15
L'eau tombait en cascade sur tout son corps. Yumi sentit tous ses muscles endoloris se détendre au contact de la chaleur. Elle leva la tête et laissa le jet arroser son visage dans une caresse délicieuse. Elle ouvrit la petite bouteille de gel douche mise à disposition et se laissa enivrer par la douce odeur fruitée. Pendant un instant, elle oublia les robots, les soldats armés et les sourire venimeux de Cécile. Elle laissa la buée embrumer son esprit et laissa ses sensations prendre le dessus sur ses pensées.
Elle finit par sortir et s'enroula dans une serviette si douce qu'elle semblait avoir été fabriquée dans la soie. La jeune femme lança un regard dédaigneux à ses vêtements sales abandonnés sur le bord du lavabo. Elle enroula ses cheveux mouillés dans une petite serviette et enfila son t-shirt. Un coup porté contre la porte la fit sursauter.
« J'ai trouvé des vêtements dans la commode, je me suis dit que ça pouvait t'intéresser. »
Elle entrouvrit la porte si vite que cette fois, c'est Jérémie qui faillit sursauter. Il lui passa un t-shirt un peu large et un jogging en coton gris. Elle lui offrit le regard le plus reconnaissant dont elle était capable et referma la porte. Elle passa les vêtements qui sentaient encore l'adoucissant et porta le col du t-shirt à son nez pour profiter encore un peu de l'odeur. Elle finit par sortir et trouva Jérémie une fois de plus, face à la fenêtre. Il se tourna vers elle lorsqu'il entendit la porte s'ouvrir. Elle lui offrit un sourire compatissant lorsqu'elle comprit qu'il ne cherchait rien à l'extérieur, il était simplement perdu dans ses pensées, sans doute à ressasser les évènements de la soirée. L'air sombre qui planait sur son visage était l'indicateur le plus marquant. Elle ne lui fit cependant aucune remarque à ce sujet et fit une révérence exagérée en lui pointant la salle de bain.
« Le ballon d'eau chaude est prêt à être vidé mon Seigneur. »
Il rit en secouant la tête et se détacha de la fenêtre, récupéra les vêtements posés sur la commode et disparu dans la petite pièce. Yumi fit alors un tour minutieux de la chambre, à la recherche d'un possible dispositif de surveillance, mais il semblait que seul le garde à l'extérieur devait garder un œil sur eux. Elle jeta un regard à l'extérieur, jugeant de la hauteur entre la fenêtre et le seul, mais le passage de lampe torche dans la cour la dissuada de s'échapper par ce chemin.
Elle se jeta sur le lit en soupirant. Ils devaient retourner auprès de leurs amis avant que quelqu'un ne s'inquiète trop et ne se fasse attraper. Elle se força à lister tous les obstacles qui les empêchaient de simplement sortir et courir. Le garde devant la porte était le premier. Il faudrait ensuite qu'ils retrouvent le chemin jusqu'à la porte d'entrée, elle-même gardée par un bloc. Et même s'ils parvenaient par miracle à sortir de l'immeuble, il faudrait traverser toute la ville, le plus discrètement possible, afin de retourner à l'hôtel. Elle soupira de nouveau, se redressa et commença à faire les cents pas dans la chambre. Il y avait beaucoup trop d'inconnues dans cette situation, elle n'avait pas le contrôle sur l'endroit, les personnes, rien.
Lorsque Jérémie sortit de la salle de bain, il trouva la jeune femme allongée de tout son long sur le parquet. Elle fixait quelque chose au plafond mais lorsqu'il suivit son regard, il ne vit que la couche parfaitement lisse de peinture et les enluminures dans les coins.
Il haussa un sourcil sarcastique en se penchant au-dessus d'elle.
« Le lit n'est pas au goût de Madame ?
« Gnagnagna, elle s'assit en tailleur et la serviette qui retenait ses cheveux resta sur le sol. Je n'aime pas cet endroit.
« Moi non plus, il se redressa et s'installa d'un côté du lit. Mais je n'ai pas forcément très envie de rentrer, c'est con hein ?
« Non pas vraiment, elle l'imita et s'installa à ses côtés. C'est une sacrée nouvelle, je comprends l'envie de ne pas y faire face de suite.
« Mais … ? il tourna la tête vers elle, l'observant depuis l'oreiller bien rembourré.
« Mais le problème sera toujours là en rentrant. Et même si là, tout de suite, tu te sens trahis, elle haussa les épaules, ce sont nos meilleurs amis. Vous devrais en parler éventuellement.
« Tu réagirais de la même manière si ça avait été Ulrich et non Odd ? »
La jeune femme prit une seconde avant de répondre. Elle imita la position de Jérémie en plaçant ses mains derrière la tête et fixa le plafond. Elle repensa aux moments passés avec Ulrich depuis qu'ils s'étaient retrouvés. Elle repensa au baiser échangé sur le toit, aux entrainements, à sa crise de jalousie dans les égouts. Le souvenir de ses mains sur sa peau lui fit monter le rouge aux joues. Ils avaient toujours était proche mais il avait fallu la fin du monde pour qu'ils franchissent enfin le pas. Et encore, ils n'étaient jamais allés plus loin, et l'idée qu'il ait été intime avec quelqu'un d'autre lui tordit les entrailles. Aelita et Jérémie n'avaient pas attendu. Ils ne cachaient pas leurs sentiments, sortaient souvent au restaurant et au cinéma, et vue la douleur dans les yeux de Jérémie, ils étaient sans doute allé plus loin que de simple embrassade.
« Non tu as raison. Elle le regarda de nouveau et vit qu'il attendait sa réaction. Mais si j'étais partie en courant tu ne m'aurais jamais rattrapé.
« Je n'étais pas à fond.
« Non, bien sûr. »
Ils rirent un instant à la petite moquerie. Petit à petit, la fatigue s'installa. Yumi avait l'impression qu'une semaine s'était déroulée depuis qu'elle avait ouvert les yeux. Elle sentit son corps s'enfoncer dans le matelas et se glissa sous les couvertures avec paraisse. Jérémie l'imita et poussa un soupir de bienêtre.
« On est vraiment obligé de partir ?
« Oui, sa voix était à moitié étouffé par l'oreiller. Ils ont détruit le monde, littéralement.
« Je sais, il s'installa plus confortablement. Mais leurs lits sont incroyables.
« Grave… »
Un nouveau soupire de bienêtre plus tard, et les deux jeunes étaient profondément endormis.
De brusques coups portés à la porte les sortirent du sommeil. Si Yumi mit un instant à se souvenir où elle était, Jérémie s'était déjà levé et ouvrit brusquement la porte. Le garde de la veille au soir se trouvait encore le poing en l'air, prêt à reprendre son tambourinement. A la lumière du jour, Eliott semblait encore plus jeune que lorsqu'il les avait guidé jusqu'à Cécile. Il portait toujours un ensemble noir, de larges botte et une arme était accrochée à son harnais en cuir.
Yumi poussa un grognement de mécontentement et enfonça sa tête dans l'oreiller. Jérémie fusillait le garde du regard alors que ce dernier fixait la jeune femme dans le lit. Il finit par se tourner vers le blond et haussa les sourcils de surprise en voyant l'agressivité présente dans ses yeux. Il se racla la gorge et se redressa avant de s'adresser à lui.
« Le petit déjeuner va être servit, je dois vous accompagner. Face au sourcil levé de Jérémie, le garde fit un pas en arrière. Je vous laisse vous préparer.
« Monsieur est trop aimable. »
Jérémie lui claqua la porte au nez et s'avança vers les fenêtres pour ouvrir les rideaux en grand. La jeune femme poussa un nouveau grognement face à l'attaque lumineuse mais finit par retirer sa tête de l'oreiller et balança ses jambes hors du lit. Son regard plein de sommeil et de mauvaise humeur fit un tour de la pièce. Ils se préparèrent en silence et lorsqu'ils retrouvèrent Eliott dans le couloir, leur mauvaise humeur ne s'était pas dispersée. Ils suivirent le garde en silence à travers les descentes d'escaliers et les couloirs luxueux. Ils avaient juste besoin de suivre la source des voix pour deviner où se trouver la salle de petit déjeuner, mais ne firent aucune remarque à leur chien de garde.
La grande pièce faisait penser aux salles de bal de l'époque victorienne. Des grandes baies vitrées s'ouvraient sur ce qui restait d'un jardin, des lustres pendaient au plafond et des colonnes aux quatre coins de la pièce était richement sculpté et guider le regard vers les moulures au plafond. Pendant un instant, les deux amis avaient l'impression d'être entré dans une autre dimension. Des tables robes aux nappes blanches étaient disposées un peu partout dans la pièce. Le contraste entre les gardes armés et la délicatesse de la porcelaine était flagrante. Pourtant, il y avait aussi des personnes habillées de manière plus détendue, ou du moins plus civile en opposition aux soldats. Beaucoup d'entre eux portaient des ensembles colorés ou des pulls dont la matière était sans doute du cachemire. Ils semblaient sortir d'une couverture de magazine de décoration pour rénover leur manoir en province. Les seuls à porter des jeans ou des baskets étaient aussi les seuls à ne pas vraiment être assis. Beaucoup circulaient entre les tables les bras changés de vaisselles. Les quelques un qui mangeaient étaient assis sur le bout de la chaise, prêt à repartir aussi vite qu'ils n'étaient arrivés.
Cécile se leva lorsqu'elle les vit arriver devant sa table. Elle était installée à côté d'une femme qui semblait un peu plus âgée mais qui lui ressemblait énormément. Elle leur offrit le même sourire doux mais calculateur que la veille et les invita à s'asseoir d'un geste de la main. Lorsqu'ils s'installèrent sur les chaises qui leur étaient réservées, Yumi remarqua tous les regards de la pièce tournés vers eux. Seul le bruit des couverts contre les assiettes perturbait le silence ambiant.
Cécile le même style d'ensemble professionnel que la veille, mais cette fois dans les tons vert pastel. Ses longs cheveux tombaient en cascade dans son dos, les mèches avant retenues par des barrettes dorées. A ses côtés, l'autre femme portait une tenue similaire à celle des gardes, de couleurs très sombres, des vêtements assez élastiques pour ne pas gêner les mouvements en cas de combat, et un harnais qui lui permettait de garder un pistolet collé à son flan. Son regard était aussi inquisiteur que celui de Cécile, mais au moins elle ne faisait pas semblant de sourire pour les amadouer.
« Voici ma sœur, Marie, commença Cécile, elle se charge de nos équipes de protection et de l'entraînement de la Garde des Survivant. Et voici, … elle les désigna d'un signe de main qui les invitait aussi à se présenter.
« Yumi, lança la jeune femme avec réticence, et Jérémie. »
Marie hocha la tête comme seul signe de salutation. Les deux jeunes reculèrent contre le dossier de leur chaise lorsque qu'un plateau de pain et confiture se posa devant eux. Les verres furent remplis de jus d'orange. Les serveurs disparurent aussi vte qu'ils n'étaient arrivés. La surprise se lisait sur leur visage mais Cécile, heureusement, associa cette réaction à la nourriture et non à l'organisation de ce groupe.
« Mangez, vous ne devez pas avoir eu de vrai repas depuis si longtemps. »
Aucun des deux ne la contredit pour lui expliquer que la cuisine de l'hôtel était parfaitement équipée et que les roulements aux fourneaux permettait d'avoir des repas varié presque tous les jours malgré le choix réduits dans les produits.
Les deux mourraient d'envie de poser toutes les questions possibles concernant leur organisation, comment ils traitaient les survivants ou même comment est-ce qu'ils pouvaient se comporter ainsi alors qu'ils avaient détruit la majorité de la population mondiale, mais ils se retinrent. A la place, ils burent quelques gorgées de jus et mangèrent une tartine complète avant de commencer l'interrogatoire.
« Combien de survivants y a-t'il exactement ? Yumi remarqua le froncement de sourcils sur le visage de Marie et compléta sa question. Ça fait si longtemps que je n'ai pas vu autant de monde.
« Evidemment, s'empressa de répondre Cécile. Nous sommes un peu plus de deux-cents.
« Wow, on ne dirait vraiment pas. »
Le regard de Yumi se porta sur le reste de la salle.
« Il y avait près de deux millions d'habitants à Paris…
« Tout le monde n'a pas survécu au tremblement de terre.
« Ça fait quand même beaucoup, je me demandais juste où se trouvaient les autres…
« Certains ne veulent tout simplement vivre en paix, termina fermement Marie. »
L'avertissement dans son ton était on ne peut plus clair.
Il y avait maximum une trentaine de personne dans la pièce, tous habillées comme Cécile et qui profitaient encore de leur repas. Presque autant de « serveurs » s'activaient entre les tables avant de disparaitre derrière des portes battantes dévoilant encore plus de personnes qui s'activaient derrière des fourneaux ou des centres de nettoyage. Marie suivit son regard vers ce qui était indéniablement l'envers du décor.
« Tout le monde a un rôle à jouer.
« Evidemment, Jérémie reprit volontairement le ton employé par Cécile. Et quels sont les votres ?
« Marie s'occupe de la Garde, comme je vous l'ai dit. Et je suis à la tête du gouvernement.
« Un gouvernement ?
« Oui. Après tout ce qui s'est passé, il fallait bien remettre une organisation en place.
« Donc les personnes au pouvoir qui ont causé l'apocalypse sont encore au pouvoir aujourd'hui ?
« Personne ici n'a appuyé sur le bouton rouge. Et tout le monde ici peut prétendre siéger à nos côtés.
« Et quelles sont les conditions pour appartenir à ce gouvernement ? peut-être que les deux femmes prenaient le ton de Jérémie pour de la curiosité mais Yumi cacha son sourire en entendant sa condescendance et son sarcasme.
« Nous mettons en avant les connaissance en gestion de crise, organisation politique et relations internationales.
« Mais est-ce qu'il existe encore des pays avec qui créer des relations ? Cette fois, elles comprirent la pique qu'il envoya.
« Vous ne pensez tout de même que nous sommes la seule capitale à avoir installée un dôme de protection ? Ne soyez pas ridicules. »
Le silence qui s'abattit sur la table était plus épais que l'ensemble des confitures alignées devant eux. Si Cécile ne les appréciait pas avant, elle se méfiait certainement d'eux à cet instant. Quoi de plus dangereux de du sang neuf qui vient perturber l'équilibre imposé par la royauté ? Ils devaient sortir d'ici au plus vite avant de finir comme tous ceux qui ne voulaient « pas vivre en paix ». Le rôle des blocs devenait de plus en plus clair.
Un plan commençait à se dessiner dans l'esprit de la jeune femme mais pour ça, ils avaient besoin de se trouver le plus loin possible des gardes et de la fausse royauté qui régnait ici. Elle prit alors son air le plus innocent et se racla la gorge.
« Et du coup, comment pouvons-nous aider ? »
Jérémie faillit s'étouffer en entendant son ami proposer son aide à l'ennemi mais se retint à temps. A la place, il vit un sourire ravi fleurir sur les lèvres de Cécile.
« Je suis ravie de voir que vous comprenez l'esprit de ce lieu. Quelles sont vos compétences ?
« Manuelles, répondit-elle. On est très bon pour réparer quoi que ce soit, c'est nécessaire quand vous vivez trois mois sans rien. Cet endroit à l'air en bon état mais…
« Mais je suis sure qu'on va vous trouver quelque chose à faire, coupa Marie. Comment vous vous sentez par rapport aux canalisations et évacuations d'eaux usées ? »
Yumi afficha une mine dégoutée, ce qui était toute la réponse dont la cheffe des troupes avait besoin.
« Parfait, tous les outils sont rangés dans la cour, vous pourrez vous en occupé de suite. »
Sans attendre de réponse, elle se leva et quitta la table. Deux gardes postés près de la porte lui enclenchèrent le pas et ils disparurent dans le couloir. Cécile prit le temps de finir sa tasse de thé avec grâce, puis prit congé à son tour. Une fois seuls, Yumi put enfin se détendre et but une gorgée de jus à son tour. Jérémie, lui, ne cachait pas son incompréhension mais fit tout de même attention à ne pas lever la voix.
« Vraiment ? Elles tuent plus de la moitié de la planète et tu veux qu'on aille s'occuper de l'eau de leurs chiottes ?
« Où sont les canalisations ?
« Quoi ? il ne voyait vraiment pas le rapport.
« Où se déversent les eaux usées qui passent dans ces canalisations ? »
Il fronça les sourcils face à l'air satisfait de son amie et fit fonctionner ses méninges. Lorsqu'il comprit le plan de la jeune femme, il s'en voulu de ne pas avoir fait le rapprochement plus tôt, c'était lui le génie de la bande.
« Les égouts. »
