Elle fut troublée par la foule, désorientée de voir autant d'animation, de corps se frôler. Le district respirait la vie et elle se sentait étrangère.
Ils s'étaient arrêtés dans le quartier marchand, au niveau 2350. Les Abîmes s'étendaient des niveaux 1000 à 1010. En dessous, rien ne pouvait survivre.
Quand le rebelle avait ouvert la grille du monte-charge, elle avait aperçu la faible lumière du soleil qui parvenait encore, quoique difficilement, à frapper le pavé.
Cette planète était une aberration, elle ne l'avait jamais aimé. L'urbanisation avait tout détruit et sous l'aspect civilisé des étages supérieurs, sous la surface, un monde grouillait de monstres. Et la ville continuait de s'élever vers le ciel, abandonnant ses êtres indésirables dans les niveaux inférieurs.
Elle comprenait à présent. Avoir fait de Coruscant le siège de la République avait été une erreur, la planète entière représentait l'injustice et l'aveuglement.
Elle avait toujours appartenu à l'Empire. Elle l'attendait.
La vue de ces taches de lumière dispersées lui donna le mal du pays, elle voulait voir Naboo.
Mais elle repoussa ses pensées, Naboo n'était plus la maison qu'elle avait connue. Naboo appartenait à l'Empire, et Palpatine avait mis un point d'honneur à exploiter leur planète native. Usines, mines, extracteurs de ressources, vaisseaux d'élevage et d'abattoir...
Les animaux de Naboo, tant protégés autrefois, étaient pêchés et chassés sans restrictions, et alimentaient les convois de soldats impériaux dans toute la galaxie. La plupart des matières premières et d'exploitation de l'Empire provenaient de Naboo. Doucement la planète s'épuisait. Naboo en souffrance.
Elle se sentit honteuse. Elle n'avait rien pu faire pour Naboo, pas plus que pour Alderaan...
Le rebelle lui tapa le bras et lui fit signe de le suivre. Ils longèrent des étalages, filèrent à travers la masse informe des passants et arrivèrent devant un pressing. Le rebelle y entra, fit un signe au travailleur derrière le comptoir et se dirigea vers une arrière-salle. Elle le suivit et découvrit une petite pièce qui servait de remise à linge. Le soldat lui mit dans les mains un petit paquet de tissus en lui disant de se changer avant de lui tourner le dos et d'ôter sa combinaison. Elle l'imita sans fausse pudeur.
Lorsqu'elle retira son casque, elle eut un haut-le-cœur violent, alors que les odeurs l'assaillaient, et se retrouva penchée vers le sol, les mains crispées sur ses genoux. Elle avait sous-estimé le choc de décompression engendrée par combinaison qui la protégeait du monde extérieur. Sans filtre stérilisant, l'air chargé lui emplissait les poumons, plantes doucereuses, nourritures grasses, puanteur animale, haleines et sueurs... Une explosion olfactive d'une violence inattendue accompagnait le volume d'oxygène comme si ses poumons se dilataient pour la première fois et que des millions d'aiguilles en perçaient les parois. La douleur repartit aussi brusquement qu'elle était venue. Elle essuya la transpiration qui perlait sur sa lèvre supérieure. Un faible tressaut agitait ses épaules et la sueur froide glissa entre ses omoplates.
Il lui sembla entendre son compagnon s'enquérir de son état et elle le rassura d'un geste, avant de dégrafer sa combinaison et le rebelle détourna prestement le regard.
Les vêtements étaient un peu élimés, mais propres. Ils avaient été beaux autrefois, des robes de dame de compagnie de quelques Cours. Il manquait des pièces. Des broderies dorées d'Elifor et des perles nubiennes. Elle avait porté des coutures d'apparat semblables. Il y avait tellement longtemps.
Alors qu'elle finissait de lacer le corset, elle se rendit compte que le soldat l'observer, et elle prit le temps de le scruter à son tour.
Des cheveux auburns entouraient un visage, beau, mais d'une grande dureté. Il n'y avait plus d'innocence, ni dans les traits ni dans le reflet de ses yeux bruns. Des rides de lassitudes se formaient prématurément aux coins de ses lèvres et sur la ligne entre les yeux. Ses pupilles s'étaient dilatées et ses lèvres s'étaient entrouvertes. Elle prit son expression pour de la surprise, elle ne savait pas elle-même à quoi elle ressemblait aujourd'hui.
"On nous attend, lui dit-il en regroupant leurs vêtements jetés au sol par des coups de pied, vous pouvez laisser vos affaires ici, le propriétaire les fera brûler."
Elle acquiesça, remonta le capuchon de la robe de voyage pour dissimuler un peu son visage et le suivit quand il sortit par la petite porte secondaire. Ils empruntèrent des ruelles pratiquement désertes. Le chemin paraissait long et elle se douta qu'ils pratiquaient un chemin rallongé, mais plus discret, loin des artères principales de la ville, loin des patrouilles et des espions de l'Empire.
Ils débouchèrent sur un bar dont le sigle lumineux au-dessus de la porte crépitait, et l'hologramme d'une alienne dénudée racolait le passant.
À l'entrée, un Echachii dont les cornes noires et la peau verdâtre paraissaient sous sa cape relevée, interpela le soldat et lui proposa une jeune Hapienne pour douze crédits impériaux.
- "Non merci" répondit sèchement le rebelle en forçant le passage.
- J'ai des Twi-Lek si tu veux, des vierges!
Le rebelle grimaça de dégoût, la colère lui déformait le visage, et sa main glissa doucement vers l'arme accrochée à sa cuisse. Elle lui attrapa le coude, l'empoignant comme une amante.
- Ah tu as amené ta marchandise l'ami, dit l'Echachii en la pointant du doigt. Entre, les chambres ne sont pas chères." Sa phrase s'acheva dans un rire gras.
Ils passèrent la porte du bar et elle lâcha son bras.
- Vous l'auriez tué, murmura-t-elle, sans le questionner. Vous auriez laissé votre colère compromettre une mission.
Le rebelle ne répondit pas, la mâchoire serrée, ses yeux étincelaient de fureur. Il observait les clients du bar. Elle fit de même, cherchant d'éventuels comportements suspects qui pourraient trahir des délateurs infiltrés dans la population.
- Je déteste l'esclavage, souffla-t-il et une ombre de tristesse passa sur son visage.
Il lui attrapa la main, entrelaçant leurs doigts. Elle se prêta au jeu et se laissa guider vers le bar. Ils s'accoudèrent et le rebelle fit signe au barman. Un homme au tablier blanc crasseux et aux bras musculeux se dirigea vers eux. Il portait un cache-œil sur l'œil gauche et une balafre découpée toute sa joue jusqu'à la mâchoire.
- Deux verres d'amoris et une chambre, dit le rebelle d'une voix enjôleuse en passant son bras autour du cou de sa compagne.
- Secs les amoris?
- Pourquoi? Ça se boit autrement?
Le barman eut un demi-sourire en haussant les épaules.
Le rebelle sourit à la jeune femme et se pencha pour enfouir le visage dans son cou, feignant une intimité familière. Elle se retint de le repousser, supportant le contact, elle qui n'avait pas frôlé un autre corps depuis des années. Puis ses lèvres effleurèrent le lobe de son oreille. Elle se raidit en sentant son souffle sur sa peau.
"Je m'appelle Shelane Karis", chuchota-t-il.
- Enchanté Shelane Karis, répondit-elle dans un murmure.
Il attendit, mais elle ne lui donna aucun nom.
Il la prit dans une étreinte, nouant ses bras dans son dos, le menton sur son épaule alors qu'elle restait assise sur la chaise haute du bar.
- Vous êtes quelqu'un d'important apparemment. J'ai... Vous pourriez me rendre un service?
Elle n'eut pas le temps de répondre. Le barman plaça deux verres emplis d'un liquide violacé sur le comptoir et Karis la lâcha. Elle y trempa les lèvres sans le boire. Le barman tendit les clés et le rebelle les prit ainsi que la petite enveloppe qui passa entre leurs mains. Karis la glissa dans sa manche et attrapa son verre, dont il but presque tout le contenu en deux gorgées.
Au bout de quelques minutes, ils se levèrent et prirent l'escalier qui menait aux chambres. Ils longèrent le couloir illuminé d'une lumière bleue. Il lui attrapa le bras et l'arrêta devant une des portes, identiques à toutes les autres hormis le chiffre taillé dans l'acier.
-C'est ici, dit-il en insérant la clé dans la serrure.
Ils entrèrent dans une petite chambre au mur vert glacé, avec pour seul meuble un lit double sans drap au bout duquel était assise une femme, la tête baissée et les mains croisées sur les genoux.
Mon Mothma se tenait devant eux, et le rebelle leva la tête et bomba le torse.
L'ancienne sénatrice se leva et sembla se retenir de venir à leur rencontre.
- Merci Karis, attendez dehors s'il vous plait.
- Madame, dit le rebelle avant de sortir de la chambre.
Les deux femmes se regardèrent un instant, hésitèrent puis s'étreignirent, dans un mouvement plus solennel qu'affecté , une communion en souvenir d'une époque perdue.
- Mon Dieu, le temps n'a eu aucune prise sur toi, dit Mon Mothma en posant les mains sur ses épaules et l'observer à bout de bras.
- Tu n'as pas changé non plus, dit-elle avec douceur. Le visage de Mon Mothma, quoiqu'il fût plus marqué n'en demeurait pas moins d'une grande noblesse. Elle la retrouvait telle que son souvenir la lui avait représentée. Une détermination, froide et constante, des gestes mesurées et la voix douce toujours égale, où jamais ne perçait une émotion. Une dignité politicienne, presque transcendante.
- Cesse la politesse, dit Mon Mothma en l'invitant d'un geste à s'asseoir comme si elles conversaient dans l'un des salons du Sénat.
- J'ai vécu dans une combinaison hermétique pendant dix ans, dit-elle en prenant place au bord du lit. Des nutriments injectés directement dans mes vêtements et aucun contact avec les éléments extérieurs. Je me suis cachée Mon, mon visage est celui d'une femme qui n'a plus vécu. Et quand on ne vit rien, on ne vieillit pas."
Mon Mothma acquiesça, et elle pinça ses lèvres qui devinrent une ligne fine, avait de reprendre leur forme. Un signe d'amertume ou une colère dissimulée.
"Nous avons besoin de toi, dit-elle finalement. Pour une mission diplomatique importante.
- C'est pour cela que tu m'as fait quitté les Abîmes? l'interrompit-elle, Vous avez beaucoup de diplomates.
- Beaucoup de politiciens, mais peu de diplomates courageux. Beaucoup sont d'anciens sénateurs et parlementaires, tu es la seule qui ait des connaissances de terrain." Elle se tut et rectifia. "Une des seules.
- Que ne me dis-tu pas?
- Cette mission était confiée à une de nos diplomates les plus expertes. Une des plus téméraires aussi. Mais pour différentes raisons, Leia ne peut pas nous aider pour cette mission. C'est pourquoi nous avons besoin de toi.
- Leia Organa? C'est Leia Organa qui était prévu pour cette mission?
- Oui la fille de Bail Organa, tu l'as peut-être rencontré, c'était un membre éminent d'Alderaan et...
- Je connais Leia!
Sa voix avait été rude. Mais écouter Mon lui parler de sa fille lui briser le cœur. Elle ne regrettait pas qu'Obi-Wan l'ai confié à Bail Organa. Elle se laissait mourir, incapable de s'occuper de ses bébés. Elle serait morte si Obi-Wan n'avait pas ordonné au droïde médical de la mettre sous assistance cardiaque et respiratoire. Inconsciente, sur les rives de la mort, elle survivait grâce au support d'une machine, comme... non ne pense pas à lui!
- Parle-moi de la mission.
- Tu dois reconquérir les mines de Kalydap, au nom de la Rébellion.
- Les mines de Kalydap nous sont acquises. Hadar Julom est un défenseur de la République.
- Oui, mais il est décédé il y a un mois. C'est son fils, Firad Julom qui sera couronné. Il est secondé par sa mère Alucia, que Hadar a répudiée. Elle avait soutenu le coup d'État de son frère, un impérialiste convaincu. Par amour, il n'a pas pu l'exécuter et elle fut bannie. Aujourd'hui, elle est de retour à la cour de Julom, et elle influence son fils. Padmé, nous devons garder Kalydap, les autres mines appartiennent à la Guilde impériale.
- Il y'en a d'autres, plus petites, qui ne sont pas ralliées à l'Empire, comme Bespin et Kirsa...
- Bespin est aux mains de l'Empire et Kirsa est une exploitation trop petite. Il y'en a d'autres, c'est vrai, mais nous n'avons pas le temps de les trouver, et la bataille approche Padmé. Nous allons détruire l'Empire, mais pour cela nous avons besoin de Kalydap pour alimenter notre flotte et nos vaisseaux. Cette mission est cruciale à notre victoire! Tu ne peux pas nous abandonner maintenant, pas cette fois!
- Tu m'en veux d'être partie.
- Je n'ai jamais compris pourquoi tu avais voulu t'exiler dans les Abîmes. Nous avons créé la Rébellion ensemble et tu nous as abandonnés.
- J'ai continué à travailler pour la Rébellion.
- Dans l'ombre, dans le ventre du monde, c'est dans la lumière que nous avons besoin de toi. Bail disait que je devais accepter. Il disait que tu avais tes raisons, qu'il ne pouvait rien me dire, mais qu'il te comprenait. Bail...Pauvre Bail. Nous n'avons rien pu faire.
- Kalydap est proche de la bordure extérieure... j'irai. Mais je te demande de ne pas me mêler aux affaires internes de la rébellion.
- Tu ne veux pas rejoindre le conseil?
- Je ne veux pas m'approcher de l'Empire.
- Tu crois avoir droit à ce luxe? Je ne te savais pas lâche. Beaucoup de rebelles risquent leur vie chaque jour.
- Je ne suis pas lâche, Mon, et c'est pour nous protéger que je reste à l'écart.
- Soit. Tu as besoin de quelqu'un avec toi... Nous avons un jedi qui peut t'accompagner.
- Un jedi?
- Le dernier du monde connu, Luke Skywalker.
- Je n'ai pas besoin de protection, un jedi attirerait l'attention. Il s'agit sans doute du garçon qui a détruit l'étoile noire? Cela ne nous attirera pas la sympathie des habitants de Kalydap.
Je préfère être seule.
- Pas de jedi, entendu. Shelane Karis peut t'accompagner. Comment le trouves-tu?
- Jeune.
- Ce n'est pas un défaut. Il sert la Rébellion depuis plus de 10 ans. Il n'y a pas d'âge pour résister. Avant, nous devions recruter, maintenant ils nous arrivent par dizaine chaque semaine.
- Je préfère que tu m'attribues un droïde.
- Il est pilote, tu as besoin d'un pilote.
- Je sais piloter.
- Tu auras un pilote, un droïde et un vaisseau. De quoi auras-tu besoin?
- Juste de la base de données de la rébellion, sur Julom et les événements récents.
- Karis te conduira sur le vaisseau du Général Draven.
Mon rappela le soldat.
- Karis, je retourne au vaisseau amiral. Vous emmènerez notre amie à bord du Salvation et vous la seconderez jusqu'à nouvel ordre.
- Bien madame.
- Je suis heureuse de te revoir, dit Mon en la serrant une dernière fois dans ses bras. Ne recherche plus l'ombre. La Nouvelle République aura besoin de toi.
Elle n'avait rien à lui répondre, rien à lui promettre.
La sénatrice sortit par la porte-fenêtre où une voiture l'attendait. Elle attendit que son amie disparaisse derrière la vitre teintée et que le moteur se mette à cracher des flammes rougeâtres.
Du coin de l'œil, elle aperçut le visage rieur de Karis.
- Pourquoi souriez-vous ainsi? lui demanda-t-elle.
- Je souris toujours quand j'imagine la fin de l'Empire. Pas vous?
Elle regarda la voiture de Mon Mothma filer vers le ciel dans l'immense trafic planétaire et ne répondit pas.
