Chapitre 5

« Yumi, tu es réveillée ? »

Les coups portés contre la porte la tirèrent du sommeil. Elle sortit la toute de sous sa couverture en fronçant les sourcils en sentant la lumière inonder sa chambre. Elle laissa un grognement sonore s'échapper du fond de sa gorge en sentant un mal de tête lui vriller le cerveau. Les coups contre sa porte n'aidaient pas à apaiser sa douleur. Lorsqu'elle entendit son nom de l'autre côté de la porte, elle sortit du lit avec difficulté et s'attacha les cheveux en espérant cacher l'état pitoyable dans lequel elle était. Elle entrouvrit la porte pour découvrir Camille, la médecin de l'hôtel, qui lui faisait face.

« Oui ?

« Tout va bien ? J'ai tellement l'habitude de te voir tôt le matin que je me suis inquiété.

« Oui, oui, j'imagine que j'étais juste plus fatiguée que je en le pensais.

« Ok, tant mieux. Tu serais libre pour me donner un coup de main ?

« Ho, heu, oui bien sûr, laisse-moi juste me changer.

« Pas de problème, il n'y a pas d'urgence. »

Yumi ferma la porte et s'appuya contre cette dernière. Elle prit de grandes inspirations puis se dirigea vers la salle de bain. Elle s'aspergea le visage d'eau froide, ce qui lui permit de se réveiller et de retrouver un peu d'énergie. Elle se changea et grimaça légèrement lorsqu'elle vit le bleu qui lui colorait le genou, souvenir de sa rencontre nocturne. Elle passa par la cuisine pour prendre une petite bouteille et finit par retrouver Camille dans la salle de réunion transformée en centre médical.

Camille était la doyenne de l'hôtel, la cinquantaine approchant. Elle avait des cheveux châtain coupés au carré au-dessus des épaules. Yumi et Jérémie l'avait rencontré le jour de l'attaque. Ils l'avaient aidé à mettre son mari à l'abri alors que la panique avait pris possession de la foule. Ils avaient trouvé refuge dans un hall d'immeuble, en espérant que le plafond ne leur tombe pas sur la tête. Ils étaient resté plus d'une journée entière coincés derrière un mur de débris qui les empêchait de sortir. Lorsqu'ils réussirent à se frayer un chemin, ils étaient partis à la recherche de toutes sortes d'aident qu'ils auraient pu trouver. Pourtant, ils se retrouvèrent dans ce qui ressemblait à une ville fantôme. Il ne restait presque aucun bâtiment debout, mais il n'y avait surtout plus personne. Le silence était assourdissant. Jérémie et Yumi étaient alors retournés vers Camille et l'avait aidé une nouvelle fois à transporter son mari, Michael. C'est comme ça qu'ils avaient trouvé l'hôtel, seul survivant architectural proche d'eux. Jérémie avait installé Michael sur un canapé dans la réception alors qu'elles étaient parties à la recherche d'une pharmacie ou d'un hôpital.

« Est-ce que ça va ? »

Au son de sa voix, Yumi détacha ses yeux du lit d'hôpital pour les tourner vers Camille.

« Oui, je repensais juste à… tout ça… »

Elle fit un geste vague de la main pour illustrer ses propos. Les premières sorties de Yumi avaient consisté à trouver de l'équipement médical. C'est d'ailleurs à ces moments qu'elle avait rencontré la plupart des jeunes qui habitaient maintenant dans l'hôtel. Ils l'avaient aidé à apporter le matériel le plus lourd, comme un lit équipé de différentes machines permettant de suivre les fréquences cardiaques de la victime. Depuis, le mari de Camille n'avait pas bougé de ce lit, le biper animant régulièrement l'écran de suivi de son cœur.

Camille regarda elle aussi l'homme endormi artificiellement devant elle, puis se tourna vers la jeune femme aux cheveux de jais.

« Ça va aller. C'est encore un peu compliqué mais ça va aller.

« J'espère, elle hocha la tête. En quoi est-ce que je peux t'aider ?

« Oui, merci d'ailleurs ! elle se tourna vers son bureau improvisé et chercha parmi les papiers éparpillés dessus. J'ai fait une liste de choses qui pourraient m'être utile. Tu penses pouvoir en chercher quelques-unes lors de ta prochaine escapade ? »

Même si n'importe qui pouvait sortir de l'hôtel, Yumi était connue comme celle qui cherchait à sortir des frontières du quartier, celle qui visitait et s'aventurait au delà des éboulements. Le fait d'avoir des patrouilles robotiques était aussi un frein pour beaucoup qui ne souhaitaient pas les croiser. Et jusque-là, le quartier était protégé. Enfin presque…

Elle prit la feuille que lui tendait Camille et lui sourit.

« Je sais que tu as déjà fait ton maximum, entre les pharmacies et hôpitaux du quartier, c'est juste que… »

Elle fut coupée par Bastien, le jeune infirmier, qui entra en tenant un corps évanoui dans ses bras. Les sourcils de Camille se froncèrent mais il n'y avait pas de panique dans ses yeux, comme dans ses gestes. Il installa une jeune femme rousse, d'à peine vingt ans, sur un des lits disponible. Camille s'avança rapidement pour commencer à l'ausculter, en parlant à voix haute, autant pour elle que pour Bastien et Yumi à ses côtés.

« C'est déjà la troisième aujourd'hui. La fièvre est assez haute, passe-moi une intraveineuse pour qu'on la garde hydratée.

« Tout de suite. »

Bastien se mit en mouvement et suivit les ordres de sa supérieure avec une grande attention. Ils installèrent la patiente pour qu'elle soit le plus confortable possible, compte tenu de son état. Yumi leur passa les quelques outils dont elle connaissait le nom et les observa s'activer autour de la jeune fille. Camille leva son regard vers la japonaise et y lu toutes ses interrogations.

« Je ne sais pas trop ce que c'est. Je pense à un virus mais il est difficile d'en être sûr. C'est pour ça que j'aurais besoin de ces médicaments, ne serait-ce que pour faire baisser leur fièvre. »

Elle avait beau avoir une voix très claire et assurée, Yumi pouvait distinguer son inquiétude face à l'arrivée des patients.

« J'y vais tout de suite. »

Arrivant devant la troisième ancienne pharmacie, Yumi prit une grande inspiration, en espérant que cette fois-ci, elle parviendrait à trouver de quoi aider Camille. Cependant, ses espoirs continuaient de s'amincir à mesure qu'elle s'engouffrait dans les dédales de béton pour atterrir dans ce qui était, il n'y a pas si longtemps que ça, des allées pleines de médicaments, crèmes et autres produits de santé. Elle faisait maintenant face à des étagères écrasées, tombées les unes sur les autres, mais surtout vide. Les quelques boites qui jonchaient le sol ne contenait plus rien, si ce n'est parfois des bouteilles brisées ou des cachets réduits en poussière. Pour se donner bonne conscience, elle fit tout de même un tour dans l'arrière-boutique mais la plupart des tiroirs étaient déjà retournés sur le sol. Elle trouva tout de même ce qui se rapprochait le plus d'une trousse de premier secours, et la glissa dans son sac. Même si ce n'était pas les médicaments demandés, des bandages étaient toujours utiles.

Lorsqu'elle ressortit, elle dut plisser les yeux pour réussir à distinguer les formes autours d'elle. Le vent s'était levé et soulevait toute la poussière environnant au point de donner l'impression d'être coincé dans un brouillard épais. Yumi se félicita de toujours avoir son bandana autour du coup, ce qui lui permettait de respirer un peu moins de particules qu'en temps normal. Sentant cependant que le vent ne cesserait pas de souffler de sitôt, elle décida de passer par les égouts pour atteindre une autre pharmacie. Une fois à l'abri, elle essaya de se repérer et se dirigea vers ce qu'elle espérait être le sud de la ville. Même si l'on pouvait deviner qu'un tremblement de terre avait eu lieu, les égouts étaient peut être un des endroits qui avait le moins changé. Elle accéléra le pas en pensant aux patients qui attendaient à l'infirmerie de l'hôtel.

Arrivé à un croisement, elle faillit tomber nette en distinguant un block un peu plus loin. Elle évalua rapidement ses options, entre se battre ou changer d'itinéraire. Ne sachant pas combien de robot pouvait se trouver là, elle décida qu'un détour valait mieux que perdre beaucoup d'énergie. Elle s'engagea dans des couloirs qui lui étaient moins familiers, en essayant de revenir le plus rapidement possible vers les chemins principaux. Cependant, à chaque tournant qui pouvait la ramener vers la sortie, elle voyait des ombres rigides se déplacer, accompagnées de sons métalliques résonnant contre les parois. Sans faire attention, elle se perdit dans les égouts parisiens. Frustrée de s'être fait avoir aussi facilement, elle essaya de trouver un point positif à tout ça. En effet, cela voulait sans doute dire qu'elle était sortie de son quartier, qu'elle était même assez loin pour peut-être tomber sur une pharmacie encore inexplorée. Elle continua donc son exploration jusqu'à se retrouver devant un mur entier de décombre, rendant tout passage impossible. En revenant sur ses pas, elle essaya de s'engager dans un couloir parallèle mais tomba une nouvelle fois sur un mur impénétrable. Elle chercha don une sortie, pensant pouvoir surpasser l'obstacle à l'extérieur. Il lui fallut presque quinze minutes pour trouver une échelle assez solide pour accéder à la surface.

Elle comprit qu'elle avait passé beaucoup de temps dans les égouts lorsqu'en ouvrant la plaque d'égout, elle remarqua que la nuit commençait à tomber. Elle hésita un instant à retourner dans les couloirs humides pour retrouver son chemin vers l'hôtel, mais l'idée lui paraissait stupide. Pourquoi avoir fait tant de chemin si elle ne savait même pas où cela l'avait conduit. Elle remit sa capuche et son bandana en place avant de se hisser au sommet de l'échelle.

Pendant un instant, elle avait l'impression d'être revenu trois mois auparavant. Les branches des arbres bougeaient au grès du vent, certaines maison au bord de la route tenaient encore debout. La route en elle-même était traversée par des fissures plus que prononcées, et on distinguait au loin des crevasses qui devaient plonger au plus profond de la terre. En sortant du cœur de la ville, les dégâts semblaient bien moins violents.

La jeune femme pris le temps d'observer l'environnement autour d'elle. Elle sentait une boule grossir dans sa poitrine, sans vraiment savoir d'où ça venait. Elle se dirigea vers l'endroit où elle pensait trouver l'obstacle qui l'empêchait d'aller plus loin dans les égouts. C'est alors qu'elle comprit pourquoi elle se sentait mal. Droit devant elle se dressait la barrière magnétique bleutée du dôme. Elle se trouvait au pied de la cage qui se dressait au-dessus de leurs têtes. Un léger son électrique résonnait de plus en plus fort à mesure qu'elle s'approchait de la barrière. Elle l'observa avec des yeux grands ouverts sous le coup de la surprise. Elle se trouvait à la frontière entre les survivants et les condamnés, ceux qui n'avaient pas eu la chance d'être protégés contre les missiles nucléaires des pays du monde entier. Yumi senti son souffle se coincer dans sa gorge en pensant à toutes ces personnes. Elle vit combien cette barrière les avait protégés. Même si la ville était en ruine, elle existait toujours. De l'autre côté de la plaque bleuté, elle ne distinguait absolument rien. Des mottes de terres un peu plus hautes que d'autre laissaient supposer que des habitations existaient à cet endroit, peut-être même des immeubles. Mais tout avait été rasé. Il ne restait absolument rien, si ce n'est un brouillard de poussières et … la mort. Les cadavres des arbres carbonisés étaient une des seules formes qu'elle pouvait distinguer dans cet environnement. Elle détourna le regard en sentant son estomac se contracter, ne voulant pas vider ses tripes au pied du dôme. Elle remonta la rue dans laquelle elle se trouvait, un sentiment d'inconfort ne la quittant pas un instant. Ses idées étaient éparpillées et elle ne parvenait pas à se concentrer. Elle s'assit à même le sol, contre un muret de pierre encore début. Elle remonta ses genoux contre elle et appuya son front dessus. Elle se força à expirer lentement afin de se ressaisir.

En relevant la tête, Yumi se pensait prête à affronter n'importe quel évènement qui décidait de tester sa force. C'était sans compter sur le panneau qui ornait le mur en face d'elle. Juste au-dessus était dessinée une croix verte, symbole de l'aide médicale qu'elle avait cherché toute la journée. Elle se précipita dans le magasin, dont seules les vitrines brisées témoignaient des tremblements de terre de l'attaque. Une fois à l'intérieur, elle se précipita vers les rangements organisés par ordre alphabétique et remplis son sac de toutes les boites portant le nom des médicaments demandés par Camille.

Une fois à 'extérieur, un grand sourire aux lèvres, elle retourna devant le panneau afin de se repérer et retrouver l'entrée des égouts. Elle se sentait toujours étrangement tendue, alors même qu'elle avait trouvé le graal. Ce n'est que lorsqu'elle réussi à lire l'inscription sur le panneau qu'elle comprit pourquoi elle se sentait si mal. Le panneau indiquait le nom de la rue dans laquelle elle se trouvait. Le nom de sa rue. Celle dans laquelle se trouvait la maison dans laquelle elle avait grandi, celle dans laquelle ses parents et son petit frère devaient se trouver il y a presque trois mois. Son regard remonta les numéros de maison, en espérant tomber sur le sien. Mais elle finit par ne regarder que le vide au-delà de la barrière électrique. Si elle suivait son raisonnement, la maison de sa famille devait se trouver à quelques centaines de mètres au-delà de la frontière. Le hasard des décisions diplomatiques avait fait que sa famille, ses parents et son petit frère, ne s'étaient pas trouvé au bon endroit.

Sa vision se brouilla et les larmes dévalèrent de dessus de ses joues pour imprégner le bandana qui lui couvrait le visage. Elle essaya d'apporter un peu d'air dans ses poumons mais son corps entier était paralysé. Elle sentit une douleur lui remonter le long de la jambe lorsqu'elle tomba à genoux sous le coup du choque. Elle fixa un point invisible dans le chaos de l'extérieur, ne sachant plus comment penser, comment respirer, comment vivre.

La jeune femme était incapable de dire comment elle avait réussi à trouver son chemin jusqu'à l'hôtel. La nuit était déjà bien entamée et tout le monde devait déjà dormir. Tel un zombi, elle se rendit à l'infirmerie et déposa son sac sur le bureau de Camille. Elle allait prendre la direction de sa chambre mais ses pieds décidèrent de descendre les escaliers jusqu'à la cave. Elle sentit un léger soulagement en voyant que la lumière était allumée. Comme la veille, elle prit une bouteille sur une étagère et se laissa glisser sur le sol, en face de Jérémie, sans dire un mot. Il l'observa pendant qu'elle baissa sa capuche et posa son bandana sur ses genoux. Il remarqua la rougeur de ses yeux et l'absence totale d'optimisme qu'il distinguait d'habitude au fond de ces derniers. Pendant un instant, il se sentit coupable, pensant être responsable de cette perte d'espoir. Il lui prit la bouteille des mains et l'ouvrit à sa place. Elle hocha à peine la tête en signe de remercîment et porta le goulot à ses lèvres. Elle ne grimaça même pas à la brulure du liquide. Le silence s'installa comme une troisième personne à leurs côtés.

« Je suis désolé pour hier. »

La voix du jeune homme laissait paraitre son inquiétude. Pourtant, elle ne détacha pas ses yeux du point invisible en face d'elle, perdue dans ses pensées.

« Tu avais raison… sa voix semblait sortir des plus bas fond de son âme. A quoi bon, puisqu'il n'y a rien à espérer…

« Qu'est-ce qui s'est passé ? »

Elle fit tourner la bouteille entre ses doigts mais la laissa finalement reposer sur le sol. Elle leva alors ses yeux pour croiser ceux de Jérémie, et il put lire toute la douleur qu'elle gardait enfouie au fond d'elle.

« Je suis allé dans les égouts. J'ai fini par arriver dans ma rue.

« Wow, on peut aller si loin ?

« C'est là que se trouve le pied du dôme.

« Chez toi ?

« Non, juste avant. »

Il fronça les sourcils, en essayant de décrypter les paroles de son amie. C'est alors qu'il comprit, il associa sa douleur et l'idée de sa maison, la frontière…

« Yumi…

« C'est fini Jérémie. Tu avais raison, je perds mon temps. »

Et juste comme ça, le silence se réinstalla, les plongeant donc une réalité bien que trop claire. Il n'y avait plus qu'eux.