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Lorsqu'ils quittèrent la table, la majorité des dirigeants avaient quitté la salle de petit déjeuner et l'équipe en charge du débarrassage courrait entre les tables.

Une fois dans le couloir, ils tombèrent face à Eliott qui les attendait de pied ferme. Ils avaient besoin de se débarrasser de lui s'ils voulaient pouvoir s'échapper. Il leur annonça qu'il avait reçu l'ordre de les mener jusqu'à la réserve d'outils avant de les emmener au sous-sol. Ils serrèrent les dents mais lui suivirent docilement jusqu'à la cour intérieure de l'immeuble. Cette dernière était si grande qu'elle permettait aux soldats qui s'entrainaient de faire des allers-retours en courant et de vraiment se dépenser. Ils traversèrent presque entièrement le sol pavé et empruntèrent une porte en bois qui laissait imaginer l'ancienne étable qui se trouvait là. Il n'y avait aucun cheval mais des vingtaines d'armes de tous types alignées le long des murs. Un frisson de peur remonta le long de leur dos mais ils essayèrent de garder la face. Eliott avança jusqu'au fond de la pièce et les attendit devant une étagère prévue pour les outils. Une fois devant, les deux jeunes commencèrent à les analyser et se lancèrent dans une discussion frivole à propos de l'utilité de chacun des outils selon les différents besoins de réparation.

Jérémie remarqua combien leur échange ennuyait le garde qui ne faisait plus vraiment attention à eux. Il décroisa les bras et prit une position faussement détendu en posant une main sur sa hanche et l'autre sur le mur juste à côté de l'étagère. Exactement là où un certain nombre d'armes était suspendues. Il n'eut qu'à décaler son appui de quelques centimètres pour qu'elles ne tombent toutes comme des dominos. Le boucan provoqué les fit tous sursauter et attira certains des soldats qui s'entrainaient proche de la porte. Parmi eux se trouvait Marie qui les regardait avec énervement. Elle s'approcha d'eux d'un pas déterminé alors que Jérémie porta sa main à la bouche et feignit la parfaite stupeur.

« Je suis … J'ai juste … Et tout est … D'habitude je suis très adroit mais là…

« Assez. »

L'ordre les fit tous se tenir un peu plus droit.

« Je vais ranger bien sûr, continua tout de même Jérémie.

« Je pense que vous en avez assez fait. Elle fixa Eliott qui se tenait derrière eux mais continua de s'adresser à eux. Vous avez tout ce dont vous avez besoin ?

« Oui, répondit Yumi en montrant la caisse à outils qu'elle tenait à la main.

« La porte du sous-sol est dans la cuisine, vous vous souvenez du chemin jusque là-bas ?

« Parfaitement.

« Dans ce cas allez-y. Demandez à quelqu'un de l'aide si besoin. Vous, dit-elle en pointant Eliott, rangez-moi ça. »

Les deux jeunes ne perdirent pas une seconde et se précipitèrent dans la cour. Jérémie regarda par-dessus son épaule pour s'assurer que personne ne les suivait et sentit son cœur s'accélérer lorsqu'il se rendit compte que son stratagème avait fonctionné. Ils pénétrèrent dans la salle de petit déjeuner complètement vidée de ses occupants. Ils prirent ensuite la direction de la cuisine et poussèrent les portes battantes. Il y avait moins d'activité que lors du service, cependant la cuisine était immense et ils n'avaient pas temps à perdre. Yumi se dirigea vers une jeune femme un peu isolée dans un coin de la cuisine, occupée à ranger les assiettes propres dans une armoire. Cette dernière se tourna vers elle lorsqu'elle sentit une légère pression sur son épaule.

« Excuse-moi, on cherche… »

Yumi s'interrompit lorsqu'elle la reconnut. Elles se fixèrent toutes les deux un instant sans rien dire, les yeux écarquillés et la bouche ouverte.

« Yumi ? chuchota-t-elle.

« Tamiya ? »

Leurs voix n'étaient pas plus élevées qu'un murmure mais elles jetèrent tout de même un regard par-dessus leur épaule pour s'assurer que personne ne les avait entendus. Le regard de Tamiya se posa sur Jérémie et elle ouvrit de nouveau la bouche de surprise. Un mouvement au fond de la cuisine les ramena cependant sur terre et les deux jeunes femmes se tournèrent pour faire face à l'armoire. Yumi lui fit un signe de lui passer une assiette et elles créèrent une sorte de chaine de rangement.

« Qu'est-ce que vous faites ici ? demanda Tamiya.

« On s'est fait prendre par la garde hier soir. Mais on ne compte pas rester.

« Toutes les portes sont surveillées, même celle au fond de la cour.

« On n'a pas l'intention de passer par la grande porte. Elle n'avait pas le temps de tout lui expliquer, s'ils voulaient s'enfuir, il fallait faire vite. Tu peux venir avec nous mais il faut faire vite.

« Je ne peux pas partir sans les autres, ils doivent venir avec nous. Elle semblait effrayée à l'idée de partir dans ses amis, au point que l'assiette qu'elle tenait à la main se mis à trembler.

« Vous seriez combien ? Yumi était tendue mais elle comprenait le besoin de sauver le plus de personne possible. Tamiya semblait rassuré par sa réponse et se redressa.

« Juste nous trois. Ils ne sont pas loin, je peux aller les chercher et revenir assez vite.

« Ok, dit nous juste où est la porte vers le sous-sol, les canalisations. On part les premiers et vous nous rejoignez, mais rapidement et discrètement. »

Elles hochèrent la tête comme signe d'entente et se mirent en mouvement. Tamiya haussa un peu la voix pour leur indiquer la fameuse porte pour être surs que si quelqu'un les écoutait, il se fourvoierait sur le sujet de la conversation. Elle quitta ensuite la cuisine en silence alors qu'ils s'engagèrent dans l'escalier humide. Ils suivirent le couloir étroit jusqu'à déboucher dans une grande salle des machines. Le bruit de l'immense chaudière couvrait le son de leurs pas. Ils cherchèrent les tuyaux de canalisation et les suivirent jusqu'à ce qu'une large flaque d'eau ne leur indique la fameuse fuite à réparer. Jérémie sortit quelques outils et se mit à la réparer sous le regard interrogateur de la jeune femme.

« S'il n'y a plus de problème, ils mettront moins de temps à descendre ici. »

Un raisonnement logique en effet. Elle s'engagea un peu plus loin dans la grande pièce, une main posée sur le tuyau, à la recherche de l'accès aux égouts. Elle essaya de se concentrer sur le son de l'eau qui s'écoule mais le grésillement des fils électriques et le bourdonnement incessant des machines ne lui facilitait pas la tâche. Elle fit donc appel à ses autres sens, le stress de la fuite lui compressant la poitrine. Elle s'attendait à voir Marie surgir de derrière un des énormes tuyaux et la tuer du regard, si ce n'est avec autre chose.

Elle se força à expirer et à calmer son rythme cardiaque pour se concentrer. Des dizaines de tuyaux, si larges qu'elle ne pouvait en faire le tour avec ses bras, glissaient le long des murs et du plafond. Ils étaient partout, s'emmêlaient et créaient un enchevêtrement de métal coloré qui lui donnait l'impression d'étouffer. Cependant elle remarque un petit renfoncement dans le mur, à peine visible à cause des tubes qui le traversaient. Elle s'approcha et retint un cri de victoire lorsqu'elle remarqua une trappe en fer sur le sol. Elle s'accroupit et essaya de l'ouvrir à l'aide du tournevis qu'elle avait récupéré dans la boite à outil. Elle s'en servit comme pied de biche et glissa le bout de ses doigts dans l'ouverture. Elle glissa la plaque sur le côté et se pencha en avant pour voir un tunnel s'étendre sur moins d'un mètre avant de s'ouvrir sur un courant d'eau.

« Yumi ? Elle soupira en entendant Jérémie l'appeler.

« Ici ! »

Elle entendit plusieurs personnes derrière lui et espéra de tout son cœur qu'il s'agissait de Tamiya et non d'autres membres de la Garde. Juste par précaution, elle se redressa et se pencha sur un tuyau, faisant mine de l'observer tout en cachant sa découverte.

Jérémie la rejoint avec Tamiya, mais rien ne l'a prépara à ceux qui la suivaient. Si elle aurait pu s'attendre à ce que Milly soit avec elle, jamais elle n'avait imaginé croiser le regard de son petit frère. Il les bouscula tous et se jeta dans ses bras. Elle voulait profiter de ce moment. Elle voulait se serrer contre elle, pleurer, rire, lui parler de tout ce qui s'était passé et plus encore. Mais ils devaient s'enfuir et le temps pressait. Elle le pressa un instant contre elle avant de s'éloigner légèrement.

« Il faut qu'on y aille. »

Jérémie fut le premier à se glisser par la trappe. Le splash retentissant leur signala que la voix était libre et les autres suivirent. Yumi s'engagea la dernière, veillant à refermer la trappe sur sa tête avant de se laisser tomber. L'eau leur arrivait un peu en dessous de la taille mais personne ne fit de commentaire sur combien cette dernière était froide. Ils suivirent le courant pendant un moment, s'enfonçant de plus en plus profondément dans les égouts, avant de se retrouver coincés face à une grille. L'eau passait à travers avant de se jeter dans le réseau des égouts communs à la ville, réseau qu'ils tentaient désespérément de rejoindre. La frustration n'eut pas le temps de s'installer que Jérémie sortie une petite pince, sans doute récupérée dans la boite à outils, et commença à tailler la ferraille face à lui. Yumi se joint à lui jusqu'à ce qu'un petit passage soit dégagé. Le saut jusqu'au tunnel principal était assez haut, mais pas impossible. Elle attrapa la main de Tamiya et se pencha en avant pour lui permettre de gagner quelques centimètres avant de la lâcher. Milly suivit de près, rattrapée par son amie. Hiroki débattu un instant pour faire passer sa sœur en premier mais il comprit rapidement que la situation n'était pas à la discussion et attrapa la main que Jérémie lui tendait. Il serait difficile de refermer le grillage mais avec un peu de chance, le courant dissimulera le troue assez longtemps pour que personne ne s'en rende compte avant qu'ils ne soient à l'abri. Jérémie s'engagea et Yumi fit le dernier saut.

Ils couraient dans les égouts sans vraiment savoir où aller. Il fallait seulement s'éloigner le plus possible du palais. Ils savaient que les blocks pouvaient roder dans les égouts et ils seraient sans doute moins hésitants à leur tirer dessus que n'importe quel autre membre de la garde. Chaque seconde passée à chercher son chemin était une seconde plus moins avant qu'on ne remarque leur absence. Ils prirent un instant pour se reposer et reprendre leur souffle pendant que Yumi gravit une échelle jusqu'à la surface pour se donner une idée de leur position. Avec un peu de chance, personne ne les suivrait jusqu'à l'hôtel, et ils ne mettraient personne en danger.

Yumi faillit lâcher une larme lorsqu'ils s'engagèrent dans le couloir le plus proche de l'hôtel. Par précaution, elle souhaitait passer le moins de temps possible à la surface. Arrivés en bas de la dernière échelle, elle décrit le chemin aux autres et s'engagea pour s'assurer qu'il n'y avait aucun danger. Ils coururent en ligne sans vraiment regarder autour d'eux, la petite ruelle étant si proche, si accessible. Cependant, lorsque deux mains lui saisir les bras pour la plaquer contre le mur de la ruelle, elle ne put retenir le cri de panique qui la saisit. Pendant un instant, elle se vit retourner dans le palais et suivre les ordres d'une monarchie créée de toute pièce par des mégalos qui n'ont pas hésité à détruire le monde. Elle se trouvait en réalité face aux yeux bruns familier dans lesquels elle se plongeait depuis qu'elle avait quatorze ans. Elle lâcha un soupir de soulagement en même temps qu'il la décolla du mur pour la prendre dans ses bras. Les autres ne perdirent pas de temps et suivirent Jérémie jusqu'au bout de la ruelle et s'engouffrèrent dans la cuisine, sous le regard surpris mais rassuré d'Odd et Aelita. Ulrich et Yumi les rejoignirent quelques secondes plus tard, bras-dessus bras-dessous. Ils n'eurent à peine le temps de fermer la porte qu'ils furent séparés par les bras d'Hiroki qui se refermèrent autours de sa sœur. Et enfin, dans cet hôtel à moitié détruit qu'ils avaient transformé en maison, là où elle se sentait en sécurité, enfin elle prit le temps de se détendre. Elle referma ses bras autours de son petit frère et se laissa submerger par ses émotions, par l'idée que son frère avait survécu et qu'ils étaient enfin réunis.