Chapitre 1

Il laissa tomber son attirail dans la cour tout en faisant une légère grimace. Mince ! Il ne peut quand même pas être vieux à trente-quatre ans, le peut-il ? Merde. Et de penser que ce qu'il avait porté dans son sac à dos tout le long du chemin jusqu'en haut de la montagne était uniquement pour lui, ce fichu bonze. Ses Marlboro et son saké, s'additionnant à une douzaine de canettes de bière. Secouant la tête, Gojyo émit un sourire en coin. Vous auriez pu penser que dix années dans ce lieu auraient guérit Sanzo de ses vices. Tu parles !

Comme il se tenait là, se courbant en arrière afin de se débarrasser des "bizarreries" dans son dos, un moine qui passait le remarqua.

« Gojyo Sama ! Quel honneur vous nous faites de nous rendre visite une fois de plus ! »

Intérieurement, Gojyo grimaça au titre qu'on lui prêtait ; Tout le personnel du temple ainsi que les habitants ( comme le monde entier en fait) étaient tout à fait conscients de sa participation au légendaire "Voyage vers l'ouest». Il retourna les exaltantes salutations de joie du moine avec un sourire affligé et embarrassé, la grimace s'accentuant alors que la nouvelle se propageait rapidement.

« L'ami de Sanzo Hoshi Sama est ici ! »

« Gojyo Sama, bienvenu, bienvenu ! »

« Je suis un nouveau disciple, maître, je suis extrêmement honoré de faire votre connaissance, j'ai entendu tant de chose à votre sujet… »

Soudainement, les moines apparurent de nulle part, semblait-il, et l'entouraient à présent en une foule enthousiaste qui le rendait mal à l'aise. Gojyo balbutia, jurant pour lui-même : Pourquoi, oh pourquoi je me fous là-dedans encore et toujours ! Maintenant, s'il s'agissait de femmes moines ça serait une autre histoire…

Et à ce moment là, cette voix profonde, froide et saisissante trancha l'entière foule assourdissante tel un rayon laser. Commandante. Autoritaire. Arrogante, comme toujours. Du gravier enveloppé dans de la soie.

« Minna, pour l'amour du Tenkai. » Le grincement glacial était le même, pour tout ce qu'il était maintenant, plus qu'il n'avait jamais été, un saint homme résidant dans son saint temple. « Je suis sûr que notre invité est las après sa longue randonnée à travers les montagnes. Nous devrions lui offrir un rafraîchissement et un endroit pour se reposer, ne ? » Ce fut exprimé comme une suggestion ; Cependant, venant du suffisant, supérieur et arrogant homme, cela apparût naturellement comme une commande.

« Sumimasen, Sanzo Hoshi Sama ! »

« Hai-hai, vous avez tout à fait raison, Sanzo Sama ! »

« Toutes nos excuses, Gojyo Sama… »

La foule se dispersait, les têtes chauves s'inclinèrent en des salutations désespérées de fervent respect. Gojyo se maudit du nœud dans sa gorge, de la sensation toujours présente dans son estomac, de la faiblesse de ses genoux… des battements furieux de son cœur au moment où Sanzo, son moine corrompu, fit son apparition.

Tu m'as manqué. Mon dieu comme tu m'as manqué.

Pourquoi diable as-tu été si long ?

Beau…si beau… C'est stupide, mais tu me coupes toujours le souffle.

Culotté, filou et exaspérant comme toujours… et ces yeux qui brûlent à travers moi avec leur regard affamé, comme ils l'ont toujours fait.

Gojyo leva un sourcil pourpre. « Je viens en apportant… euh… des présents. »

Les sourcils dorés se soulevèrent moqueusement en réponse. « Bien, je vois… Viens. J'étais sur le point de prendre mon repas. »

« Je remercie les dieux. Je meurs d'avoir tirer toutes ces affaires tout le long du chemin jusqu'ici… »

Contraction nerveuse.

« Personne ne t'a demandé de te casser le dos. » Commença Sanzo, avec un grognement prétentieux familier.

Gojyo s'esclaffa. « Tu es le bien venu, Sanzo Sama. »

« 'Ch. »

Puis…un sourire ironique. Sanzo s'était légèrement adoucis au travers des années. « Ikuzo, baka erokappa. »

Ils commencèrent à marcher, les moines se dispersèrent pour mettre à disposition une nouvelle place à la table du haut prêtre, un autre groupe se hâta pour prendre soin des affaires de Gojyo, un troisième se précipita pour préparer les quartiers habituels du visiteur.

Gojyo soupira, ses mains lacées derrière sa tête. « C'est étrange, mais en fait c'est bon de t'entendre m'appeler comme ça… »

Sanzo maugréa tandis que ses mains se croisèrent à l'intérieur des manches de sa robe. « Ce qui est étrange, c'est que tu trouves ça plaisant de t'appeler baka erokappa, baka erokappa… C'est ça qui est étrange. »

Ils parlèrent longtemps et ardemment durant le repas, et continuèrent de parler longtemps après que leurs assiettes furent débarrassées, se mettant au courant des nouvelles depuis la dernière fois qu'ils s'étaient vus, environs huit mois plus tôt. Puis ils se remémoraient, capables maintenant de partager un rire ou deux à propos de leur étrange aventure dix ans auparavant. Avec le temps, Gojyo était devenu plus sérieux, légèrement moins désinvolte, même s'il était resté tout aussi audacieux et impétueux. Pour sa part, Sanzo avait abandonné son côté ultra-sec et avait réussi à se rendre maître de son fort tempérament, bien qu'il continuait de grogner si quelqu'un envahissait de trop près son espace personnel.

Ils étaient toujours en train de discuter quand le crépuscule tomba, la lumière se fanant en ombres, le gazouillement des oiseaux détrôné par le chant des crickets et le plus imposant son dû aux crépitements des cigales.

Sanzo s'alluma une autre cigarette, acceptant avec un acquiescement de la tête comme Gojyo lui versait un peu plus de saké.

« Comment est le bakasaru ces jours-ci ? Je ne peux pas croire qu'il me manque encore… Tu as eu de ses nouvelles récemment ? » Demanda Gojyo, se penchant en arrière dans son siège avec paresse.

« Sa dernière lettre venait de Grèce, en fait. » Répondit Sanzo en soufflant un nuage de fumée. « Tu pourras la lire demain, si tu veux. » Ajouta-t-il, se sentant trop languissant et satisfait pour en dire plus lui-même sur le moment.

« Aa » Marmonna Gojyo. « Il n'a toujours pas satisfait son envie de se balader, hein? »

« Hmm. Et étire sérieusement les limites de l'AnEx (1). »

Gojyo ria tout bas. « Merde, le gamin peut se le permettre. La mission tout entière aurait été perdue sans lui. »

« Sans moi, tu veux dire. » Sanzo pesta à l'idée que Gojyo continuait d'appeler Goku un gamin. « J'ai eu la part la plus dure. Replacer le diadème sur le satané Seiten Taisei… »

« Yep » Dit Gojyo d'une voix traînante. « Pour ça, je m'en souviens… » Les yeux rubis et améthystes se couvraient alors que les deux hommes se perdaient dans leurs propres souvenirs. L'ironie de cela avait été qu'après tout, ce fut le grand sage du ciel qui s'était révélé être leur pire ennemi. A la fin, ça leur avait pris toutes leurs forces combinées pour contenir Seiten Taisei Son Goku, et ça avait pris toute la volonté de Sanzo pour maîtriser et vaincre le yokai déchaîné et le faire redevenir leur propre et innocent Goku.

Après une brève pause, Sanzo demanda, « Et à propos d'Hakkai ? L'as-tu vu dernièrement ? »

Gojyo émit un large sourire. « Notre Hakkai est le fier papa de jumeaux. » Annonça-t-il avec fierté.

« Sou ka… » Sanzo souleva les sourcils. « La dernière fois que tu m'en as parlé, il avait juste une petite fille. »

« Yup. Il est vraiment heureux de sa vie de marié, je dois dire. Regardes… Ca doit faire six mois depuis la dernière fois que je l'ai vu, et il a tout de l'homme de famille suffisant et satisfait. » Gojyo secoua sa tête. « Incroyable… Il t'envoie son amour, à propos. »

« Huh. »

Gojyo s'éclaffa soudainement. « Et tu sais ce que le tortueux salaud a fait ? » Demanda-t-il gaiement. « Je ne peux pas croire que ça m'a totalement échappé de l'esprit. Je veux dire, de t'en parler en premier. »

« Nani ? » Sanzo grognait d'impatience, écrasant sa cigarette.

« Il les a appelés… devines quoi… Genjyo et Gojyo ! » Le kappa gloussa chaleureusement de joie. « N'est-ce pas extrêmement précieux ? Genjyo et Gojyo… » A ce moment, les yeux rouges s'assombrir instantanément alors que leur propriétaire devenait conscient du silence de l'autre homme.

« Genjyo et Gojyo, Hein ? » Finit par dire Sanzo. Un doux et triste sourire voila les fières et cyniques lèvres. « Imagines ça… » Sanzo regardait dans le vague l'obscurité à l'extérieur.

Gojyo serra très fort les points, sa gorge se noua subitement menaçant de l'étouffer. « Sanzo… » Commença-t-il d'une voix rauque, ardente de désir.

Les yeux violets lui lancèrent un regard impressionnant. Gojyo gémit au profond désir enflammé mis à nu se devinant dans ces glacials yeux améthystes, avant que celui-ci soit diligemment chassé.

« Gomen, Gojyo, tu dois être fatigué. » Dit promptement Sanzo, se levant brusquement. « Tes quartiers sont prêts, je pense… les mêmes pièces que d'habitude. »

« Putain, Sanzo ! » Gojyo se leva également. Il se balança et cligna des yeux. Il devait avoir bu plus de saké qu'il ne le pensait. Il plissa des yeux afin de voir Sanzo et remarqua qu'il était bien rouge lui aussi. « Tu ne peux pas faire ça, tu ne peux pas… »

« Urusai ! » Maugréa Sanzo tout en lui tournant le dos. « Simplement…arrêtes, kappa. Je te verrai dans la matinée. » Sa voix craquait.

Gojyo se rendit, n'appréciant pas particulièrement voir Sanzo défait. Non, pas son fier et hautain Sanzo. Donc, avec un effort, il émit une raillerie à la place.

« Merde, Sanzo ! Oh, bonzu ! » Appela-t-il, alors que Sanzo commençait à marcher au loin. « J'ai dit, n'ai-je pas le droit à un baiser pour me souhaiter une bonne nuit ! » Il baissa le ton par précaution.

Silence. Et puis, « Baka erokappa… » Il pouvait presque voir le sourire de regret de Sanzo. Il vit Sanzo secouer la tête. « Vas et reposes toi, idiot. Doux pervers de rêve. » Retourna-t-il d'un air moqueur par-dessus ses épaules, juste comme il en avait l'habitude.

« Ne laisses pas les punaises marquer ta délicate et fragile peau, hage bouzu. » Tortura gentiment Gojyo en retour, juste comme il en avait l'habitude, lui aussi.

Rêves de moi. Comme je vais rêver de toi.


(1) AnEx : Carte de la trinité bouddhique