Voici le dernier chapitre de cette fic, merci beaucoup de l'avoir lue jusqu'au bout !
9. Ne pas l'aimer, lui.
Il y eut d'autres matins comme celui d'après cette nuit là. Des matins où Eren n'en revenait toujours pas de se réveiller encore dans les bras de Rivaille, et que la première chose qu'il voyait en ouvrant les yeux étaient ses deux iris grises et impénétrables. Levi quand à lui, se fustigeait à chaque minute qu'il passait à regarder le gamin encore endormi contre lui, et se mettait à lui grogner dessus de le lâcher dès qu'il ouvrait les yeux.
Pendant les dix jours qui leur restaient à passer au sommet de la montagne, ils continuèrent les routines qu'ils avaient mises en place dès le départ ; garde des moutons, entraînements titanesques et tridimensionnels, dîners en silence autour du feu. Pourtant, pour Eren, c'était comme si tout avait changé. Pendant les entraînements ou lorsqu'ils marchaient avec le troupeau, il y avait parfois des contacts infimes, presque accidentels, comme une main trainante sur le creux de son dos, ou un passage rapide de doigts dans ses cheveux, qui à chaque fois le laissaient sans voix. Il y avait une sorte de tension entre eux qui grandissait au fil de la journée, et qui atteignait son pic critique le soir, quand leurs corps se retrouvaient enfin pour se déshabiller à la va-vite et épancher leur désir.
Le sexe était si bon avec Rivaille que le jeune homme ne voyait pas comment il pourrait avoir envie de quelqu'un d'autre un jour. C'était presque devenu une addiction, un besoin dévorant qui lui enflammait les reins dès que le caporal se tenait trop près de lui. Eren avait aussi beaucoup de mal à ne pas fondre sous le coup de l'excitation quand il voyait Rivaille s'élancer dans les airs avec rapidité et élégance, tourbillonnant entre les arbres, décochant ses grappins au dernier moment et projetant des volutes de gaz lorsqu'il vrillait pour gagner de la vitesse. Il avait alors une envie désespérée de lui sauter dessus, qu'il taisait bien vite afin de ne pas se faire fracasser le nez par son caporal si jamais il le gênait dans ses mouvement en s'accrochant à lui comme une moule à son rocher.
Il avait remarqué qu'il avait encore plus de mal à se contrôler sous sa forme titan. Lorsqu'il sentait Rivaille lui grimper sur le corps, entrer dans sa bouche ou même simplement le regarder, son corps réagissait avec une intensité folle. Le désir craintif et humain se transformait en besoin déchaîné et animal et il n'était pas rare que Levi affiche une moue mi-amusée mi- écœurée lorsqu'il percevait l'excitation bestiale qui transparaissait de ses grands yeux verts. Souvent, le caporal laissait couler, mais parfois il sautait sans prévenir sur la nuque d'Eren pour le déloger du monstre et le prendre au milieu de la fumée blanche qui s'échappait de son précédent corps.
Ils n'avaient pas reparlé de leur conversation de ce soir là, mais Eren sentait qu'elle avait tout changé entre eux. Rivaille ne semblait plus se priver de le toucher et ne le quittait plus une fois le torrent du sexe tari, même s'il subsistait des moments où son regard se faisait soucieux et insondable, les sourcils froncés. A chacun de ses instant, le garçon se mettait à paniquer, mais Levi faisait taire ses angoisses en se jetant sur sa bouche pour l'embrasser.
Ils arrivèrent bien trop vite à la fin de leur transhumance, et le jeune titan sentit son coeur s'alourdir quand ils harnachèrent leurs chevaux pour partir. Il ne voulait pas rentrer, même si ses amis lui manquaient et qu'il sentait depuis plusieurs jours que leur combat devait reprendre et franchir une nouvelle étape vers la vérité et la liberté, il aurait presque pu abandonner tout ça pour rester ici, avec Rivaille. Il pensa qu'il serait même capable de se casser une jambe pour leur accorder quelques jours de plus, mais sa capacité de régénération ne lui permettrait uniquement quelques heures de délai, doublé d'un savon monumental de son supérieur. Il renifla, cynique.
Le son attira l'attention de Levi qui capta sans effort le trouble qui marquait le visage du garçon. Il le lisait si facilement que c'en était presque effrayant. Il s'approcha de lui et lui donna un léger coup d'épaule.
« Les vacances sont terminées gamin. » Dit-il d'une voix presque neutre qui lui donna envie de pleurer.
Eren hocha la tête doucement, essayant tant bien que mal de prendre conscience de tout ce que cette phrase impliquait. Sitôt arrivés au QG, tout s'arrêterait, il le savait très bien. Une fulgurante pointe de douleur lui transperça la poitrine et un sanglot se bloqua dans sa gorge. Il ouvrit grands ses yeux rendus troubles par les larmes quand il sentit un corps se presser derrière le sien.
Levi l'avait encerclé de ses bras, une main posée contre sa poitrine, à gauche. De l'autre, il caressait son bras, de son coude à son épaule, en une tentative d'apaisement. Eren se mit à trembler et laissa s'échapper deux grosses gouttes d'eau de ses yeux lorsqu'il les ferma pour poser l'arrière de sa tête sur l'épaule du caporal. Rivaille le serra, contractant tout son corps contre son dos, comme pour lui donner quelque chose par ce contact, de l'empathie, du courage, un petit bout de tendresse peut être, aussi.
Ils restèrent comme ça quelques secondes, le caporal se laissant aller à poser son menton sur l'épaule du garçon et à effleurer doucement sa joue avec son nez, en une caresse atrocement douce et si étonnante venant de son caporal qu'Eren hoqueta, laissant encore rouler deux larmes brûlantes qui allèrent s'écraser sur la chemise de Rivaille. Ce dernier pressa une dernière fois le corps élancé contre lui, et posa son front contre sa nuque, fermant ses yeux avec force. Il porta ses lèvres à la naissance des cheveux du garçon, et y déposa un baiser appuyé qui dura quelques secondes, avant qu'il ne le lâche et reparte sans un mot vers sa monture.
Eren tenta de ravaler la boule de sanglot qui lui brûlait la gorge en se hissant sur son cheval. C'était insupportable de sentir Rivaille devenir presque tendre avec lui alors que leur moment d'égarement prenait fin. Il se racla la gorge, reprenant contenance en intimant à sa monture de commencer à trotter, quittant les côtés de son caporal pour venir se placer derrière le troupeau et le pousser à avancer.
Le retour ne leur prendrait que deux jours pleins pendant lesquels ils avaient décidé de ne pas faire de halte la nuit, afin d'éviter au maximum de s'éterniser au milieu des plaines avec une petite centaine de bêtes beuglantes. La plupart des titans n'étant que peu réactifs lors de la nuit tombée, il était d'ailleurs vital d'avancer au maximum dans l'obscurité, même si diriger les moutons dans le noir ne serrait pas tâche aisée. C'est pourquoi ils amorcèrent la descente du col en début d'après midi, pour atteindre la vallée lors du crépuscule et traverser une grande partie des terres de nuit.
Cette nuit là fut assez éprouvante pour les deux soldats qui passèrent leur temps à hurler des sons et à siffler pour garder le troupeau le plus ramassé possible, les éclairant avec leurs torches. Ils y arrivèrent tant bien que mal et ne se sentirent pas trop épuisés au petit matin, alors qu'ils atteignaient la moitié de leur route.
Eren était étonné de voir le mur Rose se rapprocher d'eux si rapidement, mais il réalisa que c'était leur détour par le ranch abandonné qui avait allongé leur route, et que la montagne qu'ils venaient de quitter n'était pas aussi éloignée du mur qu'il le pensait. Il soupira. Il aurait bien aimé profiter d'une dernière nuit avec son caporal, même si ça n'aurait fait que retarder sa tristesse d'un jour. Il regarda sa silhouette au loin, qui se démenait à faire virer le monstrueux troupeau vers la gauche, pour le diriger vers un passage entouré de quelques arbres.
Il y eut soudainement un autre mouvement dans sa vision périphérique, et il eut à peine le temps de dégainer son lanceur de fumigène qu'une grosse forme fit irruption dans la vallée, projetant au loin quelques branches feuillues du massif d'arbre duquel elle sortait. Un titan. Puis deux, puis trois, leur fonçaient dessus à une vitesse terrifiante, balançant leurs bras informes autour d'eux dans la course. Eren regarda autour de lui, alarmé : il n'y avait aucun arbre autour d'eux, aucun relief sur lesquels s'ancrer pour les éviter, et tout le troupeau s'était mis à perdre le sens de l'orientation, malmené par les tremblements que produisait chaque foulée des monstres sur le sol.
Levi tira une fumigène verte pour signifier à Eren de ne pas se transformer, et le jeune homme le vit claquer les rênes pour aller à l'encontre des humanoïdes avant qu'ils piétinent le troupeau en fondant sur eux. Le jeune titan eut une envie incontrôlable de se transformer sur le champ en le voyant s'éloigner encore plus de lui, mais il se retint en réalisant que le bruit de sa métamorphose déconcentrerait le caporal, le mettant encore plus en danger. Il tenta tant bien que mal de maîtriser la terreur qui lui saisissait les tripes et continua à avancer à côté du troupeau désorienté, en gardant un oeil sur ce qu'il se passait au loin. Rivaille était presque à la hauteur du premier, qui devait faire quatre mètres et avait une sorte de moue triste plaqué sur son gros visage figé.
Eren vit un petit nuage de gaz se déployer dans l'air et poussa un soupir de soulagement lorsqu'il sentit le sol trembler plus fort quand le titan s'écrasa par terre, neutralisé. Evidemment que Levi allait les massacrer avec une facilité déconcertante, comme toujours, mais le garçon avait tout de même l'impression de mourir de peur. Il ne s'était jamais inquiété comme ça pour personne depuis que sa mère était morte sous ses yeux. Le souvenir lui lança une autre vague de panique qui lui parcourut tout le corps, et il ordonna à son cheval de galoper, sans même s'en rendre compte.
Il progressa encore plus vite lorsqu'il vit la forme du corps de Rivaille avancer, sans se soucier de remonter sur son cheval, vers les deux monstres qu'il restait. L'un devait faire cinq mètres tandis que le dernier, qui avançait plus lentement, atteignait facilement les dix. En s'élançant aussi brusquement, Eren avait séparé en trois groupes les bêtes qu'il devait garder. Il y en avait encore quelques unes devant lui qui s'écartaient sur son passage, et certaines du peloton de tête s'étaient mises a courir presque aussi vite que le cheval d'Eren, entourant le soldat. Ce dernier les voyait perdre leur calme, galopant de façon désordonnée, mais il se dit qu'il les rassemblerait plus tard. Là, il voulait juste se rapprocher de Levi pour le protéger si jamais…
Il voyait le caporal de plus en plus précisément maintenant. Il marchait calmement, attendant presque que le monstre devant lui le saisisse en courant ou l'écrase. Actionnez votre gaz. Actionnez le. Dépêche toi, qu'est ce que tu attends ! Pensa Eren en resserrant ses mains sur les brides, les yeux rivés sur les deux formes dont il se rapprochait, l'une si petite en comparaison de l'autre que c'en était presque ridicule.
Il ne vit pas à ce moment là que le plus grand, légèrement en retrait, avait tourné ses gros yeux vitreux sur lui, l'ayant repéré. Le titan pivota rapidement et commença à courir vers lui, la gueule en avant. Rivaille avait enfin lancé ses grappins sur le bras du cinq mètres, et effectuait une vrille ascendante pour atteindre son épaule, lui lacérant généreusement le bras au passage. Il se stabilisa à quelques centimètres de son visage énorme et lâcha une poussé de gaz pour sauter de son épaule et faire un demi tour vers le haut de son dos. Il était entrain de percer la nuque du monstre de ses lames quand il entendit un bruit sourd et leva les yeux.
Le grand titan était déjà plus proche d'Eren que de lui, et le gosse n'avait pas l'air de l'avoir remarqué. Il sentit une vague de panique le traverser, qui interrompit quelque peu son découpage, ne terminant pas proprement de débarrasser le cinq mètres de son renflement de chair. Il sauta précipitamment du titan, et lança un grappin qui vint s'enfoncer dans la selle de son cheval, resté quelques mètres en arrière. A peine fut-il grimpé dessus qu'il donna un grand coup de botte à sa monture, s'élançant à une vitesse phénoménale vers Eren.
Ce dernier réalisa qu'il était pris en chasse quand un grand craquement sourd se fit entendre à sa gauche. Il détourna la tête quelques secondes de son caporal qui était alors entrain d'atteindre la nuque du petit gabarit, et réalisa avec horreur que le troisième titan accourait vers lui, écrasant quelques moutons au passage. Il en balaya un de sa grande main qui alla s'écraser contre le sol à plusieurs mètres de là. Eren était encore encadré de moutons qui continuaient de courir à côté de lui, l'empêchant de virer de sa trajectoire au risque de s'entrechoquer violemment avec l'un d'eux et de chuter.
Il détourna une fraction de seconde son regard du monstre qui se rapprochait dangereusement pour voir où était Levi, et tout se corps se tendit dans sa direction quand il l'aperçu se diriger droit vers lui, le titan qu'il n'avait pas fini de découper s'étant élancé à sa suite en rampant, désorienté par la blessure qu'il avait à la nuque. Le cinq mètres fixait le dos de Rivaille de ses yeux fixes et fous, en traînant de toutes ses forces son corps sur le sol, parvenant à ne pas se faire trop distancer par le cheval au galop du caporal. Eren put voir les yeux de Levi le regarder, une rage féroce les traversant, ainsi qu'une autre émotion qu'il ne leur avait jamais vu. De la panique. Eren cria son nom avant que son souffle ne se bloque brutalement dans ses poumons.
Il ne saisit pas tout de suite d'où le choc provenait, mais il se retrouva projeté vers la droite, sa monture hennissant de douleur en se prenant les pattes dans un mouton et en chutant au sol, tête la première. Eren perdit l'équilibre et passa par dessus son cheval, avant de rouler dans la terre plusieurs longues secondes et d'heurter violemment un rocher du plat du dos. Sonné, il eut le temps d'entendre une sorte de hurlement se rapprocher de lui avant de se sentir soulevé du sol par quelque chose. Il sentait que toute sa colonne était brisée, et que le sang lui coulait de derrière le crâne. Il ouvrit à demi les yeux juste à temps pour avoir le réflexe de dégager in extrémis ses jambes de la grande gueule béante qui commençait à se refermer sur elles. La douleur dans son dos lui foudroya tout le corps et il glapit en crachant le sang qui s'était accumulé dans sa gorge.
Il n'arrivait que partiellement à comprendre la situation dans laquelle il était, mais eut la clairvoyance de se dire que ça puait bien la merde. Il se détourna pourtant de la menace et se tordit le cou pour regarder en contrebas, sa tête se rejetant en arrière dans le vide entre l'index et le pouce énorme qui le tenaient. Il écarquilla les yeux de terreur quand il vit Levi se mettre debout sur sa monture et la faire ralentir. Le petit gabarit était à peine à deux mètres derrière lui, et continuait d'avancer avec une rapidité infernale, sans que le caporal n'ait l'air de le remarquer. Rivaille poussa un rugissement furibond, et fléchit ses genoux avant de s'élancer en avant, tirant ses câbles hors du champ de vision d'Eren alors que le monstre rampant sauta en avant pour le prendre dans sa gueule. Le jeune homme entendit alors un claquement sourd et tout se tinta de rouge autour de lui.
Il sentit une énorme pression sur sa cuisse gauche, qui céda bien vite sous le coup de mâchoire. Une intense brûlure de douleur et de rage lui parcouru tous les muscles, et il se sentit grandir, les extrémités de son corps se prolongeant par de longs membres, son corps brisé se retrouvant protégé par un cocon de chair et d'os. Il vit alors clairement sa jambe gauche enfoncée dans la gueule immonde de l'autre titan, et lui décocha un énorme coup de son autre pied qui explosa le coté gauche du crâne au dessus de lui, brisant les os et les chairs dans un craquement écoeurant. Parvenant enfin à se dégager, et sans prêter plus attention au monstre qui le tenait encore dans sa main quelques secondes auparavant, il pivota son corps dans sa chute, et orienta son regard bouillonnant de colère vers celui qui s'était jeté sur Rivaille.
Il poussa un hurlement déchaîné lorsqu'il ne vit pas où se trouvait le caporal, et se jeta sur le rampant qui le regardait d'un air hébété. Il attrapa sa tête entre ses mains, trainant le reste de son corps derrière lui, et appuya de toutes ses forces. Il sentit le monstre gigoter quelques secondes, et laissa s'échapper un grognement satisfait quand il entendit la tête entre ses mains se fendre, projetant deux globes oculaires suintant entre ses doigts. Le petit titan tomba immédiatement, éclaboussant le sol de la purée qu'était devenu le haut de son corps. L' Assaillant continua de réduire son corps en bouillie en le piétinant de toutes ses forces, alternant des feulements et des cris terrifiants qui résonnèrent dans toute la vallée. Il n'arrivait plus à se calmer. Il ne savait plus pourquoi mais il voulait qu'il ne reste plus rien de cette bête. Que tout son corps disparaisse à jamais en hurlant de souffrance. Il se l'imaginait entrain de le supplier d'arrêter de le piétiner comme ça. Il s'imaginait qu'il avait mal comme jamais personne n'aura jamais eu mal, alors qu'il parvenait de plus en plus difficilement à lever ses pieds de la masse collante qui s'étalait sous lui.
Au bout de plusieurs minutes de ce jeu sadique, il s'arrêta, et sentit ses genoux fléchir sous son poids. Il tomba sur ses rotules, essoufflé, de la vapeur brûlante s'échappant de sa gueule à chacune de ses expirations. Alors, ses vociférations furieuses se muèrent en gémissements sourds, en lamentations sinistres qui secouèrent tout son corps. Toute la colère le quitta immédiatement, et il ne ressentit qu'un torrent écrasant de tristesse, sans comprendre tout de suite d'où cela provenait. Il redressa la tête et regarda autour de lui, se sentant perdu et incroyablement seul. Il ne se rappelait plus d'où il était, ni de ce qu'il faisait là. Il ne voyait plus d'ennemi à abattre à l'horizon.
Il vit des petites taches blanches s'éloigner de lui, et il entendit quelques sons d'animaux, au loin. C'est alors que ça lui revint. Des moutons. Des chevaux. Deux soldats assis dessus. Il était presque sûr d'être l'un des deux. Mais où était l'autre? Il eut un flash, un souvenir furtif d'un petit corps s'élançant dans les airs, suivi de près par la grande gueule de l'ordure qu'il venait de massacrer. La panique revint, et il se précipita vers la masse fumante à côté de lui pour y chercher l'humain dont il se rappelait. Il fallait qu'il le retrouve, à tout prix. Des petits couinements de stress passèrent ses lèvres quand il réalisa qu'il ne le voyait nulle part dans les restes ravagés de la créature.
Il se traina, tentant de se dégager de la fumée qui lui brouillait encore plus la vision, et réalisa que le petit homme n'était plus là. Une lance de douleur lui perfora la poitrine, et la prairie fut secouée de longs gémissements épouvantables, comme ceux d'une bête à l'agonie. Levi. Murmura la voix d'Eren dans sa prison de chair, reprenant lentement conscience d'où il se trouvait. Il sortit de la nuque de son titan, son visage retrouvant l'air frais alors qu'il hurlait un sanglot. Il resta là quelques secondes, encore arrimé à son monstre, sa jambe déchirée lui lançant atrocement sans qu'il en ait quelque chose à faire. Son corps était secoué de hoquets, et il n'arrivait plus à respirer tant il pleurait. Il se décida finalement à sortir de là, au bout de plusieurs minutes. Il dévala de l'immense dos. Il y avait de la brume partout, qui, additionnée aux larmes qui s'amassaient dans ses yeux sans s'arrêter, l'empêchait de voir autour de lui. Il tenta de sortir du brouillard en se tenant sur sa jambe encore valide, et passa à côté du gros gabarit, dont il ne restait plus que les os, enveloppés de fumée. Il suffoquait, et sa tête lui tournait horriblement. Il trébucha quelques mètres plus loin et s'écrasa au sol. Il se retourna sur le dos en grimaçant de douleur, et tenta de se calmer, sans vraiment de succès.
Au bout de quelques secondes, il entendit vaguement un bruit. Il ferma les yeux, et se résolut à attendre sagement ici que le monstre qui était entrain de s'approcher le dévore. Il n'essaierai même pas de l'en empêcher. Il espérait juste qu'il n'aurait pas le temps de se retransformer. Il tendit l'oreille sans pouvoir s'en empêcher. Il rouvrit les yeux brusquement en se rendant compte que ce n'était pas le bruit d'un titan. Ça ressemblait à des sons humains. Une toux grasse, de quelqu'un qui n'arrivait manifestement pas à respirer correctement, à quelques mètres de lui. Il se redressa vivement, et hurla sous la douleur de sa colonne qui devait ressembler à du gruyère maintenant. Une côte devait lui avoir perforé un poumon, tant il eût des difficultés a remplir sa poitrine d'air.
Il se redressa sur ses coudes, et rampa difficilement vers les sons. Il avait l'impression que tout le bas de son corps était entrain de s'arracher, et il ne sentit brusquement plus rien a partir de sa ceinture. Il était si lourd et ça lui faisait si mal, mais il devait voir ce qui faisait ces sons. Il se dit qu'il était vraiment entrain de partir lorsqu'il aperçut une forme humaine allongée sur le sol, à peine à trois mètres de lui. Les yeux lui piquèrent. Il continua d'avancer, désespérément lentement, jusqu'à ce qu'il atteigne enfin le corps. Il posa sa tête sur le ventre immobile, et poussa un petit cri éraillé en sentant une faible respiration pousser contre son oreille. Il se mit à sangloter de soulagement. Levi était là, et il respirait.
Rivaille poussa un petit grognement, comme si le poids sur son ventre le gênait, et il fut repris d'une quinte de toux rauque qui le fit s'arquer douloureusement sur le sol. Eren reprit ses esprits immédiatement. De l'air. Vite. Il fallait qu'ils sortent de là. Il passa un bras endolori sous l'épaule de Rivaille et commença à ramper, trainant difficilement le corps derrière lui. Il poussait tellement fort sur son bras qu'il le sentit craquer horriblement, et mordit ses joues jusqu'au sang sous l'intensité de la douleur. Il continua à ramper, le plus rapidement possible, de toutes ses forces.
Au bout d'un interminable moment, ils atteignirent enfin l'extrémité du brouillard, et Eren donna une grande impulsion au bras qui soutenait Levi pour le sortir de là avant lui, et le rejoigna lentement, en sueur et tremblant de tous les membres qui était encore valides. Levi eut une quinte de toux violente, et le garçon lui pencha la tête sur le côté pour qu'il crache du sang. Il s'allongea à côté de lui, encore sous le choc de l'entendre respirer. Quoi qu'il y ait la haut, merci. pensa t-il en soupirant de soulagement. Il avait une envie irrépressible de dormir des heures pour se remettre, mais il était trop terrifié à l'idée de laisser Rivaille sans surveillance. Il tourna difficilement sa tête, et se traina vers lui pour poser son crâne sur son épaule et une main contre sa poitrine, pour se rassurer de le sentir respirer.
Au bout de longues minutes, les yeux de Rivaille s'ouvrirent et il grimaça. Sa tête lui faisait un mal de chien et il avait dû se casser une jambe. Qu'est ce qu'il s'était passé? Il bougea doucement, prenant soin de ne pas aggraver sa blessure à la jambe, et tenta de regarder autour de lui. Il y avait du brouillard. Beaucoup. Il sentit une masse contre son épaule et jeta un oeil à ce qu'il se passait de ce côté là.
PUTAIN DE MERDE. Le gamin, ou plutôt ce qu'il en restait, était allongé à côté de lui. Il était recouvert de sang. Il lui manquait une jambe et son dos était positionné bizarrement, comme s'il avait été disloqué. Un élan de panique sourde le prit, et il se releva bien trop vite, une douleur vive lui perçant les tympans. Il posa une main sur le corps d'Eren, qui bougea imperceptiblement. Il avait les yeux à demi fermés, et un petit sourire ornait son visage ravagé. Rivaille sentit quelque chose tomber dans son estomac. Mais qui t'a fait ça bordel. Se dit-il en sentant ses yeux lui brûler.
Il ne savait pas comment le gosse arrivait encore à respirer. Il entendit un gémissement de douleur et une fine main froide et tremblante se posa sur la sienne, la serrant si légèrement qu'il ressentit comme une pointe chauffée à blanc transpercer sa poitrine. Il s'installa plus près du garçon et posa doucement sa tête sur la sienne, prenant garde à en retenir le poids.
« Tu es vivant. » Sembla sangloter la petite voix d'Eren alors que son corps tremblait.
« Et toi tu es increvable. » Répondit doucement Rivaille, essayant d'esquisser un sourire pour le rassurer un petit peu.
Ils restèrent l'un contre l'autre, longtemps. Le brouillard s'était presque entièrement dissipé et la nuit commençait à tomber lorsqu' Eren ré-emmergea. Il eut un mouvement de panique et lança ses mains dans tous les sens pour trouver Levi, et celui-ci prit ses mains dans les siennes.
« Du calme. Je suis là. »
Eren reposa sa tête contre le sol en fermant les yeux, une explosion de joie fusant dans tout son corps encore fracassé. Il avait envie de rire. Il rouvrit les paupières pour apercevoir le visage de Rivaille au dessus du sien, de l'inquiétude dans le regard.
« Tu te sens bien ? » Demanda t-il, incertain.
Eren toussa à s'en écorcher les poumons et répondit :
« Je ne me suis jamais senti aussi bien de toute ma vie. »
Rivaille renifla et sentit la main d'Eren se poser sur sa joue.
« J'ai cru que… Que tu n'étais plus là. Comment… » Prononça la voix faible et éraillée du garçon.
« J'ai sauté au dernier moment de mon cheval, avant que l'autre trou du cul n'arrive à me gober. C'est vraiment pas passé loin. Je me suis accroché à celui qui te tenait. J'étais entrain de remonter quand tu t'es transformé, je pense. Je me rappelle juste que je me suis pris un sale coup sur la tête et que je suis tombé. Le reste, c'est à toi de me le raconter. » Lui expliqua Levi d'une voix neutre alors que la main tremblante d'Eren voyageait de sa tempe à son menton, comme pour s'assurer qu'il était bien là.
« Je… J'ai vu le titan de cinq mètres te sauter dessus. » Eren déglutit difficilement, ce n'était pas agréable de se rappeler. « Je me suis transformé, ça n'a jamais été aussi rapide. J'ai tué celui qui me tenait et j'ai… »
« Quoi ? » demanda le caporal.
« J'ai massacré le second. J'en ai fait de la charpie. J'étais tellement enragé que j'ai oublié qui j'étais là dedans. Il a pris ma place. Je ne me rappelle plus bien. Je me souviens juste qu'il t'a cherché, qu'il gémissait atrocement, j'arrivais pas à l'empêcher de faire des sons horribles… » Eren frissonna de la tête aux pieds et ferma les yeux. « Ensuite, je me suis souvenu de toi, je suis sorti de là et… » Il s'arrêta, serrant les lèvres.
Rivaille posa une main sur les cheveux du garçon pour le détendre, lui signifiant qu'il était bien là, et l'enjoignant à continuer.
« J'ai cru que je t'avais perdu. Je voulais sortir de ce brouillard, mais je me suis dit qu'après tout à quoi bon. J'ai entendu des bruits dans la brume et j'ai d'abord cru que c'était un titan alors j'ai attendu qu'il arrive. » Rivaille fronça violemment les sourcil et resserra sa prise sur la tête du garçon, le faisait grimacer. Eren reprit rapidement :
« Mais c'était toi que j'entendais. J'ai rampé, je t'ai attrapé et je nous ai sortis de là pour qu'on puisse respirer. Et après je me suis évanoui. » Termina t-il dans un murmure.
Levi le regardait les yeux écarquillés. C'était lui qui les avait tirés de là tous les deux? Il grimaça en se rappelant l'état exact dans lequel il l'avait trouvé en se réveillant. Putain. Même en étant à demi titan, il lui semblait impossible que quelqu'un puisse déployer autant d'énergie en ayant le corps brisé à ce point là. Il descendit sa main sur la joue du gamin, caressant la peau ensanglantée de son pouce, et se pencha doucement sur lui pour poser un petit baiser sur ses lèvres.
« Merci. » Prononça t-il dans le silence. « C'est incroyable ce que tu as réussi a faire. »
Le garçon haussa les épaules, ou plutôt essaya, et gémit de douleur. Il se rendormit un peu, et fut réveillé par un contact appuyé sur son corps qui lui faisait encore mal, même s'il sentait que ça allait mieux.
Rivaille avait passé un bras autour de ses épaules et l'autre sous son genoux, et il le souleva très précautionneusement.
« Il faut qu'on bouge. Ton cheval est mort, je vais chevaucher avec toi pour ce qu'il nous reste de trajet. » L'informa le caporal, sa bouche se tordant à l'entente des soupirs de douleurs du jeune homme.
« Les moutons… » Marmonna le garçon, les dents serrées.
« J'en ai rassemblé le plus que j'ai pu, on va rentrer maintenant qu'il fait nuit. Je vais y aller doucement et on arrivera demain matin. » Le rassura Levi en le portant et en boitillant. Il le hissa sur sa monture et grimpa derrière lui, le sécurisant entre ses bras. Il donna un petit coup à son cheval pour qu'il trottine, et fit partir les moutons.
Quelques heures plus tard, lorsque la nuit fut bien avancée, Eren se réveilla, la tête posée dans le creux du coup de Levi, qui galopait maintenant. Ça le berçait presque, et il soupira. Il se retint de bouger au maximum, voulant prolonger le moment, remplissant ses poumons de l'odeur musquée qui émanait de l'homme contre lui.
« J'ai remarqué que tu t'es réveillé morveux, pourquoi tu fais comme si tu pionçais encore? » Grinça Levi, mais Eren discerna une minuscule pointe de tendresse dans la pique.
Il se serra encore plus contre lui, et pour toute réponse, il lui caressa l'oreille du bout de son nez, déclenchant un frisson chez le plus âgé.
« Tu te sens mieux? » Demanda le caporal d'une voix rauque.
Eren bougea à regret de son creux, et tenta de se tenir droit. Il gémit. Bon. Il avait encore de gros élancements au niveau du dos, mais au moins il sentait ses jambes, et la gauche avait presque totalement repoussé. Il n'avait plus mal a la tête et sentait que ses bras avaient retrouvé de la vigueur. Il sourit à Levi en hochant la tête.
Ce dernier fondit sur ses lèvres et l'embrassa à pleine bouche, saisissant sa lèvre inférieure entre les siennes. Eren eut un hoquet qui se mua en gémissement, et il enlaça les épaules de son caporal, le serrant contre lui. C'était incroyable d'à nouveau le sentir si proche de lui, c'était comme si ça faisait des mois qu'ils ne s'étaient pas touchés. Rivaille posa son front contre le sien quelques instants avant de revenir fixer son regard sur la route qui se déroulait sous les sabots de son cheval.
Eren se replaça dans son creux et se fit bercer par les mouvements lancinants de la course, l'air frais sur son visage et l'odeur entêtante de Levi.
Quand ils eurent presque atteint l'entrée du mur Rose, Rivaille arrêta son cheval au sommet d'une petite colline qui surplombait la route menant à l'immense porte. Il secoua doucement l'épaule d'Eren pour le réveiller et le faire descendre. Celui ci grogna de mécontentement, mais il ouvra vite ses grands yeux verts, se demandant où il était. Lorsqu'il vit le mur aussi proche, il soupira. Il descendit de la selle, soulagé de ne plus avoir l'impression d'avoir des bouts de verre dans le dos, et regarda son caporal dans les yeux.
Rivaille avait la bouche sèche. Il voyait de la tristesse commencer à poindre dans les iris vertes braquées sur lui, et il leva la main pour la passer dans les cheveux d'Eren.
« Il faut qu'on rentre. » Murmura t-il doucement.
« Je ne veux pas que tu me quittes. » Répondit le jeune homme, qui commençait à sentir les larmes revenir au grand galop.
Rivaille l'attira vivement dans ses bras, le serrant à lui couper le souffle.
« Te mets pas dans des états pareils. » Grogna t-il d'une voix bourrue. « Je ne te laisserai pas. »
Eren cligna des yeux plusieurs fois, et agrippa avec force la cape de Levi. Il ne comprenait pas.
« Mais je pensais… Surtout après ce qu'il s'est passé aujourd'hui… Vous ne voulez pas qu'on arrête? » Demanda t-il d'une petite voix, sentant l'espoir se réveiller au creux de son ventre.
Levi exhala longuement, et s'écarta du jeune soldat pour lui faire face.
« Comme si c'était possible. » prononça t-il d'une voix morne. « J'ai eu la plus grande peur de toute ma vie tout à l'heure. » Il fronça les sourcils et vint plonger sa tête dans le cou du garçon, respirant profondément. « Mais il se trouve que tu es particulièrement dur à tuer. » Termina t-il, un léger sourire flottant sur son visage.
Eren emprisonna le corps de son caporal de ses bras, ne croyant toujours pas à ce qu'il avait entendu, le coeur battant à tout rompre. Il était sûr que Levi devait le sentir taper contre sa poitrine. Il emmêla ses doigts dans les cheveux noirs, redressant son visage pour l'embrasser avec toute la passion dont il était capable. Il avait envie de tout lui donner là, maintenant, mais il sentit que ce n'était pas encore assez. Il prit une grande inspiration en plongeant de nouveau ses yeux dans les orages de Rivaille.
« Levi, je… « Commença t-il a prononcer, plein de trémolos dans la voix. Il ne put terminer qu'une main lui agrippa la mâchoire et qu'un pouce se posa sur sa bouche, l'intimant au silence.
« Je sais. Et moi aussi. » Répondit simplement Rivaille, avant de poser ses lèvres sur celles du jeune homme, son pouce toujours pressé sur sa bouche.
Il lâcha le garçon, et grimpa sur son cheval, lui indiquant d'un coup d'oeil de s'assoir derrière lui. Eren était encore sous le choc. Il sentit soudainement une explosion de joie lui irradier tout le corps, si bien qu'il prit quelques secondes à obéir à son caporal. Il saisit sa main et s'assit derrière lui, passant les mains autour de sa taille. Sa tête se posa contre l'épaule de Rivaille, et il savoura chaque mouvement que faisait sa cage thoracique, et chaque son que déclenchaient ses respirations, se disant qu'il s'agissait là d'une musique qu'il pourrait écouter jusqu'au jour de sa mort.
Levi ricana et serra la main droite d'Eren, la remontant pour la placer sur sa poitrine, à gauche, à l'endroit où se trouvait l'écusson des ailes de la liberté. Il augmenta la pression sur cette main qu'il était heureux de sentir là.
« Tu avais raison cette nuit là. C'est trop tard, on ne peut plus reculer. Alors si on peut espérer être un peu bien de temps en temps en attendant de se faire bouffer, autant en profiter le plus longtemps possible. » Prononça Rivaille avant de donner un vif coup d'étrier à sa monture qui s'élança vers la route, les ramenant chez eux, au sein des murs.
FIN
