voix cassée d'Eren
« Isabelle et Farlan. » Répondit Rivaille, le regard toujours rivé aux étoiles, se disant qu'il n'avait pas parlé comme ça depuis des années, si c'était même déjà arrivé.
« Je suis désolé caporal. Ils ne méritaient pas ça. Personne. »
« C'est comme ça. Je ne veux pas de tes condoléances miteuses. Ce que je veux c'est que tu te mettes dans le crâne qu'à aucun prix je ne revivrai ça. Jamais. » Conclut le caporal durement.
Eren comprenait. Evidemment. Pourtant…
« Pour moi c'est déjà trop tard. » dit-il presque pour lui même, dans le noir qui commençait à les englober tous les deux, le feu perdant en intensité.
Levi baissa les yeux vers lui, lui demandant implicitement de continuer.
« Vous êtes déjà trop important pour moi. » Murmura le garçon en rougissant. Il attendit, sa phrase semblant encore résonner dans la nuit, puis rassembla tout son courage pour regarder Levi.
Il s'était figé. Ses yeux, habituellement si inexpressifs semblaient habités par un torrent d'émotions qui faillit faire suffoquer Eren. Il voulait plonger son regard dans ces iris orageuses pour ne plus en sortir. Il se dit soudainement qu'il aimerait tant pouvoir traduire toutes les micro expressions du visage de Rivaille, toutes les fêlures qui y apparaissaient pendant une fraction de seconde, toutes les infimes émotions qui traversaient son regard. Il leva sa main, avec hésitation, jusqu'à la joue du caporal, et la posa tout doucement, comme s'il avait peur de le casser.
Rivaille attrapa vivement le poignet d'Eren, en réflexe. Il le tint fermement dans son poing quelques secondes avant de soupirer longuement et de le relâcher. Le rythme cardiaque du jeune titan s'accéléra, et il décrivit des arcs de cercle de son pouce sous l'oeil gauche de son supérieur qui le regardait, semblant encore se battre avec lui même.
Eren lui fit un petit sourire timide et ensuite, tout s'accéléra.
