Chapitre 4
En effet, les jours se succédaient avec une similarité sans précédent. Si elle ne prenait pas le temps d'écrire quelques lignes dans son cahier, Yumi avait même l'impression d'être coincée dans une boucle temporelle qui prenait plaisir à lui rappeler que tout ce qu'elle connaissait n'existait plus.
Ce matin-là plus que les autres, elle se réveilla avec un affreux mal de tête. Elle mit ça sur le compte de sa crise de larmes et s'autorisa quelques minutes de plus au lit. De toute façon, ce n'était pas comme si elle était attendue quelque part. Chaque personne de l'hôtel avait une liste de tâche à réaliser mais en dehors de ça, ils étaient libres de faire ce qu'ils voulaient de leur journée. Les distractions n'étaient pas nombreuses mais elles existaient.
Ne se sentant dans la plus grande des formes, elle se mit en mode « pilotage automatique » et traversa la journée dans une sorte de brouillard. Elle avait passé près d'une heure en cuisine pour aider à ranger et comptabiliser les provisions afin de faire une liste de produits à chercher lors de sa prochaine sortie. Elle se dirigea ensuite vers la salle « médicale » pour proposer son aide. Elle savait qu'ils étaient chanceux d'avoir une médecin et un jeune infirmier avec eux, même s'ils n'avaient pas beaucoup de matériel, ils arrivaient à aider tous ceux qui se présentaient à leur porte. Camille et Bastien l'avait accueilli à bras ouverts lorsqu'elle leur avait demandé de lui apprendre la base de médecine afin de pouvoir leur prêter main forte en cas d'accident, ce qui ne semblait pas impossible dans ce contexte. Elle était d'ailleurs souvent celle qui trouvait les âmes perdues dans la ville pour les ramener à l'hôtel pour les aider.
En fin d'après-midi, elle retourna dans le gymnase pour s'entrainer encore. Cette fois-ci, elle réussit à fermer complètement son esprit pour ne se concentrer que sur le travail de ses muscles. Ce n'est qu'une fois essoufflée et couverte de sueur qu'elle décida d'aller se changer et de prendre une bonne douche. Pendant un instant, elle profita de la brulure de l'eau chaude sur ses épaules pour se détendre, même si cela ne durait qu'une minute, il était agréable de lâcher prise.
Elle fut surprise de voir combien il faisait noir à l'extérieur. La nuit était tombée rapidement, et elle n'avait même pas remarqué l'heure avant de se tourner vers l'horloge qui ornait son mur pour comprendre qu'elle avait loupé l'heure du repas. Elle n'avait pas particulièrement faim, mais elle pensa de ce fait à Jérémie qui ne mangeait pas toujours, sauf si elle était là. Elle prit la direction de la salle de contrôle pour la trouver vide. Un froncement de sourcil se dessina sur son visage. Elle prit la direction de la chambre du jeune homme, proche de la sienne. Mais cette dernière était vide elle aussi. Jérémie ne sortait presque jamais et voilà qu'il était introuvable.
Elle décida de fouiller l'hôtel dans son entièreté en partant des étages les plus hauts. Elle interrogea même les quelques personnes encore réveillées qu'elle croisa mais personne ne semblait avoir vu le petit génie depuis la veille. Elle passa le rez-de-chaussée au peigne fin, et alla même jusqu'à vérifier les frigos avec l'idée saugrenue qu'il avait peut-être besoin de rattraper tous les repas qu'il avait manqué. Mais non.
Son cœur commença à battre un peu plus fort lorsqu'elle se rendit compte qu'elle ne le trouvait nulle part. Elle descendit les escaliers vers le sous-sol à une vitesse prodigieuse. En entrant dans le gymnase, elle cria même son prénom dans l'espoir d'obtenir une réponse claire et distincte de sa part. Mais seul le silence lui répondit. Elle se passa une main dans les cheveux pour essayer de relâcher un peu de frustration et pour reprendre ses esprits.
Elle reparti dans les escaliers et s'apprêta à les remonter deux à deux pour continuer ses recherches lorsqu'elle entendit un verre se briser proche d'elle. Elle tourna la tête pour essayer de déterminer la provenance du bruit. C'est alors qu'elle remarqua une petite porte en bois sous l'escalier. Elle n'avait jamais fait attention à cette porte, presque dissimulée dans le noir. Elle l'entrouvrit et découvrit trois marches en bois qui descendait vers ce qui semblait être une cave. Elle descendit doucement en faisant attention à se pas se cogner la tête sur une poutre basse et observa la petite pièce. Une bouce lumière orangé lui permit de distinguer ce qui ressemblait à des étagères et des caisses en bois. Au centre se trouvait une table haute avec deux tabourets en fer forgé qui se faisaient face. Elle s'approcha des étagères et passa ses doigts sur les tablettes en fer sur lesquelles étaient écrit des noms invisibles sous la poussière. « Château Margot » « Grand cru ».
Elle se retourna d'un coup en entendant le son d'un bouchon qui saute après l'ouverture d'une bouteille. Elle découvrit alors Jérémie assis sur le sol, le dos collé contre le mur de pierre qui faisait face aux étagères. Il avait à la main ce qui ressemblait à une bouteille de vin, ou peut-être de champagne. Il devait avoir un verre mais celui-ci n'était maintenant qu'un petit tas de débris à côté du jeune homme. Elle lâcha un soupire dans l'espoir de réussir à évacuer la surprise du bruit ainsi que son inquiétude de ne pas trouver son ami. Elle s'approcha de lui et s'accroupi pour essayer de capter son regard.
« Je ne te trouvais pas, je me suis inquiétée. »
Elle ne reçut qu'un haussement d'épaule comme réponse.
« Ça fait longtemps que tu connais cette planque ? En même temps tu as toujours eu les meilleures adresses. »
Elle essaya de lui décrocher un sourire mais il continuait de fixer un point invisible devant lui. Voyant qu'elle n'obtiendrait rien de lui, elle se redressa et pris la direction de la porte. S'il voulait rester seul ici à noyer son chagrin dans l'alcool, grand bien lui fasse.
« Tu es vraiment ridicule… »
Pendant un instant, elle n'était pas certaine de l'avoir entendu. Elle tourna la tête vers lui et remarqua que son regard était bien posé sur elle. Elle prit une grande inspiration et la relâcha en comptant les secondes pour bien vider ses poumons. Elle se retourna doucement et attrapa un verre sur la table centrale avant de s'asseoir à même le sol en face de son ami. Elle lui tendit le verre qu'il remplit avant d'en prendre une gorgée à même le goulot.
« Voilà des jours que tu ne parles et ce qui te viens directement en tête c'est que je suis… ridicule… Une envie comme ça ou-
« Pathétique même…
« Wow rien que ça… »
Elle fit tourner le liquide ambré dans son verre avant d'en prendre une gorgée. Elle apprécia la brulure de l'alcool dans gorge. Il ne la regardait pas directement mais elle savait qu'il l'écoutait, ce qui était une sorte d'évolution.
« Tu ne vas pas prendre la peine de t'expliquer ?
« Je ne te comprends pas.
« On est deux dans ce cas. «
Ils prirent une gorgée en même temps. Le silence s'installa doucement, les laissant se perdre dans leurs pensées respectives. Yumi tourna la tête et lui tendit son verre qu'il remplit machinalement pour la seconde fois.
« Tu viens souvent ici ? lui demanda-t-elle
« Je suis tombé là hier, je pensais venir te voir mais, il souleva la bouteille entre eux, elle me semblait être de meilleure compagnie.
« Ouch, elle porta la main à son cœur dans un geste théâtral. Tu as vraiment les mots pour faire plaisir. Un sourire en coin se dessina sur le visage du blond. Pourquoi tu n'es pas venu finalement ? Tu sais que je suis là pour toi.
« On ne peut pas vraiment dire que tu étais en état… »
Elle repensa à sa fin de soirée et fit une grimace au souvenir de sa pauvre carrure accroupi contre le mur à se vider de toutes les larmes de son corps. Elle prit une nouvelle gorgée et soupira d'aise en sentant la chaleur de l'alcool glisser dans son ventre, et éventuellement ses veines.
Elle regarda Jérémie qui avait enfin levé ses yeux sur elle. Le voile qui couvrait ses yeux la laissa penser qu'il était déjà bien éméché, ce qui expliquait son flot de parole soudain.
« Et donc je suis pathétique parce que… ?
« Parce que tu y crois encore. »
Sa voix était dénuée de tout sentiment. Cela semblait presque évident pour lui, mais pas pour elle. Elle senti ses entrailles se tordent, anticipant le retournement de situation, qui devenait bien plus grave qu'il n'y a quelques minutes.
« On ne peut pas juste partir du principe qu'il n'y a rien à faire.
« On ne peut pas non plus s'imaginer qu'on va les retrouver.
« Ça ne fait que deux mois-
« Justement, ça fait plus de deux mois. Si nous devions les retrouver, on l'aurait déjà fait.
« Tu as vu l'état de la ville, c'est pas comme si on pouvait aller sur la place publique et crier leurs noms en espérant les voir apparaitre comme des fleurs ! »
Comment pouvait-il jeter l'éponge alors qu'il n'était sortie qu'une fois et étais resté visé sur sa chaise depuis ?
« Tu te rends juste malade à y croire comme ça, pour tout ce qu'on sait, ils sont morts.
« Wow, tu es vraiment en forme ce soir ! »
Un rire sarcastique lui remonta dans la gorge. Elle termina son verre rageusement avant de se lever pour en attraper une nouvelle.
« Tu le sais comme moi…
« Je sais que la ville est en ruine et qu'on n'est pas capable de faire un kilomètre sans risquer de finir au fond d'une crevasse. Elle prit une longue rasade et grimaça au gout acre. Elle le regarda, toujours assis à fixer le mur d'en face. Je sais aussi qu'on a trouvé beaucoup de survivant sous des décombres et-
« Et ça va faire des semaines qu'on ne trouve plus personne. »
Génial, il est négatif quand il a bu, c'est bon à savoir. Elle se rassit près de lui après avoir soufflé un bon coup, mais ses sourcils froncés laissaient entendre qu'elle était contrariée.
« Tu n'en sais rien… elle lâcha dans un souffle.
« J'ai accès à la plupart des caméras de la ville. Il remonta ses lunettes le long de son nez. Ces robots rodent partout. Il n'y a pas moyen qu'ils soient quelque part sans que je ne les ai vu.
« La ferme…
« Au moment des effondrements, ils auraient pu être n'importe où.
« Jérémie arrête.
« Tu perds ton temps. »
A ces mots, elle jeta la bouteille au loin pour la voir exploser en mille morceaux contre le mur. Elle se leva et passa les mains dans ses cheveux en entamant les cents pas pour essayer de se calmer. Mais la vue du jeune blond, qui se disait son ami, celui qui s'était battu à leurs côtés, baissait les bras.
« J'essayes juste de t'aider.
« Et bien rends moi un service, va aider quelqu'un d'autre ! »
Elle sortit presque en courant. Elle remonta les escaliers deux à deux et se dirigea vers les cuisines. Elle sortit comme une furie par la porte de service et se mit à courir dans l'espoir de se débarrasser de la colère qu'elle ressentait en ce moment.
De toutes les personnes qui pouvaient baisser les bras, il fallait que ce soit celui sur qui elle comptait le plus. Celui-là même qui s'était précipité hors de l'hôtel pour partir à la recherche de leurs amis. Celui-là même qui continuait de prononcer le prénom d'Aelita quand il s'endormait devant ses écrans. Celui pour qui elle se levait et sortait au moins trois fois pas semaines en espérant lui apporter une bonne nouvelle. Celui qui…
Elle porta ses mains en avant dans l'espoir d'amortir sa chute. Elle n'avait même pas vu la barre de fer dans laquelle elle s'était pris les pieds. Une douleur intense au niveau du genou lui décrocha une grimace. Elle se frotta les avant-bras pour se débarrasser des graviers qui s'y était logé et frotta son genou doucement pour essayer de diminuer la douleur. Sa respiration reprit un rythme régulier et se mêla au silence de la nuit.
Un frisson lui remonta l'échine lorsqu'elle distingua un bruit mécanique derrière elle. Elle se redressa et s'apprêta à se lever lorsqu'elle comprit que ce bruit était très proche d'elle. Elle se retourna doucement, appuyé sur ses genoux, dans l'espoir de rester un peu cachée derrière les ruines. Malheureusement pour elle, le block l'éclairait déjà d'une forte lumière. Il se trouvait à quelques mètres devant elle et ne bougeait plus. Elle dut plisser les yeux pour réussir à distinguer les contours du robot. Elle utilisa tout le sang froid qui lui restait pour essayer de trouver une solution. Au moment même où le block s'avança vers elle, elle se jeta sur le côté et attrapa la barre de fer qui l'avait fait tomber. Elle était lourde mais Yumi parvint à la soulever juste à temps pour porter un coup directement sur le flan de son opposant. Ce dernier bascula et émis un son métallique disgracieux en heurtant le sol. Elle ne prit pas le temps de s'interroger sur la durée de vie de ces machines et lui flanqua un second coup. Et un troisième. Elle laissa sortir toute sa haine et sa colère sans vraiment faire attention où elle frappait. Lorsque qu'elle se retrouva de nouveau dans le noir complet, elle arrêta de frapper. Quelques mèches de cheveux lui collaient au visage et une légère brume s'échappait d'entre ses lèvre à vitesse de son souffle saccadé.
Une fois qu'elle réussit à aligner deux pensées cohérentes, elle lâcha la barre de fer à côté du cadavre mécanique devant elle. De nombreux fils étaient déconnectés, la lampe était brisée et rien ne pouvait laisser penser qu'il s'agissait d'un robot de patrouille du gouvernement chargé de rapporter les survivant au palais. Dans l'obscurité, on ne pouvait même pas faire la différence entre les débris des bâtiments effondrés, des voitures cabossées et du robot désintégré.
La jeune femme pris une grande inspiration et repartit en direction de l'hôtel, plus lentement cette fois, en s'assurant qu'elle n'était pas suivie ou qu'un autre block ne survienne devant elle. Une fois la porte de service passée, elle se dirigea directement vers sa chambre, sans prendre le temps de voir si Jérémie était sorti de la cave à vin. Elle se laissa tomber sur le matelas en priant pour que les jours qui suivent puissent ressembler aux premiers qu'elle avait traversés. Ceux qui lui donnaient l'impression que survivre n'était peut-être pas si difficile, qu'elle pouvait y arriver, d'une manière ou d'une autre.
