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Chapitre : 4 A jamais

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L'odeur.

Une odeur acre et particulière.

Elle ne la connaissait que trop bien.

Elle ouvrit les yeux, certaine de découvrir une chambre d'hôpital.

Non.

La lumière les lui fit refermer automatiquement. Mais elle prit le temps d'analyser ce qu'elle avait vu.

Ce n'était pas possible. Comment ?

La peinture blanche, les lits en fer forgé pourtant si confortable, la grande cheminée frappée aux armes de Poudlard. Qui avait osé ?

La colère l'envahit. Ce n'était pas possible.

Et puis elle se rappela la plage, l'anneau, la mer et ces bras, si puissants. Ils avaient lutté, lutté pour la vie, pour la mort, pour l'amour, pour la haine.

Elle serra ses poings.

Il n'y avait personne. C'était le moment de sortir.

Elle ouvrit les yeux une fois de plus.

Personne.

Bien.

Elle se leva avec difficulté, une peine sourde lui vrillait le corps. Elle se saisit de sa baguette sur la table de nuit.

Les fous.

D'un sortilège rapide elle s'habilla en gris, à nouveau. Elle ne s'occupa pas de la douleur, peu lui importait.

Elle s'avança vers la porte quand elle s'arrêta devant la cheminée.

Son regard se perdit dans le feu.

Combien de fois avait-elle attendu devant cette même cheminée ?

Des nuits interminables à attendre que Severus ne revienne de ses rencontres avec Lord Voldemort. À chaque fois, elle avait été là. D'abord en tant que médicomage puis aussi après, lorsqu'il était devenu un peu plus que son horrible professeur. C'était elle qui l'attendait, elle ne jouait plus aucun rôle, plus de médicomage, plus de professeur, juste eux. À chaque fois, la peur l'envahissait un peu plus, lui empoignant le cœur. Instinctivement, elle refit ce geste si familier et pourtant interdit. Elle jouait avec son anneau de mariage, le faisant rouler autour de son doigt.

Il fallait qu'elle parte et pourtant elle était comme hypnotisée par ce feu.

Deux bras puissants l'enserrèrent. Elle ne bougea pas, s'allouant un instant le plaisir de cette chaleur retrouvée. De ce sentiment de fusion si intense comme si de rien n'était. Elle se lova naturellement contre lui.

Et puis, elle se rappela, elle ne pouvait rester, pas ici, pas avec eux. Par Merlin, ils l'avaient tellement blessée.

Le sorcier sentit son hésitation, il la serra plus fort contre lui, la défiant de bouger. Il lui murmura à l'oreille

« Reste »

« Non ».

Elle baissa les yeux, ses mains reposaient contre sa volonté sur les bras de son mari. Son anneau de mariage brillait dans le feu. Qui ? Comment ? Elle l'avait rejeté à la mer. Elle ne se rappelait plus très bien… L'avait-elle réellement rejeté ?

« Reste »

Elle le toucha un instant.

« Je ne peux pas. »

« Reste »

La voix se faisait plus plaintive. Elle savait qu'il ne mentait pas. Il était sincère. Une boule lui enserra la gorge. Trop de tendresse, trop d'amertume.

Elle éclata en sanglot.

Doucement, il la fit se retourner et la serra encore plus fort contre lui. Elle reposa sa tête contre sa poitrine, il lui caressait les cheveux, il ne cessait de lui répéter encore et encore comme si sa vie en dépendait cet unique mot.

« Reste »

Elle releva la tête un instant pour rencontrer ses yeux. Elle s'y perdit. Ils étaient si noirs, si beaux, si profonds. Elle se faisait mal, elle le savait. Et pourtant, elle ne pouvait résister. Leurs têtes se rapprochèrent et leurs lèvres s'unirent en un baiser d'une douceur exceptionnelle. Il y mettait tout son amour, toute son âme. Et elle y répondit, les larmes coulant de plus belles sur ses joues. Comme il lui manquait… Mais elle ne pouvait pas rester. Brutalement, elle se dégagea de son étreinte. Elle lut sur son visage l'étonnement. Elle ne lui laissa pas le temps de réagir.

« Je ne reste pas. Jamais. Je ne veux plus voir. Je n'ai pas été assez claire, je crois. Je ne veux plus rien à voir à faire avec vous, toi, eux, cette vie.» Sa voix était froide mais pour qui la connaissait bien, on pouvait sentir autre chose, une pointe d'humanité.

Et elle s'enfuit en courant par la porte. Elle courait dans les couloirs de Poudlard à en perdre haleine, se moquant bien des étudiants qui la regardaient avec étonnement.

Les marches n'en finissaient plus. Les escaliers l'empêchaient de descendre. Maudite école. Encore l'œuvre de ce vieux fou.

Très bien.

Elle se mit à courir vers la Tour d'astronomie, la plus haute du bâtiment. De là, elle pourrait partir à jamais.

Il n'y avait personne. Tant mieux. Elle n'aurait pas supporté de voir Sinistra ici. Elle enjamba le parapet. Ses robes volaient au vent. La hauteur ne lui faisait pas peur. La porte s'ouvrit, elle ne se retourna pas. Elle savait qu'ils étaient là. Il avait du les prévenir. Non. Albus avec ses espions dans tout le château avait du… Et puis peu importe… Elle n'en avait que faire.

Une voix s'éleva. Mais quand finirait-il par la laisser tranquille ? Puis une autre. Elle devrait agir vite. Très vite. Elle savait qu'ils allaient la piéger, elle serait plus forte qu'eux. Elle serra sa baguette avec une force insoupçonnée. Elle la leva vers le ciel, ils ne pouvaient voir ce qu'elle faisait. Il fallait gagner du temps.

« Ron ? »

Sa voix se faisait gentille, comme au bon vieux temps.

« Hermione ! … » Il avait mordu à l'hameçon, elle n'écoutait que d'une oreille distraite ce que Weasley racontait, il s'excusait, il espérait…

Elle sourit intérieurement. Comme ils étaient naïfs. Son seul ennui était Severus. Diable pourquoi l'avait-il embrassée ?

« Cela suffit ! »

Sa voix était dure et froide. Elle entendit des murmures d'incompréhension.

Maintenant.

Elle se retourna et en un éclair, les prenant garde baissée, elle prononça plusieurs charmes, leurs baguettes s'envolèrent dans les airs non pas pour atterrir dans ses mains mais pour s'écraser à plusieurs mètres en contrebas. Elle avait laissé sa baguette à Severus. Elle savait qu'il ne l'utiliserait pas contre elle. Elle espérait qu'il comprendrait.

Elle lisait l'étonnement et la peur dans leurs yeux. Elle s'approcha d'eux, les dévisagea l'un après l'autre. Ne manquaient à l'appel que Molly Weasley et Neville Longbottom. Même Arthur était là.

Elle se mit à rire d'un rire tout à la fois fou et sarcastique. Ils semblaient tétanisés. Ils ne bougeaient pas.

« Vous me faites pitié. » lança-t-elle. « Toutes ces années de vie gâchées par votre faute. » Elle s'arrêta devant un Ron Weasley livide, elle pointa sa baguette sous sa gorge.

« Regardez le meilleur ami de Potter. Son témoin, le parrain de ses enfants. Son beau-frère. Quel honneur! » Le rouquin tremblait comme une feuille. « Et pourtant c'est un traître ! » cracha-t-elle. « Mais bien sûr, on ne me croit pas. Jamais. Les preuves sont pourtant évidentes. Le seul faible de la bande, le couard, un être veule… Mais je perds mon temps. Je suis déjà au ban de la société… » Elle lut le soulagement dans les yeux bleus du rouquin. Elle se ravisa « Et puis, non. Demandez-lui où il était sur le champ de bataille. Vous serez surpris. » Un murmure d'indignation s'éleva.

Elle recula.

« Toutes mes excuses, je m'adresse au fils de l'honorable Ministre, Ordre de Merlin, Première classe ». Sa voix était doucereuse comme résignée.

Elle s'approcha de Severus. Elle le regarda dans les yeux. Et s'y plongea une fois encore. Il ne la bloquerait pas, elle le savait. Mais elle n'entrerait pas dans son esprit. C'était trop tard. Elle n'avait plus rien. Plus de retour possible. Elle lui caressa tendrement la joue. Monta sur la pointe des pieds et lui murmura à l'oreille « Pardonne-moi ».

Tout s'en avançant vers le bord de la tour, elle murmura une incantation que l'on croyait perdue depuis bien longtemps.

À nouveau la même scène se jouait devant lui. À nouveau il hurla son prénom comme une supplique.

« Hermione ! »

« Hermione ! »

Elle ne l'entendait plus. Elle continuait d'avancer. Toujours plus loin, toujours plus loin de lui.

Et puis, elle vacilla.

Il se précipita pour la retenir. Il n'osait pas regarder son visage. Il s'assied en la retenant contre lui, s'adossant contre la rambarde. Il murmura tous les sorts qu'il connaissait mais aucun d'eux ne marcha. Il sentait la vie la quitter. Petit à petit.

Leurs regards se croisèrent. Ce qu'il y vit lui vrilla le cœur. L'amour. Il lut dans ses beaux yeux ce dont il avait rêvé, ce que ses souvenirs lui rappelaient. Il y avait aussi de l'espoir, un espoir fou, elle semblait lui dire quelque chose. Elle leva doucement la main, comme pour lui caresser la joue. Il lui prit la main, leurs doigts s'enlacèrent. L'espace d'un instant, ils n'étaient plus qu'un à nouveau.

Et puis son regard devint vide.

Les larmes coulèrent sur ses joues… Il porta sa main à ses lèvres. L'anneau. Elle l'avait gardé. Il sourit un instant. Elle lui avait laissé sa baguette. Il avait comprit.

Il se releva en la tenant toujours dans les bras. Ils n'avaient pas bougé. L'horreur se peignait sur leurs visages, certains détournaient le regard.

Il avait le visage empli de dédain.

« Voila votre œuvre. Soyez fier ! » Et à ces mots, il baissa la tête vers Hermione.

Il lui caressa une fois encore la joue, murmurant des paroles presque inaudibles. « Elle était ma vie, vous me l'avez prise… Traîtres vous étiez, traîtres vous resterez… Vous ne connaîtrez pas la rédemption. Par Merlin je vous maudis tous ! »

Ils tressaillirent sous le choc de ses paroles si puissantes, si effrayantes, interdites.

Snape se laissa glisser sur le sol serrant toujours sa femme contre lui d'une manière protectrice. Il continuait à murmurer quelque chose d'inaudible.

Et puis un tourbillon de magie les enveloppa.

Non.

Impossible.

Le plus vieux d'entre eux s'approcha de Snape qui ne bougeait plus, la tête reposant une fois encore sur la poitrine de celle qui fut sa moitié.

Il s'agenouilla et posa une main sur son épaule.

Rien.

Le silence était oppressant, ils retenaient leur souffle, l'homme n'avait certainement pas…

« Albus, non… » murmura craintivement une femme.

Le vieux sorcier retourna celui qui autrefois avait été comme son fils. La vie avait déserté son corps, scellant ainsi pour l'éternité sa condamnation.

Le vieil homme à la barbe si blanche regarda tristement ce couple enfin réuni dans la mort.

Qu'ils semblaient heureux et paisibles, pour la première fois depuis si longtemps. Si semblables, incompris…

Comprenant trop tard son erreur, qu'il n'avait pas été infaillible, Albus secoua la tête en direction des autres.

Des gémissements se firent entendre, des jurons même.

« Il a osé… Le traître ! »

« Comment faire confiance avec quelqu'un de marié avec ça ! » L'un d'eux pointait Hermione. D'autres hochèrent la tête.

« Il n'était pas mieux ! » rajouta quelqu'un.

C'en était trop pour Albus Dumbledore, ils n'avaient rien compris. Rien !

« Cela suffit ! » s'exclama-t-il dans un ton rappelant que trop bien le maître des potions.

« Vous n'avez donc rien compris ! » Il parlait à présent d'une voix lasse… « Vous avez tout gâché. Tom n'a peut-être pas perdu. Vous et vos préjugés. » Mais ils ne l'entendaient pas, ils étaient ailleurs dans leur crainte, dans leur peur.

Loin d'eux, dans un monde meilleur, peut-être derrière le si mystérieux voile dont la pensée faisait trembler chaque sorcier, un homme en noir avançait vers une jeune femme riante, pleine de vie et de couleurs, portant au doigt un anneau longtemps gardé par les mers.

Ils n'étaient plus.

Ils étaient.

L'homme marchait vers celle qui serait à présent, à défaut d'être l'amour de sa vie, l'amour de son repos, de sa mort.

Pour toujours.

À jamais