17
S'il y avait bien une chose qui n'avait pas changé entre le monde d'avant et celui d'après la fin de ce même monde, c'était bien l'odeur atroce qui les suivait après chaque traversée des égouts. Le fait d'avoir plongé à pieds joints dans les eaux usées ne faisait que rendre cette odeur encore plus persistante. Pourtant, Yumi ne s'était pas encore changé alors que ça faisait quelques heures qu'ils étaient parvenus à rejoindre l'hôtel. Elle avait perdu toute notion du temps qui passe lorsqu'elle observait son frère profondément endormi aux côtés de ses deux amies. Camille les avait tous examinés avant de guider les plus jeune vers une chambre plus grande que les autres où se trouvaient quatre lits individuels. Le soulagement s'était lu sur leurs visages lorsqu'ils comprirent qu'ils ne seraient pas séparés. Depuis, ils étaient tous passé par la douche et s'étaient effondrés sur leur matelas respectifs. La jeune femme n'avait pas quitté leur chevet depuis. Elle avait encore du mal à réaliser que Hiroki se trouvait juste là, devant elle, après tout ce temps passé à l'imaginer victime des explosions. Elle ne lui avait même pas demandé comment il s'en été sorti, ils s'étaient juste accrochés l'un à l'autre jusqu'à la fatigue ne gagne le plus jeune des deux.
Rester assise à regarder les autres dormir aurait dut lui donner envie de s'assoupir à son tour mais l'adrénaline de leur fuite courait encore dans ses veines. Elle se sentait presque à cran, ce qui expliquait qu'elle se redressa plus vite que son ombre lorsqu'elle entendit la clenche de la porte s'enclencher. Elle posa sa main sur le dossier de sa chaise, prête à la lancer contre l'intrus avant de prendre la fuite à nouveau, mais elle ne fit face qu'à l'air inquiet qui se dessinait sur le visage d'Ulrich. Lorsque le regard du brun se posa enfin sur elle, l'inquiétude laissa place à de l'incrédulité mêlée à une pointe d'amusement. Il s'appuya contre le cadran de la porte et porta une main à ses lèvres pour y cacher le rictus qui s'y dessinait doucement.
« Tu avais l'intention de me jeter une chaise à la figure ? »
Elle senti ses joues rougir d'embarra lorsqu'elle se rendit compte de combien cette idée était ridicule. L'amusement qui était maintenant clairement lisible sur le visage du jeune homme la fit se sentir encore plus mise à nue. Elle essaya de se reconstituer un visage neutre au plus vite mais la chaleur ne quittait pas ses joues et elle comprit qu'elle ne parviendrait à rien tant qu'il continuerait à la regarder ainsi. Elle baissa les yeux, les ferma et prit une grande inspiration pour remettre de l'ordre dans ses idées. Lorsqu'elle reposa les yeux sur lui, elle se sentit un peu plus confiante. Juste un peu seulement.
« Tu cherchais quelque chose ? »
« Oui, toi. »
« Et bien, tu m'as trouvé. »
« Je vois ça. Il lui sourit doucement et fit un mouvement de tête vers le couloir. On peut parler ? »
« Je … »
« Ils ne vont nul part, lui dit-il lorsqu'il remarqua qu'elle s'était tournée vers les adolescents endormis. Ils sont en sécurité ici.
« Je sais, c'est juste que … »
Elle ne savait pas vraiment quels mots utiliser pour décrire tout ce qu'elle ressentait. La partie rationnelle de son cerveau comprenait que tout allait bien, mais une partie très bruyante avait aussi très peur que tout ça ne soit qu'un rêve et qu'elle allait se réveiller dans cette cage dorée aux côtés de ces dirigeants qui n'en étaient pas, à devoir s'enrôler dans une armée contre dieu-seul-savait quel nouvel ennemi ils s'étaient créés.
Elle se força à quitter ces idées noires et suivi Ulrich dans le couloir de l'hôtel après avoir fermé la porte le plus doucement possible. Lorsqu'elle fit face au jeune homme, elle avait l'impression d'avoir oublié comment respirer. Ils ne s'étaient pas vraiment retrouvés seuls depuis son retour et la chaleur dans ses yeux bruns la clouait sur place. Elle se racla la gorge pour se donner un peu plus de contenance et se força à se souvenir des moments où c'était elle qui l'intimidait et non pas l'inverse.
« Tu voulais parler ? »
Elle se félicita intérieurement d'avoir maintenu une voix normale, quoiqu'un peu grave. Elle pouvait toujours mettre ça sur le compte de la fatigue. Le jeune homme ne lui répondit pas directement. Il laissa son regard parcourir tous son corps avant d'à nouveau la regarder dans les yeux. Une légère rougeur colorait ses joues, mais c'était bien là le seul indice de l'effet qu'elle avait sur lui.
« Oui, les autres nous attendent déjà dans la salle des caméras. »
« Tous ? La surprise de les savoir tous réunis dans la même pièce après les récentes révélations la saisie rapidement. »
Ulrich haussa les épaules et commença à se diriger vers la dites salle et Yumi le suivit rapidement et se plaça à ses côtés.
« A situation désespérée, … »
« Mouai, … »
« On était vraiment inquiet quand vous n'êtes pas revenu, continua le brun sans la regarder dans les yeux. On ne savait pas vraiment si vous aviez un coin secret qu'à vous pour vous isoler, ou si quelque chose de très grave vous était arrivé et, et j'imagine qu'on s'est surtout concentré là-dessus. »
« C'est logique. Elle le regarda à nouveau mais il continuait de regarder droit devant lui. Mais notre endroit secret ne se trouve pas hors de l'hôtel ne t'inquiète pas. »
« Oh … »
Il fronça les sourcils, seul signe qu'il était perturbé par cette déclaration. Voyant qu'il n'ajoutait rien mais que son humeur s'était obscurcit, Yumi comprit que le brun était en train de se faire des films et de se renfermer sur lui-même au lieu de lui poser directement les questions qui le perturbaient. Elle leva les yeux au ciel mais un léger sourire se dessina sur ses lèvres quand elle se rendit compte qu'il n'avait pas tant changé de l'ado qu'il était au lycée.
« C'est la cave à vin au sous-sol, face au gymnase. Elle sentit son regard sur elle mais elle se força à regarder droit devant elle. Jérémie s'est sans doute mis quelques cuites seul avant que je ne trouve la planque mais pour peu que je sache, on est les seuls de l'hôtel à fréquenter cet endroit. Peut-être que ça fait de nous des alcoolos. Elle haussa les épaules. »
« Vous nous aviez déjà emmené là. »
« On ne veut pas être les seuls à avoir une réputation de dépravés. »
Cette fois, lorsqu'elle le regarda, il ne se détourna pas. Le léger froncement de sourcils laissa place à la compréhension lorsqu'il se rendit compte de combien elle le connaissait et savait exactement quoi dire pour désamorcer la bombe.
Elle observa les quelques mèches brunes tomber sur l'avant de son visage alors qu'il baissa la tête et la secoua doucement. Le sourire qui se dessina sur son visage fit écho au sien. Ils s'engagèrent dans l'étroit couloir qui menait à la salle des caméras. Ulrich posa sa main sur la poignée mais ne l'ouvrit pas directement. Il la regarda de nouveau et elle aurait pu jurer que la noirceur qui dansait dans ses yeux ne venait pas seulement du couloir mal éclairé.
« Il faudra qu'on parle, dit-il d'une voix rauque. Après. »
Et juste comme ça, elle sentit la goulée d'air qu'elle venait de prendre se coincée dans sa gorge, et une boule chaude se loger dans son bas-ventre. Il ouvrit la porte et se glissa dans la salle et elle prit bien quelques seconde avant que son cerveau ne se remette à fonctionner et qu'elle ne le suive.
Trois têtes se tournèrent vers elle. Ses amis présentaient tous des traits de soulagement mais aussi d'inquiétude. Odd se leva et la prit dans ses bras avant de s'éloigner en la tenant du bout des doigts.
« Je suis content de voir, ne remet pas ça en question, mais est-ce que tu as perdu l'odorat en quelques jours ? »
« Haha, très drôle. »
Elle lui donna un léger coup dans le bras mais elle comprit qu'il avait raison quand elle rencontra le regard de Jérémie. Elle aurait pu faire comme lui et se changer avant de venir ici mais elle avait d'autres préoccupations. Odd exagéra de manière théâtrale sa prétendue puanteur et se laissa tomber sur sa chaise en agitant sa main sous son nez. Elle leva les yeux au ciel en croisant les bras sur sa poitrine mais elle ne manqua pas de remarquer les légers sourires sur les visages de chacun. Au moins il n'y avait plus vraiment de tension entre eux.
Jérémie fut le premier à reprendre son sérieux et à les rappeler à l'ordre.
« Bon, maintenant qu'on sait qu'on n'est pas seul, qu'est-ce qu'on fait ? »
« C'est qui exactement ces gens ? demanda Aelita. »
Yumi et Jérémie se relayèrent pour raconter leur aventure et essayèrent de donner le maximum de détails à leurs amis.
« Ils ont parlé d'autres groupes. Lança Jérémie.
« Comment ça ?
« Des gens dont ils se protègent, continua Yumi. Quand on parlé des robots, ils ont dit qu'ils servaient à se protéger des autres groupes qui ne voulaient pas vivre ensemble. J'avais oublié qu'elle nous avait dit ça, dit-elle à Jérémie. Reste à savoir s'ils sont hostiles envers tout le monde ou seulement contre eux. »
Jérémie haussa les épaules et se retourna vers les écrans.
Un long silence suivit leur récit. Chacun prit un certain temps à assimiler le fait que les responsables de la fin du monde vivaient calmement dans les plus beaux appartements de la capitale et ne s'inquiétaient de rien car ils avaient un groupe de survivant désespérés pour les servir, et une armée de robots pour obliger les plus réticents à se tenir correctement.
« Peut-être que Hiroki et les filles en savent plus… »
« Mais ils dorment. »
« Personne ne va les réveiller, répondit Ulrich face aux ton ferme de la jeune femme. Mais lorsqu'ils seront réveillés, et s'ils le veulent, ajouta-t-il en levant les mains en signe de défense face à son regard noir, alors ils pourront nous en dire un peu plus. »
« Et en attendant, il nous faut une solution pour nous éloigner d'eux le plus possible. Lança Odd. »
« On pourrait aller à Kadic mais il n'y a pas d'électricité et eau courante comme ici, commença Aelita. C'est toujours plus loin du centre de la ville mais ça reste une solution de courte durée. Si on doit partir pour le long terme … elle laissa sa phrase en suspens. »
« On doit aller au-delà du dôme. »
Toutes les têtes se tournèrent vers Jérémie, l'expression sur leur visages laissant clairement entendre qu'ils pensaient qu'il avait perdu la tête. Le blond ne fit pas attention à ses amis et se tourna vers les écrans. Il se mit à taper frénétiquement sur le clavier et la lumière crue des écrans éclaira leurs visages incrédules. Il ouvrit et referma de nombreuses fenêtres et les afficha sur les différents écrans, mettant en scène un assemblage de vidéos surveillances, des graphiques colorés et des courbes évoluant chaque seconde en fonction de données cachées quelque part dans les bases de l'ordinateur. Après quelques minutes à l'observer sans recevoir un mot de sa part, Odd fut le premier à craquer.
« Tu comptes nous expliquer Einstein ? »
Le génie s'arrêta de taper une seconde et se tourna vers le blond. Toute la tension qui avait existé leur tomba dessus. Pendant un instant, c'était comme s'il n'allait pas lui répondre. Il finit par se tourner vers le bureau et pointa un écran du doigt, portant leur regard sur un graphique mobil séparant le rouge du vert en fond, avec une courbe qui évolue doucement du rouge vers le vert.
« Les instruments que vous avez mis près du dôme permettent de calculer le taux de radioactivité de l'autre côté. Pour l'instant, il est toujours trop haut pour permettre à un être humain de survivre plus de quelques jours. Mais ce taux diminue assez rapidement et si on regarde à la frontière du dôme, et il pointa un autre écran où l'on pouvait voir les images en direct du pied du dôme, on voit que ça change déjà pour permettre la naissance de quelques plantes. »
Ils fixèrent l'écran et derrière la barrière bleue électrique, ils parvinrent à distinguer une petite pousse d'herbe qui perçait ce qui restait de l'ancienne route goudronnée.
« Combien de temps avant que ça ne devienne viable pour nous ? demanda Aelita. »
« Si ça continue comme ça, un peu plus de quatre mois. Après, ces données sont calculées d'après l'air juste à côté du dôme. Rien ne permet de savoir s'il y a plus ou moins de danger plus loin dans les terres. »
« Mais même si on avait ces données, ça ne nous dit pas comment partir. »
« Ce n'est pas comme si on pouvait juste traverser le dôme et continuer notre chemin comme si de rien n'était, continua Odd. »
« Peut-être pas le traverser … commença Yumi. »
« Mais le contourner par en dessous. Finit Ulrich. »
Ils échangèrent un regard entendu alors que les autres froncèrent les sourcils.
« Ça nous a plutôt bien réussit jusque-là, continua la japonaise. »
« Peut-être à l'intérieur de la ville oui, dit Jérémie, mais si tu as trouvé la base du dôme c'est bien parce qu'il avait créé un mur dans les égouts, le choc a fait s'effondrer le plafond. »
« Dans ce cas on va plus bas. »
« Et qu'est-ce qui est plus bas que les égouts ? demanda Odd. »
La jeune femme regarda ses amis et eu l'impression d'être revenu des années en arrière lorsqu'ils élaboraient un plan contre X.A.N.A. Elle laissa l'excitation la gagner lorsqu'elle imagina un plan pour s'échapper.
« Les gares principales se trouvent à l'intérieure de la ville, elle commença. »
« Mais les rails ne passent pas par la surface, continua Jérémie. »
« Donc pour entrer et sortir, dit Aelita. »
« Ils passaient par des tunnels souterrains, finit Ulrich. »
« Des tunnels plus bas que ceux des égouts, ajouta enfin Odd. »
« Et c'est exactement par-là que nous allons passer. »
Ils se répartirent les tâches, certains se chargeant des calculs, d'autres de trouver les plans des chemins de fer, ou encore d'organiser les prochaines missions d'exploration sur le terrain. Même si tous semblaient se mettre naturellement en place, il était impossible de ne pas remarquer que Jérémie ne s'adressait directement qu'à Yumi, ou bien qu'Odd ne regardait personne dans les yeux.
Il y a quelque chose d'étrange à se trouver devant un orage, à l'observer grandir et presque réussir à entendre les premier grondements du tonnerre, et pourtant être tout à fait à l'abri des dangers de celui-ci. Du moins, en apparence.
A la suite d'un énième silence des plus inconfortables, ce fut finalement Aelita qui prit la parole.
« Il faut qu'on en parle. »
Presque comme un seul homme, toutes les têtes se tournèrent vers Jérémie qui s'était arrêté de taper sur le clavier. La raideur de sa posture était un bon indice pour savoir qu'il avait envie de tout, sauf de se lancer dans cette conversation.
« Je ne pense pas que ça soit nécessaire de la faire maintenant. »
« Le fait que vous ayez disparus pendant des jours sans que personne ne sache si nous allions vous revoir un jour me semble être une excellente raison pour en parler maintenant. »
Un nouveau silence rempli la pièce. Chacun observait les réactions des autres, seul Jérémie restant immobile face aux écrans.
« On ne peut pas éviter le sujet indéfiniment, annonça Odd d'une petit voix. »
« Bien. Jérémie fit tourner sa chaise et dévisagea toutes les personnes présentes avant de se pencher en avant et appuya ses coudes sur les bras du fauteuil en réunissant ses mains devant lui. Parlons du fait que les personnes à qui je tiens le plus sur cette planète m'ont trahis et mentis. »
A son ton glacial, tout le monde se figea. Personne ne lui répondit pendant un moment, incapables de vraiment savoir comment répondre à ce genre de déclaration. Seule la voix étouffée d'Odd parvint à se frayer un chemin dans la pièce.
« Au moins ça, c'est dit ... »
