« Le sentiment de culpabilité est un aiguillon puissant ».

Paul auster ( Extrait de Léviathan).

3) Dans le jumper

Le regard du major Sheppard fit le tour des occupants du jumper. Il s'efforça de se détendre. Il fallait absolument qu'il se reprenne.

Il était responsable de tout ce petit monde.

Le major s'obligea à détourner les yeux de l'occupant du brancard et reporta son attention sur un infirmier qui arrangeait une attelle à la jambe d'une jeune femme très pale. Elle tremblait de tous ses membres et semblait au bord d'une crise nerveuse. L'infirmier héla le médecin qui s'approcha et murmura quelques mots apaisants à la patiente qui sembla se détendre un peu.

Il lui fit une injection. Au bout de quelques minutes, la scientifique se détendit et ferma les yeux.

Un militaire, assis contre une paroi, dodelinait de la tête et gémissait doucement, un bandage sanglant sur l'oreille. Sheppard vit avec étonnement son voisin le prendre dans ses bras avec tendresse. Il y avait bien des choses qu'il ignorait sur ses hommes !

Bien sur depuis quelques mois la tension, les menaces inconnues, les attaques des wraith, tous les dangers auxquels ils étaient confrontés chaque jour avaient contribué à exacerber les sentiments et les passions. Tout allait plus vite, comme si le temps leur était compté, comme s'il fallait se dépêcher de vivre avant que tout ne soit terminé.

Le médecin délaissa la jeune femme apaisée. Le major le vit hésiter imperceptiblement puis se diriger vers l'homme prostré à même le sol la tête entre les mains. Le praticien s'accroupit, lui prit le bras et tenta de lui parler. Le scientifique secoua la tête et se détourna. Le médecin insista un moment puis abandonna.

Sheppard sentit de nouveau une bouffée de haine et de dégoût le traverser. Ce minable n'avait que ce qu'il méritait. Il était bien temps de pleurer maintenant. Il aurait dû y penser avant.

Il reporta son attention sur l'écran du jumper.

Au fond du vaisseau un infirmier équipé d'une trousse de secours s'approcha de l'homme qui sanglotait :

-Monsieur, je dois m'occuper de vos contusions.

Le ton se voulait indifférent, poli,mais le scientifique y décela une certaine gêne. Il leva la tête. L'infirmier, embarrassé détourna légèrement les yeux.

Evidement, personne ne le regardait en face. Depuis la fin de l'attaque les regards le fuyaient. Les membres de l'expédition, ses collègues, l'évitaient comme s'il avait la peste. Les militaires, eux, le toisaient d'un regard glacé et méprisant. Aucune remarque déplacée, non, bien sûr. Ils ne se le seraient pas permis. Que des silences hostiles. Sauf Sheppard qui lui avait témoigné plutôt violement son mépris.

Mais il avait fait le pire. Il avait sacrifié un autre homme pour sauver sa peau.

Et maintenant cet homme était entre la vie et la mort sur un brancard à quelques mètres de lui. Plus près de la mort que de la vie, de ce qu'il en savait.

Et sa vie à lui ne serait plus jamais la même. Son acte avait changé son existence. Inéluctablement.

« Je suis grillé ». L'expression venait de lui traverser l'esprit et il la trouva juste. Parfaitement adaptée à son cas. « Grillé » à ses yeux, aux yeux du monde. Il n'était pas dupe. C'était un homme lucide. Il savait que désormais il lirait dans chaque regard un rappel de sa faute, de sa lâcheté.

Et personne ne lui en soufflerai jamais mot, bien entendu. Les gens étaient plutôt polis, sur Atlantis. Il pressentait déjà cette pseudo indifférence qui accompagnerait les regards, il savait que ça jaserai dans son dos, il imaginait les conversations cesser brusquement sur son passage.

Son père qui était pasteur et aimait s'en référer à la bible en toute occasion truffant ses discours de citations aurait dit qu'il portait la marque du péché sur son front.

Son père avait toujours eut le sens de l'exagération mais là, il aurait été content.

Oui, pour une fois il aurait fait plaisir à son père.

Ce n'était pas que jusque là il était très populaire, loin s'en faut, mais il s'en fichait royalement, intransigeant et submergé par un sentiment de supériorité qu'il affichait en toute circonstance.

Mais maintenant… Oh, s'il pouvait revenir ne serait-ce que quelques heures en arrière ! Avoir une seconde chance. Il n'aurait pas eu ce geste. Il ne l'aurait pas fait.

Il lui semblait être tombé de haut et la chute était dure.

Très dure.

Les larmes coulèrent de nouveau. L'infirmier hésita, indécis.

-Monsieur, répéta t'il, laissez- moi faire mon travail.

Calvin Kavanaugh secoua encore une fois la tête et se replia sur lui-même comme s'il voulait disparaître du monde.